SAMEDI 7 FEVRIER 2009
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
" L'espérance des expériences "

Animation : Régis MOULU

Thème :

Au coeur de la musique

Et si la musique qu'on entendait était l'expression exacte d'une histoire !!
L'animateur a mis en boucle une musique inspirante, et chacun a dû se laisser emporter par elle et écrire les mots au moment même où les instruments jouaient.

Il s'agit donc d'une écriture en temps réel. Les stylos ont pu ainsi s'affoler (ou pas), se lancer soudainement dans une phrase-fleuve… Car le rythme de la musique a directement inspiré un sentiment, une émotion, une accélération d'événements, etc.

Remarque : au moment de la lecture, la musique a pu être remise afin que la prise de parole soit conditionnée et galvanisée…

Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support a été distribué : il offrait quelques techniques pour écrire des chansons !

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):

- "Pourquoi Piotr ?" de Mag LOPEZ

- "L'amée des singes" suivi de "La cabane" d'Angeline LAUNAY

- "Si c'est une femme" de Céline CORNAYRE

- "Ballade en boucle dans l'infini" suivi de "Petites comptines" et "Dialogues de jungle" de Marie-Odile GUIGNON

- "Frère Pixel" de Janine NOWAK

- "Le lac glacé" de Françoise MORILLON

- "Musique" suivi de sans titre d'Aurélie BOCCARA

REMARQUE : ont été mis en boucle deux morceaux de musique ; le premier était de Gavin BRYARS (Farewell to philosophy - piste 3) et Philip GLASS (Tearing herself away), d'où deux textes pour la plupart des participants, et dans le même ordre !


"Pourquoi Piotr ?" de Mag LOPEZ

Le front contre la vitre par le givre craquelée,
mèche blonde échappée de son châle de laine,
Tatiana regardait sous ses yeux défiler
les étendues glacées des plaines de l' Ukraine.
Le panache du train soulignait son passage
au milieu des bouleaux aux fins troncs argentés,
çà et là, se groupaient quelques discrets villages
qu'on distinguaient à peine, tant il avait neigé.

Pourquoi tu m'as fait çà, Piotr, dis ? Pourquoi ?

Le regard embué, elle pensait à la veille,
aux chants grégoriens, à pleins poumons chantés,
au cortège joyeux dans le pâle soleil
qui, vers la cathédrale, alors, se dirigeait.
Et tandis que le pope s'apprêtait à bénir
les alliances sacrées célébrant leur union,
alors qu'ils allaient, Piotr et elle, s' unir,
elle cria son " oui ", dans un souffle, il dit " non ! "

Pourquoi tu m'as fait çà, Piotr, dis ? Pourquoi ?

Tout au fond de la nef une femme attendait
serrant entre ses bras un enfant endormi.
Elle refusa de croire ce que tous voyaient.
C'est pourtant avec eux que Piotr s'est enfui !
Et le traineau poudré faisant crisser la neige
emporta les amants sur le chemin boueux
la laissant immobile, frappée d' un sortilège,
l'obsédante question poignardée dans les yeux

Pourquoi tu m'as fait çà, Piotr, dis ? Pourquoi ?


"L'armée des singes" suivi de "La cabane" d'Angeline LAUNAY

Plaine s'étale à l'infini
Lumière l'inonde
Poussière se soulève
Vue s'embue
Formes se diluent
Larmes s'assèchent à l'éponge de l'oubli
Vague musicale ondulante à la surface du sol caillouteux,
Gris, brun, beige
Submerge l'âme oisive, grise, brune, beige,
Bleue, rouge, violacée
Silhouettes enlacées dans ce décor sonore
Mirage insolite
Souvenirs qui se délitent
L'armée des singes envahit la planète
Sentinelles intransigeantes aux boucliers aveuglants
Sensibles cependant aux sonorités envoûtantes
Qui s'insinuent par toutes les pores,
En anesthésiant l'immensité si démunie dans son dénuement,
Au sein de laquelle s'illuminent les regards,
Se relâchent les bras,
Se frôlent les mains,
S'entrouvrent les bouches d'où aucune parole ne s'échappe
Le silence crie et les violons lui répondent
En tenant la note, sur le bord d'un ravin
Tout au fond duquel se murmure l'histoire des amours mortes,
Balayées par les vents brûlants,
Ignorées de l'armée des singes-aux-cuirasses-d'airain,
Nouveaux défenseurs des temples-rochers disséminés dans le paysage
Plaine incandescente
Il neige dans mon esprit, loin de là, sur les bords de la Marne
Je suis ici et partout à la fois
Ici, enneigée de musique
Et propulsée là-bas dans ces contrées lointaines
Il ne s'agit plus de moi
Ai-je existé, existerai-je…
La goutte dans la mer
Le grain de sable du désert
Le brin d'étoile dans l'univers
Qui donc me trouve ?
A quel dessein ?
Un enfant parcourt les distances
Est-ce toi, moi, lui, elle ?
Pérégrinations existentielles
Quelque part, ailleurs, à la surface d'un lac gelé
Tout glisse
Tout s'en va
Loin d'ici
Loin de la neige de l'esprit
Même s'il ne s'agit plus de moi
Je souris devant l'insouciance,
Devant la permanence des choses,
Devant l'entêtement insidieux de ce poème musical
Il chante la terre grave, la glace épaisse et le ciel apaisé
Il raconte les destinées
Il évoque les chagrins ancestraux en suivant les dérives de la banquise
Tel un traîneau disparaissant dans la tourmente,
Il emporte avec lui les bagages d'un voyageur dans bagage
Et même s'il ne s'agit plus de moi
Je m'endors en cette nuit sans fin
Cette illusion d'éternité
Tout à l'heure le soleil, maintenant la neige
Hier l'aurore, aujourd'hui le crépuscule
Le film génère cette " émotion à l'état pur "
Le bruissement des draps de soie bleue, c'est la mer qui se soulève
La diva embarque pour son ultime représentation
A bord, une mélodie jouée sur des verres soulève l'émerveillement
Une femme aveugle donne des noms de couleurs aux voix qui retentissent
Un ténor entame un aria dans la salle des machines
Visions ineffaçables malgré la place qu'occupe l'oubli,
Malgré le brin d'eau, la goutte de sable et le grain d'étoile
L'histoire continue
Il n'y a pas d'histoire
Et pourtant…
Les battements de mon cœur se précipitent
Des remous apparaissent à l'endroit ou s'élargit le fleuve
L'armée des singes brandit ses étendards
Vanité, folie, désir d'hégémonie
Et le rythme de l'existence reprend son inlassable roulis
Les feuilles sur leur branche verdissent à vue d'œil
Une barque s'aventure entre deux rives incertaines
Mais d'aventure,
L'esquif se fraye un passage en territoire inconnu de l'armée des singes
Pour atteindre ces zones marécageuses dangereuses
Où se perdent les esprits inconstants

Il y a Franck l'éclaireur, Josh le gardien et Delphine l'Arlequine
Mais où donc se trouve la cabane ?
Franck dit que c'est tout droit
Josh n'en est pas sûr
Et Delphine n'en sait rien mais elle visualise la cabane en pensée
Avec l'attrape-rêves quelle a accroché devant a porte d'entrée
Et les bougies qu'elle a rangées sur une étagère pour les veillées interminables
Il y a aussi Dicky, le chien, fidèle et redoutable, fiable et filou, doux et fort
La cabane est quelque part qui les attend
Le soir s'annonce et il faut se dépêcher de la repérer
Dicky aboie. C'est lui qui sent. C'est lui qui sait.
L'Arlequine se met à rire
Elle se dit qu'ils touchent au but
Franck jette la corde sur un piquet
Josh l'aide à tirer l'embarcation
Delphine court
Dicky la précède
Il était temps
La neige s'est arrêtée de tomber
La cabane est là, grise, brune, beige,
Noyée de candeur et rongée de solitude
L'attrape-rêves virevolte au passage de l'Arlequine
La porte n'a pas servi depuis près d'une année
Elle grince de reproche mais aussi de soulagement
Elle n'a plus besoin d'espérer maintenant qu'ils sont tous là
La cabane jubile et se repaît d'espoir inutile
Elle se délecte de toute cette espérance inespérée…
Et de tous ces rêves attrapés

 

"Si c'est une femme" de Céline CORNAYRE

Si c'est une femme

Comme une vie de femme sans flammes
S'enflamme
Sa peur est son angoisse
Son système, systémique
Sa tristesse est son semi, sa remorque
Son miroir, pas magique
Son image, son combat
Avec ou sans vain ?
Comme une vie pour rien
Prendre le pire pour un film
Leçon de survie, comme à Auschwitz, comme au Goulag,
Comme au Rwanda, comme à Gaza
Un jour, ça s'arrête
Une épopée, un voyage
Un cœur qui bat ?
Et toi mon cœur, pourquoi bats tu ?
En as-tu seulement le droit ?
En zone de non droit
Où la différence crée l'indifférence
Et la cruauté dans toute sa violence
Pas de happy end, juste un éclair de courage sous l'orage
Parce qu'il y aura toujours de la neige
Parce qu'il y aura toujours un couple pour qui le frémissement de l'aube sera le premier
Parce qu'il y aura toujours des souvenirs à fabriquer, à dire, à écrire
Parce qu'il y aura toujours une cage thoracique à regonfler
La mienne est à plat
Et la pompe hors d'état

Et toi mon cœur, pourquoi bats tu ?

Ton oreillette dit résiste
Ton ventricule dit à l'aide
Et ton aorte exhorte le reste

Audiard il n'aime pas
Désolé
Il ne sait pas s'arrêter
Tout seul

Une flaque de paix
Une pluie de bonté
Une valise d'apparence délestée
Tant pour la société
Elle regardera autrement pour une fois
Et si elle ne sait pas, elle apprendra

Et toi mon cœur, ne t'arrête pas
Pas tout de suite

S'il manque de la harpe dans ta vie, de la joie dans ton âme, souviens toi juste et pas juste de cela :
Tu es celui d'une femme.

"Un gars, un gars"

Se voir
S'attendre
S'écrire
Se lire
S'attendrir
Se séduire
Se mentir

Petit déjà on disait de lui qu'il était beau comme une fille.

Se moquer
S'amuser
Se livrer à un double je
Jeu de dupe

Se muser en méduse
A l'air médusé
Et faire mal, et piquer, et tricher

Se chercher, se trouver, se ranger
Le voir
L'attendre
Lui écrire
Le lire
L'attendrir, mais pas pour de rires
Le séduire sans mentir

Sortir des préjugés
Gommer la honte
Braver l'incertitude
Mouiller ses certitudes

S'amuser pour la première fois, comme si c'était la dernière fois, sans se moquer, sans blesser,
Et s'assumer.


" Un gars, une fille "

Quand les dés ne sont pas ripés
Que le regard sonne juste
Que le cœur s'emballe
Que la lumière de l'âme s'embrase
Que la vie s'écoule à la vitesse d'un joyeux tourbillon géant
Et non plus d'un sablier perdant

Les haies de la vie se passent
A moindre casse
Une à une, deux par deux

Les passions mûrissent
Les dialogues s'installent,
Et s'instruisent

S'amuser pour la première fois, comme si c'était la dernière fois, sans se moquer, sans se blesser
Et s'assumer.


" Un gars OU une fille "

Se faire oublier
S'oublier
Oublier

S'attarder
Comme une pendule arrêtée
Un réveil silencieux
Un calendrier Lépovetskien ?
Que sera, sera …

Vivre avec
Faire comme si
Ou comme ça

Ils n'ont pas le choix.

S'amuser pour la première fois comme si c'était la dernière fois, sans se moquer, sans se blesser
Et s'assumer.

 

"Ballade en boucle dans l'infini" suivi de "Petites comptines" et "Dialogues de jungle" de Marie-Odile GUIGNON

Ballade en boucle dans l'infini


... Nager et se laisser emporter dans le courant et glisser dans l'écume semblable aux nuages qui nous enlèvent et nous roulent dans leurs bouillonnements douillets et cotonneux, élastiques et filandreux... Glisser lentement de l'eau fluide dans un continuel écoulement puis se retrouver subitement dans un ciel blanc, galopant de moutons blancs, blancs... Et, subitement n'être plus que la vapeur d'eau, l'eau en bouillonnements... Devenir l'auréole d'un petit filet gazouillant reflétant l'image cadavérique d'une lune blondie par les reflets du désert de la nuit du silence, où marchent, en se tenant par la main, la peur et la sérénité des lueurs captives et captées par la rosée reflétant les milles visages fleuris qui, le jour, se balancent dans l'herbe verte étale... Étalée comme la mer qui se perd en taisant sa colère et ses ressentiments sur les milliers de grains dorés de la plage désertée... Les vaguelettes délaissent et se délestent des galets roulés, noirs gris blancs, petites taches oubliées, condamnées au dessèchement pendant les instants de la marée avant d'être récupérées...
ballottées... oubliées... noyées... Peut-être comme les souvenirs perdus .... enfouis... qui s'en vont au fond de l'océan... Au-dessus dans le firmament, la Lune, de son œil perforant se reflète en dedans, et la Lune les extrait, les métamorphose, puis les transporte, sur sa face blafarde à l'humidité glacée, pour un long voyage dans l'air d'une marine bleutée habitée par les éclaboussures mordorées des étoiles étonnées accrochées ça et là, comme les rêves fous démesurés, des songes apeurés par le vent respirant si froidement l'illusion de l'oubli et de l'ennui dans la fraîcheur aérienne cristallisée et acérée de la neige papillonnante en flocons blancs, blancs... Ils tombent étalés sur le sol étal, comme une chape qui dissimule les apparences en effaçant sous son manteau immense les reliefs transformés en pièges où sombrent les temps de l'éternité... L'espérance d'un jaillissement creuse son chemin en résurgence inattendue et la source en surgissant rebondit puis s'étale en miroir transparent et de nouveau repart comme un fleuve celui de nos errances et de nos désirs éclos dans nos espoirs... Un fleuve... dans lequel... Nager et se laisser emporter dans le courant....

(reprendre le texte au début...et ainsi de suite, en boucle, autant de fois que nécessaire pour le ressentir comme une mélodie infinie en laissant venir en soi couleurs, paysages, ambiances...)


Petites comptines (sur la musique de Philip Glass)

Une ritournelle
Petite hirondelle
Sur les escaliers
Viens de tomber !

Une pimprenelle
Petite ombrelle
Sur les petits pavés
Vient de sursauter !

Une ribambelle
Petites sauterelles
Gaies et colorées
S'en vont virevolter...

Une tourterelle
A tire d'aile
A oublié
De s'abriter...

Passerelle
Ou marelle
Pour se moquer
Et pour sauter !

Maquerelle
Du carrousel
A la porte
Se pelote !...


Dialogues de jungle

" Bonjour ! Dit le serpent sifflant chuchotant. Cette chouette journée sans hibou commence en s'esclaffant !
- Il faudra mettre tes lunettes fil glissant et rampant, car elle s'annonce surchauffée ! Répond l'écho.
- Bonjour ! Dit le singe tournoyant suspendant, ce boa des heures à venir me balance de plaisir !
- Il faudra mettre tes atèles, membres souples et agiles, car le suspens retiendra ton souffle ! Répond l'écho.
- Bonjour ! Dit le lion rugissant lassé d'avoir chassé, la sieste couchée c'est mon option dès la matinée, j'ai le souffle coupé !
- L'œil demi-clos... Répond l'écho.

- Bonjour ! dit la girafe. De mon promontoire observatoire je scrute aujourd'hui l'horizon de mon appétit.
- Fais gaffe à tes taches ! Répond l'écho.
- Bonjour ! Dit le papillon au lumineux teint coloré, je tâche d'attraper le temps en voletant butinant, insouciant...
- Minute, papillon ! " Répond l'écho...

 

"Frère Pixel*" de Janine NOWAK


1re partie


" Ite Missa Est ".

Puissante, la voix du Révérend Père Siméon s'élève vers les voûtes du Saint Lieu.
Puis, d'un geste large, il bénit d'un signe de croix, la petite communauté de chanoines agenouillés, qu'il domine du haut de l'Autel.
Les moines tonsurés, au nombre d'une trentaine, se dressent et sortent un par un de la Chapelle de l'Abbaye. A peine la porte franchie, ils rabattent scrupuleusement leurs capuchons sur la tête. Puis, en rangs serrés, ils font, paisiblement, le tour du cloître. Arrivés à la porte latérale qui conduit aux bâtiments conventuels, ils s'égayent, chacun poursuivant son chemin, sans un mot, sans même un regard vers son voisin, afin de retrouver la tâche laissée en suspens avant l'office.
Le Frère Pixel est sur le point de regagner le chauffoir où il œuvre toute la journée, lorsqu'il se souvient que son encre rouge ne va pas tarder à être épuisée. Il change donc d'orientation et se dirige, de son pas régulier, vers le jardin de simples, où il sait pouvoir trouver le Frère Paterne, l'herboriste, spécialiste des plantes aromatiques, condimentaires, médicinales et autres.
Le Frère Pixel - d'un naturel contemplatif - apprécie cet endroit, qui correspond à son caractère ; il a du plaisir à admirer la nature, la flore, la faune, et particulièrement les oiseaux, les papillons, les coccinelles. Oh oui, surtout les coccinelles ! Il a une passion pour ces gracieux insectes. D'ailleurs, il en constelle ses enluminures. D'où son besoin incessant d'encre rouge !
Constatant l'absence du Frère Paterne, le Frère Pixel, pour patienter commodément, s'installe sur un banc de pierre, et se met à méditer sur son parcours.
Il est né en Bretagne, dans la forêt de Brocéliande. Il n'était encore qu'un jeune enfant à la mort de ses parents. C'est le Curé de sa paroisse qui l'a recueilli. Très tôt, ayant développé un don pour le dessin et la peinture, l'Abbé Thomas l'a encouragé dans cette voie et c'est ainsi qu'il est devenu tout naturellement, enlumineur.
Cultivé, doué d'une âme sereine et ayant la vocation, il a souhaité fuir le monde et entrer dans les ordres, afin de se consacrer entièrement à Dieu.
La solitude, la pauvreté, la lecture des Saintes Ecritures, la prière et son travail font depuis, toute son existence et sont une offrande quotidienne au Seigneur. Pas un jour il n'a regretté ce choix ; il est heureux d'être devenu un des Serviteurs de l'Eternel.
Il se plie volontiers aux règles stables, claires et strictes de l'Abbaye. Les conditions de vie du cloître sont exigeantes, très dures même : les nombreux offices doivent alterner avec les travaux auxquels chacun est astreint, et les temps de repos sont réduits aux minimum. Les repas, très frugaux, sont pris en silence et les moines couchent tout habillés dans un dortoir commun dépourvu du moindre confort.
Il a voyagé, jadis, pendant son noviciat, se déplaçant d'un Monastère à l'autre, afin d'enrichir ses connaissances et améliorer son Art. Il a ainsi vécu en Espagne, où il a appris la botanique, l'astrologie et les mathématiques.
Puis, cédant à une exigence de pureté, et afin de prononcer ses vœux, il a regagné la France, la Normandie et cette Abbaye du Bec, dans la Forêt de Brionne, où il a enfin trouvé son " Idéal Ascétique " : isolement, pauvreté, simplicité, soumission, qui conduisent le moine assoiffé d'austérité et de perfection, à la Béatitude !
Dès son arrivée, il a, bien évidemment, intégré l'atelier d'enluminures. Et, comme il était depuis fort longtemps, passé Maître en la matière, il n'a pas tardé à en prendre la responsabilité.
Il vénère, adore et glorifie Dieu ; mais il apprécie son métier par-dessus tout. Est-ce un pêché ? A-t-on le droit d'aimer à ce point son Art ? Cette question - sans réponse - parfois le trouble.
Ayant étudié la chimie, il prépare lui-même ses pigments avec un soin jaloux.
Il sèche, broie ses matières premières végétales, telle cette indispensable racine de garance dont il a aujourd'hui besoin.
L'ocre, ce précieux minerai, mélange de sable argileux et d'oxyde de fer, qui une fois traité devient une merveilleuse poudre onctueuse, impalpable, servant de base aux diverses peintures, n'a plus de secret pour lui.
Il estime que l'intensité des couleurs exprime le triomphe de la vie sur la mort (la vie éternelle, s'entend, car l'enveloppe charnelle n'est qu'un passage nécessaire).
L'éclat qui émane des visages - à la fois radieux et recueillis - qu'il peint, rappelle que la " Lumière Divine " habite la Créature et la transforme.
Les tonalités claires (bleues, roses, mauves…), tout concourt à donner une impression d'harmonie idyllique, paradisiaque.
Il vient récemment de créer, pour ses cieux, un bleu magnifique, dont il n'est pas mécontent.

Tout à son évocation, le Frère Pixel sombre peu à peu dans une douce somnolence. Mais, le laisser-aller n'étant pas de mise, il se secoue.
Le Frère Paterne à probablement été retenu auprès du vieux Frère Lazare, souffrant ; il risque de tarder encore. Autant retourner travailler.
S'arrachant à cet accès de réflexion, l'esprit apaisé, c'est avec joie, qu'il retrouve son cher manuscrit. Il est actuellement occupé à parfaire un superbe effet de transparence obtenu grâce à l'application d'un fin glacis.

2nde partie

L'attaque fut brutale, semblable au fracas des vagues sur l'océan. Attentif à son travail, il n'avait rien soupçonné, rien vu venir, rien entendu.
La porte, violemment poussée, claqua contre le mur, et en un instant, les brigands envahirent le chauffoir où les moines travaillaient consciencieusement, dans un silence recueilli. Affolés, les Frères copistes Cyprien, Prosper et Barnabé bondirent et essayèrent de fuir ; mais ils furent bien vite rattrapés, ramenés dans la pièce et égorgés par ces démons qui semblaient prendre plaisir à exterminer ainsi leurs semblables.
Le Frère Augustin, terrorisé, tétanisé, pétrifié sur son banc, n'esquissa pas le moindre geste. C'est ce qui lui sauva la vie : il ne fut qu'assommé.
Très digne, le Frère Pixel s'était dressé. Il regardait froidement ces bandits, qui pris d'une folie destructrice, saccageaient tout dans l'atelier. Ils ne respectaient rien, pas plus la Vie que les Oeuvres d'Art.
Quelles furent ses pensées, en cet instant ? Pendant quelques secondes, il douta de sa foi. Aura-t-il assez de force, de grandeur d'âme ? Sera-t-il capable de pardonner ce sacrilège, comme le recommandent les Textes Saints ? Tuer des Hommes de Dieu ! Réduire en cendre des heures de labeur !
Nonchalamment, le chef de la bande, s'approcha de lui, se campa sur ses jambes, le scruta longuement, puis ricana d'un air goguenard. Il fit un signe, et deux de ses sbires se précipitèrent. Ils se saisirent de Frère Pixel et l'obligèrent à s'asseoir. Le chef, tripota un moment des pots et fioles d'encres diverses. Une lueur malicieuse passa dans son regard. Saisissant un bocal, il s'approcha à pas lents du moine qui continuait à le fixer, sans peur.
Acceptant son martyr, le Frère Pixel n'opposa aucune résistance lorsque, étroitement maintenu par les deux acolytes, le chef, lui pinçant le nez, trouva très réjouissant de lui verser la peinture rouge dans la gorge. Stoïque, il ingurgita le produit mortel.
Puis, prenant soin d'achever leur carnage, déchirant et piétinant les Ouvrages Sacrés, ces sauvages repartirent comme ils étaient venus, ne laissant qu'un immense désastre derrière eux.
Le Frère Pixel, intoxiqué, se tordait et souffrait atrocement ; il rampait sur le sol, le griffant vainement. Il eut brusquement des visions et se mit à balbutier : " les coccinelles se rassemblent, tout devient trouble. C'est flou … ". Il s'effondra et mourut au milieu de ses chères couleurs, tué par elles.

An de Grâce 1144.

* PIXEL : nom donné à l'unité de base des images informatiques, par un ingénieur Américain, en 1962. Le martyr de ce moine (qui fut canonisé en 1843) mort après avoir été contraint par des bandits d'absorber ses couleurs, est véridique.


"Le lac glacé" de Françoise MORILLON


1re partie

Elle vole, les pointes satinés de ses chaussons roses picorent l'eau qui frémit sur son passage, elles remontent et frôlent les vaguelettes, ses longs bras gris blancs ondulent espérant rejoindre ceux de l'aimé qui, un peu las, se laisse éblouir par la volupté de la silhouette au charme étonnant.

Dans un souffle, l'aimé s'élance vers elle et la retrouve puis la perd, prend son ombre puis la perd. Elle, elle s'éloigne en savourant pleinement cet instant s'engloutissant dans cette nuée paradisiaque, cherchant dans ses inspirs les moments d'amour où elle exulte, se rapproche de lui, lui tend ses bras potelés de fraîcheur, et lance quelques petits nuages généreux vers son aimé puis les reprend au moment où il veut toucher ses doigts graciles et s'approcher de l'exaltation du bonheur.

Elle se retire, emporte sa souffrance, s'en nourrit, elle s'échappe puis flotte au-dessus du lac gelé, elle redescend lentement, piquant l'eau de la pointe de son chausson, l'autre aussi charmant remonte comme une abeille en train de butiner les vaguelettes affolée par la brise mélancolique des lieux.

Lui, vole à son secours, souffrant de trop d'amour il la prend, l'étreint doucement de ses deux mains, ses doigts glissant comme sur les cordes enchantées d'une harpe en détresse !

Mélancolie, amour. Il est là.

Il la garde au chaud, serrée contre lui, contre le duvet d'amour de ses seins.

Cœurs serrés, cœurs épuisés mais enlacés. Bonheur d'une souffrance horizontale, le corps vertical de ces deux enfants à peine estompé par la mousse ambiante qui s'éternise du désir givré mais grandissant et si fragile.

Cette ronde de l'amour les transporte, l'émotion qu'elle suscite les laisse s'envoler et glisser vers l'inaccessible.

Les flocons se mettent à tourbillonner au-dessus du lac, leurs plumes se brisent au-dessus des vaguelettes et meurent expirant en fines gouttelettes ; d'autres tournoient, explosent emportant le reste des plumes noyées : l'histoire du lac givré et de ses elfes.

2nde partie

Sous le lac, une bande de gardons aux écailles d'argent se détend et danse une farandole fraîche, puis elle saute au niveau de l'eau, car à l'approche de l'appât ces jolis petits poissons laissent leurs bouches entr'ouvertes, avalant les petits vers effrontés qui les ravigotent et les ensorcellent. C'est la danse des gardons frétillants de plus en plus excités par d'autres vermisseaux , des mouches….ou autres !

Ainsi cette excitation se transmet aux autres carpes habituellement plus calmes, aux brèmes et aux poissons soleils et collicobas multicolores qui nagent en fil indienne pour happer les éclats restants de la pâtée. D'autres arrivent, les tanches et les carpes cette fois déchaînées sautent hors de l'eau, retombent dans un plouf éblouissant qui fait naître des cercles multiples qui s'élargissent pour se perdre à l'infini sur la surface de l'eau du lac.

Puis, c'est une valse à trois temps des nageoires, la fête sous l'eau, la musique des poissons et de leurs spectateurs aquatiques.

Les grenouilles sortent leurs gros yeux noirs de dessous les feuilles de nénuphars en fleurs, les araignées d'eau sont toutes chamboulées mais retombent sur leurs longues pattes noires et la vipère d'eau montre le V de sa tête victorieuse et fuit en longues glisses entre les roseaux.

Tout ce tourbillon refait un tour et maintenant c'est la java qui semble exciter les eaux du lac si calmes en temps normal. La paix revient. Et sur la rive les notes d'un piano s'égrènent dans un coulis de son limpide, apaisé ; et à nouveau la folie sur le lac : les bulles d'eau se forment, jouent, rient, s'affolent comme pour accompagner les deux elfes enlacées puis se cassent et s'allongent sur les vagues pour mourir.

La cloche de l'église au loin sonne à nouveau, réveillent les Aimés qui s'envolent vers d'autres nuages, les poissons s'amusent, les plantes ondulent à leur passage. C'est à nouveau l'effervescence : tout bouge et vit, la vase est soulevée, elle creuse des trous au passage de la faune aquatique.

Alors tout ce monde se replace dans le calme du lieu sauvage.

Le danseur est là au bord de la rive ; la danseuse apparaît plus belle encore. Les deux étoiles toujours enlacées, leurs chaussons s'entremêlent, leurs voiles flottent et fendent la brise apaisée.

Les amoureux dansent, dansent, se regardent, se sourient, et volent encore au-dessus du lac, suspendus hors du temps.

La musique cesse, quelques dernières notes courent vers eux et embrassent leurs lèvres enflammées, celles-ci se touchent, se pressent, c'est un délice, le délice de l'amour, le délice de la Vie.


"Musique" suivi de sans titre d'Aurélie BOCCARA

Musique

Musique tu m'appelles
Musique tu m'interpelles
Musique tu m'énerves
Musique tu me juges
Musique tu me tends un piège
Musique tu me prends aux tripes
Musique tu m'émeus : je suis émue
Musique tu remontes en moi à la fois des choses tristes, pas forcément très marrantes et des choses graves : ça a un côté un peu bizarre, un peu déroutant.
Musique, à mes yeux tu es mystique. On imagine les chœurs dans une église qui résonne de toute part. C'est d'une grande beauté, j'y suis sensible et j'ai presque la larme à l'œil.
Musique, tu es grave, tu es noir, tu es sombre. On dirait du Wagner et je n'aime pas le citer car c'est un musicien qu'aimait Hitler.
Musique à la fois Désir, Victoire, et à la fois Monstres et Terreurs.
Musique, tes violons et tes violoncelles sont d'une telle densité, d'une telle intensité que la Mort, le Tragique, le(s) drame(s) y trouvent leur sens profond et leur Beauté.
Musique, tu conjugues une Beauté de la Mort.
Musique, tu ne m'en voudras pas si je te résume ainsi : tu es à la fois Bonheur, Joie, Drame, Malheur et Tristesse.
Musique, A ton écoute, A ton toucher, A ton goût, A ta sensation, A ta vue, je palpite, mes cinq sens palpitent.
Musique, je te verrais bien, je t'imagine en musique de films du genre plutôt triste…
A la fois passion fugueuse et envolée lyrique, tu déchaines les passions, et on imagine tes violons posant seuls au milieu de nulle part. Est-ce-que ça te plairait ?
J'espère que oui car enfin, tu prendras toute ta place, ta force et ta vigueur.
Musique, plus je t'écoute, plus je t'imagine à ton bras, papillonnant au bord de l'eau, sous un clair de lune, brillant de toute part et de toute beauté.
Cela te dirait d'aller prendre un café ? Mais non, c'est trop banal, trop anodin, pas assez noble pour toi. Tu préfères les nuits sombres et douteuses, n'est-ce-pas ?
Tu ne réponds pas ?! Mais ton silence en dit long sur toi !
Je me révolte…Oui je me révolte contre toi ! Tu n'es que sombre et noirceur, malheur et désespoir.
Arrête de m'interrompre. Tu monopolises tout le temps la parole… la musique je veux dire. Tout le temps à t'écouter, à t'écouter, à t'écouter et encore à t'écouter…
J'EN AI MARRE !!!!!
J'EN AI ASSEZ !!!!!
Basta, Finito, The End, Es Endet


sans titre

Piano, Violons, Violoncelles, que je peux reconnaître, vous m'éblouissez par votre beauté, par votre âme si belle !
Toujours ce rythme incessant, répétitif !!! Toujours la même torpeur, le même désordre qui surgissent, quel qu'il ou qu'elle soit.
C'est comme quelque chose, qui a de la peine à avancer, à se lancer ; comme un vieux vinyle rayé et c'est toujours le même rythme en toile de fond : 1 2 3 4 5 6
1 2 3 4 5 6…
Toujours avec ce même rythme vont noirceur, froideur, tristesse…
Puis tout d'un coup, on se lâche, comme disent les jeunes d'aujourd'hui ; tout éclate, tout explose même avec ce rythme incessant.
Quelle beauté de la musique, du musicien, du piano avec ces très beaux mouvements de pianiste. On imagine les mains du ou de la pianiste sur le clavier.
Après une montée en puissance, une chaleur existante, c'est le redoux, " le recalme ", " la retristesse ".
C'est à la fois exaltant, palpitant et remuant. Cela prend aux tripes. J'ai chaud, très chaud, je ne me sens pas tout à fait bien.
Ce sont mes émotions qui parlent, mais je suis un peu bouleversée.
Cette musique pourrait être la musique d'un film de Hitchcock.
Musique tu me plaies, mais en même temps tu me fais peur, tu m'effraies comme quelqu'un qui sonnerait à ma porte et qui n'en finirait pas d'appuyer sur la sonnette.
J'ai peur (tu m'autorises, n'est-ce-pas ?) comme un masque de carnaval qui fait peur aux enfants.
Tu m'impressionnes !!!
Tu veux me faire du mal : ça y est, j'ai chaud, très chaud à nouveau…
Pourquoi m'impressionnes-tu, pourquoi me fais-tu peur ? Pourquoi tu as une telle emprise sur moi ? Je ne saurais l'expliquer !
Encore une fois, tu m'ensorcèles, telle un(e) charmeur (se) de serpent. A quel jeu joues-tu avec moi ?
Si c'est un jeu pervers, je ne suis pas consentente.
Et d'abord, qui t'a permis de jouer avec moi ?
Ce n'est pas parce que tu es MUSIQUE, avec un grand M que tu as tous les droits. Encore moi, ça va, tu me connais, mais les autres comment vont-ils réagir en t 'écoutant ?
S'il te plaît, en son nom, arrête de jouer comme ça avec les autres. Je peux compter sur toi ? Et, arrête de jouer !!!!!

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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