SAMEDI 7 janvier 2017
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Le conseil des Grandes Plumes - année 3"

Animation : Régis MOULU

Thème :

L’imagination quasi-divine perçoit les rapports intimes (Baudelaire)

Avec Charles Baudelaire, on ne lésine pas sur les moyens à mobiliser pour être inspiré ! Aussi nous lance-t-il que « l’imagination n’est pas la fantaisie ; elle n’est pas non plus la sensibilité (bien qu’il soit difficile de concevoir un homme imaginatif qui ne serait pas sensible) [mais] une faculté quasi-divine qui perçoit [...] les rapports intimes et secrets des choses, les correspondances et les analogies ». Voilà la voie royale que nous allons donc emprunter à dos de Bic et autres !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance :Écrire un texte qui intègre les 10 mots suivants : complaisamment, dangereux, enroué, fêlé, gingembré, méritoire, pierreries, résine, rose, tromblon.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support explicitant ce que sont les correspondances (tableaux de liason d'éléments de la tradition chinoise, et autres) a été distribué en ouverture de session, c'est fou !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):

- "Notule 92" de Marie-Odile GUIGNON

- "Roueries" de Solange NOYE

- "Connexion" de Christiane FAURIE

- "La course folle" de Dominique ALZéRAT

- "Voyage avec un saumon" de Janine BURGAT

- "Mélodie en couleurs" de Nadine CHEVALLIER

- "Zoé" de Caroline DALMASSO

- "Une source en fête" de Régis MOULU



"Notule 92" de Marie-Odile GUIGNON


Décembre défunt, janvier s'installe. La lune se relève lentement de ses quartiers noircis par les feux des fêtes. Dans un ciel d'une profondeur glacée scintillent des milliards de pierreries. Mars descend lentement du sud, incandescence rouge qui trouble la blancheur laiteuse du disque lunaire encore marqué d'un baiser décroissant. Sombre idylle amoureuse à la merci des paraboles spatiales. Complaisamment quelques nuages roses répandent une brume de pudeur de l'est à l'ouest. Les cils s'abaissent et se soulèvent sur les pupilles noyées dans les iris noirs. Un regard insondable emporte dans sa nuit le plongeur imprudent. Les chemins du cœur serpentent près de dangereux précipices et la beauté se fêle aux écueils du temps qui passe. Aucune résine ne colmatera les rides de la terre, seulement son goût sucré laissera sur la lagune une saveur de gingembre… La vieillesse amère d'une prune sauvage n'attend que le gel pour l'adoucir. Elle désire apprendre un nouveau langage, comprendre les paroles du silence, saisir l'étrangeté des mots, poursuivre le miroir d'un étang vagabond et mettre à mort l'incompréhension. Il ne sert à rien de vendre des fleurs coupées, elles se fanent de leurs brèves existences. Une main tendue les happe, le médium s'en empare pour lire votre destin, l'améthyste sertie sur l'anneau de son doigt se brise, une douleur l'immobilise, un cri enroué s'échappe de sa gorge, il ressemble à la détonation d'un tromblon venu d'une époque méritoire. Mais en mai, le présent revient. Il exprime la force cérébrale des forêts. Les arbres ont fière allure dans leur droiture comme dans leurs contorsions, ils s'accommodent les uns aux autres et l'air les étire vers l'immensité lumineuse de l'astre royal, leur dieu suprême. Un foisonnement du vivant les habille en toutes saisons, éden sauvage surgissant des ténèbres vaincus, jardin rival du désert des méditations... Le sablier coule entre les doigts de verre. Il n'est que le refrain en douze couplets métamorphosés par l'inconstance météorologique et l'ignorance des êtres.

 

"Roueries" de Solange NOYE


Un rose tromblon
D’ange heureux enroué
Transperça le ciel :
Pierreries fêlées, résine gingembrée
Abondèrent complaisamment
L’auditoire méritoire.
Pierre rit : l’affaire était scellée.
Tromblons, roses et pierreries,
Dignes d’un roi bien gingembré, soldèrent ce royaume de fêlés
Sous une dangereuse pluie.
Complaisamment méritoires furent ceux
Qui, en roués notables, finirent dans la résine.
Combien aura-t’il fallu
De gingembrés méritoires
Pour complaisamment croire
Que de dangereux fêlés
Armés de tromblons enroués
Pourraient les sauver eux et leurs pierreries,
Les sortir de la résine ?
D’ange heureux, je n’ai que le dangereux tromblon,
Cet entonnoir cracheur de roses gingembrées,
Pulvérisateur de fêlés méritoires
Complaisamment vautrés sur leurs pierreries.
En roué que je suis, je les destine
A ma collection de résines.
Hyacinthe, l’ingénieux dangereux, posait en son royaume : chrysoprases, chrysolithes gingembrées, sardonyx fêlés, calcédoines ambitieux.
Rien de bien méritoire.
Il se prenait juste pour Dieu.
N’était qu’un dieu de quincaille : pierrerie en résine rose, complaisamment abandonnée dans la vitrine d’un marchand d’antiques tromblons enroués.
S’il suffisait d’être givré, gingembré, fêlé pour affronter leurs tromblons enroués en résine rose et recevoir pour cela, tout complaisamment, quelques méritoires pierreries ? Je réponds un dangereux NON.

 

"Connexion" de Christiane FAURIE


Elle s’exécute, c’était bien son intention quand même ! Elle s’enfonce dans cette étoffe poussiéreuse d’un jaune gingembré presque noir par endroit de s’être trop frotté, exhalant un reflux d’acidité ou de rancoeurs gardées au fonds de soi. Cette rancœur non exprimée a marqué à jamais la trame jusqu’à envahir l’âme fêlée de celui qui s’y penche comme un tournesol sans soleil. La bienséance voudrait qu’elle se drape complaisamment dans sa salive protectrice et trompeuse comme la bave mais elle s’y vautre de toutes ses larmes contenues depuis des siècles d’allégeance en refusant de rompre le pacte sous peine de conflit de loyauté. Elle en a avalé des couleuvres aux yeux jaunes et au cœur glacé sans jamais trouver la force de renoncer à ses peurs tranchantes comme la lame de fonds qui spasme son estomac jusqu’à en extraire le jaspe vert, talisman de la pluie. Cette pluie s’échappe en fines rigoles de ses orbites ambitieuses prêtes à irriguer toute la terre aride, laissée en jachère depuis des décennies. En s’évacuant, les larmes produisent des notes distinctes en résonnance dans son crâne vide « mi-sol-ré ; mi-sol-ré ». Mi, enroué de colère contenue qui ne demande qu’à crier mais qui finit en plainte. Sol, comme un battement de cœur, rythmé par la baguette du chef d’orchestre, tantôt amer, tantôt joyeux. Enfin le Ré qui grogne comme un chien rageur son os entre les dents arme indispensable contre la faim qui le tenaille. Elle attend le La qui la délivrera, inondant l’ici et maintenant de sa puissance créatrice. Elle y est, la moelle pénétrée de cette sueur qui perle et la baigne dans ce bain couleur de lune rousse. L’odeur fétide qui suinte devrait la pousser à s’en extraire mais elle s’y vautre ; l’odeur est si familière. L’air lui manque. Telle la tanche dans la boue des tréfonds de l’étang, elle s’y voile la face. Les notes de musique sont encore audibles : Mi-Sol-Ré, Mi-Sol-Ré. Elle émerge des eaux profondes et crache ses paroles rougies de la plaie laissée par l’hameçon. Elle semble vomir et les mots sortent comme des larmes accrochées les unes aux autres, guirlande étincelante voguant au dessus des eaux troubles. Il les prends un à un, les nettoie, les observe, les lui relance pour qu’elle les attrape au vol. S’ils échappent à la vigilance, ils s’abattent en tranchant dans le vif au son du vieux tromblon. Ils piquent comme la bogue d’une châtaigne en automne. Elle tente de les attraper mais ils sont dangereux. Doit-elle les écouter, les goûter malgré leur acidité, leur aigreur. Certains sont visqueux et glissent entre les doigts. D’autres sont magiques et s’illuminent au premier regard. Il s’agit de les envelopper dans la résine translucide et protectrice pour s’en souvenir comme un trésor de guerre qui ravira la descendance. Ces mots résonnent ambitieux et gavés de leur pouvoir, ils s’enflamment et déversent un torrent d’âme comme un cheval fou. Ils se veulent méritoires mais dépendent de cette main rose qui tantôt caresse le coeur, tantôt le foudroie. Chacun pourtant fait référence comme les pierreries d’un bijou précieux enfoui au fonds du coffre, trop chargé d’histoire, trop inestimable. Les mots sont sourds aux plaintes de leur voisin, trop conscient de leur propre pouvoir. Lui, en face à face, il les rattrape au vol, les déshabille, les lave de tout soupçon. Il rend sa couleur aux choses de la vie, aux chaires martyrisées. Il est Mars de son flambeau, Bélier qui n’hésite pas à ouvrir les portes du château à grands coups. Il met les nerfs à vif, il introspecte. Elle, elle renâcle tel le cheval épuisé de tant de labeur, sa paume se rétracte en un poing rageur. Mais elle capitule et se répand en logorrhées fécondes. Son corps flotte, elle est hébétée, l’œil prêt à se jouer de tout. L’avenir lui appartient puisqu’elle a dompté son passé.

 

"La course folle" de Dominique ALZéRAT


Trotte trotte, trotte trotte Est-ce vraiment moi qui avance au rythme de mon souffle, ou bien est-ce le vent qui me pousse et m’agite telle une marionnette? Trotte trotte, trotte trotte . Je sens vriller en moi les mille brindilles de l’air. Elles tissent de fulgurantes tapisseries luisantes semées de pierreries. Prends le temps de les déchiffrer, me susurrent- elles c’est une carte au trésor ! Mais je ne veux pas m’arrêter. Trotte trotte , trotte trotte. Je continue ma course alors que le sol meuble se couvre de galets à chacun de mes pas. A l’heure où toute chose raconte son histoire, c’est au tour du galet et il a tant à dire ! Il m’interpelle de sa voix enrouée : « rappelle-toi » me dit-il « le temps où il n’y avait que la mer et le bruit de ses vagues ! Je me sens si seul maintenant qu’elle est partie ! Reste me tenir compagnie ! » Une odeur de marée accompagne sa demande. Très gênée, je décline et continue sur ma lancée . Trotte trotte, trotte trotte . « Repose-toi dans mes vrilles alambiquées au parfum gingembré arrête de trotter ! » C’est le murmure coquin de la vigne vierge sur le vieux mur de pierres fêlée. Garde-toi bien de l’écouter elle ne veut que t’enivrer ! Son odeur rose et perverse a ralenti mon pas mais rien ne m’arrêtera. Trotte trotte , trotte trotte . C’est après le virage que coule la rivière: je connais sa puissance ! De toute son eau nacrée elle pèsera sur moi. Son courant est glacé. Mais j’ai une parade : elle me lâchera lorsque dans un effort méritoire je m’identifierai à un de ses hôtes vivants. Justement un silure à qui je voue une certaine amitié m’accueille volontiers dans son esprit. Sa voracité nourrit mon énergie. Je vogue un temps en sa compagnie et reprends mon chemin. Trotte trotte, trotte trotte. Passé la rivière le sentier embaume la résine : ce sont les jeunes pins en pleine adolescence qui le bordent. Leur végétation éclate d’un rire joyeux dont seules les étoiles perçoivent le son pétaradant comme un coup de tromblon. Une corneille perchée sur l’un d’eux s’envole à tire d’aile a-t-elle entendu la détonation ? Je la suis dans le ciel dans un vol élégant. Mais trotte trotte trotte, trotte trotte : je ne suis pas encore arrivée, je ne dois pas me disperser. D’autre se sont perdus, cela est dangereux. Heureusement, je distingue déjà les saules pleureurs. Ils jalonnent la fin de mon parcours. Je vais bientôt rentrer. Je les laisse complaisamment effacer de leur rameaux la noirceur de mes pensées. D’une caresse ils ont tout absorbé. Après les saules, le sentier est bétonné. Trotte trotte, trotte trotte. Encore dix marches et j’arrive à la porte. C’était un bon « jogging médité » aujourd’hui. Je me détends sous une douche bienfaisante et puis au lit !

 

"Voyage avec un saumon" de Janine BURGAT

Un vieux tromblon. C'est comme ça qu'il se voyait depuis quelques années.A-t-on déjà vu un jeune tromblon rose ? Couperosé ça oui. Car élevé au biberon de son ancienne mais bouillonnante vie. Gingembré ? Sûrement pas. Il y avait belle lurette que le gingembre ne trônait plus dans les boîtes en métal sur l'étagère de la cuisine. Du gingembre ! Et pourquoi faire ? La vie de ses instincts s'était éteinte depuis bien longtemps. Comme un taureau rougi, soufflant et rendant l'âme dans la poussière de l'arène blanche. Nul public pour en être témoin. Le vieux tromblon tremblait de longues heures dans son fauteuil fêlé. On le nourrissait, on le changeait, à quoi bon du gingembre puisque nulle caresse ne venait plus pimenter sa peau rèche ? Chaque matin, il entendait son infirmière à sa voix enrouée et grinçante. Poulie rouillée comme celle du puits où il se lavait dans sa jeunesse. Remonter la chaîne et le seau donnait à ses bras ce feu de qlace qu'il sentait encore, parfois. Qui s'occupait de ce qu'il entendait aujourd'hui ? Oui. Le vieux tromblon avait été jeune. Un jeune premier ardent, turbulent, vif comme un saumon tressautant dans l'eau sombre. Argent d'écailles protectrices, pierreries de pacotilles contre lesquelles il s'était fracassé si souvent. En le regardant de près, même complaisamment, personne ne remarquait le fond deses pensées. Quel monde dans ses yeux flous, vitreux, perdus vers un danger illusoire mais qui le maintenait en vie ? Seule sa pupille d'ambre trouait son regard comme la hache du cavalier fou guidant le pas de Rodin, son viking favori. Le vieux aimait tout des vikings, leurs bateaux, leurs voiles, leurs lances, leurs tresses encore rougies des équipées dangereuses que les batailles imposaient. Le vieux les revivait à chaque approche d'un quelconque humain dans son salon sombre, mal éclairé et qui sentait la résine sale. L'enrouée toussait tout son saoul en lui ôtant son pyjama en fin de nuit. - Alors, père Cyprien, quelle douleur ce matin ? Grognasse infâme. Que tous les vikings du ciel s'abattent sur ta blouse de lavande et tachent jusqu'à la blancheur de ton âme méritoire. - Douleur et torpeur, Madame Blanche, sont les deux attributs d'un vieillard finissant, répondait le père Cyprien en tendant son bras flageolant. Et la grognasse était soulagée. Il avait dit quelques mots. Dans le protocole de la journée du vieux c'était suffisant. Il était vivant. Ce que le monde lui demandait.: qu'il reste en vie. Point. Il fermait les yeux et se plongeait dans le monde des Vikings et des Cosaques, leurs alliés. Le premier élan vers la bête. Son cheval, un goufre de colère. Et le galop était lancé. Ses bottes frappaient le ventre de l'animal et tout devenait lumineux, scintillant comme un ciel de soleil quand le jour brûle tout sur son passage. La nuit attendrait. Quand Madame Blanche le retournait pour rincer son visage et sa barbe hérissée, il somnolait. La chevauchée était une intimité auquelle la grognasse n'avait pas accès. Certains matins, elle le réveillait en pleine nature. Ses bottes, son chien, son panier et le nez qui frétille devant le cep savamment recherché. Immense odeur que le velouté d'un cep caché au creux des mousses. Le sous-bois bruissait de milles sardoines, d'ailes de saphyr frotttées aux ailes de topaze. Un enchantement que Madame Blanche, sortant sa trousse de seringues et sa boîte de pilules roses ne sentirait jamais. Elle avait les mains douces mais le nez creux. Devant elle, le vieux se délectait de tomates éventrées, de champs de blés piétinés, de branches d'arbres couchées de neige. Il courait à perdre haleine en massacrant tout de ses foulées de vent. Oui, il courait le vieux tromblon, immobile sous sa couverture après son chien qu'il sifflait, sifflait à se rompre le cou, après son cochon qui couinait face au hachoir bien affuté. Le vieux courait dans son fauteuil plus leste que la libellule phosphorescente qui vibrait sur son front. Nature, lui aurait soufflé Rimbaud, berce le chaudement, il veut mourir. Tout lui résiste. Le corps, en désespéré, tenait bon, accroché à son fil de vie. Encore une seconde, dit le corps, encore un battement, dit le coeur. Il se rappelle son verre de gnole fixant la bouteille. Son coeur aurait dû être emporté par les flots d'alcool. - Allez, père Cyprien, encore une petite qui ne verra pas l'an prochain ! Il aimait plus encore la gnole que son corps, déjà, à cette époque là. Un soir d'hiver on l'a plongé au froid de son lit. Un Damart en haut, bien arrimé au torse frisé d'argent, une bouillote ficelée sur ses pieds pâles et on l'a laissé dans sa naphtaline vagabonder à sa guise. Sans hésiter, il est parti vers l'étang enchanté où les carpes lui faisaient de l'oeil pendant des heures. Les herbes humides baignaient l'air d'un sirop bleuté. Il s'est penché sur l'onde fraîche et soudain il a eu chaud, très chaud. Il a lâché son corps, comme une dague chauffée au fer blanc plongeant d'un bloc dans la glace. Sensation de folie ouatée qui montait au corps comme la vie sait le faire dans la plénitude du temps. Et quand Madame Blanche a eu sa première quinte de toux du matin en poussant la porte de la vieille chambre, le lit était encore bien bordé et le corps du père Cyprien reposait en chien de fusil, le visage tourné vers la fenêtre baignée de lumière. Il serrait un saumon tout frais, lové au creux de ses bras. Le saumon frétillait, le père Cyprien dormait. A jamais.

 

"Mélodie en couleurs" de Nadine CHEVALLIER


C'est un matin rose, de ces matins où tes lèvres sourient dès le saut du lit. Matin dangereux où tout peut arriver tu l'accepteras complaisamment. Matin sans repère. Tu flottes, tu dérives, tu glisses entre les molécules qui t'entourent et te pénètrent. Tu es le ciel, enroué de nuée serpentines Tu es l'arbre ancré et l’oiseau léger Tu es le caillou ambré et la goutte de rosée Tu es libre et tout puissant. Tu comprends. A ta question « comment allez-vous ce matin ?» la dame répond « je salive » Tu ris. Elle a raison. C'est un matin à déguster la vie. Un matin rose. Chacun en accord y joue sa partition. Les violons ont le plus beau rôle. La symphonie se déploie jusqu'à midi. Quand soudain deux ou trois anicroches s'emmêlent. Une goutte de résine englue le temps. L'après-midi vire au violet. La dame dit « c’est fêlé » Elle a raison, finie la belle harmonie. A coup de tromblon, on se percute, on s'uppercut. Dans le plat gingembré, on met les pieds, du piment, deux ou trois jurons, quatre vérités et un poil de mauvaise foi. On laisse bouillir dans un méritoire effort de cessez-le-feu. A l'heure du goûter tout est noir. La dame dit « ça sent les haricots » Elle a raison. Le chef prépare le cassoulet pour demain. Elle ajoute « ça peur » Elle a raison – encore. Tu te sens impuissant et misérable. Dans le coffret vertus et sentiments de ton esprit en tempête, tu cherches quelles pierreries magiques pourraient sauver la fin de journée. Mais le soir s'éclaircit de bleu. Zorro est arrivé. La maison suspend son souffle. Habillée de rouge, minijupe et talons hauts, Madame la directrice rentre d'une réunion au Conseil Général. Elle a obtenu les subventions tant attendues. La nouvelle fait le tour de la maison, se plante comme une flèche au cœur de la tourmente baudruche. Le bleu se teinte de vert. On s'interpelle, on s'excuse, on se félicite. On accorde les instruments pour le grand ballet final. Il est l'heure pour toi de rentrer. Tandis que tu marches dans le soir tu laisses en chemin toutes les couleurs de cette journée. Tu vois le ciel se peindre en rouge au couchant du soleil. La dame dirait peut-être « ça bave en sol »… Aurait-elle raison ?

 

"Zoé" de Caroline DALMASSO


Zoé est violoniste, elle a l’oreille absolue. La droite, la gauche peu importe, lorsqu’elle entend un son elle sait instantanément de quelle note de la gamme il s’agit. Et avec les altérations je vous prie, les bémols, les dièses et les épices… Tout ça, c’est grâce à son arc-en-ciel. Oui, elle en a un! Si,si, il est dans sa tête. Et non, ce n’est pas dangereux. Au contraire, c’est merveilleux, ça lui met des paillettes plein la vie. D’ailleurs Zoé n’est pas seulement une grande violoniste, c’est une princesse! Mais le violon c’est fini, c’est à cause de radio pipelette et de son petit doigt, il est trop riquiqui et puis il est enroué, c’est pas pratique. C’est méritoire d’être arrivé jusque là mais ça devient trop compliqué. Alors elle décide de ranger sa boîte avec les bémols et les dièses à l’intérieur, complaisamment enroulés autour de l’archet. Si un jour il ressort celui là, croyez moi, il devra montrer belle figure et tresser sa crinière pour qu’elle colore à nouveau les mélodies et fasse danser les images. Sinon, c’est à coup de tromblon et de moulin à poivre qu’il se fera recevoir. En parlant de poivre… Et les épices, me direz vous, que fait elle des épices? Les range t’elle également dans une boîte en résine ou les cache t’elle secrètement dans un écrin précieux telles de mystérieuses pierreries? Oh non, les épices, elle les garde et, tenez vous bien, elle les utilise… Et oui, car en plus d’être violoniste et princesse, Zoé est gourmande… Gourmande de la vie et de l’amour, des saveurs et des rires, des sacs et des chaussures aussi… Bon, c’est quand même une fille! Avec ses épices Zoé explore le monde, alors chez elle ça sent le fromage et le chocolat, la rose et la cardamome, le riz safrané et la brioche gingembrée, la chaleur et le partage, la gaieté et le cramé. Si, ça arrive aussi, parfois! C’est qu’elle fait des expériences… Sa vie est un laboratoire, elle teste, mélange, distille et compresse les abscisses et les ordonnées, son équation semble complexe en toute simplicité. Elle est un peu fêlée? Sans doute. Enjouée, généreuse et rigolote c’est sûr. Mais que


"Une source en fête" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Animaux, animaux, qu'ils affichent une peau lisse ou un pelage grenat, tous, se sont donné rendez-vous ici, maintenant et éternellement, au pied d'un jaillissement qu'on appelle « source du Bois aux grands matelas », ils campaient autour d'un bassin en forme d'oreille. Or, jamais si belle étendue de larmes n'avait autant raccourci de nerfs, ceux des langues roses en mal de reviviscence, l'instinct était à découvert, éveil des sens, dès lors tout parut « explosion de fraternité » tant le ballet synchronisé des pattes cherchant leurs meilleures obliques aboutissait finalement à disposer au mieux son réservoir organique, dilatation de bandonéons, il n'y avait plus « des gueules » mais « des godets », le troupeau formait une noria épileptique. Et plonge, plonge ton museau dans le liquide en fusion que venait de mijoter la Lune, et, en cette heure de crépuscule iridescent, tous les culs s'érigèrent en tromblon. Que de bleu bu ! que de lampées exécutées ! le jour qui se lève transmua très vite les yeux des avaleurs en pierreries argentines, là où jusqu'à maintenant il n'y avait que « boules de résine », ce fut un printemps pour leurs vésicules. Et adieu les chairs gingembrées, la grâce cherchait bel et bien à les aimer, à les réanimer, ils étaient beaux comme un Corot inachevé, il faut dire que leurs babines ondulaient telles des limaces de mer au moment même où les rayons du soleil prirent leur squelette pour des cordes de violon en bois vert. Oh ! Oh ! Lâcher de fleurs musicales ! une détente méritoire ! Puis un saule centenaire desserra son poing, complaisamment, pour tous, le bonheur était devenu élastique, personne n'avait vu qu'au sol écumait un gant en forme de feuille d'érable. L'eau diminuant, la vase proliférait et constituait un registre à signatures pour toute patte abandonnant son appui, et il y en avait ! Le noyau de notre planète est-il bel et bien cette pieuvre sédimentée que ces présentes âmes assoiffées s'étaient mises à remodeler à leur insu ? Acupuncture hasardeuse, acupuncture dangereuse : réveil des entrailles, l'ivresse conquise fut vite fêlée, à tant vouloir prendre sans rien donner, la vessie de la Terre où chacun si suavement se désaltère se transforma en dragon de cuivre qui, après quelques tentatives enrouées, dessécha toute la contrée, contrée que l'on nomme aujourd'hui « grand désert de Gobi ».

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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