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paru dans...

Ed. Gare au Théâtre, avril 2019

leur tél : 01 43 28 00 50

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Deux antilopes ou presque

(pièce courte)

 

Distribution, 2 rôles, à savoir A & B (a priori deux femmes bien que B puisse aussi être un homme).
Suggestion pour B : elle a une tendance à danser ou bouger, irrépressiblement, sauf quand elle rêve à la construction de sa maison.
L'action se passe à Vitry-sur-Seine (94).

 

A – Attention tu vas te prendre les pieds dans un tapir !

B – Oh, mais je ne vois rien de tel !... Tu blagues ?

A – Non, on a retrouvé en cette place ses os préhistoriques !... Attention, tu es aussi en plein milieu d'une voie de chemin de fer où passe le Transmongolien, où repasse bientôt le Congo-Océan, et je ne te parle pas de l'Altiplano, en retard sur les horaires annoncés, [ça reste la ligne du RER C, bien sûr] !

B – Alors franchement, je n'ai rien senti !… et je ne bougerai pas.

A – Attention, en ce lieu, on peut aussi être flambé par les hommes, comme ça, on t'allume, je veux dire « on t'immole », sans vraiment savoir pourquoi, ce qui rend la chose encore plus soudaine, t'imagines ! Et parce que c'est sans raison, si tu y échappes, tu en ressors au minimum dingo ! Whaou, le double choc, hein ?

B – N'essaierais-tu pas de me faire peur, par hasard ? Moi, je me sens bien ici. Le ciel est gris comme le serait une mer argentée : le lavage en continu ! et voilà qu'il roule comme une multitude de perles précieuses : je n'y vois jamais le même bijou, c'est d'une richesse inestimable : je pâme, je reste !

A – C'est vite dit : sais-tu que cette terre est surtout connue pour être un lieu de passage : ici, il y a du mouvement en permanence, tout apparaît, tout disparaît, l'éphémère est un roi ! Oui, ici, il y a vraiment trop de vie, ça pressurise les sangs, à un tel point qu'à chaque instant peut bondir un meurtre ! Et toi tu es impassible ! comme figé ! quasiment morte !… Mais comment fais-tu ?

B – C'est que dans ma carcasse bouillonnent des désirs dont tu n'as pas idée : ainsi, telle que tu me vois, je voyage, d'espoir en espoir, le tout en mon for intérieur. Moi, à ce lieu, j'entends bien me fixer, n'en déplaise aux lanceurs d'alertes dont tu sembles faire partie…

A – Si ce lieu te féconde, ça ne se voit pas sur ton visage. Au contraire, tu affiches une grimace qui fait peur, des inquiétudes qui contiennent déjà tes rides, une façade de cire, une drôle d'exposition.

B – Je suis une fondatrice, une créatrice, une source de vie jaillissante, pas un poster !

A – Alors pourquoi ce masque ? Où crèche le vrai en toi ?

B – Simplement, je réfléchis à ce qui me travaille : mon but est d'y bâtir quelque chose : je vais m'y installer ! Oui, mettre enfin des pierres à mes rêves, ma folie est en béton ! Les voir concrétisés. Pouvoir également les toucher. Et puis goûter à la sérénité de les retrouver demain et après-demain. M'en réjouir. En jouir. D'aventures, les partager. Du coup; opérer également une remise à zéro de tous mes voisins. En somme, une nouvelle vie grâce à un nouveau monde en passant par ma propre résurrection, et tout ça, de mon vivant.

A – Il n'y a pas meilleur moyen pour attirer à toi toute la fiscalité !

B – Je m'en fous, j'ai des ambitions énormes. De celles qui réduisent toutes les distances, qui abattent tous les obstacles, qui font repousser des ailes coupées. Rejoins-moi, sois un de mes voisins et participe à ce chantier.

A – Je peux et je ne peux pas. Je suis là et je ne suis pas là.

B – Tu clignotes ?

A – Non, c'est que je préfère de loin être dans le monde qui contient tous les mondes. L'univers en direct, par toutes ses portes. Depuis très longtemps, j'ai cherché à être une déesse juvénile. Car une déesse réside en moi, par nature, et ma seule vigilance est de la laisser au stade de « débutante ». Une stagiaire mythique, quoi ! Bref, j'ai surtout pigé qu'il m'importait de m'en remettre à ma conscience vigilante. Encore et toujours. Ma conscience étant celle de nous tous, ai-je compris par la suite… Tu vois l'affaire ? Alors oui, j'ai toujours eu un goût prononcé pour les questions, les interpellations… en fait, les saisies ! De celles qui incarnent quiconque vite et bien, fais-moi confiance !

B – Et donc tu m'as saisie ! Mais « agir », ça ne tente pas ?... Moi je suis malheureuse quand je n'agis pas. « Agir », ça commence par « essayer » ; « agir », c'est tenter, c'est risquer, c'est rater jusqu'au moment où rater nous réussit. Personnellement, je n'ai plus peur de rien. Et puis, qu'est-ce que ça fait respirer !!! Moi, je peux le dire maintenant : je m'épanouis avant tout par les poumons. C'est simple : la croissance de mon corps a suivi leur évolution. Et c'est ainsi que j'ai grandi, agrandi mes possibilités, offert à mon espoir un confort, un espace, de l'air très frais, le grand large quoi, bref tout m'apparaît en format XXXL ! Souvent, je le visualise, mon espoir : il est assis dans un fauteuil en cuir, dans ma berline en acier, dans mon garage en béton, dans ma jolie maison, sur mon vaste terrain… Et il se diffuse, se diffuse, il circule de plus en plus, partout partout, il vascularise les rues comme une mélodie envoûterait toute une génération. Oui, le monde se trouve toujours à la portée de chacune de nos expirations. Et en ce qui me concerne, son centre sera ici. Il y a bien un jour où tout vieux cosmonaute plante son drapeau, non ?

A – Les pluies d'été sont à tout le monde, depuis la nuit des temps, et ça pour toujours ! Ne confisque pas nos possibilités communes. L'univers est perméable. Ne freine pas ses mouvements. Ne réduis pas ses échanges. Tout est transit. Le passé est bien vivant, grouillant, et c'est pour lui qu'on aménage le futur en lui offrant le plus beau et le plus grand des présents. C'est de cet infini où viennent s'abreuver les âmes dont je te parle. Je peux me tromper, mais c'est ce que je pense.

B – Ne me contrarie pas davantage. Sache que je suis issue d'une famille qui a participé, autrefois, à bien des jacqueries et autres frondes, et ça ne va pas s'arrêter comme ça. Je suis née de cela. Et chez nous, c'est surtout le courage qui est en illimité. Avec de la rage en plus. Pire : tes objections ne sont que davantage de carburant pour mes élans ! On n'arrête pas une femme qui rêve : et là, ce qui germe dans ma tête, c'est l'édification d'un foyer. Et j'imagine très précisément une maison en forme de soleil. Radieuse et irradiante. Avec de grands escaliers fluides comme des toboggans…

A – L'ennui est que tu n'es pas le premier à avoir l'envie de t'installer ici. Regarde autour de nous toutes ces maisons empilées les unes sur les autres et qu'on appelle immeubles. Des verticales qui, telles des lames, incisent le ciel. Sale acupuncture ! Méchante mode ! Constate à quel point, ici, tout est déjà attribué. Ça fait longtemps que l'esprit de confiscation s'y est emballé. Au mieux, tu peux prétendre à un wagon abandonné. Oui, un wagon que la rouille ne cesse de scalper. Une épave. Un encombrant… les mieux d'entre eux étant déjà squattés. Mais le positif avec cette formule, c'est que tu associes fixité et mobilité. En somme, un « chez soi » partout chez lui ! Tant mieux, car la géographie est comme un être sensible : on se doit de la visiter régulièrement comme le ferait sa plus prometteuse fiancée !

B – Peu importe, ce wagon méprisé, je le prends. Je n'ai jamais eu peur de rien. Et moi, il me plaît déjà. À défaut, j'y passerai tout le temps nécessaire pour y faire une charmante décoration. Tant il faut parfois commencer par aménager petit pour construire grand.

Fin.


De gauche à droite : Julie BORIS & Rebecca SALMONI
sur une mise en scène de Frédéric FRANZIL
(Gare au théâtre, déc 2018, coll. privée)



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