SAMEDI 2 Avril 2005, de 10h à 18h Animation : Régis MOULU. Auteure invitée : Caroline GILLETTA.
Thème : Marc Goldstain : la toile de ses peintures, est-elle un filtre ? « Marc Goldstain – Réalités intimes à Saint-Maur » est une exposition qui se tient au Musée de Saint-Maur – Villa Médicis (au 5 Rue St-Hilaire à La Varenne) du 29 janvier au 24 avril 2005. Il a peint la réalité de Saint-Maur.
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- "L'heure de rien" de Philippa LAUNAY - "Le lézard gris" de Laure DECHEZELLE - "Dans la logique de l'aveu" de Régis MOULU - "De l'autre côté" de Caroline GILLETTA "Réalités juxtaposées" de Sylvaine HEROGUEZ - "Des choses derrière les choses" de Janine NOWAK - "Intimité d'MG" de Françoise MORILLON - "Rien ne sert de filtrer" d'Angeline LAUNAY
"L'heure
de rien" de Philippa LAUNAY Je cherche mon cadre. Un tout petit bout de ciel détrempé et beaucoup d'herbes folles, un journal froissé. Un endroit où il n'y a ni Madeleine, ni Concorde, ni Trocadéro où te retrouver. Un tout petit moment insignifiant. Je m'y prépare. J'y vais. Je fais le vide. Il fait humide. C'est un peu comme une grande vacance. C'est la grande vacance à travers le pare-brise. Je suis impatiente. Impatiente de me passer à travers. Je cherche le lieu de ce geste. C'est un jour parfait pour décrocher. C'est samedi. C'est une heure de la journée qui ne ressemble à rien. Ce n'est ni le matin ni le soir ni le moment de faire quelque chose. J'arrive. Je commence. Je commence par ralentir. Par ralentir le son de ma voix off. Par couper le son. Je m'aide des lignes des trottoirs. Je longe les lignes des trottoirs et j'attends que le vide se fasse. - Qu'est-ce qu'il y a ? Là, je suis là, je roule. Je ne vais dans aucune direction. Je me repose. Un arbre. Des arbres. Qu'est-ce que c'est vert la banlieue.. J'ai trouvé mon cadre. Des maisons de meulière. Un chien qui aboie. Des voitures garées. Je m'arrête là, avant de penser à la vie qu'il y a derrière le chien qui aboie. Derrière ces fleurs plantées par quelles mains ? Derrière ces maisons qui vivent par quel amour ? Je reste à la surface de la toile. Je me rends amnésique. Je descends la barre jusqu'à son degré zéro. Jusqu'à ne plus avoir que l'impression de la vie sur la toile. Les panneaux de signalisation flottent dans ce brouillard. Le long des rues je glisse. Tout a l'air un peu tordu et lointain. Le sol brille. Je suis contente qu'il y ait de l'humidité. C'est encore plus banal et nostalgique comme ça. Je passe le long des rails. J'accélère. Il y a des graphes sur les murs. Je lis des yeux. Je ne peux pas prononcer ces signes qui n'ont pas de voyelles. J'aimerais bien les retenir. Retenir quelque chose de ce moment. Non, ce n'est pas ça. Je vais trop vite pour voir. Je n'y arrive pas. Je ne veux rien retenir. Je veux que ça passe. Comme cette violence somnolente faite aux murs. Il faut que je ralentisse. Je ne saisis plus le cadre derrière les vitres. Elles pixellisent mon décor. Elles sont couvertes d'humidité. La brume qui se dépose va peut-être m'aider. Je sens que si le pleure maintenant, ça me reposerait comme huit heures de sommeil. Mais ça ne vient pas. J'oublie cette idée. C'est encore plus calme et plus vide comme ça. A force de regarder, je me dissous un peu dans les images que je traverse. Je passe à travers les rues. Je m'arrête devant une maison. Pour voir si c'est facile de vivre ici, si c'est facile de s'arrêter devant chez soi. C'est très facile. Ce doit même être très facile de prendre des habitudes de vingt ans en cinq minutes. Entendre le chien des voisins aboyer, t'entendre faire du café en bas et me rendormir. Ça me semble très facile, il faut que je pense à te le dire. Je redémarre. Il n'y a rien à voir et je me distille. Je me repose. Je descends en moi-même. Je fonds un peu plus dans ces rues sans phrase. Les êtres vivants ont l'air d'avoir été décapés par un temps de pose trop long. Je suis seule. Je tombe dans le coma. Les rues n'ont plus de contour. Je fais des gestes automatiques. Je ne sais pas combien de temps ça dure. Est-ce que la morphine est plus efficace ? Je m'enfonce dans le bitume. Je me filtre dans son reflet. Je jouis de cet absolu de l'insignifiance. Je me trouve. Je me perds. Je m'arrête. Là, c'est trop bon. Cette rue, c'est une héroïne de la banalité. Le sommeil est profond. Le trottoir ressemble au ciel qui ressemble au trottoir. Tout est parfaitement réversible. J'ouvre la fenêtre et j'entends l'écho d'une tondeuse. Tout est parfait. Je pourrais respirer aussi l'odeur des feuilles mortes qu'on brûle dans le jardin d'à côté. Mais ce sont mes sens qui complètent par eux-mêmes. Il y a de l'affichage dans la rue. Des campagnes de promos pour la grande distribution. Carrefour. Auchan. Du crédit immobilier. C'est le mois d'octobre. Tout est parfait. Un homme disparaît derrière la grille d'un portail. Je regarde. Mes pupilles sont dilatées. Un passage clouté. Une pancarte. Un signe de stationnement interdit que les propriétaires ont dû peindre sur la porte du garage. Les arbres sont nus. Je regarde. Je me repose. Je suis en train de gagner du temps sur mon sommeil. Peut-être même sur ma mort. Tout devient invraisemblablement inoffensif. Je vais rentrer avant que la nuit tombe. Je ne veux pas voir la nuit tomber sur ces rues. (lundi, je me sentirai forte comme un bon café bien filtré)
"Le lézard gris" de Laure DECHEZELLE Le lézard gris Il planta son pinceau dans le pot à chaussette. C'était peut-être cela " Mettre tous ses désirs dans un seul être ou dans un seul tableau ".
"Dans la logique de l'aveu" de Régis MOULU, (auteur animateur) La vie se dépose, Mosaïque de trottoirs, Masses de couleurs lourdes Dans la logique de l'aveu… Tout se contamine, - Avez-vous vu du vert dans ces tableaux ? - Avez-vous vu du rouge brique poreux ? - Avez-vous vu du gris asphalte mordu de graviers ? - Avez-vous vu des habitations deux étages plein cadre,
repeintes sur leur façade comme s'il était question de renégocier les
années, ça peut faire du "vert saumure", du "jaune daim" ou du "blanc
fissuré" ? C'est que toutes les peintures de maître Goldstain sur
ses panoramas perché papotent entre elles, espace public faisant. - Avez-vous vu que d'un tableau dos d'âne se crée le volume
d'une ville ? Peindre, c'est donner la vie, donner l'envie, pour ne pas
dire gravir les sommets, Champ libre. - Ah, parce que vous avez peut-être vu quelqu'un, même de
furtif, sur ses tableaux ? La vie appartient davantage à la respiration que l'on prend pour se rapprocher du tableau. Ainsi revit cette ville de Saint-Maur des fosses nasales. Et ainsi, à saut de poumons, vous réaliserez que toutes ses toiles contiennent nombre de portails peints et donc repeints - car Marc Goldstain réanime tout par une deuxième couche. Comme chaque autre détail, ils sont des charmes qui peuvent vous aider à voyager.
"De
l'autre côté" de Caroline GILLETTA, (auteure
invitée) Prélude Longtemps j'ai habité de l'autre côté. De la rue. De l'océan. Du miroir. Surtout du miroir… Scène 1 - Origines " Nous comptons sur vous pour que les consignes soient
respectées. Dans le cas contraire, nous nous réservons le droit de vous
demander de changer d'attitude ou de sortir ". Dans ma tête résonne encore
sa voix métallique. Mes tempes battent. Ma bouche est sèche. Émue. Je
suis émue. Scène 2 - Sortie des eaux Je passe sur les détails qui président à ma rencontre avec
l'elfe, pardon, le Professeur. Toujours est-il qu'il m'accueille providentiellement
dans le monde des humains, m'habille (j'ai échoué nue sur la plage, sans
même un coquillage), et m'emmène à New York. Je découvre Manhattan, Central
Park et… le Moma ! Un je-ne-sais-quoi m'attire devant une peinture en
particulier. Re-voilà Schloesser. Tout mon être vibre devant ses toiles.
Connaissez-vous la puissance de ses vagues ? La transparence de ses rouleaux
? Personne d'autre que moi (et le Professeur, bien sûr) ne perçoit les
effluves marins qui s'en échappent. Ce vieux Poséïdon vient traîner, curieux,
jusque sous les jupes des filles. Origine du monde, logique. Mes pas s'esquissent
au ralenti de cet après-midi intemporel. Je me sens happée par la douceur
de cette jeune femme qui brosse ses cheveux blonds dans l'été de Francine
Van Hove. Un chaton la regarde. Sensation de déjà vu… ou de déjà vécu
? Scène 3 - Passage Nous retournons au Moma un matin, dès l'ouverture. Salle
Marc Goldstain. Réalités intimes à Saint-Maur. Je tente de me concentrer.
De rassembler l'énergie pour le voyage. Plus l'on sait à quoi l'on s'attache,
moins l'on est naturel devant l'événement. Et pourtant. Je sais bien que
c'est à moi de rendre clair à l'univers mon désir. Pas facile. Je suis
distraite par le chatoiement des langues parlées par les visiteurs du
monde entier qui investissent peu à peu le musée. Je pourrais les suivre
jusqu'au Nouveau Brunswick… Scène 4 : La vie réelle Je me réveille au centre d'un tout petit espace plongé dans
le noir. Des… quoi ? Des… copeaux de bois me piquent les fesses ! Mes
yeux s'habituent à l'obscurité et décèlent une petite raie de lumière
toute proche. À tâtons, ma main se pose sur une poignée. J'ouvre la portière
et sors d'une camionnette rouge garée le long du trottoir. Place Neptune
! La famille veille sur moi ! Cheveux mi-longs, pantalon noir et manteau
en peau retournée me donnent l'allure d'une étudiante française. Laissant
la Gare de RER de Saint-Maur, je me dirige vers le 17, avenue de Lattre
de Tassigny où je fais du baby-sitting. En ce début d'été, il doit être
sur son vélo et m'attend sur la route malgré les recommandations. Scène 5 : La place en question " Approcher la réalité, c'est une manière d'approcher
un mystère. J'essaie de rendre l'espace entre les deux. " Où avais-je
donc lu cette phrase qui me sert de guide au cours de mes longues pérégrinations
dans Saint-Maur ?
"Réalités
juxtaposées" de Sylvaine HEROGUEZ De Lattre de Tassigny Nord et Sud, 2004. La même rue, le même jour, la même lumière, la même réalité en gris vert et bleu. Hérésie de la peinture : placées côte à côte les deux faces du miroir, le devant et le derrière, l'avant et l'après. De Lattre de Tassigny Nord et Sud, mis ensemble racontent une autre histoire. A quel endroit exactement s'est-il arrêté pour peindre les deux directions de sa ville-vie ? Si la clé du mystère était là, à l'endroit exact où il s'est retourné ? Le détective sortit de ses pensées et de sa poche son vieux dictaphone. " Après examen minutieux des deux tableaux, on peut formuler l' hypothèse suivante concernant l'itinéraire du peintre avant sa disparition. De Lattre de Tassigny Nord : à gauche un mur et une ouverture dedans, encadrée par deux panneaux publicitaires, interminable route, grillage, mur, arbres derrière le grillage, arbres derrière les murs. Celui qui regarde en marchant vient du Sud et fige le Nord. De Lattre de Tassigny Sud : l'homme a avancé de quelque pas, au-delà de l'entrée du parc, passé la case dégoût et juste avant le lampadaire il s'est retourné, figeant le passé. Il a hésité à entrer. Le jaillissement du souvenir, l'envie d'y revenir ont mis juste quatre ou cinq pas du reflet dans la rétine à son cœur d'enfant, cinq , le temps que l'image revienne et l'arrête. " Pause Ou bien c'est au contraire la réalité médiatique du monde marchand d'aujourd'hui qui l'a surpris, le bleu à 17€, une ouverture sur la mer, instantané subaquatique, le bleu ça peut suffire à arrêter un homme qui marche sur un trottoir gris. Mais ça ne dit pas pourquoi il s'est retourné. A moins qu'on ne se trompe,….A moins Il ne restait que les routes de celui qui marchait seul. Le détective n'en finissait pas d'observer les deux tableaux, de se mettre à la place de celui là qui avait marché sur ces trottoirs là, d'essayer de voir avec ses yeux à lui. Il sort du parc, il sort du parc, je sors du parc, ce qu'il peint n'est pas l'essentiel, il fait diversion, si je sors du parc la première chose que je vois c'est… le grillage en face, le grillage, pas la rue ! Le détective se dirigea vers le fond de l'atelier et se mit à parcourir les dernières toiles du peintres, il s'arrêta sur l'avant dernière, la posa devant les autres, recula de quelques pas et se laissa couler dans le vieux fauteuil en cuir cramoisi. Là, pas de routes, pas de trottoirs, pas de lignes, le reste d'un grillage oui mais partout autour des herbes folles, du vert dans tous les sens et il marche dedans le peintre, il a lâché le bitume le peintre, sorti du trottoir le peintre, jeté là le programme télé du week-end on part courir dans les prés. Le temps posé là qu'on ne ramasse pas, qu'on regarde en souriant : " vraiment ils sont trop cons ceux qui jettent leurs papiers ici ! " " j'sais pas, signe qu'ils sont passés par là eux aussi " Et puis finalement si, on le ramasse le temps froissé gris sur blanc, on le chiffonne et on en fait une grosse boule qu'on gardera au fond de sa poche pour mieux profiter de sa liberté. - Chef, voilà votre café, vous avez trouvé quelque chose
?
"Des choses derrière les choses" de Janine NOWAK Petite fille, je jouais volontiers aux " Devinettes d'Epinal
". Vous vous souvenez ? Où est le loup ? La sorcière ? Le lapin ? J'ai d'abord effectué un premier tour, rapidement, histoire
de me faire une idée, et à l'instar de Mac- Mahon, qui s'était écrié "
Que d'eau ! Que d'eau ! ", j'ai pensé tout bas " Que de rues ! Que de
rues ! ". Evidemment, pourrait-on penser ; quand on essaie de représenter
une ville, quoi de plus naturel ! Un musée, c'est comme un manège : on peut s'offrir des tours
à l'infini. Je suis donc repartie à l'attaque, désireuse de tout voir.
Très attentive, j'ai détaillé, fouillé avec délectation chaque œuvre.
Et là, j'ai tout compris. Enfin … je pense … j'espère… Marc Goldstain
est allé au-delà de la simple représentation figurative de sa ville natale.
Il témoigne d'une recherche aigue et profonde des lieux. Je me suis offert - au diable l'avarice ! - un troisième
tour. Cependant, cette fois-ci, je n'étais plus Janine, sage et respectueuse
visiteuse d'un musée, mais Alice au Pays des Merveilles qui voulait voir
derrière le miroir. Et d'un seul coup, j'ai sauté à pieds joints dans
la grosse flaque stagnant dans le caniveau de la toile 18, cette belle
grosse flaque si tentante dans laquelle se regardent des arbres dénudés.
J'ai pataugé un moment, chantant à tue-tête " singing in the rain ". Mais
n'est pas Gene Kelly qui veut. Alors je suis discrètement et doucement
revenue dans la salle, essayant de ne pas trop inonder le parquet. Après,
j'ai longé un mur " nu, nu, nu, " où il n'y avait ni " échelle haute,
haute, haute ", et ni " hareng saur sec, sec, sec. " (merci Charles Cros
d'avoir composé des poèmes aussi fous, fous, fous !). Puis, je me suis
retrouvée - toile 17 -, Avenue de Lattre-de-Tassigny, à côté d'une grille,
derrière laquelle sont alignés des ifs taillés au millimètre près. Mais
chez le voisin, se trouve une forêt enchevêtrée. Un bond, hop, j'ai pénétré
dans cet embrouillamini où j'ai croisé, devinez qui ? Blanche Neige !
Parfaitement ! Elle errait affolée, après que le spadassin l'ait abandonnée
au milieu de ces bois hostiles. Elle se débattait, la pauvrette, tentant
d'échapper aux bras tentaculaires des branchages menaçants qui voulaient
la saisir. Je l'ai bien vite mise sur le chemin de la maison des nains
et sans plus tarder, je me suis approchée, intriguée, de la toile 25 qui
s'intitule " mettre tous ses désirs (de peintre) dans un seul tableau
". Pour me défouler un peu, je suis allée taper du pied dans un monceau de " feuilles mortes qui se ramassent à la pelle ". Et ensuite, j'ai filé vite, vite, vite, devant la maison d'Hitchcock, vous savez, le motel du psychopathe Norman Bates, celui qui nous a fait tant frissonner. Après quoi, j'ai arpenté tranquillement, de grandes zones de macadam, souvent sous un ciel plombé, d'un gris lourd à effrayer les Gaulois. C'est un constat : le décor semble s'épanouir au cœur des frimas, tant est fréquente l'utilisation des couleurs d'aube froide. Cependant, et c'est une agréable surprise, la vie jaillit inopinément, grâce à un arbre, un buisson ou même une mauvaise herbe, emplissant la toile d'une tendre ingénuité. Ces végétaux viennent se planter là comme des lutins arrogants, contre ces façades lavées de pluie ; car la pluie est omniprésente et les chaussées luisent comme des souliers vernis. Et l'homme dans tout çà ? Où est-t-il l'homme ? Oh, il existe : on devine deux minuscules crevettes, qui figurent de - très loin- le genre humain. On aperçoit aussi une femme, en gros plan - mais oui ! - qui marche près d'un carrefour. Enfin, sur le tableau 13, j'ai remarqué, à un coin de rue, une moitié de dos d'homme, qui semblait fuir. J'ai essayé de courir vite pour le rattraper, mais il m'a distancée. Etait-ce Marc qui fuyait, sur ma " Devinette d'Epinal "?
"Intimité d'MG" de Françoise MORILLON En ce lendemain du jour du " Poisson d'Avril ", j'avais plutôt envie d'aller flâner sur les bords d'eau, d'y rêver, et d'observer le triangle laissé par la fluidité des ondes formées par les ventres plumeux des canards, et de les voir disparaître pour mourir dans l'eau assez limpide de la rivière qui contourne notre Ville et que l'on appelle la Marne. En même temps, il me prit aussi en ce début de Printemps de repenser à ces miraculeuses fritures de petites gardèches que nous pêchions mon grand frère et moi, non loin des petites guinguettes du Quai Winston Churchill : je me souviens que nous revenions à la Maison, le sourire aux lèvres, nous redressant fiers comme Artaban, ramenant notre trésor dans nos petits paniers ; et je me souviens surtout que notre chère maman toute contente s'empressait de rouler ces petits poissons dans la farine, et que nous nous jetions comme de gros goulus sur cette délicieuse friture. Me privant de cette promenade souvenir, et m'étant engagée auprès des instances supérieures de l'Atelier d'écriture de RM, je me suis donc retrouvée ce matin, à l'intérieur du Musée Médicis pour découvrir les toiles d'un certain Marc Goldstain, jeune peintre St-Maurien branché sur certaines rues de son enfance : cet environnement me remit obligatoirement dans la réalité. Sentiment étrange au bout de quelques minutes que cette peinture, on dirait des photos couleur agrandies pour les besoins de l'exposition : au début je m'interroge, me suis je trompée de lieu ? Pourtant en regardant mes camarades je me rassure en me disant que je suis bien à l'exposition de Marc Goldstain au Musée Médicis. Ce jeune homme a un sacré coup d'œil, coup et goût du détail : en me rapprochant un peu, je tombe sur les rails du Réseau Express Régional à gauche, à droite, mais c'est quoi çà ! je croyais me détendre ce matin et je vois le RER et des trottoirs et des rues presque à l'infini, des perspectives le long du métro, à gauche, à droite et là-bas, tiens ! il me plait bien ce tableau là, tout vert, couleurs belles et réelles, herbes en révolution, entrelacées de rage, bouteilles de bière éméchées, mais c'est une décharge municipale ou quoi ? Et pourtant il est joli ce bouquet de mauvaises herbes avec au bout de ses maigres tiges des fleurs blanches plates comme des coulemelles, ces champignons à longue queue et à chapeau écrasé comme de minuscules cymbales. C'est pas mal ; et puis celui-là encore : une rue peinte après la pluie, la nacre qu'elle semble avoir laissée donne une lumière ressemblant à une tendre dragée, douceur et fragilité, bel effet de clarté ; et c'est toujours le long du RER ! Et je fus donc très étonnée que le long de ce chemin jonché de ces rails austères le bout du pinceau du peintre ait pu puiser tant de poésie afin de ciseler cette réalité. Je change de côté et j'aperçois encore un trottoir, une
rue et là une maison : il paraît que c'est la maison natale du peintre,
banale la façade et c'est toujours le long du RER ! Mais c'est un obsédé
du RER ce Marc Goldstain ! Il a tourné en rond ou plutôt il a fait des allers et retours
le long du RER ayant vécu pendant 24 ans autour et dans ce triangle du
Parc St Maur : les habitants l'appelaient peut-être déjà l'obsédé du RER
! Et maintenant il fonce sur sa toile tête baissée puisque je ne vois que des rues bitumées, des trottoirs : tout ceci jonchés d'herbes folles, de trous fous criblés de ses sentiments de terriens St-Mauriens : cet homme s'accroche à sa terre, à sa pierre, à sa bordure de trottoir, à son bitume de rue et à son béton. Il n'est pas parti, n'oublie pas : il est présent, il vit là, le cordon de son ombilic n'est pas coupé. Photographierait-il également le mauvais côté des choses de la vie ? mauvaises herbes qui poussent entre deux arrêts de trottoirs, terre végétale en guise de trottoir pour les besoins naturels des petits et grands chiens. Dans la vie j'ai toujours le nez en l'air mais là, devant les tableaux d'MG, ma tête se penche pour contempler ces trottoirs le long du RER : c'est vraiment obsédant ce RER pour ce jeune homme et il commence à m'obséder aussi, et puis je ne les voyais pas si beaux et si intéressants ces bords du Réseau Express Régional, les détritus, les tags et ces multiples endroits laissés sans entretien, abandonnés, comme quoi il y a quelque chose de véritablement magique dans le coup de pinceau du peintre qui rend de ce lieu étriqué, apparemment sans intérêt une image d'un piqué de photographe presque plus précis que la réalité. Je ne m'étais jamais penchée sur les couleurs des trottoirs, dans la lumière du clair-obscur ou cet effet de glacis après la pluie est étonnant et rend douce la couleur de la rue et sympathique ce trottoir mal entretenu. Admirative devant ces perspectives tracées au tire-ligne et ces lumières ? Se prendrait-il pour l'architecte de l'univers ? Je repars imprégnée, même fascinée par la personnalité de ce peintre qui, au final, nous a inondés de sa sensibilité en nous montrant ce lieu apparemment sans beaucoup d'intérêt mais qui pour lui représente le bonheur du lieu où il est né, près de ces rues simples, près du RER et surtout près de sa maison natale.
"Rien ne sert de filtrer" d'Angeline LAUNAY Tellulah marchait par les voies désertes, passait d'arbre en arbre, de maison en maison, de ciels en ciels, de saison en saison. Ses escarpins neufs n'évitaient ni les flaques, ni les amas de feuilles mortes, ni la végétation interstitielle qui parsemait les trottoirs. Les murs revêtaient des tenues diverses, ternes ou colorées : combinaisons salpêtrées, chemises à carreaux beiges, affiches bigarrées leur collant à la peau comme une seconde peau. Elle avançait sans savoir où elle allait, dans le silence, bien que le feuillage bruissât sourdement. Elle se comportait en aveugle, en somnambule, en automate. Elle semblait revendiquer sa verticalité face aux obliques qui l'invitaient à prendre la tangente. Les pare-brises et carrosseries des voitures tentaient, par la magie de leurs reflets, d'attirer son attention mais ses yeux se perdaient dans le vide. Des sons résonnaient dans sa tête, des visages apparaissaient derrière les fenêtres de ses pensées, des phrases l'obsédaient comme si ceux qui les avaient prononcées se tenaient devant elle et les lui resservaient encore. Elle s'arrêta devant un terrain en friche où les herbes folles avaient envahi un espace étroit, entre une barrière de buissons et une grille dressant ses barreaux de prison inutile. Des fleurs comparables à un vol de lucioles flottaient à la surface de cet amas de tiges où avait atterri une page de journal sur laquelle, en regardant de plus près, on pouvait reconnaître une vague silhouette, un profil au nez crochu et des montres. Des montres… Quelle ironie ! Elle qui se fichait du temps, de ses marques ou de ses signes, de ses trahisons, de ses injures… Tout ce vert l'incommoda ; elle pensa à Piet Mondriaan qui avait cette couleur en horreur et repeignait les feuilles de ses tulipes. Mais elle finit par y noyer son regard. Le ruisseau d'émeraude se fraya un passage dans son esprit, rinça les étendues de sa mémoire. Tellulah se sentait loin, si loin… Une chanson lui tira un sourire : l'une et l'autre disparurent comme ils étaient venus. Traversée d'une ville fantôme parmi les carcasses luisantes des voitures, les masses sombres des frondaisons… O asphalte répandue, aplanie, grise, grise… O palissades ourlées de vaguelettes de lumière ou de rimmel d'ombre… O façades qu'un rayon transfigure… O trottoirs bien lisses et sages, tapissés de débris de feuilles recroquevillées après leur dernière valse, de cailloutis frivoles… la poussière des sols ! Sols, parois de clôture, panneaux de signalisation, grilles de séparation, arbres d'alignement aux ombrageuses chevelures… Filtres que le temps installe, filtres, plaqués sous l'azur blanc, indifférent, désespérant. Tellulah marchait par les voies désertes, d'arbre en arbre, de maison en saison, de ciels en réflexions. Son paysage se révélait… intérieur. S'y mélangeaient les couleurs du dehors, les valeurs du dedans, les formes sans cesse ébauchées, effacées, recomposées. La marche apportait son rythme, le vent sa caresse. Elle humait l'odeur de l'orage, réalisant qu'il grondait en elle sous des apparences trompeuses. Avait-elle jamais nommé cette sournoise révolte dont la consistance ressemblait à celle de la lave à l'état visqueux… une matière en fusion recouverte de couches de peinture à l'huile, de couches affectives si épaisses qu'elles avaient fini par lui masquer la réalité telle qu'elle ne voulait pas la voir. Et maintenant, la carapace menaçait de craquer, de s'ouvrir en une bouche effusive qui laisserait s'échapper toutes les vérités qui ne sont pas bonnes à dire… Incandescence de l'impudence ! Irisation de l'illusion ! - Tellulah s'immobilisa sur la chaussée. Elle n'en pouvait plus d'avancer vers ce point qui fuyait devant elle. Croyant perdre pieds, elle battit l'air de ses bras, s'accrocha au vide qui ne la retint pas et tomba. O asphalte répandue, aplanie… O fleuve durci par les ans, engloutiras-tu la belle Tellulah dans ta coulée grise, grise ? Fausse croûte terrestre, vraie couche picturale… O filtres que le temps étale, filtres, plaqués sur l'azur toujours blanc, indifférent, désespérant. Pourquoi ne s'était-elle pas évanouie, Tellulah-Belle, près du ruisseau d'émeraude, coupant court à ses souvenirs ? Elle était maintenant loin, si loin…
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Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet ! |