à la tombée de la nuit...

SAMEDI 5 Mars 2005,

de 10h à 18h

  Animation : Régis MOULU.

Thème :

Les Ateliers d'Art : des lignes qui nous portent...

Les Ateliers d’Art, autrefois des bains-douches, présentent en son cœur un étonnant volume. De nombreuses lignes en dessinent un curieux squelette…

Adresse des Ateliers d’Art : 5 Ter Avenue du Bac, à Saint-Maur (quartier La Varenne St-Hilaire).

... et en flagrant délit de jour (moment où l'on a écrit)

 

 


Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):

- "Retrouvailles" de Janine NOWAK

- "De l'autre côté" de Sylvaine HEROGUEZ

- "Attention à la marche !" de Régis MOULU

-"Le grand absent" d'Angeline LAUNAY


"Retrouvailles" de Janine NOWAK

Monsieur l'Académicien se promène. Son émotion est grande ; des souvenirs enfouis ressurgissent. Il a vu le jour dans le quartier du Vieux Saint-Maur. Les fenêtres de l'appartement de ses parents donnaient sur le square de l'Abbaye .
Il se revoit petit garçon, tenant dans sa menotte un pot à lait en aluminium, et se rendant tout seul, ce qui le gonflait de fierté, à la ferme située près du café. Comment s'appelait cet établissement … faisant face à l'Eglise Saint-Nicolas ? … Ah oui : " les Trois Marches ". Et pourquoi s'appelait-il les " Trois Marches " ? C'est tout simple : il fallait monter trois marches pour y pénétrer ! Aujourd'hui, il se nomme " le Bourbon " : c'est plus pompeux, mais c'est aussi un petit clin d'œil au passé historique de la cité.
Monsieur l'Académicien n'avait que dix ans lorsque ses parents, gens de conditions modestes, ont décidé de revenir au pays natal. Il a grandi, insouciant et joyeux comme tous les gamins, dans cette lointaine province à laquelle il est à présent tant attaché et pour laquelle il s'est tant investi.

Sa vie a été heureuse : sérieux, travailleur acharné, il est devenu " quelqu'un d'important " - comme on dit dans sa campagne - ; et ses " pairs " reconnaissants, viennent de l'élire, hommage suprême, membre de l'Académie Française.
Il avance paisiblement et découvre à l'improviste, au détour d'une rue, une façade qu'il pensait avoir oubliée. Ces retrouvailles sont pour lui identiques à celles que l'on pourrait avoir avec des êtres vivants : il remarque les changements comme on peut suivre sur un visage aimé, mais que l'on n'a pas contemplé depuis longtemps, les marques du temps. Un autobus arrive ; une impulsion : il y grimpe sans même réfléchir. Une fois installé, il découvre qu'il est sur la ligne 111.
La ligne … Le mot le fait sourire. Me voici déjà au travail, pense-t-il ; car demain, sera pour lui, la première " séance du dictionnaire ", et le terme à étudier - coïncidence - est ligne. Voilà un petit mot tout simple, mais au sens si large ! Il réfléchit, pour s'amuser. Voyons … nous avons la pêche à la ligne, la ligne de flottaison, la ligne d'horizon et celle des Vosges qui est qualifiée de bleue. La coquette surveille sa ligne et la gitane s'accroche au passant pour lui faire les lignes de la main. Plus sérieuses sont les lignes de démarcation, Maginot et Siegfried ; cette dernière avait, toutefois, inspiré une chanson ironique où il était question que les Anglais aillent étendre leur linge …
L'autobus poursuit son chemin : quartier de la Pie, Boulevard des Mûriers. Monsieur l'Académicien aime ces noms qui sentent bon le terroir, au sein de la ville. Tout en regardant avidement le paysage qui défile, il retourne à son petit jeu : lignes de portée de musique, ligne blanche sur la chaussée, lignes de conduite, de devoir, d'honneur. Il a un flash ; il revoit l'adjudant- chef criant aux jeunes recrues, dans la cour de la caserne : " alors la bleusaille, je vais vous apprendre à vous mettre en ligne, moi ! " Il sourit. C'est si loin, tout cela. Le sable a beaucoup coulé dans le sablier. Il n'en reste plus beaucoup pour lui à présent.

La Varenne Saint-Hilaire, Avenue du Bac ; vite, il descend de l'autobus. Il longe la rue et s'arrête soudain, médusé, devant un bâtiment : le Nautilus ! SON NAUTILUS !!!
C'est ainsi qu'il appelait les " Bains-Douches ", où ses parents le conduisaient une fois par semaine.
Quelle émotion !
Il semble que la bâtisse abrite à présent des Ateliers d'Art, ouverts à toutes les disciplines : musique, peinture, sculpture …
Il éprouve le besoin irrépressible d'y entrer. Il passe la porte : des bureaux ont remplacé les salles d'accueil réservées aux usagers (à droite pour les dames ; à gauche pour les messieurs). Cependant, il remarque avec ravissement, que les banquettes en bois, disposées en arc de cercle, subsistent.
Il est à présent dans le Saint des Saints, à savoir, dans la vaste salle qui tient lieu de hall d'exposition, celle-là même où étaient installés, jadis, les sanitaires.
Le sol n'est plus recouvert de ce carrelage bicolore sur lequel alternaient lignes droites et lignes en dents de scie. Un sobre plancher de bois blond l'a remplacé.
Les cabines ont disparu. Les murs sont blancs et nus, ce qui donne encore plus d'ampleur et de volume à l'ensemble.
Aujourd'hui, cette grande pièce est vide : aucune exposition.
Ce beau décor, à la structure très dépouillée est illuminé par un pâle soleil d'hiver. Celui-ci se déverse à flots par la haute verrière (qui elle, est restée intacte), permettant ainsi à la lumière naturelle de pénétrer largement.
Toujours les mêmes poutrelles rivetées (attention, très important : ce ne sont pas des boulons, mais des rivets qui fixent les armatures métalliques entre-elles !). Il a toujours été séduit, et il l'est encore, par ces jeux de construction, sortes de mécano géant où chaque pièce s'ajuste au millimètre près.
C'est comme une forêt métallique, une ossature en fer.
Qui devant la beauté et le mystère d'une belle architecture, n'a désiré comprendre les motivations, n'a tenté de déchiffrer le message laissé par l'Homme de l'Art ?
Bien, sûr, quand il fréquentait cet établissement par nécessité, il était trop jeune pour apprécier avec quel talent, l'architecte avait érigé cet endroit si bien agencé. Il ignorait, alors, tout des bienfaits de l'acier dans la construction.
Il ne voyait que ce qu'il avait envie de voir. Son imagination d'enfant était déjà très fertile. Il était particulièrement fasciné par les trois hublots en verre dépoli, sous lesquels il avançait pour accéder aux cabines de douches.
Il était le Capitaine Némo, et à chaque instant, il espérait apercevoir la nageoire d'un requin, ou le bec grimaçant de la pieuvre géante. Ou bien, d'autres fois, il était Jonas dans le ventre de la baleine.
Aujourd'hui, son impression est toute autre. Il admire les formes élégantes et rigoureusement fonctionnelles de l'ensemble, qui obéissent aux lois de la statique.
L'artiste qui a conçu cette œuvre, a su se faire modeste. Il nous offre une fière réalisation, un espace fait de grâce, limpide et mystérieux à la fois, nimbé d'une certaine nostalgie poétique. C'est abstrait, élégant et racé, mais un brin " désincarné ".
Car tout parait si simple, en pénétrant dans ce local : dépouillement, blancheur immaculée. Et pourtant, derrière cette nudité, ce vide où le moindre bruit résonne comme dans une cathédrale, Monsieur l'Académicien se sent comme aspiré, prêt à s'envoler, à immerger. Quelle plénitude ! Quelle béatitude ! Il ne peut détacher ses yeux de la verrière et des hublots. Curieusement, il continue à se sentir comme dans un bathyscaphe.
C'était il y a 60 ans, c'était hier. Brusquement, il retrouve son âme d'enfant, et aujourd'hui encore, il n'a que dix ans. Il oublie les contours de la pièce. Sa folle imagination se réveille et l'emmène au loin. Ce n'est plus un architecte qui a conçu ce lieu ayant nécessité un travail titanesque. NON ! C'est un Dieu, un Dieu Bâtisseur, un Neptune qui a disposé à larges coups de trident, toutes ces poutres. Grâce à sa Tour, qui est devenue le " bâtiment-symbole de Paris ", Gustave Eiffel a été sacré " Magicien du Fer ". Alors, pourquoi ne pas proclamer Neptune " Magicien des Bains Douches de Saint-Maur-des-Fossés " ?

 

"De l'autre côté" de Sylvaine HEROGUEZ

2032. Suite au réchauffement de la planète, les eaux sont montées et à l'automne, les perturbations climatiques ont. achevé de faire déborder les fleuves. Le plan d'alerte a été déclenché : les maisons et les immeubles ont été évacuées et les services de la ville ont fait murer toutes les entrées des bâtiments publics pour s'assurer que personne n'y entre s'y réfugier. Mais dans l'atelier des Arts, anciennement les bains douches, un homme est resté prisonnier.

Il se jette contre les murs, tape, cogne, crie, reste longtemps prostré sous une des 4 fenêtres inaccessibles, puis reprend son agitation. Il crie, hurle, pleure, court, trébuche, se relève, traverse la pièce, s'écrase à nouveau contre le mur. Comme un hamster dans sa cage, il reprend sans cesse la même course jusqu'à l'épuisement. Il est allongé à plat ventre sur le sol, reprenant son souffle et rassemblant ses forces pour une nouvelle tentative quand un homme apparaît derrière lui. Il se tient debout contre le mur :

- Tu t'épuises pour rien.
- Mais tu ne vois pas qu'on est enfermé là, j'en peux plus moi, il faut que je trouve un moyen, il y a forcément un moyen d'accéder à cette foutue fenêtre. Tu ferais mieux de m'aider au lieu de rester là. J'veux pas crever, tu piges ? J'veux sortir d'ici. Si je tenais le salaud qui a mis des fenêtres là haut, juste pour que tu te sentes trop petit …
- C'est moi l'architecte, enfin, …celui qui a réhabilité les lieux, celui qui a cassé le plafond pour faire apparaître la verrière.
- Ah ouais ? Et ils ont pas voulu te laisser sortir après c'que t'as fait ? ça m'étonne pas.
- On laisse toujours l'architecte dans son bâtiment pour qu'il le teste. Au début, je me suis dit que j'avais fait une vraie bourde en cassant le plafond, en décloisonnant les espaces. Et finalement, non, je crois que c'était une bonne idée.
- Une bonne idée ? Une bonne idée ! Tu sais qu'avec ta bonne idée je deviens fou, moi ! Si encore il n'y avait rien, une bonne boîte noire comme ça devait être avant, au moins j's'rais sûr que j'vais crever et j'aurais hâte d'en finir. Mais toi, tu ouvres des perspectives, tu " décloisonnes " et résultat, je sais que dehors existe encore et dans le même temps je sais que j'peux plus y aller. C'est de la perversité, rien d'autre.
- Calme-toi.
- Que je me calme, donne-moi la solution pour sortir et je me calmerai.
- J'ai fait comme toi au début. Je me suis débattu, j'ai pensé à tous les systèmes possibles pour grimper, je suis tombé de nombreuses fois, je me suis usé les poings à force de frapper dans les murs qui m'enfermaient. Et puis un jour, j'étais à bout de force, je me sentais si petit et désespéré que je ne tenais plus debout, comme toi maintenant. Je titubais d'une colonne à l'autre jusqu'à tomber d'épuisement, je me sentais sur le point de mourir. Alors j'ai rampé jusqu'à ce mur, oui, celui-là même d'où je te parle, je me suis adossé et j'ai levé les yeux. Je me disais, si tout doit s'arrêter, si la vie doit me quitter maintenant, je veux voir le ciel une dernière fois. Je me suis installé là et j'ai regardé le ciel là haut, comme toi tu fais avant de te mettre à courir tout droit vers le mur d'en face. Mais cette fois, j'étais si fatigué que je ne pouvais plus bouger, j'ai juste continuer à regarder.
- Bon d'accord, tu as regardé sans bouger, d'accord, mais bon sang comment on sort d'ici ?
- Viens t'asseoir à côté de moi, tu comprendras.
- Je ne veux pas m'asseoir, je veux qu'on me sorte d'ici !
- Au début, je regardais la verrière et j'y croyais, j'étais comme toi, je voyais le ciel et des rails et je m'y accrochais des yeux, et j'avançais tout droit, je suivais le train aérien. Mais inévitablement, je finissais par me cogner au mur. Je recommençais et je me recognais, sans pouvoir passer de l'autre côté. C'est quand je me suis trouvé dos au mur, épuisé, sans bouger, c'est là que j'ai traversé. Viens voir
(l'homme agité s'approche et vient se placer à côté de l'architecte, au milieu du mur)
- Ne regarde pas le ciel, regarde les lignes. Plus tu regardes les lignes, plus tu deviens les lignes, et là tu traverses le mur, tu passes de l'autre côté, tu traverses tous les murs. Et loin là-bas, tu arrives au point ultime, inaccessible. Si tu restes longtemps à regarder, tu accèdes à l'unité parfaite, là où les lignes se rejoignent. Alors tu peux te reposer, tu as l'infini devant toi.

 

"Attention à la marche !" de Régis MOULU, auteur animateur

Espace à marcher,
relier les lattes de ses pas,
jungle de gerbes de poteaux
blanchis ces derniers temps,
peinture fraîche
à l'échelle d'une vie,
lieu dont la stature
nous donne à serrer de près
son squelette,
et toujours ce dos lumineux
comme un aplat de langoustine
vu de l'intérieur,
comme chez le docteur Blanco !

Folies de Tippex,
voilà que le dedans
n'a plus d'erreurs,
sans fautes de goût,
la vacuité des piliers plantés
comme on dresse une tente
pour des années,
celles qui se durcissent sous le soleil,
celles qui calcifient les eaux d'un style bains-douches pour des ateliers d'Art genre planétarium à coeur ouvert sur la ville,
le ciel ne lui servant
que de bateau,
hissons derechef
ce grandiose pavillon !

Passe, passe, des pas il en faudra
toujours pour l'homme qui,
tel un singe sans pieds, se prendra
d'amour pour les piliers,
le temps suspendu d'aller de l'un à l'autre
comme s'il y avait encore et toujours des recettes
pour que la conscience naisse, renaisse,
gardons-lui au moins ce doute à l'âme…

Plancher-berceau,
puis sous la chaufferie des tuyaux à eau pour baignoires et douches, hommes et femmes,
comment ne pas faire l'éloge des dérives vers des parents
que l'imagination souhaiterait bien artistes repentants,
sans mémoire ni goût pour les petits carreaux
façon art déco.

Vestibule, chienstibule, ennuistibules,
lâcher tout ce qui nous appartient
aux bancs de la société des bains
pour nous laisser démonter puis envahir
par les lignes de force
de la chapelle polyvalente…
On calcule aisément
que tout y est poussé naturellement,
une racine pour chaque pilier,
le tout chapeauté par un bâtiment
que nous dirons "ajouré" - si vous le permettez,
rien qu'à l'oreille la lumière y fait son plein,
plein de blanc,
plein de jaune,
à croire qu'il y a ici tout d'un œuf sournois et transparent,
un perpétuel accouchement…

Mais attention aux déstockeurs de temps,
le vide y est stagnant
et dense comme lors des belles journées
qu'irrigue la Marne de nos vingt ans
qu'on a pris soin de mettre, auparavant,
sur un compte bloqué,
à l'ombre des sans intérêts,
évidemment !

Le propre de l'âge en ce lieu,
c'est qu'il n'évolue pas,
chaque seconde semble la même...
C'est d'ailleurs, présentement,
un mammouth de jouvence
qu'il nous faut arpenter
lorsqu'on est dans la salle principale
qui a été vidée
de toutes ses entrailles !
Donc point d'estomac,
et encore moins d'autres industries !
Seule la peau intérieure
fut assez raclée
pour qu'on ait seulement l'impression
de fouler un plancher
tout fait de squames
bien ordonnées.

Quatre fenêtres crève-peau
marquent le départ
des quatre membres de l'animal,
leur absence permettant d'aller plus loin,
plus loin que la station "Parc Saint-Maur", par exemple.

Sont restées intactes toutes les côtelettes
pour lesquelles il est préférable
pour tout homme équilibré
d'y voir des arches. Laissons
croire aussi, aux plus illuminés,
que c'est ici que Dieu a fait
ses premières lignes de lettre "m" !
Huit y sont dessinées précisément…
le tout forme une phrase d'accueil
sans pareil dite "la ronde des m" ,
appelée aussi "closerie de l'amour",
quelle détente !!

Alors oui, savourons et laissons-nous ceinturer
par la bête, chaque silence prononcé
pouvant se déposer…
sur nous !

Etre vigilant
à ne pas se mettre
précisément
sous un des six
hublots
horizontaux
plus de… vingt-quatre secondes !
Car il paraît que ce sont
des pores de sudation
de l'animal, qui, rapportés à l'échelle des hommes,
peuvent devenir de véritables
fûts de canon
prêt à votre détonation.

Observez au plafond
comme les dorsales
de notre vertébré
sont restées
intactes :
elles respirent
de santé ; être ainsi
ordonné permet
une excellente circulation
des pensées pour qui
se sent visiteur de passage ou artiste en mal de proférations bien inspirées !

Muséum, muséum d'histoires naturellement bonnes à croquer,
il est une fois des hommes préhistoriques
qui y virent bien quelques-unes de leurs peintures pendre,
la culture en couleur fait quelquefois œuvre
de verrues
quand le blanc y règne de toute son immensité,
l'horizon étant toujours à repousser
là où tout bouge le moins.

C'est que les sains parasites
n'ont pas d'égal pour rendre
hommage au vivant,
le bestiau au teint de betterave, pour ce qui est de son extérieur,
couvait en fait une galerie
grouillante et experte de bonnes pattes
en pinceau !

Passe, passe, des pas il en faudra toujours et encore pour l'homme qui,
telle une araignée d'eau,
se plaît à prendre la pose
à quatre pattes forcées,
ah, mais quelle idée
de faire son dos rond aux étoiles,
vu que c'est toujours derrière soi
que les choses se plaisent à évoluer,
qu'on vous le dise ou pas !

Sait-il que son ambition
revient au maximum à singer,
en modèle réduit,
le mammouth précité ?

" Etre gigogne ! ", mais pour celui qui est le plus interné -nous-
n'était-ce pas là le plus cruel salut ?
Et les murs de l'édifice continuaient toujours à se déposer sur le visiteur sans motif d'effraction...
Un mot existe pour dénoncer tout cela, il s'agit de l'adjectif…
"solennel" quoiqu'en disent
les doubles portes pour phacochères qui,
sans qu'on puisse le comprendre,
ont été doublées de chaque côté !

Mais réinspirons, dérespirons, extraspirons
tant nous poumons toujours faire mieux,
le nez alerte
comme un double décamètre,
et n'oublions nullement par la même occasion
de dédensifier la boule de vide
qui tend tellement l'espace de cette pièce
qu'elle en devient cent vingt-huit lignes
rectilignes, de vraies lignes donc
en quantité suffisante, en compter plus
aurait été dangereux,
d'où l'appel d'urgence qui a été lancé à
quelques hommes des champs
afin qu'ils délimitent son audace
aujourd'hui contrite par quelques luminaires.
Labourer en plein vol une peau de l'intérieur
pour en faire des ornières de feu,
il y a là, vous avouerez bien,
de quoi rendre ahuri
plus d'un passager bien malgré lui.
Quoiqu'il en soit, ce fut comme si
on avait inauguré une piste
d'envol pour les songes.
Quiconque y passe
finit par s'endormir
les yeux derrière la tête.

Et puisque, dans notre société surmatérialisée,
il est toujours question
et plus que jamais d'actualité
d'apprendre à tout lâcher,
autant commencer par le corps,
ce corps qui emportera
à sa tête notre pensée
vu que je vous annonce
que la grande désanthropomorphisation a commencé
par larguer ses amarres
au 5 Ter Avenue du Bac !

 

"Le grand absent" d'Angeline LAUNAY

Ce sont des lignes tranquilles… Elles s'étirent vers le fini et dessinent une petite basilique des temps modernes avec sa nef centrale, ses bas-côtés, sa vingtaine de piles légères, surmontées d'arcades, des entrées et sorties latérales… Pas d'abside, pas de chapelle ni de déambulatoire, pas de chœur… Pas de cœur, mais le froid du blanc qui blesse, la propreté clinique, l'illusion de la pureté. Une lumière crue et zénithale traverse les structures supérieures arachnéennes, inondant l'espace telle une eau dématérialisée. Aucune brise… Le vent, par contre, s'est solidifié, a pris la couleur du plancher, il est devenu sable puis bois… Voilà que nous marchons sur du vent !

Deux filins d'acier enjambent le vide : pour quel funambule ? - Les fils de la vie, la vie mise en danger… Les lignes de force, les forces vives… Les lignes de vie se propulsent dans le vide, la blancheur et le silence.
Le silence appelle la solitude, la solitude la désolation, la désolation l'espace, l'espace l'équilibre, l'équilibre le funambule, le funambule le fil, le fil le chemin, le chemin la vie, la vie la force, la force la vertu, la vertu la pureté, la pureté le verre, le verre la cage, la cage le vide - la vaste cage de verre vide ! Il n'y manque que quelques grappes de vampires maladroits agglutinés aux voûtes claires ou des vols de cafards aveugles pour cogner leurs élytres aux parois de cette boîte fermée qui se voudrait hospitalière.

L'espace comme autrefois se divise en cabines. Des étagères invisibles sont chargées de chapeaux extravagants, d'oripeaux du dimanche et d'objets-inanimés-avez-vous-donc-une-âme… Les confitures spirituelles en pots s'alignent à côté de succulentes miches moelleuses… C'est encore plus suave que tout à l'heure !

Des gibbons bondissants se balanceraient de poutrelle en poutrelle, moulinant leurs longs bras noirs et souples au-dessus de leurs congénères. Des hippopotames slalomeraient lourdement, brisant le rythme austère des petits piliers parallèles. Les rayures, aux robes de zèbres, larderaient la surface uniforme des murs de leurs stries mouvantes. Soudain, les rhinolophes et les vespertilions se décideraient à quitter les cimaises pour effectuer un ballet aérien d'une grâce insoupçonnée aux accents du quatuor à cordes des frères Pasquier, impassible sous cette nuée bruissante. Certaines bestioles se réfugieraient dans des coins obscurs tandis que d'autres, en quête d'une improbable chaleur, guetteraient quelques rayons aussi timides que ceux de ce jour.

Aujourd'hui, l'humain est-il le grand absent ? - Il faut bien admettre que l'homme n'est pas le garant d'une hypothétique charte internationale des droits des animaux. L'homme trace des lignes droites mais ne les suit guère. Il va même jusqu'à se perdre en conjectures sur l'existence du grand architecte. Et l'animal, croit-il en l'homme ?
Une question se pose et s'impose : est-il interdit d'exploiter, d'emprisonner et de tuer les animaux pour rien, ou pour des raisons ineptes ? Ah… si on commence à discuter !

Dans cette boîte de jour décidément assoupie, que la musique se répande ! Il serait alors possible, comme dans " Le Bal des Vampires ", d'assister à la valse spectrale de femmes et d'hommes apparaissant et disparaissant parmi les animaux qu'ils effleureraient de leurs haillons fantastiques en tournoyant sur eux-mêmes ainsi que des toupies qui ne s'arrêteraient plus ou des automates dont la clef serait restée bloquée dans le dos. La fête se révèlerait malédiction sans fin en expiation des tourments perpétrés.

Mieux que quiconque, les chiens rattrapent la balle au bond. Sauf anomalies fortuites, ils incarnent l'amour inconditionnel. Que d'animaux ne tuent que pour leur survie ! Des chimpanzés Bonobos ont intégré huit cents mots du langage des hommes. Trois femmes, surnommées " les anges de Leakey " laisseront leur nom à l'histoire de l'étude des grands primates. L'une abandonna sa vie pour le rachat des fautes des exterminateurs. Les autres continuent de lutter de manière désintéressée.

Animaux, nous feriez-vous l'insolite plaisir d'investir les " Ateliers d'Art " ? Révélez-nous l'envers d'un décor dont nous ne percevons que l'endroit, blanchi somme un sépulcre… Puissiez-vous même faire s'écrouler ces parois qui délimitent une geôle trop étroite afin de vous élancer dans ces courses effrénées auxquelles l'humain ne pourrait prétendre, si d'aventure la fantaisie l'en prenait !

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !

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