SAMEDI 25 février 2017
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Le conseil des Grandes Plumes - année 3"

Animation : Régis MOULU

Thème :

L'instinct nous aide à découvrir la méthode (Cocteau)

Sont-ils si énigmatiques ces propos de Jean Cocteau, à savoir : « parmi les comédiens [ce qui vaut pour tous les artistes], il y a les prestidigitateurs et cela nous amuse [...]. Mettre un lapin dans un chapeau et sortir des cages, voilà qui est bon ; mais mettre un lapin et sortir un lapin… ce mauvais prestidigitateur voudrait-il se faire prendre pour un artiste » ? - Non, si l'on considère que l'imagination est affaire d'instinct, très scrupuleusement !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance, à savoir : poursuivre l'incipit cocteauesque « Ne vous balancez pas si fort, le ciel est à tout le monde » !
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support spécifiant la façon de produire une écriture instinctive a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):

- "Le ciel est à tout le monde" de Christiane FAURIE

- Sans titre de Janine BURGAT

- "Choc" de Nadine CHEVALLIER

- "Epidémie" de Solange NOYE

- "L'escarpolette" de Marie-Odile GUIGNON

- "Le cri" de Caroline DALMASSO

- "Etat de choc" de Dominique ALZéRAT

- "S. O. S." de Janine NOWAK



"Le ciel est à tout le monde" de Christiane FAURIE


Ne vous balancez pas si fort, le ciel est à tout le monde, bon Dieu. Il avance dans la nuit, il crache en direction du ciel, le pas chaviré tantôt tirant la bête par la laisse, tantôt se laissant guider de part et d’autre du chemin longeant la mer. Quand vient le besoin de marquer son territoire, la bête l’entraîne malgré lui vers le fossé adjacent mais elle doit rassembler toutes ses forces pour le ramener au centre de la voie et immédiatement, sa laisse est aspirée par le muret opposé. La route est longue jusqu’au logis. La bête est épuisée par les tiraillements de sa laisse de droite et de gauche. Elle lui cisaille le collet et le poil luit par endroits. Elle observe son maître comme pour mieux anticiper une nouvelle embardée et le maintenir dans le droit chemin jusqu’ à destination. La bête est affamée, son écuelle l’attend. Elle l’a préparée c’est sûr. Mais son maitre, comment va t’elle l’accueillir ? Il reste un peu de marche sous forme de parade nuptiale baignée d’un ciel étoilé. La bête s’inquiète pour ce bipède en perte de repères. Il doit le ramener à bon port. C’est sa mission, du t’elle en souffrir. Elle aime cet homme, c’est une évidence. C’est lui qui l’a trouvé bébé, tout efflanqué, jeté là sur un tas d’ordures où lui-même avait échoué après s’être abreuvé un peu plus que de coutume. Elle a tout de suite aimé cette odeur de bois chaud et d’alcool fort, cette main rugueuse posée sur son flanc et cette voix tonitruante qui prenait le ciel à témoin et y déversait son trop plein. Ils étaient désormais alliés pour le meilleur et pour le pire. Elle, sa compagne, telle une souris grise apeurée, elle les attendait légèrement assoupie sur sa vieille chaise de paille tressée qui s’effilochait de part et d’autre du dossier. Effarouchée au moindre bruit, elle a des gestes économes, comme freinés dans leur élan. Elle attend son Homme. Quand il parvient sur le seuil, l’animal jappe comme pour la préparer au pire et lui donner le temps d’ouvrir la lourde porte avant que son crâne ne se fracasse contre le heurtoir. Il la voit et grommelle. Il veut garder sa part de ciel intacte dans la fenêtre entr’ouverte. Il semble dire, va t’en, ta place n’est pas ici. Elle ne dit rien et lui sert sa soupe de pain trempé et attend peut être un baiser, une caresse ? Il engloutit a grands bruits cette mixture et libère ainsi le cou de l’animal ; ce qui déclenche comme une plainte dans sa gueule affamée. Elle court alors vers la cuisinière en fonte pour lui servir le reste de soupe que la bête lape à grands coups de langue accompagnant de concert les lampées profondes du maître. C’est l’instant de bonheur absolu. Elle, elle contemple le tableau comme une œuvre de Rembrandt en clair obscur, le crâne du pélican trônant sur la cheminée et la statue du singe posé sur la table basse que la bête taquine de ses crocs les jours de vague à l’âme. L’animal émet un bâillement étirant sa gueule en une plainte infinie qui se termine en glapissement suite au coup de savate de son maître, lui intimant ainsi l’ordre de respecter le silence. Ses yeux sont chavirés et annoncent l’orage. L’animal se réfugie sous la table. Elle, elle est aux aguets tremblant un peu mais résignée à laisser passer encore une fois cet orage. Cette nuit encore, son Homme les verra là haut, il entendra leur plainte. Lui seul peut communiquer avec eux mais seulement quand il danse étrangement sur la route en tenant des propos incohérents après avoir absorbé son breuvage. Elle, elle n’y parvient pas. Il ne lui reste que la tristesse, la culpabilité chevillée au corps de n’avoir pu, de n’avoir su, de n’avoir pas entendu les cris au loin. Le vide s’est installée en elle tandis que lui se remplit pour vivre encore un peu. L’animal s’agite, aboie, se frotte aux membres meurtris, il veut prendre sa place. C’est ainsi qu’il accompagne la danse macabre de son maître du Nord au Sud et d’Est en Ouest. Elle, elle s’agrippe à ses habitudes, le regarde muette, ne trouvant pas les mots qui apaisent. Elle a peur de ne jamais les entendre ces voix aimées avant que son Homme ne lui fracasse la tête un jour d’orage. Mais ce jour n’arrivera pas, la bête sait ces choses là. Il fait bon, le bois crépite dans la cheminée. La bête aimerait s’assoupir mais il faut veiller jusqu’à ce qu’il s’endorme à son tour sur le coin de la table. Il s’affaisse. Elle monte dans la chambre glacée, seule depuis si longtemps. Plus d’étreinte, plus de rires, plus de battement de cœur la tête posée sur son torse chaud. La bête lui donne un grand coup de langue sur la joue et elle sourit. Elle lui adresse une caresse légère comme une plume. L’animal reste là sur la descente de lit. Il est bien.

 

Sans titre de Janine BURGAT


"Ne vous balancez pas si fort, le ciel est à tout le monde !". La surveillante chef avait craché sa phrase. Elle referma d'un coup sec la porte donnant sur le perron, laissant derrière elle le parc et ses occupants. Qu'ils vaquent à leur délire habtituel primitif. Le ciel était-il aussi pour tout ceux qui l'entouraient ? se demanda-la petite du premier étage. Pour se balancer, ils se balançaient d'arrière en avant, d'avant en arrière. Ratatinée sur les marches du perron, elle pensa à un métronome. Non. Ils ne se balançaient pas au même rythme. Dommage. Ca aurait pu être un rythme d'opéra. L'opéra des dingues. Si leurs mouvements avaient été synchros. ils auraient fait avancer un bateau. Elle aussi avait envie de se balancer. Etait-elle folle, elle aussi ? Elle ferma les yeux. Un rejet de tout enflait, enflait, tout en elle palpitait, gonflait. Il fallait se concentrer sur ses deux mains plaquées sur ses deux oreilles. Elle entendait un peu leurs cris mais en sourdine. Elle avait peur de crier, elle aussi. Hier elle avait hurlé aussi, un moment, sa gorge s'en souvenait encore. Elle avait encore mal en avalant sa salive. Sa gorge était de plus en plus sèche, rèche même. Elle se leva. S'éloigner le plus loin possible. Au bout du parc, ils seraient peut être moins agités. Quelques buissons lointains paraissaient encore vierges de toute agitation et de folle présence. A mon commandement... go ! Elle visa le bosquet tout au fond là-bas, se concentra sur ses mains et lâcha ses jambes en galop, vite, vite. Foulées après foulées, la haie passa, puis le talus et le bosquet l'aspira. Elle libéra ses oreilles. Au loin le murmure était épais et sourd. Son agilité avait surpris. Aucun deux ne l'avait suivi apparemment. Elle s'enfonça sur la mousse que le sol lui prodiguait. Les branches frottaient sur ses cheveux. Le cocon naturel se refermait sur elle. Elle regarda ses bras et compta les cicatrices. Quatre barres à droite et trois à gauche. Tous les matins elle s'était infigée une grimace mais, au moins, elle savait depuis combien de jours elle respirait cette odeur fétide de chlore, d'éther et de détergent. Sauf à partir de 10 heures quand les portes de la véranda s'ouvraient en grand devant la meute hurlante qui pouvait, enfin, s'époumonner et se balancer à sa guise. En marchant, en courant,à quatre pattes, ils se balançaient. Ne plus les voir, ne plus les sentir la frôler, l'apostropher, la dévisager. Leurs yeux étaient fixes, globuleux, mesquins. Le premier jour, elle avait trouvé à chacun d'eux, une ressemblance animale. "Les yeux sont le miroir de l'âme", dit-on, alors elle avait inventorié. Chambre 14, un veau. Au fond du couloir, un macaque, regard effronté, pénétrant.A l'angle du bloc C, un aigle, terrifiant. Son voisin de chambre : un thon, un gros thon rougeaud. La fixité des regards était partout. Elle avait cherché une glace, ses yeux à elle se transformaient ils aussi ? quel animal était elle devenue en quelques heures ? Aucune glace n'était accessible dans le bâtiment. Elle pensa à sa petite glace bleue au fond de son sac. Tout avait été englouti dans le néant de son arrivée. Non seulement, ils passaient des heures à se balancer mais ils balançaient tout ce qui passait à portée de main. Lampes, tables, chaises. Au moins une fois dans le parc d'ailleurs impeccablement taillé et ratissé de toute pierre, on pouvait les laisser entre eux, sans trop risquer la casse. Libération des bergers garants de la sécurité du troupeau pendant un moment, libération du troupeau libre de ses débordements corporels et vocaux. La danse de Saint Guy la plus primitive. Les hommes préhistoriques étaient ils pénétrés eux aussi, de la même frénésie répétitive ? Que faisaient ils de de leurs fous, les premiers hommes ? L'image la fit sourire. Ce questionnement était digne d'une pensante, pas d'une dingue. Elle se pinça. Qui lui avait dit, un jour, "ressentir une douleur, c'est encore être vivant !". Vivant où ? Vivant comment ? Survivre ici, c'était penser encore. Toujours penser, s'extraire de tout ce qui était devant ses yeux, s'exraire de tout ces hurlements et pour que tout s'arrête enfin, il lui fallait un plan. Le Plan. Bonaparte en arrivant à Saint Hélène, n'avait il pas organisé un planning pour occuper le vide de ses jours de reclus ? Quel ferment d'évasion avait germé dans l'esprits des prisonniers d'antan ? Héros de ces documentaires, qu'elle aimait tant avant. Quelle folle construction de liberté y avait il au fond de leur cerveau pour échafauder avec rien des plans de fous pour sortir des enfers qu'ils racontaient sur leur vieux jours ? Ce bosquet deviendrait son laboratoire d'échafaudage de plan. Observer, remarquer. Et après ? On verrait. D'abord se concentrer sur le Plan. Cela permettrait de ne plus les voir se balancer, ne plus les entendre crier. Ramasser de la mousse et la fourrer dans ses oreilles lui permettrait de reposer son cerveau face aux cris. Des boules quiès végétales en attendant coton ou compresse pour préserver son cerveau du bruit. Se couper du bruit, c'était réfléchir. Fermer les yeux était plus facile. Chasser tous les souvenirs d'avant et ne se fixer que sur le plan d'évasion. Puisque le ciel était à tout le monde, il serait à elle aussi, au dehors de cet enfer. Pour la première fois depuis son arrivée elle respira fort, puis lentement, puis fort, puis encore plus lentement. Elle ferait des pompes. Ses muscles devaient réagir au quart de tour avec une énergie considérable. Préparer le corps et libérer la réflexion du cerveau pour l'évasion. Il lui fallait une réflexion fine, affutée pour tracer le plan, grossièrement, puis l'améliorer, le peaufiner, et se lancer, au bon moment. S'il fallait simuler elle simulerait. Elle se ferait un regard, un regard de bête comme les autres. L'un d'entre eux simulait peut-être ? D'abord mesurer le parc. Elle se balancerait comme les autres en comptant ses pas. Elle aurait le balancement de quel animal ? Il s'imprima d'un coup. Une autruche. Oui, elle ferait l'autruche, elle serait autruche. La tête sous l'aile pour mieux réfléchir et observer et elle courrait à chaque promenade. Elle ramassa deux petite boules de mousse, les roula et les fourra dans chacune de ses oreilles. Autruche elle serait, autruche elle devait être dès maintenant. Tout de suite. Sortir du bosquet et se transformer. Balancer la tête, juste le cou, un balancement particulier dès qu'elle serait en public, face à Folcohe, face aux dingues. Revenir chaque matin au bosquet, faire le point. Comme l'autruche à son nid. Calculer la hauteur du mur, calculer la distance du parc, ses contours, ses failles. Que ferait une autruche pour se sauver de l'enfer ambiant ? Dorénavant, en fermant les yeux, elle s'imaginerai posséder, elle aussi, la grosse peau épaisse des yeux d'oiseau. Avancer avec un mouvement de tête, un avancement du cou, un mouvement sec. Faire des pas longs, s'entrainer à sauter. Une autruche court vite. Sauter, en plus. C'était dit. Lentement, ses oreilles bien protégées, elle s'extirpa du bosquet et se dirigea vers le mur d'enceinte. Coup de tête avant, retour. Oeil qui plisse, qui se rouvre, fixe. Tu dois être une autruche. Encore. Tu es une autruche. Son cerveau martelait. Au-truche. Au- truche. A l'heure du déjeuner, Foloche réouvrit la porte et descendit quelques marches en tapant dans ses mains. La cour des miracles en plein balancement, s'avança lentement, un peu plus silencieuse, grisée de cris, gavée de sauts, de jappements et fatigué par l'air vif de la matinée. Folcoche comptait le cheptel et de très loin elle vit s'approcher la petite nouvelle du premier étage. Une gentille petite, égarée, on ne sait pourquoi, dans cet enfer. Folcoche ne se demandait jamais pourquoi ses clients étaient là. Pas son problème. Son boulot c'était qu'ils restent en bonne santé, en tout cas, en un seul morceau. Le reste c'était le boulot des autres, les calés, les qualifiés. Elle plissa les yeux. La petite approchait par petits sauts et lançait sa tête en avant, régulièrement. Le mouvement lui rappela une image, ce va et vient du cou, un volatile peut-être.Sept jours qu'elle était là, la petite, et déjà elle rejoignait le cheptel en se balançant aussi, la marque de la boutique, la petite s'habituait. Voilà tout. Elle referma la porte sur la petite qui avançait toujours dans le couloir avec ce mouvement du cou et des enjambées bizarres. Je l'ai au bout de la langue, se dit elle, ce foutu animal ne lui revenait pas. C'est en la voyant entrer dans la réfectoire que l'allure lui sauta aux yeux. - Allez l'autruche, lui dit elle, en lui tirant une chaise, mets toi là, entre Léon et Clément. Un gros cochon, une petite autruche et un vrai mouton, la ménagerie grossit décidément en jour en jour. Bon appétit, les agneaux ! Un claquement de bec se perdit dans le brouhaha.


"Choc" de Nadine CHEVALLIER


« Ne vous balancez pas si fort, le ciel est à tout le monde » … Points de suspension, ça tombe bien pour une balançoire. A quoi est-elle accrochée la vôtre ? Est-elle si solide que vous accélériez encore le rythme ? Penchée en arrière, bras et jambes tendus, vous vous lancez vers le ciel. L'air froid brûle vos joues, votre jupe se soulève. Au plus haut du mouvement, vos jambes se replient, vous basculez le thorax, vos cheveux s'agitent en tous sens alors qu'en bout de course, dans un soupir déçu, la balançoire retourne vers l'arrière. Le sol se précipite vers vous, vous craignez un instant d'y sombrer mais vos pieds frôlent la terre, vous remontez. Un choc vous secoue lorsque de nouveau le mouvement s'inverse et que vous repartez vers l'avant. Soudain votre estomac s'affole de ces incessants va-et-vient. Le vomissement menace. Vous décidez de l'ignorer, détournant votre attention vers le grincement des cordes tendues sur leur support et vous vient l'idée angoissante : « Et si ça lâchait ? »… Mais déjà vous êtes au plus haut de la lancée et vous repartez vers l'arrière avec cette sensation de vide au creux du ventre, celle là même qui vous réveille parfois, haletante et effrayée ... Points de suspension … point de suspension … le ciel est à tout le monde. Au plus haut de la trajectoire, vous lâchez tout et vous envoyez en l'air. Vous êtes oiseau, d'instinct vos ailes s’ouvrent et battent lentement, s'appuyant sur l'air froid pour monter comme les bras d'un nageur poussent l'eau. Maintenant, vous êtes au septième ciel, vous planez, aigle royal ou condor des Andes. Vous êtes montée si haut que le souffle vous manque. En un piqué, vous revenez sur terre, la sensation de chute vous enivre et vous terrifie. Fuyant cette peur de mourir, vous perdez conscience. … « Le ciel est à tout le monde, ne vous balancez pas si fort ! » a crié Dieu. Les anges se sont regardés, ont rangé sagement leurs ailes dans leur dos et se sont assis sur les fauteuils nuages le temps d'une révolution de la planète Terre. Puis se sont élancés à nouveau dans le vide du huitième ciel, chacun leur tour poussant l'autre, ailes grandes ouvertes. On eut dit d'énormes flocons de neige dansant une ronde folle dans le crépuscule doré. Chacun se laissait tomber vers la Terre puis remontait souplement juste avant de toucher le sol. Le jeu a duré longtemps, Dieu avait le dos tourné sans doute. Jusqu'à ce que l'un d'eux rencontre brutalement cette femme qui se balançait dans son jardin, Le choc des matières céleste et terrestre a été rude. e=mc2 avait calculé Albert. Aïe ! L'ange se désintégra en particules élémentaires. La femme est à l'hôpital. Son pronostic vital est engagé, dit-on.


"Epidémie" de Solange NOYE


Ne vous balancez pas si dort, le ciel est à tout le monde. Et ma place sur le manège, je l’aurai. Je vous la demande, là, tout de suite. Avant qu’il ne soit trop tard. Les virus m’ont attrapée, m’agrippent, me colonisent. Je ne commande plus rien. je tente vainement la respiration abdominale profonde pour ralentir le coeur qui chamade à toute berzingue. Je ne veux pas qu’il me lâche. La serviette de bain, changée pour la troisième fois, est déjà trempée de fièvre. Ma tête, un tambour, une caisse de résonance. « La grippe est en avance sur son temps, cette année… Pensez à éternuer dans le creux du coude. » quand cette activité réflexe te prend une bonne dizaine de fois par jour et nuit, plus d’hygiène possible de ce côté-là. Se moucher du coude ? « Quand vous vous mouchez, pensez à jeter votre mouchoir à usage unique dans une poubelle fermée. » Et que je t’organise un concours de lancer de mouchoirs dans un réceptacle clos ! « Et lavez-vous les mains illico. » Mais je n’ai plus de peau sur les mains : décapage au gel hydro alcoolique intégral. Je ne peux plus me lever. Tout est grippé : les os, les muscles. De la tête aux pieds, des pieds à la tête. En long, en large, en travers. Je ne pourrai même pas éteindre ce fichu poste de radio duquel émanent à intervalles trop réguliers ces annonces sanitaires. Je redoute aussi les flashes info réactualisant le taux de mortalité des grippés. Grippée, mais pas encore vieille. Je ne veux pas entrer dans leurs statistiques, vous saisissez ? «Oh ben, si tu t’étais fait vacciner comme je te l’avais dit, tu n’en serais pas là. C’est de ta faute. Paie ! » Chaque année, je répète à cette mère qu’il existe plusieurs virus de la grippe et que, même vacciné, un de ses avatars peut nous saisir et nous entraîner au pays des endoloris profonds. Voyage dans le temps offert en sus ou comment prendre trente, quarante ans en quelques instants. Tu sais que tu es du périple quand tu ne peux plus franchir trois marches sans grincer des dents et des genoux. Si j’en avais un, je n’inviterai pas mon pire ennemi à ce voyage. Il n’y a guère plus que ma cervelle qui remue, s’agite, palpite dans mon corps loque. Là, je me laisse aller, je rédigerais mon testament, je regretterais de n’avoir pas fait mon ménage de la semaine, de ne pas avoir de pyjama d’apparat. Au cas où. Voilà, je ne sais plus trop pourquoi je vous écris cette prière virtuelle, vieux Lord. Vous êtes toujours bien occupé à vous balancez, là-haut, au-dessus de nos pauvres têtes. Question ; qui a créé le monde, la vie dans ce monde ? Des bactéries. Vous le croyez pas, hein ? C’est pourtant prouvé SCIEN TI FI QUE MENT ! Oui mon Cher ! Et qui nous crève ? Des virus. Voyez, des micro organismes ont raison de nous, nous qui nous pensons au-dessus du lot avec nos machines à paroles, nos cerveaux artificiels.
Constitués d’eau, de bactéries, dotés de deux cerveaux : cervelle, intestins. D’une âme ? Peut-être. Cela me fait bien rire maintenant que me voici immobile, couchée, aplatie, réduite à quelques oscillations neuronales, quelques pulsations électriques, modifiant sensation en mots, mots en pensées. Ou inversement. Je n’ai plus le mode d’emploi du circuit. Je sais juste que le coton du drap, la plume de l’oreiller et de la couette me sont trop douloureux. Ils me dardent la couenne de toutes parts. Comme me transperce la pensée irradiante que je n’ai pas fini ma vie. J’en oublierais presque le ridicule de me mettre à prier, à implorer ma sauvegarde. Mais quoi ? J’ai une petite vie de rien. Pas d’éclats particuliers. Pas de coups tordus envers qui que ce soit. Pas de vol. Pas de meurtre. Une bonne petite vie de microbe terrestre. Alors, que m’envahissent soudainement ces relents de remords torves ? D’où me reviennent-ils ? J’aurais trop lutté, à votre goût, conter les discours ineptes servis à mon enfance ? Serais-je punie ? Punie à mort, comme, lorsque môme, à genoux, sur une règle, sur le balcon, ma mère cherchait à mater ma résistance passive envers ses règles de fer ? Elle m’obligeait à vous implorer ? Vous n’en seriez tout de même pas là à mon égard, vous ? Voilà d’où me viendrait cette virtuelle prière. Qu’aurais-je à sauver ? Ma peau ? Mon honneur ? Je les ai, saufs. Cela ne regarde que moi. Moi, toute seule. Je n’a pas à me repentir, à payer. Je vais me battre. Ici tout bas.

 

"L'escarpolette" de Marie-Odile GUIGNON


« Ne vous balancez pas si fort, le ciel est à tout le monde !… Fermez simplement les yeux... Laissez-vous emporter... Lâchez votre conscience et planez.. Planez dans les hauteurs spatiales comme l'aigle royal… Glissez délicieusement dans la mouvance imperceptible de l'immensité du firmament... L'abîme sans fond des images les plus folles vous escortera… Écoutez le désir né du silence qui sourd de vos entrailles... ». Allongée sur la plage, j'émerge brutalement. L'abandon du soleil a refroidi mes membres engourdis par ses chaudes caresses. Maintenant, il se couche à l'horizon de ses parures éteintes par une nuit pressée d'attiser les feux de ses diamants. Un frisson m'ébranle. Je palpe mes vêtements épars. La froideur du sable me gagne. Une colère triste noie mon cœur. Une solitude sublime noue ma gorge en feu. J'ai soif. La mer monte. L'épuisement de ma rage laboure mon visage de sillons douloureux. Un hoquet me secoue comme un vestige d'ouragan. Je me relève et glisse comme un serpent qui cherche l’anfractuosité capable de l'accueillir le temps des ténèbres. Je suis existence... L'oubli ne fait pas partie de mes sentiments. Les cicatrices de mes plaies gravent des arabesques morbides dans ma chair. Je m'engage totalement dans mes corps à corps, l'innocence à fleur de peau et l'épée dans le fourreau. Ma tanière est azur et je chasse les vertiges. L'élan de mes ardeurs m'emporte à la recherche d'âme complémentaire dans l'imprudence des impacts qui assaillent le monde que j'admire de toutes mes forces. Tout l'univers nourrit mon esprit et m'élève joyeusement. Je hisse les couleurs du drapeau que je salue… Mais pour mon malheur, l'étendard vibre comme les passions, et il se plie quand la fête s'achève... Les passions, comme les manches à air, s'orientent, s'enflent, se tendent, dégonflent au bon gré du vent…

 

"Le cri" de Caroline DALMASSO


« Ne vous balancez pas si fort, le ciel est à tout le monde! » C’est à moi qu’il parle? oui, indubitablement c’est à moi qu’il parle. Je suis le seul, le seul à m’être aventuré sur ce ponton vermoulu, cette avancée de bois presque rassurante sur l’onde calme. Il n’y a pas de danger, le crépuscule est paisible, les couleurs douces et chatoyantes et puis ce silence… Si oppressant… Pourquoi me dit il cela? oui, il y a bien ce léger clapotis qui fait tanguer le monde. Cela me donne un peu le tournis mais l’équilibre je l’ai encore. Je peux avancer, un pied après l’autre, un jour après l’autre, une éternité après l’autre… Stop! Ce silence est assourdissant! Me boucher les oreilles… Mes mains ne peuvent plus m’aider à avancer, elles se collent à mes tempes et les enfoncent à l’intérieur de mon crâne aux orbites sans fond. Mais c’est inutile, la mélopée lancinante se poursuit dans un rythme tribal et barbare. La jetée branlante se déforme petit à petit sous l’impact des vagues, elle s’étire, s’allonge et ondule. Dans mon vide infini je perds pied et déjà mon corps diaphane et invertébré épouse les mouvements de cette valse trépidante. Soudain le ciel se joint à la danse en de sinueuses lignes de sang écarlates qui s’enroulent et se déroulent autour de moi, en moi comme un tourbillon hypnotique. C’est avec horreur que je vois mon univers intérieur devenir réalité. Cette spirale infernale de solitude qui m’oppresse, m’étouffe et m’aspire en un vortex monstrueux. Je suis piégé,balloté frappé tel un pantin désarticulé dans la tourmente des éléments déchirés, dans le chaos, dans la genèse du monde… C’est alors que du fin fond du néant, au coeur même de mes peurs et de ma folie, je l’ai ressenti, cet instinct de survie, cette pulsion primitive… Elle est minuscule mais elle grossit, gonfle, s’amplifie comme les spasmes amenant à l’orgasme libérateur et je la vomis en un cri infini… Instantanément ma tempête se calme, je suis toujours sur le ponton, épuisé, emmêlé dans la ficelle d’un cerf volant… « Je vous disais m’sieur de ne pas vous balancer si fort et que le ciel était à tout le monde mais faut pas vous énerver comme ça! »


"Etat de choc" de Dominique ALZERAT


« Ne vous balancez pas si fort, le ciel est à tout le monde. » Comme une lueur blafarde à travers le chaos de mes pensées, la voix arrive à ma conscience. - Un virage, le verglas. - Je sens la force calme de deux bras qui m’enserrent. - La voiture hors de contrôle, le choc. - Les deux bras, telle une bouée salvatrice, me contraignent à l’immobilité. - L’explosion, la fumée, l’odeur de roussi. - Peut-on revenir en arrière ? Ce pompier qui m’a prise en charge est-il un rempart contre l’irrémédiable ? - Les aboiements, les mugissements, suivis du silence. - Malgré l’étreinte des bras puissants, je me balance de plus belle. C’est Kopeck, c’est mon chien à l’arrière de la voiture, il n’en reste plus rien. - La brûlure des flammes le dispute à la morsure du froid. - La voix du pompier reprend derrière moi : « Madame, ne vous inquiétez pas, vous n’avez sans doute rien, on va vous conduire à l’hôpital ». - L’odeur âcre de la fumée, le hululement des sirènes. - Ce héros ordinaire dont la bonne volonté me déroute, mesure-t-il la portée de ses mots ? - Les sirènes à nouveau qui saturent l’air de leurs deux notes funestes. - « Vous n’avez rien ». Les mots résonnent douloureusement. Rien, la vie de mon compagnon à quatre pattes. Rien, ma voiture à l’état de carcasse. Rien, la vie qui ne tient qu’à une plaque de verglas. Comme une grande marée, la colère et la détresse me submergent. Mon esprit capitule. Par le sortilège de mon balancement, mue par un ressort vertigineux, mon corps horloge rythme les éléments. Je suis une déesse et le ciel m’appartient, Pendule à contre-courant, par mon mouvement lancinant, d’avant en arrière, d’arrière en avant, seconde après seconde je parcours à l’envers la trame du temps pour conjurer l’instant crucial d’avant l’accident.

 

"S. O. S." de Janine NOWAK


Ne vous balancez pas si fort, le ciel est à tout le monde ! Bien évidemment, ma chère amie, je plaisante. Mais laissez-moi donc deviner ce qui vous pousse à agir ainsi. Que cherchez-vous dans les hauteurs ? Cette balançoire est-elle pour vous une échelle de Jacob ? Une catapulte ? Auriez-vous entendu un appel divin auquel vous répondriez ? Est-ce qu’une voix aux suaves nuances, plus douce que la berceuse enfantine fredonnée par une maman, ou plus lascive qu’un chant de sirène, vous aurait attirée vers le firmament ? Mais quelle prétention ! Ainsi donc, vous vous considérez comme une élue ? Un Dieu vous aurait fait signe, et vous voici prête à escalader des sommets invisibles, à vous faufiler dans un ciel semé de myriades d’étoiles, afin de rejoindre cet être suprême ? Oh, folle espérance ! Allez, rassurez-vous, je galège encore ! Bon, sérieusement, cette fois-ci : ne serait-ce pas, tout bonnement une fuite ? Un envol vers l’oubli ? Vers la sécurité ? Peut-être à cet instant même, pauvre âme, connaissez-vous la peur ? Une peur viscérale. Cette peur bleue qui donne l’impression de suffoquer, de ne plus pouvoir respirer, d’être sur le point de défaillir. Symptômes bien connus de cet effroi, qui laisse pantelant, avec la sueur au front, et les jambes qui flageolent ou semblent se paralyser. Quel sentiment de vulnérabilité lorsque le frisson de l’angoisse parcourt notre échine et que nos cheveux se hérissent sur notre nuque ! Quel malaise de se sentir à la fois glacé et brûlant, avec une sensation d’épuisement des forces physiques ! Quel désagrément d’avoir la peau des bras aussi grenue que celle d’une poule ! Aussi, je vous dis bravo, et ne peux qu’approuver la belle énergie que vous vous efforcez de déployer. Car dans ces moment- là, effectivement, il faut prendre le taureau par les cornes, se secouer, sortir de son environnement et tenter quelque chose afin de surmonter la crise. Alors, en effet, pourquoi pas l’escarpolette ? C’est déjà un très louable effort, cette belle vitalité. Vous connaissant bien, je devine ce qui vous trouble. Je sais tout ce qu’il y a d’obscur et de brumeux sous votre calotte crânienne. Cependant, tôt ou tard, vous devrez assumer cette réalité et résoudre le conflit qui est en vous, ne plus vous mettre martel en tête et chasser cette vilaine histoire de votre esprit. Vous êtes une charmante luronne bien bâtie, agréable à regarder. Hélas, depuis quelques temps, la gaité de votre regard s’est éteinte. Votre attitude aussi s’est modifiée. Vous semblez désireuse de vous enfermer dans vos pensées, afin d’oublier le monde qui vous entoure. Quand vous sortez de chez vous, vous avez l’attitude d’un guetteur Apache sur le sentier de la guerre, aux yeux plissés et fureteurs. La rue n’est pas votre ennemie, que Diable ! Essayez de retrouver votre sérénité. Détendez-vous, déambulez agréablement, forcez-vous à regarder les gens avec sympathie et confiance. Retrouvez votre sourire. La ville, si on sait l’apprécier, si on sait voir ce qu’elle offre de plaisant, peut ressembler à un agréable lieu de vacances, à une fête même, avec ses commerces, ses bistrots, ces incidents amusants qui attirent l’œil. Réjouissez-vous de ces petits riens, et ne vous sentez pas toujours piégée, observée, pistée. Et surtout renoncez à vous interroger sur ce que l’existence peut encore vous réserver de fâcheux. Autre-chose : avez-vous essayé la musique ? Savez-vous à quel est le rôle de la musique ? Quel est son but final, outre sa joliesse ? Non ? La musique sert à transformer le commun, le très ordinaire… en sublime ! C’est tout simplement la voie la plus pure, la plus sobre vers une spiritualité d’exception. Et j’ajouterai qu’elle est, en quelque sorte, la concrétisation poétique de la vie. On trouve tout dans une mélodie. Sont mêlés le bonheur, la douleur, les espoirs, les chagrins, les envies, la joie, l’enthousiasme, l’exubérance, la grâce, l’apaisement, la volupté… La musique nous bouleverse. C’est d’une telle évidence ! Regardez la mine des spectateurs quittant une salle de concert. Qu’ils aient l’air réjouis ou graves, peu importe : ils sont tous émus, sans exception. On ne peut sortir indemne d’une séance musicale, car fatalement, inévitablement, l’émotion nous étreint, nous submerge. Et même chez soi, confortablement installé, écouter un morceau que l’on aime, voilà une jouissance sans pareille. La musique ? Mais c’est un cadeau ! Elle apporte le bien-être. C’est, si j’ose dire, comme une caresse dont on peut abuser. Et j’ajouterai même : dont on DOIT abuser ! Alors, chère amie, descendez de votre perchoir et venez boire une tasse de thé. Puis je sortirai mon violon pour vous interpréter la sublime « Méditation de Thaïs », que vous appréciez tant. La paix descendra en vous. Faites-moi confiance, ma Douce. Ecoutez votre vieil ami et retrouvez au plus vite votre beau sourire et vos charmantes fossettes.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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