SAMEDI 7 MARS 2009
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
" L'espérance des expériences "

Animation : Régis MOULU

Auteure invitée :
Claudine VUILLERMET

Thème :

Les certitudes revisitées

La proposition d'écriture est dans un 1er temps de dresser la liste de vos certitudes (ou fausses certitudes que vous aurez eu la malice de créer)…
puis, dans un 2me temps vous y adjoindrez pour chacune d'entre elles une observation simpliste, une note brève ou un souvenir très personnel.
Enfin, en les réorganisant dans l'ordre de votre choix dans un 3me temps, vous constituerez votre quais autoportrait fragmentaire (en quelque sorte votre philosophie de vie).

Exemples (tirés de "je sais", de Ito Naga, Cheyne, 2007) :
10. Je sais qu'on se représente toujours l'au-delà comme le cosmos. Pourquoi pas comme un terrier de lapin?
160. Je sais qu'avec la fatigue, le corps apparaît comme une malle à traîner : de métro en autobus, d'escalier en escalier.
161. Je sais que curieusement, transporter le corps dans d'autres endroits du monde le repose."

Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support présentant la construction des proverbes a été distribué... Cool !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Ci-après quelques textes produits durant la
séance, notamment (dans l'ordre):

- "Maman" d'Aurélie BOCCARA

- "No man's land" de Claudine VUILLERMET

- "Escalier B" de Mag LOPEZ

- "15 novembre 1996" par Janine NOWAK

- "Foi mauvaise" de Céline CORNAYRE

- "Bouffée d'hère" de Marie-Odile GUIGNON



"Maman" d'Aurélie BOCCARA

Ma maman, elle est belle et elle est blonde et au contraire du proverbe qui dit : les blondes ne sont pas très futées, ma maman elle, ne l'est pas.
La preuve qu'on peut être blonde et intelligente.
Elle était professeur de mathématiques.
La preuve qu'on peut être blonde et aimer les sciences.
Ma maman, elle a épousé un homme juif tunisien.
La preuve qu'on peut être blonde et ne pas être raciste.
Ma maman, elle est mariée à mon papa depuis bientôt 44 ans.
La preuve qu'on peut être blonde et une bonne épouse.
Ma maman, elle a trois enfants.
La preuve qu'on peut être blonde et être une bonne mère.
Ma maman, elle est sérieuse, elle " gueule " parfois, mais elle est tellement douce.
La preuve qu'on peut être blonde et savoir doser son opinion et son tempérament.
Ma maman, elle est belle, tout simplement.
La preuve qu'on peut être blonde et belle.
Ma maman, c'est la plus aimante des mamans.
La preuve qu'on peut être blonde et avoir des sentiments profonds.
Ma maman, elles est tout simplement géniale.
La preuve qu'on peut être blonde et être unique.
Ma maman, elle est unique et surtout elle ne ressemble à personne.
La preuve qu'on peut être blonde et être singulière.
Ma maman, elle est très bonne cuisinière.
La preuve qu'on peut être blonde et " cuistot " de premier ordre.
Ma maman, elle sait tout faire, du facile au compliqué et inversement.
La preuve qu'on peut être blonde et avoir plusieurs cordes à son arc.
Ma maman, elle est une étoile magique parmi de multitudes petites étoiles qui scintillent pâlement.
La preuve qu'on peut être blonde et ne pas forcément briller que sur Hollywood Boulevard. Ma maman, elles est extrêmement douce et gentille.
La preuve qu'on peut être blonde et ne pas ressembler à un personnage d'Agatha Christie.
Ma maman, c'est ce que je voudrais devenir.
La preuve qu'on peut être blonde et avoir des supporters.
Ma maman, c'est la numéro 1, la première, la first, the number 1 des mamans.
La preuve qu'on peut être blonde et faire partie du Tiercé gagnant.
Ma maman, elle est belle, c'est même une très belle femme.
La preuve qu'on peut être blonde et ressembler à Michèle Morgan (elle est plus " classe " que Marilyn Monroe, en plus, elle c'était une fausse blonde).
Ma maman, elle a de " culture ", c'est quelqu'un d'érudit.
La preuve qu'on peut être blonde et aller au cinéma, écouter les informations ou encore lire un livre.
Ma maman, elle a toujours su prendre les bonnes décisions au bon moment.
La preuve qu'on peut être blonde et être prévoyante.

Ma maman, elle a su, elle sait et elle sera toujours aimer.
La preuve qu'on peut être blonde et avoir du cœur.
Ma maman, je voudrais en tous points lui ressembler.
La preuve qu'on peut être blonde et se refléter et pas comme Narcisse, qui est tombé dans le lac.
Ma maman, elle remporte tous les championnats du monde, de la terre entière de sudoku.
La preuve qu'on peut être blonde et savoir jouer avec les chiffres.
Ma maman, elle pourrait être une chanson.
La preuve qu'on peut être blonde et aimer la musique et avoir de l'oreille.
Ma maman, elle pourrait être une recette de cuisine.
La preuve qu'on peut être blonde et savoir apprécier de bons petits plats.
Ma maman, elle pourrait être une douce sensation.
La preuve qu'on peut être blonde et aimer le bruissement d'une rose, tombée d'un vase, sur la peau.
Ma maman, elle pourrait être une vision extraordinaire.
La preuve qu'on peut être blonde et ne pas porter des lunettes.
Ma maman, elle pourrait être une fine odeur.
La preuve qu'on peut être blonde et avoir un odorat développé ou plutôt savoir développer son odorat.
Ma maman, elle pourrait être une musique sensationnelle.
La preuve qu'on peut être blonde, et avoir de l'oreille.
Ma maman, elle aurait pu être une championne de Formule 1, et cela dans toutes les catégories.
La preuve qu'on peut être blonde et polyvalente.
Ma maman, tout ce que je sais d'elle est encore à découvrir.
La preuve qu'on peut être blonde et aimer les explorations.
Ma maman, elle aurait fait un excellent médecin.
La preuve qu'on peut être blonde et savoir " manier " les instruments.
Ma maman, elle pourrait être une excuse.
La preuve qu'on peut être blonde et savoir mentir (de son propre chef).
Ma maman, elle pourrait être un instrument de musique.
La preuve qu'on peut être blonde et savoir " jouer " (la comédie).
Ma maman, elle pourrait être à elle seule, un grand morceau de Beethoven, ou de Mozart.
La preuve qu'on peut être blonde et savoir jouer les gros bras.
Ma maman, elle, pourrait représenter toutes les mamans.
La preuve qu'on peut être blonde et universelle.
Ma maman, elle est la seule sur terre.
La preuve qu'on peut être blonde et unique.

Et mon papa, dans tout ça ?
Eh bien, mon papa, il pourrait lui aussi faire partie des " Certitudes Revisitées " de Régis Moulu, mais ce sera pour une prochaine fois…



"No man's land" de Claudine VUILLERMET

Personnages : Ciboulette, Navet et La récitante.

La récitante : Navet et Ciboulette attendent. Ils ne savent pas ce qu'ils attentent. Non, ils n'attendent pas Godot. Je sais que vous avez tout de suite pensé qu'ils attendaient Godot. Eh bien détrompez vous. Oubliez vos certitudes. Vos savoirs. Votre culture. Qu'elle soit théâtrale, littéraire ou culinaire. Dites vous que la nuit porte sommeil. Le sommeil de la pensée est notre avenir à tous. Ça, il ne faut surtout pas le perdre de vue. Donc regardez les. Calmement. Ecoutez les. Faites comme si vous ne saviez rien. Rien de rien. Un point c'est tout.
Ciboulette : Tu as entendu ? Y'en a un, il a dit dictature. Et l'autre, il a dit démocratie. (Temps) Tu sais toi ?
Navet : La dictature c'est ferme ta gueule et la démocratie c'est cause toujours.
Ciboulette : Ah ! Bon. (Temps)Mais quand celui qui dit ferme ta gueule continue à causer. Ça s'appelle comment ?
Navet : ça s'appelle (Temps) Aux grands mots les grands dictionnaires !
Ciboulette : Les grands actionnaires ?
Navet : Tu comprends vraiment rien ma pauvre !
Ciboulette : Alors disons : aux petits mots les petits dic actionnaires.
Navet : Pourquoi petit ? Tu me contredis toujours.
Ciboulette : Ben oui. Petit à petit l'oiseau fait son nid. Et son cui cui. Navet : Pardi ! Ah ton qu i parlons en ! (Temps)
Ciboulette : Pourquoi on ne parlerait pas plutôt de ton Ego ?
Navet : Tu n'oserais tout de même pas dire que je suis égoïste ?
Ciboulette : Eh pourquoi, je n'oserais pas !
Navet : Moi. Egoïste ? Sais tu au moins ce que signifie le mot égoïste ?
Ciboulette : Un égoïste c'est quelqu'un qui ne pense pas à moi. Et c'est tant mieux parce que cela m'évite de penser à lui.
Navet : Quand je pense à tous les baisers que je t'ai faits. (Temps) Dans le temps.
Ciboulette : Moi, dans le temps. (Temps) Quand j'étais encore une jeune fille. (Temps)Ma mère me disait : mieux vaut rater un baiser que de se faire baiser par un raté. (Temps : elle regarde Navet qui reste muet). Si j'avais su !
Navet : Si tu avais su quoi ?
Ciboulette : Que les ratés sont ceux qui excellent dans l'art de baiser les autres.
Navet : Dis donc, tu as l'air d'en savoir beaucoup sur le sujet !
Ciboulette : Petit à petit, l'oiseau fait son cui cui.
Navet : Ah ! J'avais oublié. Ton Qu i !
Ciboulette : Oui. Ben moi. Je n'ai pas besoin de grands mots, ni de grands dictionnaires pour dire les choses. Ils sont dans mon coeur les mots. (Elle porte la main à sa poitrine. Puis elle sort son mouchoir et mouche fortement).
Navet : Ciboulette. Calme toi ! Fais comme moi. Attends.
Ciboulette : Je me demande bien ce qu'on attend !
Navet : Tu n'as pas besoin de te demander. Cela va arriver.
Ciboulette : Qu'est-ce qui va arriver ?
Navet : Il finit toujours par arriver quelque chose.
Ciboulette : Tu crois ?
Navet : C'est dans l'ordre des choses.
Ciboulette : Je me demande à quoi peut bien ressembler l'ordre des choses.
Navet : La visite fait toujours plaisir.
Ciboulette : Si ce n'est en arrivant, c'est en partant…
Navet : Voilà. Je sens que tu commences à comprendre.
Ciboulette : Et toi tu pars quand ?
Navet : Comment ça, je pars quand ?
Ciboulette : Ben Oui. Depuis le temps que t'es là !
Navet : Tu t'en rappelles de la première visite ?
Ciboulette : Ce dont je me rappelle c'est que depuis, ton Ego n'arrête pas de grossir. (Temps : elle regarde Navet qui reste muet). De proliférer.
Navet : C'est parce que tu ne penses pas assez à moi.
Ciboulette : Moi ! Je ne pense pas assez à toi ?
Navet : Tu l'as dit tout à l'heure !
Ciboulette : Allez ! Cause toujours, tu m'intéresses !
Navet : Ne me parle pas sur ce ton !
Ciboulette : Sur quel ton tu veux que je te parles ?
Navet : Cause toujours, tu… Tout de même !
Ciboulette : Ne m'as-tu pas dit que la démocratie c'est cause toujours ? (Temps : elle regarde Navet qui essaie de rester muet.)Bon. Nous les femmes on nous reproche toujours de trop parler. Eh bien si la démocratie c'est cause toujours, cela veut dire que la démocratie c'est nous ! (Temps. Elle le nargue !) Ah ! Tu te retiens de parler là ! Mais je les ai vus tes lèvres. Je les ai vues bouger. Tu avais envie de le dire ferme ta gueule ! Pas vrai? Je les vues ! ça bougeait. Je crois même que j'ai entendu marmonner ! Le souffle là ! Le pfft. Ah ! Je te connais ! (Temps.) De toute manière, quand tu ne dis pas ferme ta gueule, tu te retiens et puis cinq minutes plus tard tu dis " vas te faire foutre ! " Et si j'y allais vraiment me faire foutre. Dieu seul sait ce qui pourrait arriver !
Navet : Bon. Là tu cherches à prendre le pouvoir par la parole. Ciboulette.
Ciboulette : Oh ! Ne joue pas les intello ! Aux grands mots les grands dictionnaires ! Cela ne te ressemble pas.
Navet : Qu'est-ce qui me ressemble alors ? Tu le sais ce qui me ressemble?
Ciboulette : Eh bien… La culture c'est comme la confiture par exemple !
Navet : Ciboulette ! Tu te souviens ! Quand on allait se promener dans les bois tous les deux ! On cueillait des airelles. Puis après tu nous confectionnais une de ces confitures de derrière les fagots. Je me souviens. Tu touillais. Tu touillais. Puis après tu collais des petites étiquettes sur les pots. En fait tout d'abords, tu écrivais minutieusement la date sur chaque petite étiquette et puis…C'était en quelle année déjà ?
Ciboulette : Me souviens pas.
Navet : Dis. Ciboulette, ça te plairait, qu'on aille faire une promenade dans les bois demain ? On cueillerait des airelles ! Ce serait comme au premier jour !
Ciboulette : Justement. Ce n'est plus du tout comme au premier jour.
Navet : Si on essayait !
Ciboulette : Tu attends quoi au juste ?
Navet : Je sais pas. (Temps)J'attends …(Temps) Je t'attends.
Ciboulette : Ah ! Bon. Finalement c'est moi que tu attends ?
Navet : Comme au premier jour. Ciboulette. (Temps)Comme au premier jour. (Temps très long.) Alors. Demain. (Temps un peu plus court.) Tu veux ?
Ciboulette : On verra. (Temps) La nuit porte sommeil.
La récitante : Sur ces mots, Ciboulette sort. Navet, lui, s'allonge sur le sol. Il ferme les yeux et semble s'endormir. Vous pouvez percevoir un léger sourire sur ses lèvres. Il dit dans un murmure : " La nuit porte sommeil. "



"Escalier B" de Mag LOPEZ


Ma concierge a des lettres (en dehors du courrier
qu'elle est censée remettre à tous les locataires)
elle fait des citations à longueur de journée
dont certaines, croyez-moi, n' sont pas piquées des vers !

Quand la femme de m' sieur Paul a du appeler l' SAMU
elle n'a pas hésité à donner son point de vue !
"Si à cœur vaillant il n'est rien d'impossible,
à cœur défaillant, l'infarctus est nuisible !"

"Quand il y en a pour deux, il y en a pour quatre !"
Celui qui avait dit çà l'avait un peu saumâtre
car elle a répliqué à l'adresse de son frère :
"Ben c'lui qui mange comme quatre, restera célibataire !"

Pense-t-elle aux étrennes quand, pour Noël elle dit :
"Un sou c'est un sou. Mais pas d' sous !... C'est du souci !"
Elle détourne les phrases de façon lapidaire,
les formules qu'elle emploie vous laisse le cul par terre !

"Si à cheval donné on n' regarde pas les dents
à quoi pense mon dentiste qui exerce à Longchamp ?"
ou alors : "L'avenir est pour c' lui qui s' lève tôt ?
Ben comme j'en ai aucun, je retourne au dodo !"

Elle a une libido dont je peux témoigner
vu ses râles lascifs qui montent dans l'escalier.
Comme on connait ses saints, dit-on, on les honore !
Son époux, semble-t-il, lui aussi les adore !

J'en ai même pour preuve c' qu'elle a osé me dire :
"Là où y a mon Eugène, il y a du plaisir !
Si c'est dans les vieux pots qu'les soupes sont les meilleures
chuis pas près de changer mes gamelles à cette heure !"

Dans la cour, l'autre jour, elle a admonesté
des jeunes qui râlaient contre la société :
"Ici, tu ouvres ta gueule !... Ailleurs on t' la fait taire
de façon radicale, voire, à six pieds sous terre !"

Ils n'ont pas pipé mot ! Faut dire que la pipelette
ne se laisse conter ni chanson, ni fleurette :
"Chacun chez soi, les mobylettes seront bien gardées !
A bon emmerdeur, salut ! " Et elle s'est éclipsée !



"15 novembre 1996" de Janine NOWAK

 

Deux hommes, assis à la terrasse abritée d'un café. Pierre : On dit qu'il est déconseillé de boire de l'alcool avant midi. Mais… il doit bien être midi quelque part dans le monde, non ?!?

Il échange un clin d'œil avec son ami Paul, puis ils trinquent.
Passe une jeune fille, court vêtue.


Paul : Regarde cette fille. Elle et les autres portent des tenues qui dévoilent tout à présent ! Elles vont bientôt se promener à poil !
Pierre : Hé, hé ! Si elles sont toutes aussi bien roulées que celle-ci, ce ne serait pas pour me déplaire ! Quoiqu'il en soit, elle n'est pas la seule à montrer des bouts de peau. Par exemple, tout le monde sait que le Dalaï-Lama - qui est pourtant quelqu'un de très respectable - a toujours un bras et une épaule dénudés, même en hiver. Peut-être que son Dieu est bienveillant et le protège des rhumatismes ?
Paul (malicieux) : Hé bien moi, je pense que ton Dalaï-Lama a un point commun avec le Manneken-Pis à Bruxelles : ils ne sont frileux ni l'un, ni l'autre !

Ils trinquent … pour se réchauffer.


Pierre : Au fait, où en es-tu avec tes récents soucis de santé ?
Paul : C'était bénin ; mais j'ai pris le taureau par les cornes et je me suis fait tout de suite opérer. Car, si je suis sûr d'une chose, c'est bien de celle-là : en cas de problème, il faut toujours réagir vite et s'attaquer aux racines du mal et à ses causes profondes. Sinon, comme disait ma Grand-mère, avec son solide bon sens : " le traitement ferait autant d'effet qu'un emplâtre sur une jambe de bois ".

Ils trinquent à la mémoire de la Grand-Mère de Paul.


Paul : Puis-je, sans être trop indiscret, te demander ce que deviennent tes vacillantes amours ? Pierre : Terminées. On commence par caresser des illusions, puis, immanquablement, on finit par les perdre. Pourquoi n'existe-t-il pas un " bureau des illusions perdues " aux " objets trouvés ? "
Paul : Pas bête. Mais bon, c'est la vie. Se lamenter ne servirait à rien. Aussi, un seul mot d'ordre : aller toujours de l'avant et surtout, oh oui, surtout, ne pas oublier de saupoudrer sur notre existence, le grain de sel du saugrenu. Vive la fantaisie !

Ils trinquent à la fantaisie.


Pierre : Tu as raison, Paul, soyons futiles. Car - et ce n'est pas toi qui vas me soutenir le contraire - il y a déjà tellement de choses qui nous sont imposées partout, qu'il ne faut pas se mettre encore des barrières.
Paul : Absolument. Ainsi donc, pourquoi vouloir continuellement tout remettre en ordre ? La " Tarte Tatin ", par exemple…

Pierre le regarde sans comprendre.


Paul (poursuit) : Oui, " la Tarte Tatin " ! Hé bien, une " Tarte Tatin " à l'envers… redeviendrait une tarte aux pommes très ordinaire. Alors, de grâce, ne changeons rien !
Pierre (badin) : Et puis moi je sais, que même dans une casserole carrée, du lait qui manque de fraîcheur, ne pourra pas s'empêcher de tourner !

Il pouffe, attrape son verre, constate qu'il est vide, lève une main pouce vers le bas, en direction du garçon qui habitué à ce geste, renouvelle illico les consommations.


Paul : Dis donc, as-tu des nouvelles de ton neveu Michel ?
Pierre : Ah, le pauvre, toujours les mêmes problèmes dans son couple. Son épouse est incorrigible. Tu te souviens du roman qui s'intitulait : " L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux " ? Hé bien lui, le malheureux, il est tombé sur " la femme qui ment à l'oreille de son mari " ! Paul : Oh, avec l'âge, un jour, tout rentrera dans l'ordre. On affirme " qu'après la pluie, vient le beau temps ". L'ennuie, c'est que c'est parfois long à arriver, l'accalmie. Il faut de la patience, voilà tout.
Pierre : Et puis, qui est parfait, ici-bas ? Nous avons tous nos qualités et nos défauts. La chair est faible. Et c'est bien connu : tout le monde à son talon d'Achille… Sauf… peut-être… les serpents et les poissons… après tout !

Ils gloussent et boivent un p'tit coup
.

Paul : Et Jacques, tu lui as rendu visite récemment ? Sa sortie est prévue pour dans deux mois. Il doit commencer à trouver le temps long dans sa cellule, avec ses deux codétenus.
Pierre : Il n'a qu'à fermer les yeux.
Paul : Fermer les yeux ??? Et alors ?
Pierre : Hé oui, qui sait ? Fermer les yeux dans une prison, permet peut-être de " s'évader " ? Même si ce n'est qu'en pensée, ce serait déjà " un plus ".
Paul (constate) : Il commence à faire frisquet et il ne va pas tarder à pleuvoir. Il est vrai qu'une promenade sous un parapluie peut-être pleine de charme, mais à la seule condition d'être bien chaussé, car c'est par les pieds qu'on prend froid. Et après, " gare au rhume de cerveau " comme disait encore ma Grand-Mère. Et pourtant, le cerveau est loin des pieds ! Comprend qui peut ? Bon, c'est pas tout, si on allait chez moi ?

Pierre acquiesce. Ils se lèvent, cheminent un moment et se retrouvent dans le salon de Paul qui cherche en vain sa bouteille de whisky.


Paul : Notre maison, c'est notre univers, et on croit le maîtriser. Mais les objets sont plus malicieux qu'on ne pense : quelques fois ils résistent et prennent un insolent plaisir à se cacher. (Il enchaîne :) Et alors, Pierre, comment trouves-tu mes nouveaux fauteuils ? Ils en imposent, non ? Pierre : Oui, oui, ils sont très beaux, tes sièges. Mais moi, je ne suis pas compliqué : du moment que j'ai quelque chose pour poser mes fesses, hein ? Parce que, je vais te dire : " Sur le plus beau trône du monde, on n'est jamais assis que sur son cul " ! C'est Michel de Montaigne qui a fait cette affirmation, voici cinq siècles. Et cela reste d'actualité. Sauf que, depuis ces temps lointains, les monarques sont moins nombreux.
Paul : Et cette retraite, c'est pour bientôt ?
Pierre : Oui, déjà l'an prochain. Que veux-tu … Quoi que l'on fasse, le temps nous emporte. Hélas oui, il passe, il passe… et puis on trépasse !
Paul : Ne serait-il pas doux de vivre en Arizona, près de Phénix, histoire de renaître de nos cendres ?
Pierre : Ah … Etre … ou ne plus être !
Paul (prenant l'accent anglais) : Aouh ! C'est ma foi vrai " Peter ", tu es à moitié Anglais ! Et ce qui est sidérant, c'est qu'aucun Britannique, quelles que soient ses origines, ne parvient jamais à se désintoxiquer de Shakespeare !
Pierre : Et alors ?
Paul : Alors, rien. C'est juste histoire de causer. Seulement, moi je suis désespérément terre-à-terre. Foin de poésie. Tu veux connaître ma philosophie à moi ? C'est très simple : je sais que deux et deux font quatre, que quatre et quatre font huit, et ainsi de suite, sans limite. A chaque fois, on double la mise. Bon, je vais plutôt compter ma fortune, ce sera plus vite expédié.
Pierre (goguenard) : Hé bien moi, je sais qu'il existe des âmes simples qui n'ont jamais été effleurées par le doute métaphysique…
Paul (plisse le front et regarde Pierre d'un air dubitatif) : Je ne te suis plus. Je sens derrière tes propos, quelque chose qui ne m'est, peut-être, pas très favorable…
Pierre : Qui aime bien, châtie bien. J'asticote volontiers mes amis. Mais surtout, je t'en prie, ne sois pas fâché ! Tu sais comme je suis : j'ai toujours quelque chose à dire ou une remarque à faire. Ainsi donc, je papote beaucoup… beaucoup trop, probablement, au risque d'agacer. Cependant, une chose est certaine : être volubile est parfois le meilleur moyen de se taire. On peut être bavard pour des vétilles, mais discret sur les évènements graves nous concernant. Tel est mon caractère : j'ai l'air léger, en apparence, mais mon moi profond est très sérieux, voire sévère. Et j'ajoute (et là, je ne rigole plus) : l'amitié est, pour moi, une denrée fondamentale. Sans réciprocité, le sentiment amical n'est qu'un leurre. Je tiens trop à toi, vois-tu, pour me payer ta tête pour de bon.
Paul : Et puis, nul n'ignore que les insultes dégradent plus ceux qui les profèrent, que ceux à qui elles sont adressées. Remarque… d'un autre côté… parfois… qu'est-ce que ça défoule de lâcher quelques propos bien sentis à un malotru !

Ils trinquent à l'amitié (car Paul a depuis longtemps retrouvé sa bouteille). Pierre : Dis, tu le mets, notre disque. C'est aujourd'hui son anniversaire.


Paul pose sur sa platine un vieux 45 Tours. Et c'est d'un air recueilli, que ces deux là écoutent Jean Gabin l'idole de leur jeunesse, mort vingt ans auparavant et à qui, fidèlement, chaque année, à la date précise, ils rendent hommage à leur manière.
La chanson s'intitule : " Maintenant, je sais ".
Le texte se termine par ces paroles :


" Il y a 60 coups qui ont sonné à l'horloge.
Je suis encore à ma fenêtre, je regarde et m'interroge.
Maintenant, je sais : je sais qu'on ne sait jamais.
La vie, l'amour, l'argent, les amis, les roses,
On ne sait jamais le bruit ou la couleur des choses.
C'est tout c'que j'sais. Mais ça, j'le sais … ! ".


"Foi mauvaise" de Céline CORNAYRE

Mokhtar et Flo, depuis 3 ans ensemble…

Lui : C'est pour quand ?
Elle : vendredi
Lui : Pourquoi on commence par tes parents ?
Elle : Je sais que les tiens ne sont pas prêts
Lui : Les musulmans sont tous des fanatiques, c'est cela ?
Elle : oui, surtout le matin …. Tu sais qu'on sera obligés d'y passer. C'est écrit.
Lui : Les écritures aussi ?
Elle : La religion, c'est comme les prises électriques, ça fausse le courant
Lui : En toi, je crois
Elle : J'entends d'ici ma mère : " Là où il y a de la mixité, y a pas de plaisir ! "
Lui : Et ton père ? Il va me prendre pour un terroriste si je ne me rase pas ?
Elle : Non …. Mais tu peux te raser, si tu veux
Lui : Et les enfants ?! J'entends d'ici : " on les fait rapetisser ou on les jette dans le vin ?! "
Elle : Tant va la cruche, elle tombera des nues
Lui : Tous les catholiques sont des béni chi-chi, regarde ta mère
Elle : Tous les musulmans sont infidèles et bêtes, même ceux qui ne le sont pas
Lui : Oui. Les chiens aboient, Et nous, on se tasse
Elle : Et ton entretien ?
Lui : Oui. . Tous les perdants ont tenté leur chance ?
Elle : Ton CV non anonyme aurait-il par mégarde échappé aux affres de la poubelle ?
Lui : Oui. J'avais une furieuse envie de chanter : " Allo maman, bobo … " J'ai déchanté.
Elle : Le DRH ?
Lui : " Ces beurs, tous à mettre dans le même jambon "
Elle : Et : " faut pas confondre classification et discrimination "
Lui : J'aurais dû jouer au foot, si tu gagnes, t'es français. Au moins, t'as une chance !
Elle : T'en fais pas, va ! Avec un suppo, va, tout s'en va !
Lui (hilare) : Merci de me redonner l'envie de sourire ! Si tu n'étais pas là, j'irais faire les courses ! Comme Marijane.
Elle : Persépolis ?
Lui : Oui.
Elle : ça me fait penser au ménage.
Lui : Oui ?
Elle : La séparation des tâches domestiques ne manquera pas de questionner ma chère maman.
Lui : Tu vas passer pour la fatma de service en turban et balais au milieu !
Elle : Et toi pour un macho trempé de paresse et rompu d'arrogance.
Lui : La paresse est mère de sûreté !
Elle : Et la vanité est notre mère à tous ! Surtout celle des autres !
Lui : Chacun pour soi et nous contre tous ?
Elle : Mes parents ne sont pas si méchants …. Un peu seulement..
Lui : beaucoup, à la folie …
Elle : Pas tout à fait pas du tout je te l'accorde.
Lui : C'est quand déjà ?
Elle : Vendredi.
Lui : Et pour notre enfant, on dit quoi ?
Elle : Je sais.
Lui : Bourca ou jean ?



"Bouffée d'hère" de Marie-Odile GUIGNON

Une bouffée d'hère L'aveu nuit à ceux qui se lèvent tôt. L'habitude ne fait pas l'émoi donc il attendait que le soleil brille pour les autres afin de mettre tous ses nœuds sur le même palier qu'il n'avait plus, car, pauvre comme Crésus il dormait sous une tente à la mode iglou dans un coin de paradis perdu auprès de son arbre où il vivait mal, heureux.
Dans une autre vie il prêchait le beau pour l'avoir sans frais... Et... tant va la bûche à l'eau qu'à la fin elle échoue... Il avait pris des vessies pour des inventaires, son temps ne fit qu'un tour, il se retrouva sur le barreau, jugé jusqu'au cou, il subsista la tête haute jusqu'à la saison nouvelle car tout vient à temps à qui n'a plus besoin d'attendre et rien ne sert de mourir tôt : il faut avoir vécu. Donc depuis il s'exerçait à vivre de l'air du temps.
Maintenant qu'il était sorti du rang il reconstituait sa carapace avec os et coutures en observant les choses d'un autre écueil. Par exemple :
Si vous êtes sur un pont il faut baisser la tête pour voir l'eau et réfléchir avec elle pour apercevoir le ciel...
Si vous êtes sous le pont, c'est que vous êtes dans l'eau, soit pour noyer votre chagrin soit pour boire la tasse…
Chaque jour il partait à l'aventure à la recherche du monde à retrouver.
Dans la ville le métro ou le bus, les transports de ses pensées faisaient naître d'autres maximes comme :
Pour garder la ligne, va à la pêche...
Et, de nouveaux points de vue panoramiques s'offraient à ses yeux : des tas de personnes s'entassaient comme des sardines, parce qu'il parait que ça conserve...
Et, il y avait cette mélopée contemporaine en continue où qu'il aille !
Des roulements claquements, grincements, crissements, brouhaha parce qu'il semblerait que la musique accapare les mœurs.
Et, des odeurs furtives, tenaces, légères et épaisses, lourdes et vaporeuses, subtiles parce qu'il faut avoir le nez fin.
Pour se nourrir il avait un bol de petit ogre ! A en être estomaqué !
C'était au dieu du cœur qu' il se rassasiait.
Parfois il s'installait dans un endroit à l'ombre pour regarder le monde grouiller et cela lui donnait des certitudes :

Des kilomètres à pieds ça usent les trottoirs des chaussées…
Ce sont les chiens qui promènent leurs maîtres et non le contraire. Si toutes les voitures étaient peintes en vert, la ville ressemblerait à la campagne.
Heureusement que tous les gens n'ont pas le sourire parce qu'on aurait l'impression de voir des êtres dupliqués.
Il ne faut absolument pas que tout le monde parle la même langue parce que le charabia risquerait de disparaître et ce serait une catastrophe acoustique.
Respirer à pleins poumons de l'air pollué développe le sens de l'adaptation au fil des siècles et donc contribue à l'évolution de l'espace.
A chaque page sa marge : les phrases sur la page, lui dans la marge, il est le résultat, l'observation, l'annotation, la question, le conseil, l'explication... Le signal en rouge indispensable quoi ! Pas de marge pas de signal. Les rouges s'enlacent et ne se ressemblent pas.

Parfois encore, il allait de cédille assit là comme un chevalier sans heure et sans ressort dont l'aveu n'en valait pas le recel...
Quand il avait perdu la lettre lorsque la nuit tous les pas sont mis, il regagnait ses menottes, sa cour des mirages dans l'enfer doré dont il n'était pas le prisonnier car il avait l'éternité comme loi.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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