SAMEDI 7 Mars 2020
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Vives incitations - année 2"

Animation : Régis MOULU

Thème : Mieux qu'être vivant : être à vif !

L'hypersensibilité ourlée de buts personnels ressentis comme étant vitaux donne un relief prenant à notre existence. Cette disponibilité excessive et cette empathie trop affectée intensifient notre rapport aux autres et au monde, en même temps qu'elles amplifient jeux et enjeux. L'écriture se pare alors, instamment, d'une théâtralité rare et précieuse que nous avons approchée au cours de cette séance sur-incarnée.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance, à savoir : le héros principal vivra « son corps comme une terre d'exil », c'est-à-dire un lieu où ses désirs correspondront rarement à la réalité qu'il ressent pourtant fortement.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support exposant notamment tout le comportement d'un hypersensible a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Des émotions, tes désirs" de Marie-Odile GUIGNON

- "Ainsi va la vie" de Christiane FAURIE

- "L'onctueux est un état qui se mérite" de Régis MOULU




"Des émotions, tes désirs" de Marie-Odile GUIGNON



Univers blanc, pôle foulé des soifs
L'Amour, en cinq doigts de lettres,
pianote dans le désarroi...
Erre le vaisseau fantôme, traître
les larmes de l'océan coulent vers ses creux d'ouragan.
La mouvance, soumission caduque,
culbute l'acceptation dans le néant.
La dureté acérée de ta nuque
effiloche la confiance des fils de soi
que l'admiration tisse : tes fragilités
habillent la folie rageuse de tes faims.
Aucune soumission n'imprégnera tes parfums.
Navigue loin par les vents, voile gonflée.
Célèbre l'appréhension évaporée.
Un ciel d'azur criblé des nuages de la peur
fait de ta couche des coussins de terreur...
Teint rosé des poumons aérés de crainte
les fleurs des mirages s'épanouissent.
Le miroitement coloré de tes plaintes
engendre dans tes iris
les valeurs des distractions.
La caresse des tendresses
tatouées sur les corps des enlacements
s'effondre en surprise.
L'étonnement insinuera un poison
comme révélateur cupide du désappointement.
Dans le paisible havre des songeries
germent les tristesses enfouies.
Il n'est pas de chagrin d'ornement
ni de remords d'agrément.
Traversant les méandres des voyages
les circonvolutions de l'ennui
cheminent, tels des présages
pétrissant le dégoût, l'aversion, le mépris...
La colère contrarie les cœurs...
L'agressivité valide les coups mortels...
Marche sur le sable blond des intérêts de bonne humeur,
où les vagues, ourlées d'anticipation en dentelles,
apprivoisent les vigilances et nouent les mystères.
Dans toute réserve affective
stagnent les fruits de l'optimisme.
Vêts ton corps de ces forces vives
car les parcelles de ton épiderme
frémissent de sérénité,
car tes organes, tous tes viscères tremblent
des besoins d'évacuer...
Ne retiens pas la joie qui flambe
Laisse le torrent de tes aspirations décupler
les puissances de l'extase...
Tes blessures ouvertes suinteront du dégoût de tes anxiétés
Les douleurs de tes échecs,
la culpabilité de tes erreurs,
s'écouleront comme la lave brûlante s'échappe de la gueule du volcan...
Alors, seulement, tu connaîtras :

« Le vivre son corps comme une terre d'exil ».



"Ainsi va la vie" de Christiane FAURIE


Après des années d’errance tant professionnelle que personnelle, par le plus grand des hasards, j’ai croisé mon destin.
Je promenais alors mon corps à vif, aigri de ne pas être reconnu à ma juste valeur moi qui m’était astreint à accumuler des diplômes dans l’espoir d’exister.
Je ne passais jamais les barrières des périodes d’essai.
On me jugeait trop diplômé, pas assez compétitif, peu réceptif à la politique de l’entreprise, pas assez communiquant avec les collègues de travail et n’intégrant pas la dynamique d’expansion.
Je surprenais souvent les collègues me scrutant d’un œil soupçonneux, sans doute la crainte d’être remplacé un jour par ce grand échalas surdiplômé alors que je déambulais sans un mot, les observant d’un regard dérangeant dont ils ne saisissaient pas le sens.
Etait-ce ma faute si je ne savais que faire de ces perceptions  que je portais comme un lourd fardeau.
Je rentrais chez moi, après chaque tentative, plus meurtri, aigri et bouleversé par cette image qu’on me renvoyait.
Une colère froide se logeait dans mes organes comme un poison et justifiait une salve vomique libératrice.
Seule la pulsion méthodique de grand ménage de mon petit appartement, après le dernier grain de poussière éliminé, me donnait un sentiment de libération éphémère.
J’étais seul, désespérément seul, confiné, désinséré, empli d’un chagrin que je ne laissais pas s’exprimer tant il me fallait rester digne à tout prix.
Mon père avait déserté le foyer depuis longtemps et vivait au Québec, gérant dune scierie. Ma mère avait baissé les bras et s’était laissée mourir sans résister ; sans un mot pour moi.
J’étais dorénavant seul, trainant mon ennui avec résignation en regardant les autres vivre, se mouvoir avec aisance dans les lieux publics comme des cafards, s’invectivant, pleurant, apostrophant, nous rendant impudiques témoins de leurs état d’âme jusqu’à saturer mes ouïes et ma vue.
Je demeurais étonné de la fragilité de ma coquille alors que je la forgeais depuis si longtemps.
A chaque tentative le même scénario s’offrait à moi, la même déconvenue.
Les êtres humains ne semblaient pas me voir.
Je décidais de m’inscrire dans une salle de sport mais très vite je ne me suis pas senti à la hauteur.
Les abonnés paradaient dans leur tenue dernière tendance alors que je me trouvais gauche, sans panache.
Lorsque des rires fusaient derrière moi, je savais que j’en étais la cause et je multipliais les gaffes.
Cependant, un jour qui s’apprêtait à se montrer comme les autres, un membre du club s’adressa à moi en me demandant ce que je faisais dans la vie. Passé l’instant de surprise, je l’informais, non sans une grande gêne, que je n’avais effectué jusqu’à présent que quelques boulots alimentaires depuis ma sortie universitaire.
Il me demanda si je serais intéressé par un poste d’homme à tout faire dans une grande résidence huppée non loin de là. Elle abritait essentiellement des séniors aisés à la recherche de paix et de confort dans un environnement privilégié au soleil une grande partie de l’année.
Pourquoi pas, songeais-je. Mon père m’avait enseigné le travail manuel me disant qu’un bon intellectuel sans la conscience de l’accomplissement d’une tâche manuelle n’était pas un homme accompli.
J’acceptais l’offre non sans appréhension.
Il me présenta au manager, Monsieur Wolf, un homme suffisant, peu enclin aux discours inutiles, parlant à tout va de la rentabilité de son entreprise qu’il était fier de mener de main de maître.
Il me donna les instructions : entretien des espaces verts, des parties communes, de l’ascenseur, gestion de la piscine. Il s’arrêta et me regardant droit dans les yeux : « vous devrez veiller à ce que personne autre que les résidents ne s’y baigne ». Il ponctua sur un «  bien entendu ceci vous concerne aussi. Je ne tolèrerai aucun manquement»
Je devins vite indispensable, rendant des services à chacun, écoutant leurs plaintes incessantes qui ne manquaient pas de m’affecter plus que de nécessaire.
Je devais être toujours disponible. Lors des désordres climatiques et imprévus, je travaillais sans faillir jour et nuit pour rétablir les services et rendre la vie des résidents la plus sereine possible.
Peu me considéraient sauf Andrew qui m’invitait en cachette chez lui après ma journée de labeur.
Monsieur Wolf, profitant de ma grande disponibilité, me submergeait de tâches supplémentaires en réduisant les moyens à ma disposition ce qui rendait mon travail éreintant.
Je ne savais pas comment lui en faire part. Peut-être ne gérais pas au mieux mon emploi du temps.
Je rentrais le soir épuisé, hagard. Malgré l’heure tardive, certains me guettaient et frappaient à ma porte pour déverser leurs aigreurs sans se préoccuper de ma fatigue.
Je me couchais, évacuant avec peine toute cette litanie de petits soucis qui restaient collés à mes chairs endolories. Mes nuits étaient de moins en moins réparatrices.
Monsieur Wolf me reprochait de passer trop de temps à bavarder, d’utiliser trop de produit pour l’entretien de la piscine, de ne pas anticiper les catastrophes naturelles. Il me menaçait de devoir se passer de mes services.
J’étais au bord  du burn out.
Un soir, n’y tenant plus, j’éprouvais l’irrépressible besoin de me laver de toute cette boue. A la nuit tombée, je me faufilais dans l’espace piscine et je plongeais dans cette eau que je contemplais depuis si longtemps. L’eau était limpide. Mon corps ondoyait et j’eu un sentiment de grande plénitude.
Je plongeais et laissais mon corps se déplacer entre deux eaux. C’est alors que Monsieur Wolf apparut. Il entra dans une fureur démesurée.
Je restais stoïque, sourd à ses injonctions, m’intimant l’ordre de sortir immédiatement.
Son corps décrit alors un mouvement désordonné, ses yeux se révulsèrent et il tombât dans l’eau.
Je vis son corps flotter pour couler lentement vers le fonds.
Je sortis alors, m’essuyant méthodiquement et rentrais chez moi serein.
Une belle nuit m’attendait.
Une enquête conclut à un malaise dans l’exercice de ses fonctions. On encensa le pauvre homme, si dévoué.
Je repris le cours de ma vie lavé de tous soupçons, enfin heureux.



"L'onctueux est un état qui se mérite" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


À chaque fois que je visite cette ruine,
j'y vois un château.
Je viens d'en faire l'acquisition.

Peut-être ai-je commis une connerie,
mais maintenant j'y suis.
Ici recommence une vie.
Aujourd'hui j'y ai invité Hector
qui ne l'a pas encore vu.
Je l'aime parce que son cœur est instable,
je veux dire « grand ».
Ses mirettes sont des rayons laser, brûlants.
Son être, plein de maladresses, ma paraît si doux.
Et, dès lors qu'il se met à bouger,
un brouillard se lève dans mes yeux.
Je souris nerveusement,
je bulle alors quelques mots qui le colorient, comme du pollen.
– Mais malheur à moi !... depuis que je me suis rendue compte
qu'il ne voit rien de tout ça !

Pionçait-il à chacune de nos rencontres ?
Aurais-je dû l'embrasser
comme dans le Beau au Bois dormant ?

Dans dis minutes, il sera là. Ou pas.
Jamais ponctuel !
Autrefois, ça m'excitait,
aujourd'hui ça me tue et ça me re-tue.
Je suis trouée de partout.
L'ulcère du dépit.
Et je m'en réjouis,
loin de moi l'existence de l'enfant-crustacé que je fus jadis !
Quinze ans à être confite.
Une pâte de fruit à la cerise dont chacun disposait.
Une époque dramatique
où mon âme n'était pas encore née.
Un caillou perdu dans la nature,
attendant comme un fou d'être fécondé.
Après je fus un maroilles.
Aujourd'hui ma peau a gardé le souvenir de cette pâte molle,
sauf qu'en plus, un cœur bat en moi,
me déforme à chaque instant,
me reforme la nuit,
me change,
s'est emparé de moi,
je souffre d'aimer Hector.
Où est-il ?
Et il sera content de découvrir mon château,
et il le visitera comme on s'enthousiasme d'inspecter une nécropole étrusque, je dis.
J'ai mis du sent-bon au lilas dans mon décolleté,
et je le précèderai.
Un gros nœud en velours tient mes cheveux
parce que je sautillerai pour qu'il y mire un papillon
qu'il pourchassera,
en gérant avec peine sa salive.
Alors, essoufflés, nous nous étendrons sur le tapis persan
du salon de musique
j'ai oublié de le balayer, il y a encore des gravats.
Je crois aux vertus du massage,
il suffit de mettre les pierres aux bons endroits,
en dessous de nos deux corps suants.
Pour un homme, je trouve qu'Hector a de longs cheveux,
une mer démontée,
des rouleaux qui s'abattent sur les falaises de mon admiration.
Je libérerai alors mon papillon.
La fenêtre cassée laissera ensuite les mains libres au soleil
pour qu'il nous repeigne.
Et toujours cet air entêtant dans mon crâne,
un refrain qui tourne en rond
telle une mouche qui croit en une sortie qui n'existe pas,
qui la cherche, qui s'énerve.
Confettis que ce nasillement d'accordéon
qui se dispersent en mon dedans !
Explosent en moi des canotiers, des branches de tilleuls rôties par leurs ombres, une périssoire qui glisse, un pique-nique au bord de l'eau, un coq de bruyère extrêmement vibrant, des effluves d'herbe fraîchement coupée survenant par lames, tels des coups de ciseaux
qui me condamneraient à la suavité totale.

Je remarque dans le regard d'Hector
que j'ai les pupilles dilatées,
comprendra-t-il que j'ai le corps souple
comme un chat de trois ans ?
« Tu as faim » ? – On s'en fout ! ici, zéro commodité,
tout est à recréer, inventer, conquérir.
Je serai ta jungle
dès lors que tu casseras ta boussole.
Ensuite, c'est comme s'il s'était tartiné de gingembre,
l'acidité de sa peau me bouleverse,
je pleure de joie,
ou plutôt je meurs d'étonnement,
il a toute ma vénération
alors qu'il se donne des airs de singe en pèlerinage,
j'adore la nacre des boutons de son gilet,
et je rêve de les savoir reliés par des fils à ses viscères,
devant un poste de commande, réellement, je suis !
Je me sens alors gigantesque, libre, puissante
comme un pur-sang qui foule une immense plage de sable blond,
sans même se soucier des souhaitables réparations
que fera chaque vague kamikaze.

L'air frais, voilà ce qui m'enthousiasme le plus au monde,
que recèle son haleine ?
Plus tard, il m'avoua avoir dévoré
avant sa venue
du bœuf cru,
est-ce ce joyeux apport de sang qui rendait ses dents si blanches ?
J'essayai de lire dans sa denture,
dans l'espoir d'y croiser une paréidolie.
Bingo ! je faisais face à la Basilique de Montmartre,
mais comme réagencée, avec beaucoup de tourelles,
c'était très gracieux et un peu âpre,
le dragon de sa langue pointa ses vigoureuses papilles,
« qu'est-ce que tu fais ? » me cracha-t-il.
Son souffle brûlant m'incita à aller acheter un parasol,
mais, en vérité, je ne bougeai pas,
semblable à un capitaine qui reste à la barre d'une caravelle
qui se fait mastiquer
par les éléments déchaînés.
Alors il me fallut précipiter ma déclaration :
« eh bien, cher et doux, j'ai acquis ce château
en mettant nos deux noms sur l'acte d'achat… bravo et champagne ! »
Je me sentis tout à coup très nulle :
voilà que je m'exprimais comme un agent immobilier.
Je compris que je faisais des tonneaux dans mon cerveau.
Il me gifla affectueusement, pensant me faire reprendre mes esprits,
or j'étais tout à fait normale, juste un tantinet hypersensible !

Ma joue comme une grosse braise !
Un de ces picotements qui va jusqu'au nez,
j'avais même l'impression que ma pommette
fut ce bol de mayonnaise que l'on fouette avec passion
jusqu'à l'épuisement
tant l'onctueux est un état qui se mérite,
un paradis qui nécessite la pire des abnégations.
Mon œil le plus proche
avait comme fermé son manteau de moule.
Finalement, qu'avait-il gourmandé en moi,
ce terrible cosaque ?

Il me fallut pleurer,
je ne sais toujours pas pourquoi,
mais tout en restant immobile, c'est-à-dire avec la fierté d'une courgette non récoltée.
Je me sentais épanouie, comme en pleine terre,
sur mon tapis qui virait au carré des simples,
là où babillait la pharmacopée de tous mes désirs triomphants.
– Tu t'es parfumée au jasmin ! N'est-ce pas d'en mettre trop qui te donne ces vertiges ?
– Mais pourquoi cette torgnole aussi forte, Hector ?!... alors même que tu aurais pu m'embrasser !
Et je me trouvai idiote d'avoir, comme ça, déversé le fond de mon âme comme du vin ordinaire,
idiote aussi d'avoir gardé l'empreinte de ses doigts
sur ma peau abrasée…
Or il m'apparut bien vite que, de la sorte,
j'aurais toujours sa main en moi,
avec moi,
sur moi,
j'adore cette idée,
aussi l'avais-je adoptée.
Un sourire me trahit.
Il pénétra alors dans mon iris
tant il en avait appréhendé la profondeur.
En rappel,
à coup de deux mètres sur chacune de ses expirations.

Je crois qu'il serait instructif de le laisser faire à sa guise.
C'est pourquoi j'utilisai toutes mes ressources
et improvisai mille mantras
afin de rester impassible,
telle la porte de prison, dans le sens « retour ».

Il en fut sensible
et se gratta le cou comme pour me remercier.
C'est à ce moment que je compris
que je devais rester concentrée sur sa glabelle,
et je le fis comme une nonne prie,
avec soin et résolution
… alors même qu'il avait déjà rejoint
l'empyrée de mes jolies affectivités électives.

Fin.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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