SAMEDI 5 Février 2005,

de 10h à 18h

  Animation : Régis MOULU.

Auteure invitée : Claudine VUILLERMET.

Thème :

Où sommes-nous ?

... lorsqu'on est à l'intérieur de l'échope FOrmes et OmbRes.

Au 48 Avenue Emile Zola (à Saint-Maur des Fossés), cette boutique vous absorbera. Si, si ! … Vous serez alors littéralement happé de votre trottoir et émettrez l’envie de dénicher quantité d’objets qui grossiront sous les commentaires de Jean Foor, son heureux propriétaire. Cet artisan hors du commun (cf son portrait), ce passionné éclairé, a en le même lieu son atelier de création et de moulage d’art médiéval, celtique, fantastique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):

- "Où serais-je" de Béatrice ARNAUD-GORECKI

- "En d'autres lieux" d'Angeline LAUNAY

- "Où sommes-nous ?" de Claudine VUILLERMET

- "Les tentations du rien" de Régis MOULU

- "Présent... passé" de Janine NOWAK

- "Atelier Formes et Ombres du 5 février 2005, Jean Foor" de Françoise MORILLON

 

 

"Où serais-je" de Béatrice ARNAUD-GORECKI

Si j'étais dans ton arbalète, je serais sa flèche au point mort, scotchée à l'inoffensif adhésif

Si j'étais dans ton bougeoir aux abcès rouges, je serais la cire qui va couler de tout son sang à l'allumage de la mèche d'une douleur

Si j'étais dans ton lustre-aux-feuilles, je serais sa boucle pour bruire et frissonner du cycle de la vie

Si j'étais dans ton poisson, je serais dans sa nageoire aux quatre pétales pour en faire un trèfle

Si j'étais dans ton cœur de bois, je serais sa sève pour remonter ou redescendre le temps. Ce serait selon…

Si j'étais dans ta corne qui n'est pas d'abondance, je serais le vide engouffré

Si j'étais dans ta chouette, je serais ses lunettes pour arrondir les angles du monde afin que les yeux du cœur ne s'y blessent pas

Si j'étais dans ta hache, je serais ses pointes rentrées

Si j'étais dans ton canon, je serais son boulet lancé droit dans la mémoire ennemie

Si j'étais dans ton écrin en carré d'énigme, je serais son objet dérobé

Si j'étais dans ton porte-encens, je serais la poussière prisonnière de ses effluves consumés

Si j'étais dans La Mort-au-miroir, je serais la femme-serpent qui retient son venin dans son dos de mensonge

Si j'étais dans ton étalage de minéraux, je serais un porte-santé à la clé d'un amalgame

Si j'étais dans tes flacons de parfums, je serais l'Orient qui s'y modèle en gammes d'ivresses

Si j'étais dans l'un de tes écus qui n'est pas d'Aix, je serais ses quatre calissons

Si j'étais dans ton paillasson, je serais la terre sèche échouée au terme du chemin du va-nu-cœur

Si j'étais dans ton Hypocras, je serais son mystère de cannelle et de gingembre aux papilles des vertus

Si j'étais dans ton araignée au plafond d'un samedi, je serais son ombre de plâtre piégée dans la toile de ses maljours

 

"En d'autres lieux" d'Angeline LAUNAY

Forme - Nous sommes ici, nous les formes. Et vous, les ombres, où êtes-vous ? Y a-t-il une une ombre ici ?

Ombre - Oui, me voilà parmi vous.

Forme - Oh ! Je suis si émue… Me connaissez-vous ?

Ombre - Je ne crois pas.

Forme - Je vous connais ?

Ombre - Vous ne me connaissez pas.

Forme - M'en direz-vous davantage sur vous ?

Ombre - Je suis ici par hasard. Cet endroit est pour moi un lieu de passage car je hante d'autres lieux.

Forme - Me direz-vous qui vous êtes…

Ombre - Je me demande moi-même qui vous êtes.

Forme - Je suis un ange tombé ici-bas.

Ombre - Apprendrai-je votre nom ?

Forme - On m'appelle " Ange ". Puis-je savoir le vôtre ?

Ombre - Je suis Girflet, d'une autre époque.

Forme - … Le Moyen Age, sans doute.

Ombre - Avant, mais mon histoire s'est écrite au Moyen Age.

Forme - Je suis émue.

Ombre - Vous l'avez déjà dit.

Forme - J'ai l'impression de vous connaître.

Ombre - Ce n'est qu'une impression, en effet. Me voilà votre obligé.

Forme - Etes-vous un Seigneur ?

Ombre - Je fus écuyer au royaume des Deux Bretagnes. (Un silence) Vous ne dites plus rien.

Forme - J'aimerais que vous me parliez de vous.

Ombre - Dans cette échoppe, les objets m'ont paru familiers et je me suis attardé un moment, lorsque vous avez invoqué les ombres.

Forme - Venez-vous de loin ?

Ombre - D'assez loin. Trois lieux m'habitent, de même que je les habite. On dit que les disparus reviennent dans la maison qui les a vus vivre mais ce choix ne m'a pas été laissé. La plupart du temps, j'erre sur le champ de bataille de Salisbury où j'ai vu périr tous les barons de notre Seigneurie… presque tous car peu survécurent à la fin des " Temps glorieux. " Les écus crevés, les lances éclatées, les hauberts démaillés, les heaumes fendus, les têtes tranchées, les corps démembrés, les plaies telles des fleurs ouvertes sur un cœur transpercé, les râles inaudibles avant le dernier sursaut, la force terrassée, le courage sacrifié, tout espoir à jamais anéanti… Lorsque je m'éloigne de cette terre de désolation, c'est pour rejoindre mon souverain tombé en combat singulier, blessé à mort par la main de son propre fils à qui il porta malgré lui un coup fatal… le père, contraint d'affronter la chair de sa chair, ce fils, accusé à juste titre de trahison, ce félon, précipité dans la double mort qu'il donna et reçut en retour. M'advint un cruel dilemme : garder ou me séparer de l'épée de mon Roi ! Couché dans l'herbe mêlée de boue, à l'agonie, sachant son armée défaite, il me pria d'aller jeter son épée dans le lac. Parvenu aux rives feuillues, je ne pus m'y résoudre et la cachai dans les ajoncs. De retour auprès de mon Seigneur qui ne respirait plus qu'à grand peine, je lui mentis en lui disant que l'épée se trouvait au fond du lac. Il me demanda quel prodige s'était produit… Comme je ne savais que répondre, il me renvoya vers le lac. Cette fois, je n'eus le cœur que de jeter le fourreau. Mais le roi m'interrogea à nouveau. Voyant que ses forces l'abandonnaient, je me résolus à accomplir ce geste de désespoir : faire disparaître à jamais l'arme vénérée dont l'acier s'était forgé à la gloire de tout un peuple ! Je la lançai de toutes mes forces, le plus loin que je pus. C'est alors qu'une main sortit des eaux, s'empara de l'épée et la leva trois fois au-dessus de la surface argentée avant de s'enfoncer lentement. A la montée de la sève, les rives du lac verdoient ; elles s'embrument au déclin de la chaude saison et blanchissent durant les rudes hivers. J'y trouve une sorte de paix pour mon âme attristée. Ne suis-je pas le seul à savoir, qu'au fond de ces eaux calmes, gît l'épée de la renommée… Elle brilla d'un dernier éclat avant que son sort ne fût scellé par la main qui la jeta et celle qui s'en empara. Apaisé par le récit du prodige, le Souverain des Deux Bretagnes expira. Me revint la terrible mission d'en informer la reine infortunée, réfugiée en un couvent de nonnes. Elle cherchait à rejoindre le château de l'époux qu'elle ne revit jamais. Sa route s'était arrêtée là. Et moi, Girflet, qui aurait donné ma vie pour mes souverains, j'avais assisté aux derniers instants de mon Roi, et voilà qu'il me fallait maintenant voir ma Reine se pâmer à l'annonce de la funeste nouvelle. Innocente des crimes dont elle avait été accusée, elle avait injustement supporté les tourments occasionnés par le doute, l'absence et la félonie. Sans regret, elle franchit la porte de la Peur pour aborder au royaume de la Vie sans fin. Entre les murs clos de ce lieu dédié à la méditation, je retrouve quelque apaisement. Je pense à la Dame de beauté, à sa douceur, à la droiture de son âme. Quel que soit le temps et quelle que soit la lumière, je me ressource à mon passé dans le jardin du cloître où je vis se ternir son regard d'une bonté ineffable. Combien de fois ai-je traversé les murs de la chapelle pour m'enivrer des chants qui s'élevaient dans la tranquillité d'une journée nouvelle... Du jardin du cloître, poussé par le vent, il m'arrive de me laisser emporter vers des lieux inconnus. Les étendards ont arrêté ma course et je suis entré ici où j'ai pu vous parler parce que vous avez exprimé le vœu de m'écouter, chère Ange. Permettez que je vous appelle ainsi.

Forme - Appelez-moi comme bon vous semble. Comme vous, je ne faisais que passer. Je me demande… Me serait-il possible de vous rejoindre sur les rives du lac ou le couvent des nonnes ? Comment le pourrais-je ? Comment abolir le temps ?

Ombre - Rencontre étonnante d'une forme et d'une ombre ! Si vous le désirez, je puis abolir le temps et nous pourrions échanger d'autres paroles. Mais vous ne pouvez aller là où je vais. Moi seul peux venir vers vous. Si vous m'en priez, je n'hésiterai pas à faire le voyage.

Forme - Je vous en prie.

 

"Où sommes-nous ?" de Claudine VUILLERMET, auteure invitée

Où sommes-nous ? Où sommes-nous ? En quel lieu ?
En quel temps ? Ce matin, j'ai pris le métro, puis le RER, direction Saint-Maur les Fossés.
J'ai traversé un pont. J'ai longé les immeubles.
Saint-Maur les fossés. Impasse de l'Abbaye.
Et puis là, cette échoppe, Formes et ombres au 48 avenue Emile Zola.
Saint-Maur. L'abbaye. Emile Zola. L'échoppe. Les fossés. Les formes. Les ombres.
Un peu kitsch, les formes !
Moyenâgeux ou bien néo-moyenâgeux ?
Armoiries. Blasons. Cuirasses. Heaumes. Oriflammes. Armures.
Le fantôme d'Hamlet n'oserait même pas entrer dans cette quincaillerie.
Même pas une tapisserie derrière laquelle le prince pourrait cacher le corps.
Autant d'épées. Autant de poignards. Autant de fantômes sous ces armures,
Et pas une seule tapisserie derrière laquelle
Le corps en putréfaction de Polonius, pourrait nous alerter !
Où sommes-nous ? En quel lieu ? En quel temps ?
Je passe.
Toutes ces figures en moulage caoutchouté entre deux heaumes métalliques,
Quel manque de goût !
Je passe. Je ne fais que passer.
La chevalerie n'a jamais été pour moi, qu'une courtoisie de féodaux.
Alors la fausse chevalerie, vous pensez !
Je ne resterai pas jusqu'à la fin. C'est certain.
Ce décor ne peut être que la préfiguration d'une mauvaise pièce.
De quoi séduire, on se demande qui !
Où sommes-nous ? En quel temps ? En quel lieu ?
A défaut de traverser le temps, je traverse le lieu.
Au fond de l'échoppe, une petite pièce, où sont exposées
Des bijoux, des pierres aux multiples vertus.
Améthyste : pierre de la sagesse et de l'humilité.
Où suis-je ?
Cette pierre violette, et les autres, roses, bleues, vertes.
Dans mon dos, le Capharnaüm, et là, sous mes yeux,
Une pierre lisse, couleur de rêve.
Derrière moi, l'artifice, la factice, la complaisance du kitsch artifice factice,
Et devant moi, la pierre dans sa simplicité la plus totale.
Pâle et transparente à la fois.
Je vais passer pour quoi ?
Je vais encore me faire remarquer.
Je n'aime pas le Moyen-âge. Quand on me parle de la liberté des mœurs au Moyen-âge,
Je ne peux m'empêcher de penser à la ceinture de chasteté
Que portait la femme du prompt chevalier, parti à la guerre.
Tiens ! dans la vitrine, juste à côté de la pierre couleur de rêve,
Un pendentif en forme de clé ! Une magnifique petite clé.
Qu'est-ce que je vous disais ? Barbe bleue n'est pas loin.
Où sommes-nous ?
En quel lieu ?
Figurez-vous que le boutiquier a trouvé indispensable de nommer ce bijou.
La petite clé s'appelle Iseut. Mon Tristan où es-tu ?
Tu m'as quitté depuis longtemps, ça je le sais.
Le filtre n'opère plus toute une vie.
On ne meurt plus de ce filtre là.
Les temps ont changé.
- C'est quoi votre filtre Monsieur ? Hypocras !
L'authentique boisson médiévale redécouverte pour votre plaisir
Préparée selon la recette de Guillaume Taillevent,
Célèbre maître queux du Roy Charles VII
Et de François Rabelais.

Hypocras, c'est vraiment délicieux !
C'est doux et piquant à la fois
C'est plus qu'un bon cru. Un peu moins qu'une liqueur.
L'authentique, au cœur de l'artifice. Voilà.
Que François Rabelais soit passé par-là, cela ne m'étonne pas.
Pas chevalier, François Rabelais !
Hypocras. Rabelais. La Renaissance. C'est cela !
Au cœur de votre décor moyenâgeux, vous arriveriez à m'enivrer.
- Hypocras rouge, blanc ou rosé ?
- Rouge s'il vous plait. J'ai toujours eu une préférence pour le vin rouge.
Alors hypocras rouge. D'ailleurs, je n'imagine pas Rabelais buvant du blanc. Ne me demandez pas pourquoi, c'est une sorte d'intuition. Et puis, je n'imagine pas, non plus, Rabelais entrer dans cette échoppe. Il était peut-être un peu trop méridional. Voilà. J'ai trouvé. Ca manque de soleil, de chaleur, de couleur. Votre bimbloterie, en plus d'être kitsch, n'est même pas colorée.
Ah ! pardon. Je n'avais pas vu les consoles. Les marmousets. Leurs joues grassouillettes et leurs postures sans gène,
Apportent un peu de vie à ce mélange de caoutchouc gris et de métal froid
Ils ont du consommer un peu d'Hypocras, ceux là !
Où sommes-nous ? En quel temps ?
A voir ces marmousets, je crois que la Renaissance nous fait des clins d'œil.
Les marmousets n'ont plus besoin de porter la petite clé vertueuse autour de leur cou. Grâce à l'Hypocras. L'Hypocras du pays d'oc.
Fabrication artisanale. L'abus d'alcool est dangereux pour la santé.

C'est écrit dessus. Eh oui ! Personne n'échappe à son époque !
Moyen-Age. Renaissance. Temps modernes.
Rouge. Blanc. Rosé. Ou sommes-nous, en quel temps ?
Le breuvage. Le filtre. En tout temps. En tout lieu.
Excusez-moi. Je sors. Je m'éclipse. Une fuite sans doute.
Mais j'ai tout de même acheté un livre sur la magie des pierres précieuses !
Jaspe rouge brun. Lapis Lazuli. Améthyste. Saphir.
La couleur pure.. Pure comme l'air !
Je sors. Mon livre sous le bras, je sors.
La visite est terminée.

 

"Les tentations du rien" de Régis MOULU, auteur animateur

BLANC. - Où sommes-nous, j'ai ?

ROUGE. - Ailleurs, ailleurs, Blanc !

BLANC. - Où sommes-nous une fois que l'on est entré dans les formes et dans les ombres, j'ai, ne sais plus, je ?

ROUGE. - On entre et on n'est rien, la foire aux concepts, ce lieu est impossible, rien n'y est précis, tout y est posé, formé, sculpté et/ou peint : l'hypnose y fait son cinéma et c'est toi qui tourne la manivelle, Blanc !

BLANC. - Moi, aucun intérêt pour le décoratif, j'ai, l'impression d'avoir été dépecé, j'ai…

ROUGE. - Tu mélanges vraiment les mots, Rouge, bric-à-brac improbable jusque dans le dedans de ta bouche, fourbis de dents démoulées juchées d'un casque brillant comme s'il nous était offert de ne plus rien voir ou de voir seulement tout ce qui existe à portée de bras, les tiens, épée à deux mains avec une garde en ailes de dragon, je te prie de me croire, à côté d'un gantelet dont chaque doigt est découpé comme des écailles charnues de saumon, si tu te souviens bien, non loin d'une porte solitaire qui, avec son mur de vide, donne sur le néant de façon oblique… En face, les chevaliers de la table qui tourne au 220 ne t'en diront rien, exprès, sois-en sûr, préférant faire présentoir commun avec des sorcières aux traits beaucoup trop feutrés pour pouvoir s'attaquer ne serait-ce qu'à un jambon de paille en gelée, tout hypocras dehors !

BLANC. - Arrête-toi, Rouge, arrête-toi et calme-moi par ton silence, n'en rajoute pas, je t'en prie, on risque de ne pas voir arriver la nuit, des inquiétudes, j'ai, des inquiétudes fondées et immatérielles, ce sont les pires si crois mes doigts, j'en ! Mais, Rouge, dis-moi, où atterrirons-nous si, de notre tête, on ôtait tous ces objets qui, en définitive, n'ont existé que par nos yeux émerveillés ? Le sentiment d'être petit et amovible, j'ai.

ROUGE. - A ce stade, et avec ce genre de questions, t'es foutu, Blanc, car il faut bien avouer qu'il ne nous sera désormais plus possible de décoller de la rue Emile Balzac. Note que l'homme au teint de plâtre était plain-cadre. Le lierre en plastique véritable conduisit ton regard, je le sais, vers des rongeuses de cuillères en bois d'olivier qui étaient encore toute frustrées d'avoir été condamnées au porte-clef. Vivras-tu peut-être la même peine ? D'ailleurs qui sait ce que sont devenus tous les visiteurs qui nous ont, malheureusement pour eux, précédé ? Aussi impassibles que figés, des champignons t'ont fait croire qu'ils jouaient clandestinement du violon sous leur chapeau tout fait de placo. Un tronc d'arbre anthropomorphisé avait cinq bras sous les applaudissements de tes paupières, t'étais cuit ! Car tu aurais pu au moins te dire que des anges qui ne percent pas un plafond ont tout d'une pierre reconstituée ! Il ne faut jamais s'accrocher aux monstres, Blanc, sinon leur musique ne te lâchera pas. Arbalète, 83 € : il y a des anachronismes qui auraient dû normalement t'effleurer les hémisphères ! Le crâne, dit "crâne de femme" était décervelé : tu n'as eu guère plus de réaction, comme si les objets laissaient sur toi la plus nocive de leurs empreintes ! Te voir dans un heaume format friteuse, il n'en fallut pas tant pour te confire ! Pas plus dégrossi qu'un pasté de poulet à l'hysope tu étais, Blanc ! Loups sages, loups sages, pour qui est à la recherche de féerie, le programme indique "disparition", voilà que tu t'y allongeas déjà, Blanc, alors que la nuit n'était pas encore sortie de la bouche du soleil, loups sages, loups sages, ne t'installe jamais dans le brûle encens sarcophage, c'est une chauve-souris qui fait la pierre tombale ! Tes pensées s'étaient bel et bien obscurcies au milieu des pieds des lampes en serres d'oiseaux, loups sages, loups sages, une meute à vrai dire, arrêtée vive si tu avais mieux exercé ton imagination…

BLANC. - Imagination ou pas, Rouge, n'aurais jamais dû y aller avec toi, je, tes souvenirs ne m'en feront jamais partir… L'idée d'avoir des amis devrait se réfléchir. A présent, aimerais vider mes yeux de tout ce qu'ils ont bu, je, en prenant soin d'étrier simultanément toutes les circonvolutions de mon pauvre cerveau, reposé le gobelet vide, j'ai.

ROUGE. - Oui tu as ! Et toi maintenant de désapprendre les objets, d'ignorer leur passage, de ne plus croire qu'un œuf blanc craque sous la naissance de deux dragons siamois, tu es fou, de penser que les casques ne seront plus jamais ornés de deux cornes à boire, tu me déçois, ou plus naïvement que les drakkars ne font plus office de corbeille à pain, bref, Blanc, tout oublier, tout rejeter et aussi et surtout se mettre en grève de la faim pour que ta bouche serve enfin à ranger six dessous de verre couleur cendre, le lot 12 €, avoir la vigilance d'effacer tout ce que je dis alors que je l'ai à peine perlé ; aller enfin jusqu'à nier que les lutins ont un carnet de route aux éditions de la Tempête, et que les anges gardiens se portent cette année en pendentifs ! Regarde-toi, Blanc, tu es dans un état proche de ton résultat, photographie d'objet, le dernier miroir que tu aies vu n'indiquait-il pas qu'à mal réfléchir, les serpents du temps pourraient bien te décharner jusqu'à l'os, aussi fessu que tu sois ?!

BLANC. - Galerie de verre dans bouteille pas mieux ! Embarqué dedans, j'ai, sombré depuis longtemps, j'eus. J'eus.

ROUGE. - Oui tu eus, au gré du gouvernail de tes passions, comme éblouis par un ciel de fioles forgées !

Fin.

 

"Présent... passé" de Janine NOWAK

Quelle secousse ! Que m'est-il arrivé ? Où suis-je ? J'ai le vertige. Je vais fermer les yeux et attendre un instant. Je n'ai pourtant pas le souvenir d'avoir abusé de la boisson, pour une fois ; quoique… avec moi, on ne sait jamais !
Mon malaise se dissipe. Je dois pouvoir soulever les paupières. Il fait très sombre ici. Je ne connais pas cet endroit. Serais-je chez un armurier ? Je crois apercevoir des hallebardes, un marteau de guerre, une arbalète, des stylets, des heaumes. Maintenant que je m'habitue à la pénombre, je distingue … des miniatures, des bijoux, des marmousets, des statuettes, des grimoires, des pavois … et tant d'objets étranges.
Oh, quelle est cette éblouissante et soudaine clarté dans la pièce voisine ? Il est impossible que le soleil se soit levé aussi brutalement ? Et à présent … oui, j'entends un air … une chanson. Mais … mais ce sont mes paroles !!! C'est mon texte … mon texte mis en musique ! La mélodie est d'ailleurs ravissante et sied bien à ma poésie. Qui a pu ainsi s'approprier ma Ballade ? Comme cet endroit est surprenant ! Il faut que j'aille voir de plus près… Mais que cette musique est donc plaisante. Ecoutons …
… " Où est la très sage Héloïse
Pour qui châtré fut et puis moine
Pierre Esballiart à Saint-Denis
Pour son amour eut cet essoine
Semblablement où est la reine
Qui commanda que Buridan
Fut jeté en un sac en Seine )
Mais où sont les neiges d'antan ) Bis …

Ordinairement, je suis plutôt courageux, voire téméraire. Toutefois là, je me sens désemparé. A la fois inquiet et intrigué. Et à vrai dire, plus intrigué qu'inquiet. Allez François, sois brave, ose franchir cette porte. Après tout, que peut-il t'arriver ? Les gens que tu vas rencontrer ne peuvent pas t'être hostiles, puisqu'ils semblent apprécier tes vers.
Plus que quelques pas et je vais savoir. Hum, on dirait une sorte d'atelier, un peu comme celui d'un potier ou d'un sculpteur. Je dois être chez un artisan. Et toujours ces objets si bizarres... Où sont les musiciens ? Je ne les vois pas, et pourtant la musique est là, toute proche. Morbleu ! Elle sort de cette boîte ??? Cela relève de la sorcellerie. J'ai beau être un malandrin, un grand pêcheur, mener une vie débridée, je ne suis pas un incroyant, et ce phénomène surnaturel m'angoisse. Et puis cet éclairage !!! Que penser ?
Voilà du monde. Laissons les se manifester. Tiens-toi quand même sur tes gardes François.

Six personnages s'avancent, vêtus de tuniques, de bas de chausse et de poulaines. L'un d'eux prend la parole. C'est un grand bel homme, à la fière barbiche.
" Bonsoir Maître François - dit-il - je suis Jean FOOR, le bienheureux propriétaire de ces lieux. Votre venue est un grand honneur pour moi. Vous ne pouvez pas me connaître, mais moi je vous admire depuis toujours. Permettez-moi de vous présenter mes compagnons. Voici le Comte Thibault de Champagne, chantre de l'amour courtois, amant de cœur de Blanche de Castille. En outre, nous lui devons l'implantation des rosiers en France, grâce aux boutures rapportées à la faveur d'une croisade.
Voici Blondel de Nesles qui a aidé à la libération du Roi Richard Cœur de Lion. Adam de la Halle et Guillaume de Machaut, auteurs réputés de motets et de rondeaux. Enfin, Josquin des Prés, plus jeune que vous de quelques décennies, également poète. A présent, je propose de boire un verre pour fêter votre arrivée parmi nous. Puis-je vous servir un peu d'hypocras ? "
François est pétrifié. A part Josquin dont il ignorait l'existence, tous les personnages qui lui ont été présentés ont un à deux siècles de plus que lui. C'est à devenir fou ! Machinalement, il prend le verre qu'on lui tend. Très bon cet hypocras. Il se souvient qu'il en était très amateur. Etait très amateur… Pourquoi parle-t-il au passé ? Tout s'embrouille dans sa tête. Tout est si confus. Il se sent faible. On s'empresse autour de lui, on le fait asseoir. Jean Foor lui parle, lui prend les mains. Il faut qu'il écoute. Il a besoin qu'on lui explique. Il fait un gros effort pour être attentif et il entend… et ce qu'il entend n'est pas pour le rassurer. Que dit-il ce Jean Foor qui n'a pourtant rien d'un dément ? Que nous sommes le 5ème jour de Février de l'An de grâce 2005 ? Il serait donc mort depuis plus de cinq siècles ! C'est à hurler ! Allons, ressaisis-toi François. Ecoute, écoute. Nous nous trouvons près de Paris, à Saint-Maur-des-Fossés. Saint-Maur ?... Oh oui, il connaît. Il était venu une fois distraire le Prince de Condé. Il se souvient bien. C'était l'hiver et les loups hurlaient près du château. Mais ne te laisse pas envahir par tes souvenirs, François. Sois attentif, palsambleu ! Donc à Saint-Maur, dans une échoppe spécialisée dans l'art médiéval. Dans la journée Jean Foor fabrique et vend des reproductions d'articles du Moyen Age. Ainsi donc, tous ces objets sont des faux que les gens du… combien… 21ème siècle - diable ! - achètent pour décorer leurs intérieurs. Ils sont bien étranges mes semblables d'à présent. Ils mettent des gargouilles dans les maisons au lieu de les installer à l'extérieur pour canaliser l'eau de pluie. Et pire encore, ils raffolent des monstres qui jadis terrorisaient les âmes simples : licorne, griffon, aspic, dragon et le plus terrible d'entre tous, le basilic, dont la vue seule causait la mort. Eh … encore une fois, je pense au passé. Je commence à ne plus refuser ce qui semble être une évidence. Te voilà ressuscité, mauvais sujet, dans le futur. Et quel futur ! A présent, il tient dans les mains un livre. Il se met à le feuilleter de plus en plus fiévreusement. " … Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! " Sa Ballade des Pendus ! Toutes ses œuvres ! Et quelle étonnante écriture. Ainsi, c'est cela l'imprimerie, cette invention nouvelle. Il en avait bien entendu parler, mais n'avait jamais eu l'occasion d'approcher l'un de ces ouvrages. Et puis, c'était sensé être réservé à la Bible et aux écrits pieux. Bien que ses textes soient ceux d'un homme d'esprit, et que son humour soit parfois désespéré, ce qu'il relate est assez éloigné de la vie des Saints !
Ah, brusquement, je me sens mieux, je me sens bien. Il faut que je fasse un effort, que je prenne la parole. Que dire à tous ces gens qui paraissent si bienveillants à mon égard ? Voyons, euh… " Qui est le trouvère que j'entends chanter ? "
Jean Foor sourit, heureux de constater que François Villon se détend enfin. " Je dirais plutôt que c'est un troubadour, car il est né dans le Pays d'Oc. Il s'appelle Georges Brassens. C'était un grand poète. Il nous a quittés voici une vingtaine d'années ". " Il est mort depuis vingt ans et il chante encore ? Comment cela peut-il être ? " " Ne soyez pas anxieux, François ; tout ce qui vous parait miraculeux , nous semble bien banal à nous autres, gens d'aujourd'hui. Vous aurez tout le temps de vous familiariser avec la technologie moderne. A présent, parlons de votre avenir. "
Jean Foor se redresse et devient grave.
" Je descends d'une longue lignée de magiciens. Magicien moi-même, je possède de puissants pouvoirs. J'ai ainsi pu vous ramener à la vie - à un semblant de vie, dirais-je -. Votre nouvelle existence ne sera pas identique à celle que vous avez connue. Vous ne renaîtrez que la nuit et exclusivement en ce lieu. Votre occupation sera la poésie. Vous pourrez converser avec moi et les compagnons qui viennent de vous accueillir, et qui grâce à moi, ont également repris forme humaine. "
François apprécie cette aventure nouvelle. Revivre, qui ne le souhaiterait pas ? Mais vraiment, sortir lui sera interdit ? Pourra-t-il… voyons, comment dire sans choquer… euh, faire des rencontres ? Il aimait bien la fréquentation des ribaudes.
Hélas, non. Jean Foor est formel : à l'extérieur, personne ne le verrait. Il est à présent un être éthéré, un fantôme autrement dit. De tous les plaisirs terrestres, il lui restera la discussion, la méditation, la poésie et l'hypocras. Il appréciait ce breuvage (le rouge avait sa préférence). Bon, ce n'est déjà pas si mal, après tout. Il pourra aussi étancher sa soif de connaissances. Cinq siècles d'histoire ! Voilà de quoi occuper ses nuits. Et il sera en bonne compagnie : tous gens de lettres et de grand savoir.
Cette résurrection est une aubaine. Il sent déjà que son esprit se met en marche ; des rimes lui viennent avec le plus grand naturel. Il va créer, créer, créer, jusqu'à la fin des temps.

 

"Atelier Formes et Ombres du 5 février 2005, Jean Foor" de Françoise MORILLON

Où suis-je ? qu'est-ce ce bric-à-brac ?

Pendant des années, je suis passée à l'entrecroisement de ces rues sans m'y arrêter : " Les Fleurs Bleues, Jolie Petite Maison de Retraite, et en face " Formes et Ombres, on pourrait dire une sorte de Maison de Retraite Moyenâgeuse.

Les Fleurs Bleues ont été pour moi pendant quelques années le lieu où je rendais visite à ma mère qui y fut pensionnaire : je la revoie dans sa petite chambre située dans la partie à colombages, elle m'attendait tous les après-midi ; je passais de longs moments plein de tendresse et de complicité auprès d'elle jusqu'à sa disparition.

Et puis aujourd'hui je me retrouve face à cette Maison dans ce lieu insolite nommé " Formes et Ombres ". Le Moyen-Âge, période lointaine pour moi ; rentrons et découvrons donc cet endroit. Intéressant les soldats qui jetaient de l'huile bouillante du haut des tours sur les méchants qui attaquaient le château du Grand Seigneur. L'armée des ombres ? mais non rien à voir, atmosphère un peu sombre. Le beau Chevalier qui essayait de faire les yeux doux à la fille du Seigneur qui se mouraient d'amour pour lui enfermée dans la tour filant la laine : " Belle Madame yeux beaux mourir d'amour me font , mourir me font vos beaux yeux, Belle Madame ".

Tu n'aurais pas cru, petite Mère, si je t'avais dit qu'en face de ta chambre t'attendais un homme en armure, ton Seigneur, sans doute, mon Père, ton bon Chevalier que tu as tant aimé !

Ce matin, tu vois, je m'y suis arrêtée, j'ai beau m'étonner, m'amuser devant ces objets pour le moins hétéroclites et je pense très fort à toi : aurais-tu traversé la rue pour te retrouver en Dame à bonnet pointu attendu le beau Chevalier ton escarcelle à la taille de ton vertugadin ?

Et aussi il t'aurait bien plus ce lieu où l'on vous offre des boissons hypocratiques, carthaginoises , et puis aussi où l'on découvre les "crozets", sortes de petits carrés au sarrasin, ces confitures moyenâgeuses de vin ou de vinaigre. Puis nous découvrons ces mille sorcières rabougries, et les marmousets ah oui ! à propos, marmousets vous êtes si superbes, d'où sortez-vous pour être aussi beau, que soutenez-vous, c'est lourd mais malgré tout vous semblez heureux.

Cette caverne d'Ali Baba moyenâgeuse m'étonna et me laissa bien perplexe en ce samedi matin.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
Retour page Atelier d'écriture