SAMEDI 6 DECEMBRE 2014
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Le conseil des Grandes Plumes"

Animation : Régis MOULU

Thème :

S'exprimer avec plein de trous et de lumières (Barthes)

Se référant aux travaux de Roland Barthes qui, dans "Le degrés zéro de l'écriture", a formulé : «  La parole poétique institue un discours plein de trous et plein de lumières, plein d’absences et de signes sur-nourrissants, sans prévision ni permanence d’intention », on tente d'ouvrir cette boîte de Pandore afin de produire quelques moments de bonheur sacrés. Ainsi peut-on densifier un écrit et lui donner une universalité qui l'ouvre à tous, au-delà de nous-mêmes !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), a été énoncé en début de séance ce sujet : "Le jour où il (elle) a découvert le sourire absolu…".
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support présentant la façon dont on peut mettre du mystère et par ailleurs "du rêve et de la menace" dans un texte a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Révélation" de Marie-Odile GUIGNON

- "Le trou noir" d'Annie INSERGUEIX

- "Partage ... ou réponse à la soignante qui me disait que la vieille femme qui caressait ma main voulait obtenir quelque chose de moi" de Nadine CHEVALIER

- "La bastide" de Janine NOWAK

 


"Révélation" de Marie-Odile GUIGNON

Dans son demi-sommeil un sourire dessinait son visage.
Elle cligne des yeux.
Trop de lumière encore.
Elle capte la pénombre derrière le filtre de ses cils.
Son corps engourdi écoute les bruits.
Le confort moelleux évoquerait-il un danger capable d'effacer le bien-être de l'âme au repos ?
Enveloppée dans les voiles du songe, l'oubli la guette.
Elles chasse les cauchemars mémorables.
Elle ouvre un espace à ce rêve.
Ce rêve opalin pétri de douceur, de délicatesse, de prévenance.
Ses contours estompés rendaient immatériel le lieu de son déroulement mais la certitude de sa vérité l'a assaillie...
Elle l'imprime indélébile dans sa mémoire.
Il occupera la « une » de son destin.
Il sera à l’œuvre dans ses projets, dans ses réalisations.
Il culminera dans sa raison d'être.
Un phare illumine ses pensées : elle accueille le réveil, son corps s'étire, ses membres s'allongent, elle palpe l'univers. Elle s'engage avec sérénité dans le temps de son existence à venir.
La grisaille, qui, hier, tentait de la submerger, a sombré au fond de la valise des souvenirs.
On entasse dans les greniers les choses du passé, soupentes des toits vouées à l'enduit des poussières.
Aujourd'hui, une ligne de joie enrubanne sa vie.
Un cadeau le plus inattendu. Pourquoi ?
Elle l'ignore.
Elle dormait.
Anges et démons s'affrontent régulièrement dans les inconsciences du cerveau dès qu'il échappe au contrôle de la volonté.
Elle médite sur cette donnée scientifique des remous méninges.
L'analyse du sage s'offre à ses pensées.
Sereine, elle se lève, elle vaque à ses occupations quotidiennes.
En apparence, elle ressemble à elle-même.
Nouveauté : dans l'éclat de ses yeux un trésor s'installe.
Elle n'ose y croire.
Pourtant, l'image s'impose.
Elle ne la fuira pas, elle la chérit.
Son cœur exulte de plaisirs.
Un visage l'accompagne.
Un gardien bienveillant lui a donné :
Sa parole.
Ses soins.
Son expression inoubliable.
Le contour de ses lèvres.
Il s'insuffle dans l'intime de ses questionnements et la fait émerger.
Du geste de sa bouche, une réponse audible, courte a jailli. Elle flotte sur l'eau de la source claire du temps .

Sourire dedans, Sourire dehors...
Absolument.


"Le trou noir" d'Annie INSERGUEIX


Le degré zéro de l’inspiration est atteint. Je cherche dans mes souvenirs une émotion qui pourrait déclencher une cascade de mots. Mais non les trous sont là, pas la lumière. Je tente vainement d’essayer de dire quelque chose.
La fuite du temps se précise, déjà une heure à regarder ma feuille vide. Mon existence passée à penser que demain sera plus brillant, que demain une énergie nouvelle s’imposera à moi. J’avance dans la vie avec une réelle lenteur, le calendrier égraine ses jours et je suis surprise d’y découvrir la date d’aujourd’hui en n’ayant pas vu passer les semaines précédentes.
J’ai des rêves et des idées plein la tête mais la menace du temps qui passe et qui m’empêche de les réaliser me paralyse. Je n’avance pas, je piétine.
La nostalgie du temps où je vivais à cent à l’heure m’attriste. La disparition de l’énergie, de la motivation, créent en moi un mal de vivre, une impression d’oeuvre inachevée.
La lucidité de l’instant doit me pousser à agir. Oui, je dois y arriver, le pouvoir de persuasion se met en marche...
L’accumulation des idées doit faire place à une tornade de fraîcheur : une marche en avant pour dépoussiérer le passé source d’angoisse.
Oui le temps passe, s’accumulent les années, la fin s’approche vite et les rêves vont s’évanouir avant même d’avoir été vécus.
Le temps presse : ne pas laisser comme souvenir un projet non abouti, qui aurait pu être merveilleux pour ma descendance.
Laisser une trace, un livre, un tableau achevé. Voilà le jour où je découvre le sourire absolu sur mes lèvres, dans mes yeux tout écarquillés du travail accompli.

 

"Partage ... ou réponse à la soignante qui me disait que la vieille femme qui caressait ma main voulait obtenir quelque chose de moi" de Nadine CHEVALIER

C'est tellement facile
Tu te noies dans le faire
Je dois faire ceci
Je dois faire cela
Où es-tu ?
On te parle de bientraitance
Tu appliques les grands principes
Et toi ?
Te traites-tu bien ?
Toi-même tu t'oublies
De maltraitance tu es ta propre victime
Tu nies ta douleur
Tes émotions tu les caches dans les poches de ta blouse verte
Tu fais ton boulot oui
La vieille femme est propre
une barrette dans les cheveux
bien calée dans son fauteuil roulant
Tu la descend en salle télé
Tu dois encore faire ceci
Tu dois encore faire cela
Tu remontes... Au suivant...
STOP !

Qui es-tu ?
Oui, on t'a dit de laisser ta vie privée au vestiaire
Avec ton sac et ton manteau
Laisses-tu ton âme avec ?
Je la vois comme une ombre à tes pieds
Vas-tu la piétiner ?
Arrête-toi une seconde
Respire
Prends conscience de toi, ici et maintenant
La vieille femme est là
Elle ne parle pas, elle regarde
Ce n'est pas un meuble que l'on range
De quoi a-t-elle besoin ?
Manger, boire et dormir, ça on y pense
Oui, on sait le faire
Oh ! On ne la maltraite pas
C'est bien sûr
Cela te suffirait-il à toi
qui vas tout à l'heure retrouver ta famille
te nourrir d'amour et de joie
parmi les tiens ?
Tu as cette richesse en toi
En serais-tu avare ?
Respire
Garde cette pleine conscience de toi
dans ce moment présent  où
tu es là
elle est là

Et quand tu la salues
Elle sent que tu n'es là que pour elle
pendant cette infinie seconde de partage
Et tu vois sur son visage
éclore le sourire absolu
Il n'est qu'une infime contraction des lèvres
à peine esquissée, vite effacée
Mais dans les yeux brille une éclatante lumière de bonheur

Et demain, elle caressera ta main
Sans rien avoir à demander
Elle te donnera à sa façon
un instant de tendresse.

 

"La bastide" de Janine NOWAK


Dernière journée de vacances.
Les voici tous partis prendre un ultime bain de mer.
Ils ont beaucoup insisté pour que je les accompagne, mais j’ai refusé fermement, prétextant les valises à faire, et la maison à mettre en ordre.
Tout est calme, silencieux.
Ces instants de solitude m’apportent un grand bienfait.
Mon corps et mon esprit sont au repos, paisibles.
J’ai menti, tout à l’heure : la bastide est rangée, les bagages quasiment bouclés.
J’avais besoin de me retrouver seule, dans ce qui fut la maison de mon enfance.
Ainsi, j’ai l’impression de m’offrir une cure de jouvence.
Je monte au premier étage, longe le couloir au bout duquel se trouve une fenêtre qui possède un rebord d’une largeur exceptionnelle. La bâtisse a plus de deux siècles, et jadis, pour protéger de la chaleur estivale (ou des grands froids hivernaux), on élevait des murs très épais.
Je vais m’asseoir sur ce muret, tout comme je le faisais, enfant, bien calée dans une encoignure de ce siège improvisé.
Je regarde le jardin. Je ferme les yeux. Alanguie, je rêvasse.
En songe, je revois mon vieux Grand-Père ; Papet Joseph, comme on disait.
Peuchère ! Il binait avec acharnement cette terre sèche et un peu ingrate.
Mais son visage riait de plaisir, quand ses petits-enfants, dont je faisais partie, dévoraient avec voracité, les tomates olivettes juteuses, chaudes de soleil et encore terreuses, car en ce temps là, nous ne nous donnions même pas la peine de les passer sous l’eau !
« C’est du naturel », disait le Papet. « Pas d’engrais chimique, juste le crottin de la jument ! »
Nouvelle vision.
Je suis grimpée au sommet du mat. Hé oui, quand j’étais gamine, cette ouverture, devenait parfois mon poste de vigie d’où je guettais les bateaux pirates, ceux qui arboraient le pavillon noir avec tête de mort et tibias entrecroisés. « Navire à bâbord », criais-je alors, bien fort.
Cela faisait rire Mamée Marinette, occupée à cuire ses confitures d’abricot.
Ce souvenir me remène à la réalité. Comme un automate, je redescends au rez-de-chaussée, vais directement dans la cuisine, ouvre le placard aux conserves, et lis : Confiture machin, colorant E, conservateur X, etc. Oh, l’étiquette est belle, richement décorée. Certes, les confitures de la Mamée présentaient moins bien, mais quel parfum elles avaient ! Et surtout, rien de nocif, dans leur composition.
Malheur, je suis en train de ramollir. Je ne veux pas tomber dans le « de mon temps, c’était mieux ! ».
Et pourtant…
Et pourtant, comment ne pas… non, je ne dirais pas, sombrer dans la nostalgie ou les regrets…mais comment ne pas avoir un petit pincement au cœur en évoquant ce passé si charmant, mais que je juge déjà trop lointain ?
Allez, passons aux mauvais souvenirs, pour équilibrer.
Tiens, en voilà un, pas bien méchant d’ailleurs, de mauvais souvenir. Le vin d’artichaut, mixture composée par les voisins de mes Grands-Parents, un couple originaire du talon de la botte, en Italie. Des gens tout à fait charmants, au demeurant.
Mais alors…infecte, immonde, imbuvable, leur vin d’artichaut (élaboré d’après une recette de leur pays). Et je n’avais pas le droit de le dire, pour ne pas fâcher. « Ma qué c’est bouono pour lé foie ! », affirmaient-ils ! Il fallait avaler cette boisson (potion ?) terriblement amère. « L’amertume de ce breuvage », comme aurait dit mon professeur de français de l’époque, qui exigeait que l’on glisse de la poésie dans toutes nos rédactions.
Hé bien - qui l’eut-cru ?- voilà que je la regrette « l’amertume de ce breuvage », car à cette époque, j’étais une adolescente insouciante !
Et puis quoi ! Mais jeune je le suis encore ! Et j’ai décidé que je le serai éternellement!
Evidemment, pas dans le miroir. Mais la jeunesse du cœur et celle de l’esprit, ça compte, il me semble !
Moi, ce qui me régénère, c’est d’avoir autour de moi des gens heureux. Mes proches, bien sûr : mari, enfants. Mais aussi ceux que je côtoie régulièrement. Je fais en sorte de leur rendre la vie douce, harmonieuse ; et du coup, lire le bien-être sur leurs visages, est mon bonheur.
Mais j’aimerais tant que, même les inconnus, arborent un air réjoui. Dans le métro, il y en a trop qui  « font la gueule ». Pourquoi promènent-ils cette tête de Carême ? C’est si gentil, un sourire. Ou même seulement une tête normale, pas grincheuse, pas renfrognée.
La morosité s’installe partout. Les gens s’isolent.
On n’a jamais autant parlé de communication… et pourtant la solitude gagne du terrain. Ils sont tous là, les doigts tripotant des touches, le nez sur un écran. Et autour d’eux, plus rien n’existe.
Certes, il faut vivre avec son temps, et la technologie moderne est un réel bienfait pour l’humanité.
Mais justement, que devient l’humain dans tout ça ?
L’amour, l’amitié, la chaleur des autres sont des sentiments, des biens précieux qu’il convient de privilégier.
C’est fou le nombre de souvenirs que l’on garde dans sa tête ; des bons… des moins bons.
Difficile de chasser les mauvais. En ce qui me concerne, conserver précieusement au fond de moi la pensée des instants de grâce, est nécessaire à mon équilibre.
Outre les grands classiques, qualifiés comme étant « les plus beaux jours de notre vie », tels mariage, naissance, fêtes familiales réussies (utile de préciser « réussies », car ce n’est pas toujours le cas de toutes les réunions de familles, certaines se terminant parfois en pugilats!), il arrive soudain, au cours de notre existence, des petits riens qui comptent plus que tout. Des choses infimes, légères mais inoubliables, miraculeuses.
En voyant par la baie vitrée de la cuisine, la petite mare située au bout du terrain,  brusquement, une minuscule tranche de vie me revient à l’esprit.
En ce temps là, mon fils de cinq ans et demi, se passionnait pour la préhistoire. Au bord de cette grosse flaque d’eau poussaient - et poussent encore - quelques joncs. Or un jour, pour occuper mon enfant, je lui propose de fabriquer un « panier préhistorique ». Et nous voici tous deux, coupant les plantes aquatiques et les tressant.
L’ouvrage terminé, je regarde mon petit garçon. Il était là, pétrifié, rouge d’émotion. Son visage, pourtant habituellement rieur et heureux, semblait transfiguré de bonheur : il avait su construire un panier préhistorique ! Je crois bien n’avoir jamais vu de ma vie, une mine aussi réjouie que la sienne.
Est-ce que le sourire absolu existe ? Si oui, c’est bien ce jour là que j’en ai fait la découverte.
Et c’est probablement, une chose aussi rare que le fameux rayon vert, sur la mer, à l’horizon.
Mon petit, fou de joie, s’est jeté dans mes bras pour me remercier d’un baiser.
Voilà. C’est tout simple, parfois, la félicité.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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