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Ed. Gare au Théâtre, Vitry (94)

(leur tél : 01 55 53 22 22)

 

 

Rencontres Petits Petits de Gare au Théâtre à Vitry, sept. 2001 - Nathalie Capelle et Claude Lebas - mise en scène Régis Moulu (coll. privée)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rencontres Petits Petits de Gare au Théâtre à Vitry, sept. 2001 - Nathalie Capelle et Claude Lebas - mise en scène Régis Moulu (coll. privée)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nathalie Capelle et Claude Lebas lors d'une répétition à Gare au Théâtre, 2001 (coll. Claude-Hélène Cordonny).

Texte intégral de...

 

Bientôt ma bouche vaudra très cher

 

Une cage. A l'intérieur un homme en costume trois pièces et un microphone. Au dessus une femme accroupie, dans une attitude animale.

 

Prologue - Complainte de l'espace perdu.

Les 2. - Nous avions voulu plus de rêve et moins de limites, avec toujours qu'une obsession : communiquer, communiquer comme ça, sans savoir de quoi, ni comment ni pourquoi. Et pour notre malheur on s'y approcha !

Marie-Paule. - C'est dit. Parlé avec la bouche. Nos croissants roses et charnus.

Pierre-Loup. - Sauf qu'aujourd'hui, il nous faut aussi apprendre la claque de la réalité !

Marie-Paule. - Oui, comme ça c'est plus sûr, moins fort mais plus sûr... enfin faut voir ! Car depuis on perd moins son temps et moins son corps à se faire croire.

Pierre-Loup. - Et puis ça faisait beaucoup trop, vous pensez, un mensonge par idéal !

Marie-Paule. - Et à tout vouloir, nous avions fini par tout avoir. Que nous restait-il alors pour nous faire encore réagir ? Nous étions devenus fortement mous, et c'était triste.

Pierre-Loup. - Oui, c'était triste mais c'était comme ça.

Marie-Paule. - Mais voilà :

Les 2. - Vie, nous t'avons encore en envie. Vie, nous t'avons voulue. Objets, vous nous avez faussement comblés, votre durée était limitée, votre présence encombrante. Faute de les avoir crus, Nation, nous t'avons trahie, République nous t'avons trahie. Rééquilibrage-calibrage, rééquilibrage-calibrage : on ne pouvait plus faire autrement !

Marie-Paule. - Et comment le dire autrement que par la force d'un témoignage ! Pierre-Loup, mon homme, promets-moi que tu nous raconteras encore ton histoire, l'histoire d'une Internationale Communicante ratée. De cette mémoire on tissera notre avenir. Notre avenir. Allez, Pierre-Loup, s'il te plaît fais-le. Fais-le avant qu'il n'y ait plus entre nous que des moyens de communication avec des tas de fils et tous leurs boîtiers, le tout en plastique dur ou en métal froid. Allez Pierre-Loup, fais-le avant que ta bouche coûte très cher ! Pierre-Loup Oui, un instant Marie-Paule...

 

Premier épisode - Cri premier, un cri pour de vrai.

Pierre-Loup. - Car avant j'aimerais avouer que je sus que le mensonge n'avait trompé que moi.

Marie-Paule. - Bravo ! Car tu vois là, quand tu me parles sincèrement, authentiquement, ça devient plus proche entre toi et moi, je veux dire singulièrement plus touchant. Mais y aura-t-il encore des couples qui se rencontreront avec des choses aussi simples que cela ? Dis-le moi !

Pierre-Loup. - Oui. Oui, Marie-Paule.

Marie-Paule. - Car c'est vrai, on ne peut plus accepter de n'être que des récepteurs d'informations : je ne veux plus qu'on me dise, qu'on me dise, qu'on me dise par exemple quoi regarder, qu'on me dise par exemple quoi consulter, ou bien encore à quoi faire attention ou comment communiquer, ou comment chanter avec le sourire dans le larynx et ma tête qui devrait penser tantôt à son cerveau gauche ou tantôt à son cerveau droit, soit en tout deux cerveaux, et ça c'est bien trop, bien trop con, j'en pleurerai ! La pub me submerge. Et si aujourd'hui j'ai peur de quelque chose, Pierre-Loup, c'est bien de perdre nos détails, toutes nos si belles différences. Il n'y a plus un jour où je n'anglophone, tu m'englophobes et que nous nous enfouissons dans un magma dépourvu d'attention. Une couverture de mots techniques. Ce coup-ci, Pierre-Loup, je crois bien avoir perdu tous mes accents !

Pierre-Loup. - Non chérie, s'il te plaît calme-toi : je ne dois plus m'énerver. Simplement agissons, sortons de nos gonds dignement et retroussons nos gants, les mains à vif et la chair au bord du vide ! Et faisons-le maintenant !

Marie-Paule. - Mais comment commencer ? Dire quoi et à qui, nous sommes si petits, petits, petits (en pleurant).

Pierre-Loup. - Il nous faudra désormais être patient, y aller progressivement.

Marie-Paule. - Alors s'il te plaît Pierre-Loup, raconte-moi, raconte-nous encore une fois l'histoire de l'homme que j'aimais sans connaître. S'il te plaît, raconte-nous la.

Pierre-Loup. - Alors l'homme habillé comme un prisonnier dit, sur tous les écrans inimaginables...

 

Second épisode - Le cri qui court.

Pierre-Loup. - (au micro) Je suis content : nos usines fabriquent enfin des carrés, seulement des carrés. Des carrés en forme d'écrans, de claviers, en forme de souris avec deux oreilles elles-mêmes en forme de carré, etc., etc., etc. C'est du travail propre. Gris propre. Et nous sommes fiers. Mémoires vives et mémoires mortes ne font plus, pour nous, aucune différence. On maîtrise tout. C'est ça l' "Internationale Communicante" : un vieux concept devenu aujourd'hui incroyable réalité. Allez, reprenez-en, reprenez-en plus car moi, ce que je veux, c'est la gloire et les moyens pour qu'on le sache. Pour sûr j'annexerai. Et quand j'aurai mon centre d'appels relié à tous les satellites, j'intercepterai comme il se doit tous les courriers, coups de téléphones, télex et fax, mél et autres nouveautés dont je ne peux encore parler, embargo financier oblige. Mais j'en enverrai aussi. The transPClanguage deviendra notre roi biblique de 2005. On inaugurera la même année le parc d'attraction intitulé "toi mon écran". J'en serai même le président directement général des armées bien que ca ne m'empêchera pas d'avoir de nombreuses occupations au sein de nos quelques holdings intercosmiques. Tiens au fait, j'oubliais que demain j'avais un rendez-vous clientèle sur la lune : je crois bien d'ailleurs que je vais leur exploser les dépenses à ceux-là ! Un seul problème subsiste : ce matin, mon petit dernier in vitro, premier enfant décloné de sa génération, est parti à l'école avec seulement trente-deux webcams dans son sac. C'est bête d'autant plus qu'il n'a pas pensé à brancher le bodymicro de sa vésicule, l'étourdi. Heureusement, pour plus de certitude, à 4h00 PM, je reprendrai une visio-empreinte de sa langue. Et au fait, que fait ma femme ? Ça fait deux soirs que son électrovaginogramme n'a pas sonné. Finalement elle est bizarre. Mais peut-être que la greffe de son transpensée à encre de chine n'a pas été bien révisée : avec quatre émotions-minute, c'était sûr que l'usure augmenterait, croirait, grandirait, se surdimensionnerait, se sursursursurdimensionnenenerait...

Marie-Paule. - Arrête Pierre-Loup tu redéconnes, arrête ! Allez, maintenant il faut se calmer, tout va bien : tu es en prison et tu sais parfaitement qu'elle est carrée ! En fait, à l'issue du procès de sa conscience, Pierre-Loup fut condamné au carré, c'est à dire à rester dans un mètre cube. Sa dernière volonté fut d'ailleurs d'avoir un micro, un micro dont le volume est intercellulaire : il fallait que tous les prisonniers l'entendent ! Mais il ne l'a pas eu. Plus tard, il inventa la parole. La rendit vraie, présente. Il parlait avec tout son corps. Avec beaucoup d'esprit aussi.. Il refit avec la bouche quelques mots. Et il alla même jusqu'à penser aux oreilles de ceux qui l'écoutaient. Incroyable, non ? Il les imagina alors grandes et variées, roses et charnues. Charnues.

Fin.

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