SAMEDI 8 Janvier 2022
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Se doter d'une inspiration extralarge"

Animation : Régis MOULU

Thème : Bomber le présent avec les graines du passé

La force de notre passé, autrement dit ce en quoi il reste actif, c'est son sens de l'orientation qu'il confère au présent. En définitive, le passé nous sauve en nous permettant de progresser et d'évoluer. Nous tenterons, donc, d'avoir conscience de toutes les ressources qui sont contenues dans l'actualité, par exemple, d'un héros lors de ses pérégrinations afin de lui permettre de mieux se développer. Il y a là comme une "belle endormie", et notre plus prometteur stylo a eu pour mission de l'embrasser, tout mot dehors.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance :

Poursuivre l'incipit suivant (extrait de Souveraineté du vide de Christian Bobin) par un récit où le protagoniste principal sera poussé à agir afin d'atteindre un but : Les livres, ils sont sur ma table, je les ai ouverts, au hasard. Je les ai feuilletés. Un apaisement est venu, dont je ne savais pas avoir besoin. Un bonheur…

Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support contenant notamment des grandes idées philosophiques et littéraires a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Jusqu'à l'ivresse" de Blandine DELGADO

- "Un bonheur vif comme une piqure" de Juliette LAETHEM

- "Nourritures" de Nadine CHEVALLIER

- "Je suis une ogresse qui met du 38" de Régis MOULU

 

 

"Jusqu'à l'ivresse" de Blandine DELGADO


Les livres, ils sont sur ma table, je les ai ouverts, au hasard. Je les ai feuilletés. Un apaisement est venu, dont je ne savais pas avoir besoin. Un bonheur subtil s'est emparé de ma carcasse lourde et fatiguée. Sans prévenir, s'installe une évidence, à manipuler ces porteurs de mots et d’histoires qui m’ont toujours fait cortège.

Ces livres, je les ai tous lus, plusieurs fois, pour certains même des dizaines de fois ; depuis l'enfance, jusqu'à aujourd’hui. Ces auteurs je les ai tellement enviés et souvent remerciés, encore maintenant, d’avoir ce talent de couvrir toutes ces pages de leurs émotions, sensations, confessions, et de m’avoir enivrée et ôter le doute.

Ouvrir un livre commence par une caresse.
La tendre, lisse et mate chaleur des pages me transporte au temps de l’enfance où dans son lit, blottie dans les bras doux et chauds de ma mère, je la regardais manger les mots et m’endormais, apaisée par la sérénité que je sentais s’insinuer en elle. Comme tu t’insinues en moi, toi, petite pierre non encore gravée, endormie et tumultueuse. Je t’invente, te prédis l’avenir dans une boule de cristal imaginaire, puisée dans ces romans magiques peuplés de fées et de marraines protectrices.

L’odeur des livres est impossible à définir, elle change d’un ouvrage à l’autre.
Ancrée à jamais dans mon cerveau, elle s’est associée à celle des soirées d’hiver et du feu de bois crépitant dans la grande cheminée fumante, alors que je nourrissais mon imagination des aventures et des romances de jeunes héros impétueux.
De quel bois te chaufferas-tu, toi, petite branche aux bourgeons à peine éclos ? Quelle brave petite flamme seras-tu et dans quel foyer de bâtiras-tu un avenir incandescent ?

Les livres t’aideront certainement comme ils m'accompagnent depuis toujours et comme moi tu t’abîmeras peut-être les yeux et l’âme à leur fréquentation nocturne, plongé(e) dans la pénombre, au fond d’un lit douillet reproduisant le cocon sourd et rassurant du ventre d’une mère.

Si tu es attentif(ve), tu y trouveras non seulement des réponses mais aussi les questions et tes yeux s’ouvriront sur le monde, comme je les imagine en ce moment clos et naïfs, prêts à jaillir derrière tes tendres paupières pour porter sur la vie un regard interrogatif et goulu.

Les livres, ils t'apprendront qu’on peut ne jamais être seul, qu’un parcours est jalonné d’obstacles, de puits sans fond, de montagnes à gravir, mais aussi de joies immenses et de rencontres inoubliables ; que rien n’est insurmontable grâce à tout ce qui a déjà été écrit, car oui, tout a déjà été vécu. Tu y feras un apprentissage à une source inépuisable et c’est à moi, aujourd'hui et demain, de te permettre de t’y enivrer aussi.

Alors, ces livres qui sont sur ma table, que je viens d’ouvrir au hasard, que j’ai feuilletés et qui m’ont procuré cet apaisement dont je ne pensais pas avoir besoin, je les garde au chaud, pour toi, avec tout mon amour et la tendresse d’une maman prête à offrir à la vie un être vierge, un rivage pur, une page blanche où tout reste à écrire.

 

 

"Un bonheur vif comme une piqure" de Juliette LAETHEM

 

Les livres, ils sont sur ma table, je les ai ouverts, au hasard. Je les ai feuilletés. Un apaisement est venu, dont je ne savais pas avoir besoin. Un bonheur… vif, comme une piqure ; soudain, comme le bruit du crochetage d’une serrure : celle de la cellule dans laquelle je m’étais moi-même enfermé. Le goût amer du fer, mais doux de la liberté retrouvée ; si belle qu’on ne veut pas y croire et qu’on s’avance vers la sortie avec incompréhension, réserve et sourcils froncés.
Voilà quinze ans que père est mort, parti rejoindre maman, et que je veille en sphinx à la sauvegarde de la demeure familiale et à la prospérité de l’entreprise laitière. Ici seules vivent les vaches, paisiblement soumises au rythme de leur instinct ruminant et allaitant. Moi je ne suis qu’un feu follet errant parmi les fantômes qui imprègnent et font suinter les murs de cette maison figée dans les couches de poussière.
Maman nous avait laissé tous les trois, après avoir donné vie à son deuxième fils –pour mon père le premier, le vrai ; car mon arrivée à moi fut accueillie par les cris, la colère, la jalousie ; je me revois dans les bras de ma mère, me protégeant la tête baissée pour esquiver les injures. Avant la naissance du deuxième fils, j’ai donc dû me fondre dans le décor et suivre le père dans toutes ses directives afin de gagner sa tant désirée reconnaissance qui validerait mon existence. Mon frère, lui, n’a pas attendu d’avoir dix-huit ans pour déserter les lieux et vivre le rêve américain sans donner de nouvelles, au grand désarroi du père qui voyait en lui son reflet amélioré, son immortalité ; tandis que moi je demeurais l’incarnation de l’insupportable, de la trahison, de l’usurpation : le fils d’un autre. Nous restâmes, le père et moi, jusqu’à la fin de sa vie, dans le silence et les gestes froids du quotidien répétitif, comme deux automates qui doivent immuablement fonctionner simultanément pour que le monde autour ne s’écroule pas.
Puis le père est mort, et je n’ai pas bougé. Ou plutôt : j’ai continué à fonctionner, dans cette vieille maison craquelée aux murs boursouflés par les mots tus et les non-dits. Prolonger ainsi l’existence du père, en plaquant ma vie sur la sienne, fut ma façon d’assoir la légitimité de mon existence. Cela était devenu un supplice : cinquante ans de vie, prisonnier d’un passé qui me précède, coupable du crime d’être venu au monde pourtant par amour peut-être, j’y crois malgré les pleurs, la déception et le déchirement ; cinquante années marquées par la même rythmicité, le même rituel d’éteindre à la même heure chaque soir la lampe de chevet à l’abat-jour d’une couleur que je ne supportais plus depuis longtemps mais que je ne regardais même plus, le « clic » de l’interrupteur comme le fracas du rocher détalant la montagne et les pieds dans les pantoufles le lendemain marquant le début d’une nouvelle journée à suer pour pousser le roc au sommet de la côte.
            Aujourd’hui je suis parvenu à rompre le cycle infernal de ma malédiction.  Je me suis finalement décidé à ouvrir les mystérieux livres découverts par excès de curiosité sous une planche de parquet légèrement décollée. Des albums-photos, tous appartenant à « Marcel » comme indiqué sur le coin supérieur gauche de l’intérieur de chaque couverture cartonnée. Signature régulière, constante, sans fluctuation d’un ouvrage à l’autre. Le père avait, dans ces livres, soigneusement aligné des photos de la mère et lui, jeunes, puis de nous, enfants. Des photos de moi, des traces de mon image, rendue réelle et palpable. Des scènes dont je n’avais absolument pas souvenir tant mes capacités mnésiques avaient dû être gelées par l’absence de chaleur affective. Pourtant j’étais là, j’avais compté ; puisque ces livres-photos étaient là, annotés de l’écriture de mon père, et avaient été précieusement dissimulés pour que le jour venu il me soit donné de les découvrir. Le simple fait d’ouvrir et de feuilleter les pages au hasard, découvrant des trésors inattendus, aura suffi pour me délivrer du sort qui avait capitonné mon existence.
Quelques mois plus tard je vendis la maison, tout son contenu, le terrain, les vaches, l’entreprise laitière. Je ne gardai que la vieille bécane de mon adolescence, au repos dans la grange depuis le départ de mon frère qui en avait été le principal utilisateur puisque de mon côté j’étais trop occupé à gagner mon droit d’existence auprès de notre père. Je n’en veux à personne. Aujourd’hui je suis libre, libéré des liens familiaux qui enserre, des chaînes d’une culpabilité injuste et d’une identité bancale.
Les livres, ils sont dans les sacoches de ma moto, je les ai sélectionnés, au hasard. Je les ai conservés. Les routes qui s’étendent à l’infini, le paysage brouillé par la vitesse et le vent qui frappe mon visage me font l’effet d’une renaissance, d’un souffle nouveau. Un apaisement est venu, dont je ne savais pas avoir besoin. Un bonheur...

 

 

"Nourritures" de Nadine CHEVALLIER, texte écrit hors séance mais dans les mêmes conditions


Les livres, ils sont sur ma table, je les ai ouverts, au hasard. Je les ai feuilletés. Un apaisement est venu, dont je ne savais pas avoir besoin. Un bonheur subtil s'est emparé de ma carcasse lourde

Des lettres dansant la sardane forment des mots. Des mots dansant la farandole s’alignent sous mes yeux. Mes yeux voient des images en noir et blanc, en couleurs vives mêlées, j’étais ce petit garçon qui apprend à lire, affamé, plein d’espoir de découvertes merveilleuses. Je suis ce petit garçon, je découvre les mots. Je grignote, j’en pioche un par ci par là dans tous ces livres étalés sur la table.
Et ces mots me font une histoire, j’y lis mon passé, j’y lis mon passé-avenir comme dans les cartes du tarot.
« Instant de panique »…« un pain d’une livre »…« la touche Entrée »... « voix si douce »... « la salle du trône »...
J’étais petit garçon et j’avais peur devant cet essaim d’abeilles que mon père récolte chez un voisin.
Le miel si doux coulera dans ma gorge et l’instant de panique me reviendra comme un présent déjà oublié. Je n’ai plus peur des abeilles.
Le miel … étalé sur ce bon pain de la campagne où je passais des étés à courir dans les champs, grosse miche blonde à la mie si dense, parfumée, qui rassasiait vite. Le miel y coulait dans les trous, j’en avais plein les doigts que je léchais avec délectation. J’aime toujours le pain.
J’entre dans une boulangerie comme dans un musée.
« Entrée » quel mot ! Universel s’il en est. Mot de passage, mot de lien entre toute chose.
J’entre dans le bonheur par ces mots dans ces livres, j’entre dans mes souvenirs pour les relier à mon présent et m’en nourrir comme d’un bon pain tartiné de miel.
Ma mère taillait pour moi une large tranche dans la miche de pain. Sa voix si douce me parle à l’oreille. Tu es mon petit roi, me dit-elle. Je courais dans le pré manger ma tartine, j’étais le roi, je m’asseyais sur un trône d’herbes douces, je régnais sur ma vie en devenir.
J’ai grandi. Ma mère me regarde depuis ce paradis où je suis sure qu’elle taille des tranches de pain pour les anges en leur parlant de sa voix si douce. Je l’entends dans le souffle de la brise au printemps, dans le murmure du ruisseau en bas du pré.
Ce pré où je suis le roi, où je trône sur un tapis d’herbes odorantes où les abeilles viennent faire leur marché de nectar et de pollen.
Tout est lié. Un sentiment de plénitude m’envahit
Je suis là je lis ces mots j’écris je suis petit garçon je suis homme tout se mêle il n’y a plus de ponctuation la vie se déroule en un fil régulier "seratilcoupélejourdemamortyauratilalorsunpointfinal".

Qu’importe, je vis.

 

 

"Je suis une ogresse qui met du 38" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Les livres, ils sont sur ma table.
Je les ai ouverts, au hasard.
Je les ai feuilletés.
Un apaisement est venu,
dont je ne savais pas avoir besoin. Un bonheur…

Tout se résout à la seconde,
là, tout se résorbe,
je repasse au rose :

Je suis une femme pleine.
Les caractères d'imprimerie naviguent dans mes veines,
alimentent mes organes.
C'est comme si de nombreuses flèches
cherchaient à sortir de moi.
D'ailleurs, j'ai déjà une peau bondée,
semblable à celle des jeunes téméraires
de chez Balzac.

L'étincelle de silex
que chacun héberge dans ses yeux de calcite
sont désormais visibles dans les miens :
falots luminescents
qui canalisent la tempête de mes cheveux.

La coiffure est toujours une révolution
exprimant une idée qu'on a eue en tête.
À partir de maintenant, mon volume capillaire
affiche mon désir.         

J'aime mon apparence
depuis que je sais qu'elle est le résultat
de tout ce que j'ai bu, vu, eu, cru, su, lu, conçu,
et même et surtout prévu,
souvent voulu.

Je suis la femme multiple,
la révolution en jupe-collants
et chemisier à fleurs impérissables.

L'autre jour, en cheminant dans la venelle
raturée de plantes envahissantes,
j'étais plante envahissante.
Parce que je les ai étudiées.
Et c'est comme ça, pour tout.

Aussi, cette ardoise magique accueillera également vos dépôts.

Comme une encyclopédie,
je me réactualise à chaque mouvement.
À chaque pas,
une pleine benne d'informations m'agrandit
et augmente la capacité de la prochaine benne.

Je suis une ogresse qui met du 38.
J'ai une volonté raffermie,
une armée dans chaque bras
et une carte routière d'artères
qui bande mes mollets.

Le présent m'aime et croit en moi,
je suis sa créature, son Ève 2022, un flamant vert,
ma migration ne fait que commencer.

Je suis cheffe d'équipe à la SNCF,
je pilote un projet fou, dingue,
aussi novateur que rétrograde
et mon aspect « grosse mangeuse de crevettes grises »
ne pourra que m'aider.

Énorme stabilité due à mes palmes.
Rien ne me chavire, à part les émotions,
ces chatons-chenapans qu'on abrite un temps
dans l'outre de notre corps.

La feuille de route était claire :
« réhabiliter le réseau secondaire
avec, au besoin, créer des prolongements
de manière à rendre les usagers plus fluides ».

Pour une femme incandescente comme moi,
la découverte de cette mission
m'avait curée d'un coup.
Je serais donc la poigne qui débroussaillerait
et taillerait le passé
puis qui reposerait les fondations d'un avenir
dédié aux véhicules.

Rien que d'imaginer que j'octroierais, en somme,
un « permis de rêver son futur » à nos usagers,
j'en ai fait des cauchemars tonifiants.
Des Provinciaux, en plus,
là où la France a cessé de devenir,
là où le pays ne sert plus que des confits.

Les levers en suées me poursuivirent longtemps.
Il y avait comme un « enfant de philosophie »
qui se couchait dans moi,
à chaque fermeture de ma lampe de chevet.
Magie que d'empaumer sa poire,
serrement de gorge
et retrait de la montre-poignet.

Je pris soin, concomitamment,
d'ouvrir mes livres, chéris et haïs,
toujours les mêmes,
mais à des pages que le hasard
me dédicaçait.
Sitôt allongée,
lorsque ce monstre qu'est l'obscurité étouffe vos dernières braises,
souvent des guirlandes pyrotechniques d'imagination buissonnière,
mon sens du service public
tapait au judas de ma conscience.
Serai-je assez active ?
Aussi je me promettais
de câliner des perspectives gigantesques.

En moi ressurgissait tout mon passé,
toutes mes formations,
toute mon expérience de vie.
Comment, dès lors, ne pas se sentir
ronde et gorgée
comme un poivron rouge ?
Il en faut une peau solide
pour retenir le trop-plein,
ce bombement déjà tornade,
cette inquiétude qui implore l'abcès.

C'est alors que le nuage de mots
en provenance des bouquins
plut sur la terre de mon esprit.
J'accueillais. C'est tout.
Comme une montagne se remaquillerait
à coup d'intempéries,
juste avant de se rendre au bal des beautés.

Quelques instants après
à qui voulait bien l'entendre,
j'aurais dit que j'étais un grand bahut lourdement rempli.
Ouvrez-moi donc un tiroir
pour y trouver pêle-mêle
vaisselle de mes symboles
dont vous userez au quotidien.

Rêver de mes décorations peintes
sur la tasse de mes remises en questions,
ici une scène pastorale explosive de par ses parfums,
là une intrigante en robe grand-siècle
qui agite les jupons de notre destinée humaine,
et j'en frémis.
Si le monde est un tian,
en tant que courgette soignée,
je compte bien lui ajouter au plus vite
mon rang.

Et Sébastien Granjon, notre PDG,
m'a énoncé ses directives.
Je dégageai comme un musc de conquête,
un avant-goût de victoire
qui donna un autre scintillement
à la lumière de son bureau.
Comme un gaz inflammable.

Il le perçut, peut-être, il devint nettement plus détendu,
comme sûr de moi,
comme excité par mes scrupules proactifs.

À cet instant précis, il lui avait été impossible
de dire s'il était ou non marié,
et si oui, combien de fois.

Un homme neuf et nouveau
me tendit le dossier d'études préliminaires au chantier,
résultats de carottages et plans de coupe,
tests de stabilité.
À ce moment, je me retins de respirer
pour ne pas le confondre avec Hulk.

On était devenus des pionniers.
« Tu te rends compte », lui dis-je,
« c'est la même histoire que les Américains
lors de leur conquête de l'Ouest,
sauf que pour nous, tout est en plus grand ! »
Il me sourit,
j'eus alors l'affreuse impression
d'avoir mis trop de rouge à lèvres,
mais encore pas assez,
pour pouvoir lui répondre
avec la même démesure élective.

« Le présent nous vivait goulûment »,
mais, moi, j''étais déjà en 2025 dans ma tête
lorsque je réunis mon équipe
que je voulais la plus concrète qui soit.
Il y en avait de la traverses à refaire, à créer.

Les mois passèrent,
et je ressemblai de plus en plus à une aventurière.
Ce vent d'émancipation atteint son summum
le jour où je vis dans le miroir de mon Algeco privé
un tatouage en forme de piolet
que j'avais comme une ombre,
derrière ma croix dorée
qui perlait au bas de ma chaîne en or.
« Peut-on stratifier autant de mondes et d'époques en nous ? »
me lançai-je
avec une voix qui me parut bien étrangère.

C'est pourtant grâce à elle
que j'animais tous mes ouvriers de chantier,
tel un bumper
qui charrie plusieurs boules qui joueraient en même temps.

Bien qu'étendu sur plusieurs années,
le projet était « à portée d'immédiateté »
tant on y mit une ardeur inaltérable.

Chaque jour de labeur passait
pour une invention supplémentaire
de nature à précipiter la date de livraison du chantier.
Je compris alors que j'aimais terriblement mon métier.
Mes rêves s'étaient d'ailleurs
totalement confondus avec la réalité
si bien que je ne me suis jamais rendue compte
que j'avais perdu ma belle montre
en diamants éternels,
un cadeau que m'avait pourtant offert Sébastien
grâce à ses nombreux détournements de fonds publics.

De toute façon, en ces temps-là,
on n'avait plus peur de rien
tant nos relations empruntaient de plus en plus
un chemin que je dirais « cosmique ».

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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