SAMEDI 8 DECEMBRE 2012
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"J'écris comme d'autres peignent"

Animation : Régis MOULU

Thème :
Penser avec son outil (Cézanne)

Au cours de cette séance, il s'agit de penser avec son outil, c'est-à-dire user en même temps de son cerveau et de sa main afin de constituer une œuvre vibrante et solide ! A cela, Paul Cézanne ajouterait qu'il faut se mettre face à son sujet avec le parti pris de tout oublier... afin de commencer ses découvertes !

C'est intéressant de savoir ce qu'il se passe pour nos écrits lorsque, et le cerveau et la main sont à l'ouvrage ! Et c'est cela que nous avons expérimenté...

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet "écrire un texte qui parle de l'amitié qui permet de sortir de soi-même" a été énoncé en début de séance.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support a été distribué... Cool !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):

- "Si semblables, si différentes" d'Ella KOZèS

- "Et Barry sourit" de Christiane FAURIE

- "Jamais l'un sans l'autre" de Janine NOWAK

- "Cette amitié qui fait sortir de soi-même" de Régis MOULU

- "Histoire qui parle de l'Amitié" de Marie-Odile GUIGNON




"Si semblables, si différentes" d'Ella KOZèS

Devant la porte cochère d’un grand lycée parisien, deux jeunes filles se jaugeaient du regard. Leur petite taille tranchait dans la foule d’adolescents réunis en ce  jour de rentrée. L’une brune aux yeux bruns-verts, plutôt vive ; l’autre blonde, d’une blondeur presque blanche, les yeux lavandes, plutôt méfiante. Ni l’une, ni l’autre ne connaissait quelqu’un. Elles étaient visiblement nouvelles dans ce quartier du 3ème arrondissement.
Il est généralement admis que « qui s’assemble se ressemble » à moins que ce ne soit le contraire « qui se ressemble s’assemble ». En apparence, ces deux-là n’avaient rien en commun, à l’exception de leur petite taille. Pourtant, quelques mois plus tard, elles étaient devenues inséparables. Un curieux hasard les avait envoyées dans la même classe. L’alchimie de l’amitié avait ensuite opéré : Rachel et Marie n’avaient pas besoin de mots pour se comprendre. Une étincelle dans un regard annonçait un fou-rire. Un pli d’amertume se dessinait sur le visage de l’une. L’autre tendait alors une oreille attentive. Chaque attitude était immédiatement décryptée par le regard de l’autre, sans le moindre effort. Un affaissement de la silhouette, même de dos, alertait aussitôt l’amie attentive. C’était ainsi : elles se reconnaissaient l’une dans l’autre. Rachel était Marie. Marie était Rachel.
Une telle amitié les rendait plus fortes. Ce lien permettait à Marie de supporter un père brutal, une mère effacée. Chez elle, le Père régnait sans partage. Il entendait imprimer sa loi inspirée du célèbre triptyque : « Travail Famille Patrie ». Il régentait une famille de six filles avec un seul garçon. Voyant que sa fille aînée devenait femme, le tyran interdisait à Marie toute relation, même amicale, avec un représentant du sexe opposé. Il ne supportait pas le moindre retard, la plus petite entorse au règlement. La seule embellie dans la vie de Marie était Rachel. Sous des prétextes divers et variés, Rachel invitait Marie à travailler chez elle. Comme elles habitaient assez loin l’une de l’autre, cette invitation signifiait alors que Marie pouvait rester dormir chez Rachel.
Rachel vivait seule avec sa mère et sa sœur. Un vrai paradis pour Marie. Pas d’éclat de voix, pas de menace, pas de violence, pas de suspicion. Personne n’entrait brutalement dans les chambres pour voir si un interdit était en cours de transgression. Personne ne fouillait pour violer les secrets d’un journal intime. L’ambiance était plutôt feutrée.
Etouffante cette ambiance où personne ne criait, certes. Jamais un rire franc ne fusait. Ils manquaient à Rachel ces rires sonores, ces tons  masculins. Elle aurait aimé entendre que la vaisselle serait faite ultérieurement, pour laisser place aux jeux. Quels jeux ? Elle ne savait pas. Sortir, se promener, aller au cinéma. Par-dessus tout : rencontrer du monde. Rachel aimait se trouver au milieu d’une fête. Elle ne s’y amusait que rarement. Elle adorait observer jusqu’à l’envi les gens doués pour le bonheur. Cela lui permettait d’alléger sa peine. Quelle peine ? Elle ne savait pas non plus. Elle se demandait souvent ce qui la différenciait des autres. Elle savait qu’elle partageait avec Marie cet ennui. Sans en avoir jamais parlé, elles s’étaient reconnu cette même incapacité.
La joie des autres  les sortait de leur tristesse. Pendant un instant, elles osaient espérer un avenir pour elles. Le sentiment que leur route était bouchée s’évanouissait. La chape de plomb se soulevait. Le bonheur était à portée de leurs mains. Plus tard, elles se rassuraient en se murmurant qu’un jour, elles aussi, connaîtraient la joie dorée. Elles se racontaient qu’elles seraient éclatantes de félicité. Elles se disaient qu’elles connaîtraient la valeur de ces moments intenses. Elles savaient qu’elles détenaient déjà une parcelle de vérité par cette altérité qu’elles vivaient.
Elles ignoraient alors que vérité et bonheur ne font pas forcément bon ménage.
Elles devinaient cependant qu’elles pourraient toujours compter l’une sur l’autre, sans jugement aucun, dans le plus grand respect. Les occasions n’ont pas manqué.
Elles ne savaient pas que près de quarante ans plus tard, elles reprendraient leur dialogue interrompu, comme s’il avait cessé la veille. C’est à ce moment précis, qu’elles ont fait leur deuil des apparences trompeuses du bonheur. Elles l’ont fait dans un grand éclat de rire. Pas besoin de parole pour balayer la bêtise de leur jeunesse. Juste un peu de bleu lavande sur une chevelure brune ; juste une lueur qui illumine les sillons creusés par le temps. Elles avaient laissé sur le bord de la route les apparences pour privilégier l’authenticité. Elles n’avaient plus rien en commun avec ce qu’il est convenu d’appeler « les amis » ; ceux avec qui elles ont finalement partagé des fêtes.
D’évidence, elles  étaient devenues belles ; profondément belles.



"Et Barry sourit" de Christiane FAURIE

Barry est un vieux fou dit-on. Un vieil égoïste sûrement !
Il ne s’attache à personne, ne vit de rien. Quelle absurdité dans cet univers si prospère !
Tout lui est fourni. La lumière du soleil le jour et la lueur des rayons de lune quand le soir tombe.
Il ne paye rien, tout lui est dû !
Et Barry, lui, il sourit.
Sa maison, au fond du terrain vague, lui est donnée par quelques troncs d’arbres qui en ont assez de vivre attachés à leur tourbe. Ils s’honorent de constituer les flancs de son abri.
Maintenant blottis les uns contre les autres, ils chantent aux variations pluvieuses et s’émerveillent d’un arc en ciel qui les illumine.
Ils ne sont pas rancuniers d’avoir été soustraits à leur forêt !
Et Barry, lui, il sourit.
Les sièges aux abords de sa demeure sont constitués de rocs têtus arrachés à la montagne.
Ils prêtent leurs arêtes au moindre jupon frivole, aux manteaux neigeux, aux godillots des enfants criards.
Et Barry, lui, il sourit.
Ce n’est pas juste, tout lui est dû, il n’a qu’à se servir !
Et moi, je trime chaque jour pour gagner ma vie. Et quelle vie !
Levé au petit matin, réveillé à la lumière agressive des néons.
Surtout ne pas sortir du chemin tracé. Poursuivre ma route coûte que coûte.
C’est un métier noble qui t’honore, Michel !
La répartition des richesses pour permettre un monde plus juste.
Fonctionnaire des impôts, quel beau métier !
Oui mais Barry, lui, il s’en moque.
Les impôts, il ne connaît pas. La répartition des richesses, il ne sait même pas ce que ça signifie. Mais de la richesse, pourtant, il en parle à chaque instant.
La richesse, il dit, il suffit de se servir quand on en a besoin !
Le pis de la vache, tu crois qu’il calcule le taux de TVA avant de gicler entre tes doigts ? Il t’éclabousse de son trop plein.
Regarde ce pied de vigne, il ploie sous ses grappes charnues. Crois-tu qu’il arrête de se gorger de jus en raison du déficit du PIB ?
Il ne comprend rien à ce que je lui raconte !
Cette montagne, là en face de nous, elle est là depuis si longtemps, elle n’appartient à personne et pourtant, elle se paye le luxe de se montrer différente chaque jour pour le simple plaisir donné aux humains.
C’est de l’art absolu, pas coté à l’argus !
Tu ne peux pas prélever de dîme.
Et Barry, là, il sourit.
Ce qui te rend morose, c’est que tu cherches la vérité. Mais l’art, c’est un mensonge qui dit la vérité disait Cocteau.
La vérité, elle a besoin de l’art pour être approchée sans crainte d’en mourir.
Alors, tu choisis la vie ? Et Barry, lui, il sourit !
A quoi sert ta culture, elle t’emprisonne dans un monde normé où il faut tout se ressembler pour se reconnaître et exister ensemble. Mêmes codes, mêmes usages.
Observe ces peuplades qui vivent de leurs us et coutumes hérités de la nuit des temps. Elles arborent un sourire constant jusqu’à ce qu’un consortium les déloge manu militari, dévastant leurs terres pour plus de richesses accumulées.
Il m’énerve Barry, il veut toujours avoir raison.
Quelle est la bonne décision ? Y en a-t-il une ? Si c’était le cas, on le saurait.
N’est ce pas Barry ?
Il faut bien un chef dans tout ça. Celui qui nous montre la voie, celle qu’il faut suivre. Personne n’est vraiment libre Barry !

Barry, moi, j’ai la chance de le connaître. Je ne vivrai jamais comme lui mais ces moments passés sur cette pierre bouleversent ma vie.
Je le regarde avec envie!Quel plaisir à l’écouter, l’observer !
De son côté, il fait des efforts, en plissant son front, en se tordant les mains avec perplexité quand je lui décris le monde qui est le mien.
Nos différences se conjuguent à merveille. Nous sommes comme la montagne et le ruisseau qui la parcoure, la montagne et l’arbre accroché à son flanc qui lui donne cette belle carnation.
L’art nous réunit. Je peins et lui vit dans son tableau.
Moi, je mélange les couleurs sur la palette et lui, hume l’air qu’exhale la nature généreuse.
Barry sourit et moi aussi.

 

"Jamais l'un sans l'autre" de Janine NOWAK


Nietzsche conseillait de « toujours choisir ses ennemis avec soin parce qu’on finit par leur ressembler ».
Sage précaution.
Des ennemis ?
Je n’en ai pas.
Je n’en veux pas.
Je n’en aurai jamais.                                         
Je le sais.
Pourquoi suis-je si affirmatif ?
Parce que je ne suis pas concerné.
Facile à comprendre.
Un petit jeu.
Si j’étais une plante ? Je serais un cactus.
Si j’étais un animal ? Je serais un sanglier.
Si j’étais une terre ? Je serais une île déserte.
Si j’étais…
Bref, à quoi bon insister. Tout le monde aura deviné : je suis un solitaire.
Ceci dit, non, je ne fais pas fuir le monde.
D’un tempérament pacifique, il m’est possible, en toutes circonstances, de rester courtois, aimable, poli, correct, bien élevé, convenable, honnête, sincère.
La flagornerie n’est pas dans ma nature.
Il ne m’est jamais arrivé, non plus, d’échanger la moindre épithète malsonnante avec mes congénères.
Je ne recherche pas la société de mes semblables. Voilà ; c’est dit.
Je suis quelqu’un de réservé. Jamais personne ne m’a tapé sur l’épaule en s’écriant : «  Alors, Pablo, comment va ? ».
Oh, je ne repousse pas ; c’est bien plus simple : je reste distant, en marge; je ne fais rien pour attirer les autres.
C’est ce qu’il y a de plus rare au monde, un être humain capable de se taire !
Je n’ai aucune tare, aucune disgrâce physique. Je peux même dire que l’on me trouve séduisant, du genre « beau brun ténébreux ».
Mon regard est noir, ombrageux et je suis capable de dévisager les gens jusqu’à ce qu’ils cèdent et baissent les yeux. C’est une mise en garde universelle. On sait ainsi qu’il ne faut pas trop me chatouiller.
La compagnie des autres ne m’est ni odieuse, ni insupportable : elle ne m’intéresse pas.                                  Je les trouve trop avides de cancans, de rumeurs, de ragots. Ils me semblent lourds comme du Christmas Pudding enrobé d’une épaisse couche de graisse. Aussi, je les évite au maximum.
C’est comme leur façon d’être : ils ont toujours tendance à remâcher leur passé ou à vivre au futur. Ils ne s’inquiètent pas suffisamment du présent.
Ils aiment trop se compliquer l’existence. Ils se laissent facilement duper, encombrent leur esprit de futilités, s’agitent, s’excitent pour des riens.
Aussi, étant totalement hermétique à toutes les croyances de « Bonne Femme », il m’arrive parfois d’avoir des colères d’homme rationnel… colères rentrées, bien évidemment !
Moi, je n’ai pas de temps à perdre en semblables mômeries.
C’est comme pour le travail. Très tôt j’ai compris que m’entendre avec la hiérarchie ne faisait pas partie de mon patrimoine génétique. Me conformer à des rituels qui ponctuent la journée était pour moi inenvisageable. Rester assis avec d’autres à ramer à tour de bras sur une même galère ? Pouah ! Impossible ! Côtoyer des collègues à cheval sur les principes comme des sorcières farouchement cramponnées à leurs balais un soir de sabbat ? Hors de question !
Alors, j’ai choisi un job qui me laisse libre de mes mouvements, de mes idées.
On m’imagine accablé, cafardeux.
Certains affirment, narquois, que s’il m’est arrivé de rire, ce doit être très ancien, que ça doit remonter au déluge, à l’époque de ma prime enfance, et encore… !
Je semble être une anomalie pour les autres.
Tous ces gens sont convaincus que je ne sais que me gaver de mélancolie, que mon monde intérieur est tourmenté.
Erreur monumentale, méprise totale : il n’y a pas plus serein que moi.
Il m’arrive même d’être emporté par une vague de bonheur, une exaltation sans précédent. En pareil cas, c’est un vrai tourbillon qui me saisit ; je me sens comme soulevé par une tempête, une bourrasque.
Pourquoi ces emballements soudains ?
Hé bien, ces instants de pur bonheur, c’est à ELLE que je les dois !
Elle et moi, nous ne nous quittons jamais.
Cependant, cette jubilation, ne se voit pas sur moi. Mon visage reste figé, impassible. Pas un seul muscle ne frémit. Mes longues années d’autodiscipline me permettent de contrôler mes émotions.
Je me réjouis en dedans, seulement en dedans.
Parce que, tout est permis, en dedans !
Lorsque comme moi on n’a pas été élevé au lait de la tendresse humaine, il est difficile d’être d’humeur folâtre.
Voilà pourquoi on me croit de marbre, insensible, indifférent, lugubre.
Ah ! S’ils savaient tous comme je leur réponds dans ma tête !
Sans bouger je m’évade à ma manière. Il est nécessaire de savoir s’évader. Non, ce n’est pas une fuite. C’est juste un rétablissement d’équilibre.
Grâce à mon amie, je sors de la médiocrité ambiante.
Elle est si douce, si belle, d’une sauvage beauté sans artifice.
Ses formes sont voluptueuses. Je lui trouve une odeur de plein air, de fraîche nature, de vastes horizons, d’été lumineux, de chair que le soleil caresse et dore avec ardeur.
Car, faut pas croire : moi, le supposé taciturne toujours vêtu de noir, je raffole des couleurs, de la chaleur. Je suis né dans un pays d’exubérance, où tout est flamboyant, étincelant.
Aussi, jamais je n’abandonnerai le sud, sa lumière ocrée, les oliviers, les pins parasols, le chant des cigales, les fragrances de garrigue véhiculées par le mistral.
Et puis, par-dessus tout, il y a ELLE, ma compagne des bons comme des mauvais jours.
Elle peut se montrer légère, d’humeur allègre, voire badine, vibrante, irradier de joie de vivre. Dans ces moments là, elle me galvanise, me fait voir la vie en rose.
Ses mélodies feutrées, sa voix câline, laissent derrière elle, de suaves traces d’harmonies.
Sa musique aérée, aérienne, est à la fois simple d’accès et subtile dans les nuances.
Mais certains soirs, lorsque le crépuscule s’annonce par l’incendie du ciel, un voile d’une infinie tristesse l’enveloppe soudain. Elle distille alors une sorte de désespoir et ses accents déchirants arrachent les tripes des spectateurs.
Là, on ne sait plus qui est qui, qui fait quoi ?
Est-ce moi qui l’influence ?
Est-ce elle qui m’entraîne malgré moi vers cette désespérance ?
Quels liens peut-on établir entre nous deux ? C’est indépendant de ma volonté. Mes doigts ne m’obéissent plus. Je suis dominé par elle. L’amitié (ou l’amour ? La frontière est mince) que je porte à ma guitare me met en état second. C’est comme si elle buvait mon sang, suçait ma moelle
Je suis son esclave. A la fois son esclave et son maître. Sans elle, je ne serais rien. Et elle sans moi, ne serait qu’une chose, une chose belle à regarder, certes, mais sans âme.
C’est moi qui lui donne vie. J’ai ce privilège.
C’était écrit. Il fallait que notre rencontre ait lieu.
Elle s’est faite il y a vingt ans.
Depuis nous sommes fidèles l’un à l’autre.
Enchaînés.
Inséparables.
Siamois.


"Cette amitié qui fait sortir de soi-même" de Régis MOULU, animateur de l'atelier

L'amitié, un cadeau.
L'amitié, un cadeau qui ne s'achète pas
mais qui s'offre,

comme une boîte,
une boîte nacrée qui s'ouvre,
qu'on ouvre avec la main de l'abnégation
pour l'offrir aux yeux du cœur.

Dans cette boîte, des vapeurs se mettent à danser.
À sortir.
C'est un carnaval, la convocation des chairs.
Dans ces vapeurs, mille images, deux milles mirages, dix milles ouvrages.
Comme celui d'un chat qui nous attend, dans le brouillard.
Ou une mosaïque d'oiseaux, en migration, du cœur au cœur.
Un troupeau de lampions qui bougent, comme nos têtes enfiévrées.
Une agitation de feuilles orchestrée par un grand chêne adepte des coups de chiffon,
c'est vrai que nos vies sont faites d'accélérations et d'oublis.
Ou un cocktail de mots doux en suspension, avec l'agitateur de la parole qu'on se prête, inoxydable.
Ou une porte qui semble ouverte, ton ombre dans l'entrebaillure,
ou peut-être la mienne,
sans doute les deux nôtres qui organisent en silence le complot du bonheur,
l'amitié entre nous, ce serait donc tout cela,
tout cela, avec une intention ronde et chaude comme un coquillage,
un bulot à la plage
qui joue les pierrades,
le bulot, outil de massage,
le bulot, l'ami de ton oreille,
celui qui te parlera de la plénitude enroulée à l'infini en lui-même,
celui qui te donnera une joie sur ressort,
celui qui te fera caresser l'essentiel en partant de son squelette,
celui dont la limavce est partie en voyage,*
celui qui s'offre en coffre à rêves,
celui qui a la vacuité de laisser tes rêves le pénétrer,
celui que tu voudrais être,
celui qu'on va apprendre ensemble à devenir,

tends-moi ta liberté
afin que ma générosité la monte en mayonnaise,
et inversement,,

notre amitié, c'est surtout la certitude
qu'il nous restye du bon à venir,
et même qu'on se promettra le mieux,

voix, main, regard, écoute, sourire sont des cordes que l'on se tend,
qui nous tiennent,
l'amitié, c'est solide comme la beauté d'une couleur pure,
c'est un écureuil qui ne tombe jamais – une évidence –,
c'est un pneu tranformé en deux gants soudés, ou quatre – avec deux paires de bottes en option –,
on est comme deux tractopelles avec une seule pelle pour deux,
je suis siamois de toi
mais on sait que c'est faux,
on est lié comme deux cheveux sur une même tête de foin et notre gentillesse nous rend méconnaissable,
notre lyrisme nous lie, nous mêle, nous densifie
à ne plus savoir qui fait l'eau,
qui fait le sirop,

tu sais, longtemps j'ai cru que nous étions fait de vitrail
dont les couleurs provenaient de nos sentiments,
aujourd'hui nous faisons chapelle commune,

mon amitié pour toi,
c'est aussi cette eau que tu bois,

une main en bassine,

des pensées douces voire liquides,

une promesse de bonheur qui se forme
lorsque le bras se tend,
on s'abreuve l'un l'autre,

cette eau de vie a le goût de ta peau,
sans doute de ton esprit.

Offrir à boire, c'est se serrer la main.
Je rêve d'être disponible pour toi comme un verre d'eau.
Et si nous épongions notre soif !
Se désaltérer.
Aller de soi à l'autre, "soyeusement".
On passe notre vie à tresser ensemble des spirales,
à échaffauder des projets en forme de sapinidés,
l'amitié, c'est donc tout faire pour que l'autre voit en nous son échelle,
le laisser grimper,
lui permettre de gagner les sommets,
lui offrir l'envie de voir plus loin,
l'amitié est toujours verticale,
la Terre est ronde,
nos bonnes intentions collecteront les étoiles,
comme des feuilles d'arbres piquées par une branche formeront une brochette
mise à ta disposition.

Un astre, un sourire.

Tout scintille entre nous,
il y a toujours la voie lactée au dessus de nos rendez-vous,
on ne cesse de partir ensemble dans la même fusée,
alors que, normalement, dans la vie, ça n'arrive jamais !
On est comme deux plantes dans un vivarium qui vont proliférer ailleurs,
on est d'une sève dont on fait les clins d'œil.
Dans nos silences, toute une jungle de petits bonheurs se tisse entre nous.

Et puis on s'offre des découvertes,

on partage nos étonnements
qui nous soudent.

on se connait bien, on se connait mieux,
et la richesse des sensations
que l'on a construites dans nos poumons
s'offrent à l'autre comme un coffre s'ouvre
avec la clef de notre disponibilité,

le relief d'une vie se présente en pièce montée,

les sentiments qui nous ont sculptés,
qui nous ont épanouis,
qui nous ont profités
nourrisent à présent notre ami et notre amitié,

la table des victuailles s'agrandit,
la rallonge des souvenirs est ajoutée,
notre univers s'élargit,
avec l'autre, on ne peut être que détendu,
les secrets s'envolent comme des moineaux
qui vont se poser sur une gravure,

la connaissance de l'autre pour ce qu'il est
nous apprendra à savoir tout lui pardonner,

et les petits bonheurs arriverent enfin dans leur calèche.


"Histoire qui parle de l'Amitié" de Marie-Odile GUIGNON

Les collines tracent les courbes de l'horizon. L'atmosphère se respire.
La tiédeur s'éclipse. Un voile bleuté crée l'ambiance. Dans le lointain, la prison s'efface.

Il se relève, il s'étire, il sort de sa cachette. Sa silhouette dessine une masse noire entre les buissons. Il est seul, unique, complet. Il a faim.
Il cherche quelques baies, une figue juteuse, une olive onctueuse, une tige de rhubarbe, un cornichon sauvage.
La Lune s'élève. Il l'implore : « Ne me trahit pas ». Elle détourne son regard. Elle répond : « Je veille ».

Devant lui une fontaine gazouille. Il se désaltère. Il marche en silence, ses yeux scrutent autour de lui. Des lapins se poursuivent. Ils disparaissent dans les fourrés. L'ombre d'un arbre géant l'enveloppe. Il trébuche, il tombe. Il perd conscience. Par terre, une racine semblable à un serpent frissonne. Une feuille se détache d'une branche. Elle descend pour caresser doucement la joue de l'homme qui ouvre les yeux.
Au-dessus de lui l'entrelacs des branches dessine un toit affectueux. Il glisse vers le tronc les sens en éveil.
      -« Tu peux appuyer ta solitude sur mon écorce, je suis solide ! Dit l'arbre. Pardonne à ma racine de t'avoir causé du tort. Le sol est ingrat : Les cailloux trop volumineux nécessitent des détours...
Que fais-tu, humain, dans ces collines désertes ?
L'homme répond :
      -Ne me trahit pas.
L'arbre abaisse quelques branches à portée de mains :
      -Dans notre montagne prendre soin de soi est impératif. Mange ces fruits » Rassasié, l'homme repart.

La lune a fermé les yeux et a disparu dans les bras de l'aurore.

Au petit matin, le fil rouge de l'errance l'a inconsciemment  reconduit sous l'arbre:
      « Bonjour ! Te revoilà... Grimpe dans mon cœur, tu sera en sécurité.
Mes rameaux te combleront de fraîcheur et de nourriture. Mes lianes te maintiendront dans leurs bras quiets. Mes feuilles t'enivreront d'oxygène, leur chlorophylle assainira tes vêtements.
L'homme s'agrippe. Une force soudaine le transporte dans un lieu d'espérance. Son âme subitement s'allège. Le plaisir sourd au creux de son corps. Une vague de réconfort fourmille dans ses veines. La boule de son estomac se dégonfle. Il pleure. Noyé dans une mer de feuillage, il écoute. Un murmure de liberté palpite autour de lui. Ses esprits se rassemblent, ils dansent au rythme de la sève.
L'arbre converse avec l'homme. Les mots posent les couleurs des émotions. Les vies dénudent les mystères des aventures malheureuses. La clémence paisible les efface.

Branchée, ils le sont : Le destin de leurs vies puise dans les ressources de leur rencontre indissoluble désormais.

L'arbre campe droit... De sa masse gracile il explore l'espace proche, il appréhende l'horizon.

L'humain vient de quitter les chaînes de la captivité. Il a fui la geôle de l'enfermement pour s'en aller loin des sentiers battus à la découverte de...
Va-t-on savoir ?

Les étonnements naissent de la nuit des temps à chaque fois qu'une histoire croise l'existence des humains et des arbres...

Vivre réserve bien des surprises...

N'est-ce pas ?

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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