Ci-après
quelques textes produits durant la séance,
notamment (dans l'ordre):
- "Pourquoi Piotr ?" de Mag LOPEZ
- "L'amée des singes" suivi de "La
cabane" d'Angeline LAUNAY
- "Si c'est une femme" de Céline CORNAYRE
- "Ballade en boucle dans l'infini" suivi
de "Petites comptines" et "Dialogues de jungle"
de Marie-Odile GUIGNON
- "Frère Pixel" de Janine NOWAK
- "Le lac glacé" de Françoise
MORILLON
- "Musique" suivi de sans titre d'Aurélie
BOCCARA
REMARQUE : ont été
mis en boucle deux morceaux de musique ; le premier était de
Gavin BRYARS (Farewell to philosophy - piste 3) et Philip GLASS (Tearing
herself away), d'où deux textes pour la plupart des participants,
et dans le même ordre !
"Pourquoi
Piotr ?" de Mag LOPEZ
Le front contre la vitre par le givre craquelée,
mèche blonde échappée de son châle de laine,
Tatiana regardait sous ses yeux défiler
les étendues glacées des plaines de l' Ukraine.
Le panache du train soulignait son passage
au milieu des bouleaux aux fins troncs argentés,
çà et là, se groupaient quelques discrets villages
qu'on distinguaient à peine, tant il avait neigé.
Pourquoi tu m'as fait çà, Piotr, dis ? Pourquoi ?
Le regard embué, elle pensait à la veille,
aux chants grégoriens, à pleins poumons chantés,
au cortège joyeux dans le pâle soleil
qui, vers la cathédrale, alors, se dirigeait.
Et tandis que le pope s'apprêtait à bénir
les alliances sacrées célébrant leur union,
alors qu'ils allaient, Piotr et elle, s' unir,
elle cria son " oui ", dans un souffle, il dit " non ! "
Pourquoi tu m'as fait çà, Piotr, dis ? Pourquoi ?
Tout au fond de la nef une femme attendait
serrant entre ses bras un enfant endormi.
Elle refusa de croire ce que tous voyaient.
C'est pourtant avec eux que Piotr s'est enfui !
Et le traineau poudré faisant crisser la neige
emporta les amants sur le chemin boueux
la laissant immobile, frappée d' un sortilège,
l'obsédante question poignardée dans les yeux
Pourquoi tu m'as fait çà, Piotr, dis ? Pourquoi ?
"L'armée
des singes" suivi de
"La cabane" d'Angeline LAUNAY
Plaine s'étale à l'infini
Lumière l'inonde
Poussière se soulève
Vue s'embue
Formes se diluent
Larmes s'assèchent à l'éponge de l'oubli
Vague musicale ondulante à la surface du sol caillouteux,
Gris, brun, beige
Submerge l'âme oisive, grise, brune, beige,
Bleue, rouge, violacée
Silhouettes enlacées dans ce décor sonore
Mirage insolite
Souvenirs qui se délitent
L'armée des singes envahit la planète
Sentinelles intransigeantes aux boucliers aveuglants
Sensibles cependant aux sonorités envoûtantes
Qui s'insinuent par toutes les pores,
En anesthésiant l'immensité si démunie dans son dénuement,
Au sein de laquelle s'illuminent les regards,
Se relâchent les bras,
Se frôlent les mains,
S'entrouvrent les bouches d'où aucune parole ne s'échappe
Le silence crie et les violons lui répondent
En tenant la note, sur le bord d'un ravin
Tout au fond duquel se murmure l'histoire des amours mortes,
Balayées par les vents brûlants,
Ignorées de l'armée des singes-aux-cuirasses-d'airain,
Nouveaux défenseurs des temples-rochers disséminés dans le paysage
Plaine incandescente
Il neige dans mon esprit, loin de là, sur les bords de la Marne
Je suis ici et partout à la fois
Ici, enneigée de musique
Et propulsée là-bas dans ces contrées lointaines
Il ne s'agit plus de moi
Ai-je existé, existerai-je…
La goutte dans la mer
Le grain de sable du désert
Le brin d'étoile dans l'univers
Qui donc me trouve ?
A quel dessein ?
Un enfant parcourt les distances
Est-ce toi, moi, lui, elle ?
Pérégrinations existentielles
Quelque part, ailleurs, à la surface d'un lac gelé
Tout glisse
Tout s'en va
Loin d'ici
Loin de la neige de l'esprit
Même s'il ne s'agit plus de moi
Je souris devant l'insouciance,
Devant la permanence des choses,
Devant l'entêtement insidieux de ce poème musical
Il chante la terre grave, la glace épaisse et le ciel apaisé
Il raconte les destinées
Il évoque les chagrins ancestraux en suivant les dérives de la banquise
Tel un traîneau disparaissant dans la tourmente,
Il emporte avec lui les bagages d'un voyageur dans bagage
Et même s'il ne s'agit plus de moi
Je m'endors en cette nuit sans fin
Cette illusion d'éternité
Tout à l'heure le soleil, maintenant la neige
Hier l'aurore, aujourd'hui le crépuscule
Le film génère cette " émotion à l'état pur "
Le bruissement des draps de soie bleue, c'est la mer qui se soulève
La diva embarque pour son ultime représentation
A bord, une mélodie jouée sur des verres soulève l'émerveillement
Une femme aveugle donne des noms de couleurs aux voix qui retentissent
Un ténor entame un aria dans la salle des machines
Visions ineffaçables malgré la place qu'occupe l'oubli,
Malgré le brin d'eau, la goutte de sable et le grain d'étoile
L'histoire continue
Il n'y a pas d'histoire
Et pourtant…
Les battements de mon cœur se précipitent
Des remous apparaissent à l'endroit ou s'élargit le fleuve
L'armée des singes brandit ses étendards
Vanité, folie, désir d'hégémonie
Et le rythme de l'existence reprend son inlassable roulis
Les feuilles sur leur branche verdissent à vue d'œil
Une barque s'aventure entre deux rives incertaines
Mais d'aventure,
L'esquif se fraye un passage en territoire inconnu de l'armée des singes
Pour atteindre ces zones marécageuses dangereuses
Où se perdent les esprits inconstants
Il y a Franck l'éclaireur, Josh le gardien et Delphine l'Arlequine
Mais où donc se trouve la cabane ?
Franck dit que c'est tout droit
Josh n'en est pas sûr
Et Delphine n'en sait rien mais elle visualise la cabane en pensée
Avec l'attrape-rêves quelle a accroché devant a porte d'entrée
Et les bougies qu'elle a rangées sur une étagère pour les veillées interminables
Il y a aussi Dicky, le chien, fidèle et redoutable, fiable et filou,
doux et fort
La cabane est quelque part qui les attend
Le soir s'annonce et il faut se dépêcher de la repérer
Dicky aboie. C'est lui qui sent. C'est lui qui sait.
L'Arlequine se met à rire
Elle se dit qu'ils touchent au but
Franck jette la corde sur un piquet
Josh l'aide à tirer l'embarcation
Delphine court
Dicky la précède
Il était temps
La neige s'est arrêtée de tomber
La cabane est là, grise, brune, beige,
Noyée de candeur et rongée de solitude
L'attrape-rêves virevolte au passage de l'Arlequine
La porte n'a pas servi depuis près d'une année
Elle grince de reproche mais aussi de soulagement
Elle n'a plus besoin d'espérer maintenant qu'ils sont tous là
La cabane jubile et se repaît d'espoir inutile
Elle se délecte de toute cette espérance inespérée…
Et de tous ces rêves attrapés
"Si
c'est une femme" de Céline CORNAYRE
Si c'est une femme
Comme une vie de femme sans flammes
S'enflamme
Sa peur est son angoisse
Son système, systémique
Sa tristesse est son semi, sa remorque
Son miroir, pas magique
Son image, son combat
Avec ou sans vain ?
Comme une vie pour rien
Prendre le pire pour un film
Leçon de survie, comme à Auschwitz, comme au Goulag,
Comme au Rwanda, comme à Gaza
Un jour, ça s'arrête
Une épopée, un voyage
Un cœur qui bat ?
Et toi mon cœur, pourquoi bats tu ?
En as-tu seulement le droit ?
En zone de non droit
Où la différence crée l'indifférence
Et la cruauté dans toute sa violence
Pas de happy end, juste un éclair de courage sous l'orage
Parce qu'il y aura toujours de la neige
Parce qu'il y aura toujours un couple pour qui le frémissement de l'aube
sera le premier
Parce qu'il y aura toujours des souvenirs à fabriquer, à dire, à écrire
Parce qu'il y aura toujours une cage thoracique à regonfler
La mienne est à plat
Et la pompe hors d'état
Et toi mon cœur, pourquoi bats tu ?
Ton oreillette dit résiste
Ton ventricule dit à l'aide
Et ton aorte exhorte le reste
Audiard il n'aime pas
Désolé
Il ne sait pas s'arrêter
Tout seul
Une flaque de paix
Une pluie de bonté
Une valise d'apparence délestée
Tant pour la société
Elle regardera autrement pour une fois
Et si elle ne sait pas, elle apprendra
Et toi mon cœur, ne t'arrête pas
Pas tout de suite
S'il manque de la harpe dans ta vie, de la joie dans ton âme, souviens
toi juste et pas juste de cela :
Tu es celui d'une femme.
"Un gars, un gars"
Se voir
S'attendre
S'écrire
Se lire
S'attendrir
Se séduire
Se mentir
Petit déjà on disait de lui qu'il était beau comme une fille.
Se moquer
S'amuser
Se livrer à un double je
Jeu de dupe
Se muser en méduse
A l'air médusé
Et faire mal, et piquer, et tricher
Se chercher, se trouver, se ranger
Le voir
L'attendre
Lui écrire
Le lire
L'attendrir, mais pas pour de rires
Le séduire sans mentir
Sortir des préjugés
Gommer la honte
Braver l'incertitude
Mouiller ses certitudes
S'amuser pour la première fois, comme si c'était la dernière fois, sans
se moquer, sans blesser,
Et s'assumer.
" Un gars, une fille "
Quand les dés ne sont pas ripés
Que le regard sonne juste
Que le cœur s'emballe
Que la lumière de l'âme s'embrase
Que la vie s'écoule à la vitesse d'un joyeux tourbillon géant
Et non plus d'un sablier perdant
Les haies de la vie se passent
A moindre casse
Une à une, deux par deux
Les passions mûrissent
Les dialogues s'installent,
Et s'instruisent
S'amuser pour la première fois, comme si c'était la dernière fois, sans
se moquer, sans se blesser
Et s'assumer.
" Un gars OU une fille "
Se faire oublier
S'oublier
Oublier
S'attarder
Comme une pendule arrêtée
Un réveil silencieux
Un calendrier Lépovetskien ?
Que sera, sera …
Vivre avec
Faire comme si
Ou comme ça
Ils n'ont pas le choix.
S'amuser pour la première fois comme si c'était la dernière fois, sans
se moquer, sans se blesser
Et s'assumer.
"Ballade
en boucle dans l'infini" suivi
de "Petites comptines"
et "Dialogues
de jungle" de Marie-Odile GUIGNON
Ballade en boucle dans l'infini
... Nager et se laisser emporter dans le courant et glisser dans l'écume
semblable aux nuages qui nous enlèvent et nous roulent dans leurs bouillonnements
douillets et cotonneux, élastiques et filandreux... Glisser lentement
de l'eau fluide dans un continuel écoulement puis se retrouver subitement
dans un ciel blanc, galopant de moutons blancs, blancs... Et, subitement
n'être plus que la vapeur d'eau, l'eau en bouillonnements... Devenir
l'auréole d'un petit filet gazouillant reflétant l'image cadavérique
d'une lune blondie par les reflets du désert de la nuit du silence,
où marchent, en se tenant par la main, la peur et la sérénité des lueurs
captives et captées par la rosée reflétant les milles visages fleuris
qui, le jour, se balancent dans l'herbe verte étale... Étalée comme
la mer qui se perd en taisant sa colère et ses ressentiments sur les
milliers de grains dorés de la plage désertée... Les vaguelettes délaissent
et se délestent des galets roulés, noirs gris blancs, petites taches
oubliées, condamnées au dessèchement pendant les instants de la marée
avant d'être récupérées...
ballottées... oubliées... noyées... Peut-être comme les souvenirs perdus
.... enfouis... qui s'en vont au fond de l'océan... Au-dessus dans le
firmament, la Lune, de son œil perforant se reflète en dedans, et la
Lune les extrait, les métamorphose, puis les transporte, sur sa face
blafarde à l'humidité glacée, pour un long voyage dans l'air d'une marine
bleutée habitée par les éclaboussures mordorées des étoiles étonnées
accrochées ça et là, comme les rêves fous démesurés, des songes apeurés
par le vent respirant si froidement l'illusion de l'oubli et de l'ennui
dans la fraîcheur aérienne cristallisée et acérée de la neige papillonnante
en flocons blancs, blancs... Ils tombent étalés sur le sol étal, comme
une chape qui dissimule les apparences en effaçant sous son manteau
immense les reliefs transformés en pièges où sombrent les temps de l'éternité...
L'espérance d'un jaillissement creuse son chemin en résurgence inattendue
et la source en surgissant rebondit puis s'étale en miroir transparent
et de nouveau repart comme un fleuve celui de nos errances et de nos
désirs éclos dans nos espoirs... Un fleuve... dans lequel... Nager et
se laisser emporter dans le courant....
(reprendre le texte au début...et ainsi de suite, en boucle, autant
de fois que nécessaire pour le ressentir comme une mélodie infinie en
laissant venir en soi couleurs, paysages, ambiances...)
Petites comptines (sur
la musique de Philip Glass)
Une ritournelle
Petite hirondelle
Sur les escaliers
Viens de tomber !
Une pimprenelle
Petite ombrelle
Sur les petits pavés
Vient de sursauter !
Une ribambelle
Petites sauterelles
Gaies et colorées
S'en vont virevolter...
Une tourterelle
A tire d'aile
A oublié
De s'abriter...
Passerelle
Ou marelle
Pour se moquer
Et pour sauter !
Maquerelle
Du carrousel
A la porte
Se pelote !...
Dialogues de jungle
" Bonjour ! Dit le serpent sifflant chuchotant. Cette
chouette journée sans hibou commence en s'esclaffant !
- Il faudra mettre tes lunettes fil glissant et rampant, car elle s'annonce
surchauffée ! Répond l'écho.
- Bonjour ! Dit le singe tournoyant suspendant, ce boa des heures à
venir me balance de plaisir !
- Il faudra mettre tes atèles, membres souples et agiles, car le suspens
retiendra ton souffle ! Répond l'écho.
- Bonjour ! Dit le lion rugissant lassé d'avoir chassé, la sieste couchée
c'est mon option dès la matinée, j'ai le souffle coupé !
- L'œil demi-clos... Répond l'écho.
- Bonjour ! dit la girafe. De mon promontoire observatoire je scrute
aujourd'hui l'horizon de mon appétit.
- Fais gaffe à tes taches ! Répond l'écho.
- Bonjour ! Dit le papillon au lumineux teint coloré, je tâche d'attraper
le temps en voletant butinant, insouciant...
- Minute, papillon ! " Répond l'écho...
"Frère
Pixel*" de Janine NOWAK
1re partie
" Ite Missa Est ".
Puissante, la voix du Révérend Père Siméon s'élève vers
les voûtes du Saint Lieu.
Puis, d'un geste large, il bénit d'un signe de croix, la petite communauté
de chanoines agenouillés, qu'il domine du haut de l'Autel.
Les moines tonsurés, au nombre d'une trentaine, se dressent et sortent
un par un de la Chapelle de l'Abbaye. A peine la porte franchie, ils
rabattent scrupuleusement leurs capuchons sur la tête. Puis, en rangs
serrés, ils font, paisiblement, le tour du cloître. Arrivés à la porte
latérale qui conduit aux bâtiments conventuels, ils s'égayent, chacun
poursuivant son chemin, sans un mot, sans même un regard vers son voisin,
afin de retrouver la tâche laissée en suspens avant l'office.
Le Frère Pixel est sur le point de regagner le chauffoir où il œuvre
toute la journée, lorsqu'il se souvient que son encre rouge ne va pas
tarder à être épuisée. Il change donc d'orientation et se dirige, de
son pas régulier, vers le jardin de simples, où il sait pouvoir trouver
le Frère Paterne, l'herboriste, spécialiste des plantes aromatiques,
condimentaires, médicinales et autres.
Le Frère Pixel - d'un naturel contemplatif - apprécie cet endroit, qui
correspond à son caractère ; il a du plaisir à admirer la nature, la
flore, la faune, et particulièrement les oiseaux, les papillons, les
coccinelles. Oh oui, surtout les coccinelles ! Il a une passion pour
ces gracieux insectes. D'ailleurs, il en constelle ses enluminures.
D'où son besoin incessant d'encre rouge !
Constatant l'absence du Frère Paterne, le Frère Pixel, pour patienter
commodément, s'installe sur un banc de pierre, et se met à méditer sur
son parcours.
Il est né en Bretagne, dans la forêt de Brocéliande. Il n'était encore
qu'un jeune enfant à la mort de ses parents. C'est le Curé de sa paroisse
qui l'a recueilli. Très tôt, ayant développé un don pour le dessin et
la peinture, l'Abbé Thomas l'a encouragé dans cette voie et c'est ainsi
qu'il est devenu tout naturellement, enlumineur.
Cultivé, doué d'une âme sereine et ayant la vocation, il a souhaité
fuir le monde et entrer dans les ordres, afin de se consacrer entièrement
à Dieu.
La solitude, la pauvreté, la lecture des Saintes Ecritures, la prière
et son travail font depuis, toute son existence et sont une offrande
quotidienne au Seigneur. Pas un jour il n'a regretté ce choix ; il est
heureux d'être devenu un des Serviteurs de l'Eternel.
Il se plie volontiers aux règles stables, claires et strictes de l'Abbaye.
Les conditions de vie du cloître sont exigeantes, très dures même :
les nombreux offices doivent alterner avec les travaux auxquels chacun
est astreint, et les temps de repos sont réduits aux minimum. Les repas,
très frugaux, sont pris en silence et les moines couchent tout habillés
dans un dortoir commun dépourvu du moindre confort.
Il a voyagé, jadis, pendant son noviciat, se déplaçant d'un Monastère
à l'autre, afin d'enrichir ses connaissances et améliorer son Art. Il
a ainsi vécu en Espagne, où il a appris la botanique, l'astrologie et
les mathématiques.
Puis, cédant à une exigence de pureté, et afin de prononcer ses vœux,
il a regagné la France, la Normandie et cette Abbaye du Bec, dans la
Forêt de Brionne, où il a enfin trouvé son " Idéal Ascétique " : isolement,
pauvreté, simplicité, soumission, qui conduisent le moine assoiffé d'austérité
et de perfection, à la Béatitude !
Dès son arrivée, il a, bien évidemment, intégré l'atelier d'enluminures.
Et, comme il était depuis fort longtemps, passé Maître en la matière,
il n'a pas tardé à en prendre la responsabilité.
Il vénère, adore et glorifie Dieu ; mais il apprécie son métier par-dessus
tout. Est-ce un pêché ? A-t-on le droit d'aimer à ce point son Art ?
Cette question - sans réponse - parfois le trouble.
Ayant étudié la chimie, il prépare lui-même ses pigments avec un soin
jaloux.
Il sèche, broie ses matières premières végétales, telle cette indispensable
racine de garance dont il a aujourd'hui besoin.
L'ocre, ce précieux minerai, mélange de sable argileux et d'oxyde de
fer, qui une fois traité devient une merveilleuse poudre onctueuse,
impalpable, servant de base aux diverses peintures, n'a plus de secret
pour lui.
Il estime que l'intensité des couleurs exprime le triomphe de la vie
sur la mort (la vie éternelle, s'entend, car l'enveloppe charnelle n'est
qu'un passage nécessaire).
L'éclat qui émane des visages - à la fois radieux et recueillis - qu'il
peint, rappelle que la " Lumière Divine " habite la Créature et la transforme.
Les tonalités claires (bleues, roses, mauves…), tout concourt à donner
une impression d'harmonie idyllique, paradisiaque.
Il vient récemment de créer, pour ses cieux, un bleu magnifique, dont
il n'est pas mécontent.
Tout à son évocation, le Frère Pixel sombre peu à peu dans une douce
somnolence. Mais, le laisser-aller n'étant pas de mise, il se secoue.
Le Frère Paterne à probablement été retenu auprès du vieux Frère Lazare,
souffrant ; il risque de tarder encore. Autant retourner travailler.
S'arrachant à cet accès de réflexion, l'esprit apaisé, c'est avec joie,
qu'il retrouve son cher manuscrit. Il est actuellement occupé à parfaire
un superbe effet de transparence obtenu grâce à l'application d'un fin
glacis.
2nde partie
L'attaque fut brutale, semblable au fracas des vagues sur l'océan. Attentif
à son travail, il n'avait rien soupçonné, rien vu venir, rien entendu.
La porte, violemment poussée, claqua contre le mur, et en un instant,
les brigands envahirent le chauffoir où les moines travaillaient consciencieusement,
dans un silence recueilli. Affolés, les Frères copistes Cyprien, Prosper
et Barnabé bondirent et essayèrent de fuir ; mais ils furent bien vite
rattrapés, ramenés dans la pièce et égorgés par ces démons qui semblaient
prendre plaisir à exterminer ainsi leurs semblables.
Le Frère Augustin, terrorisé, tétanisé, pétrifié sur son banc, n'esquissa
pas le moindre geste. C'est ce qui lui sauva la vie : il ne fut qu'assommé.
Très digne, le Frère Pixel s'était dressé. Il regardait froidement ces
bandits, qui pris d'une folie destructrice, saccageaient tout dans l'atelier.
Ils ne respectaient rien, pas plus la Vie que les Oeuvres d'Art.
Quelles furent ses pensées, en cet instant ? Pendant quelques secondes,
il douta de sa foi. Aura-t-il assez de force, de grandeur d'âme ? Sera-t-il
capable de pardonner ce sacrilège, comme le recommandent les Textes
Saints ? Tuer des Hommes de Dieu ! Réduire en cendre des heures de labeur
!
Nonchalamment, le chef de la bande, s'approcha de lui, se campa sur
ses jambes, le scruta longuement, puis ricana d'un air goguenard. Il
fit un signe, et deux de ses sbires se précipitèrent. Ils se saisirent
de Frère Pixel et l'obligèrent à s'asseoir. Le chef, tripota un moment
des pots et fioles d'encres diverses. Une lueur malicieuse passa dans
son regard. Saisissant un bocal, il s'approcha à pas lents du moine
qui continuait à le fixer, sans peur.
Acceptant son martyr, le Frère Pixel n'opposa aucune résistance lorsque,
étroitement maintenu par les deux acolytes, le chef, lui pinçant le
nez, trouva très réjouissant de lui verser la peinture rouge dans la
gorge. Stoïque, il ingurgita le produit mortel.
Puis, prenant soin d'achever leur carnage, déchirant et piétinant les
Ouvrages Sacrés, ces sauvages repartirent comme ils étaient venus, ne
laissant qu'un immense désastre derrière eux.
Le Frère Pixel, intoxiqué, se tordait et souffrait atrocement ; il rampait
sur le sol, le griffant vainement. Il eut brusquement des visions et
se mit à balbutier : " les coccinelles se rassemblent, tout devient
trouble. C'est flou … ". Il s'effondra et mourut au milieu de ses chères
couleurs, tué par elles.
An de Grâce 1144.
* PIXEL : nom donné à l'unité de base des images informatiques, par
un ingénieur Américain, en 1962. Le martyr de ce moine (qui fut canonisé
en 1843) mort après avoir été contraint par des bandits d'absorber ses
couleurs, est véridique.
"Le
lac glacé" de Françoise MORILLON
1re partie
Elle vole, les pointes satinés de ses chaussons roses
picorent l'eau qui frémit sur son passage, elles remontent et frôlent
les vaguelettes, ses longs bras gris blancs ondulent espérant rejoindre
ceux de l'aimé qui, un peu las, se laisse éblouir par la volupté de
la silhouette au charme étonnant.
Dans un souffle, l'aimé s'élance vers elle et la retrouve puis la perd,
prend son ombre puis la perd. Elle, elle s'éloigne en savourant pleinement
cet instant s'engloutissant dans cette nuée paradisiaque, cherchant
dans ses inspirs les moments d'amour où elle exulte, se rapproche
de lui, lui tend ses bras potelés de fraîcheur, et lance quelques petits
nuages généreux vers son aimé puis les reprend au moment où il veut
toucher ses doigts graciles et s'approcher de l'exaltation du bonheur.
Elle se retire, emporte sa souffrance, s'en nourrit, elle s'échappe
puis flotte au-dessus du lac gelé, elle redescend lentement, piquant
l'eau de la pointe de son chausson, l'autre aussi charmant remonte comme
une abeille en train de butiner les vaguelettes affolée par la brise
mélancolique des lieux.
Lui, vole à son secours, souffrant de trop d'amour il la prend, l'étreint
doucement de ses deux mains, ses doigts glissant comme sur les cordes
enchantées d'une harpe en détresse !
Mélancolie, amour. Il est là.
Il la garde au chaud, serrée contre lui, contre le duvet d'amour de
ses seins.
Cœurs serrés, cœurs épuisés mais enlacés. Bonheur d'une souffrance horizontale,
le corps vertical de ces deux enfants à peine estompé par la mousse
ambiante qui s'éternise du désir givré mais grandissant et si fragile.
Cette ronde de l'amour les transporte, l'émotion qu'elle suscite les
laisse s'envoler et glisser vers l'inaccessible.
Les flocons se mettent à tourbillonner au-dessus du lac, leurs plumes
se brisent au-dessus des vaguelettes et meurent expirant en fines gouttelettes
; d'autres tournoient, explosent emportant le reste des plumes noyées
: l'histoire du lac givré et de ses elfes.
2nde partie
Sous le lac, une bande de gardons aux écailles d'argent
se détend et danse une farandole fraîche, puis elle saute au niveau
de l'eau, car à l'approche de l'appât ces jolis petits poissons laissent
leurs bouches entr'ouvertes, avalant les petits vers effrontés qui les
ravigotent et les ensorcellent. C'est la danse des gardons frétillants
de plus en plus excités par d'autres vermisseaux , des mouches….ou autres
!
Ainsi cette excitation se transmet aux autres carpes habituellement
plus calmes, aux brèmes et aux poissons soleils et collicobas
multicolores qui nagent en fil indienne pour happer les éclats restants
de la pâtée. D'autres arrivent, les tanches et les carpes cette fois
déchaînées sautent hors de l'eau, retombent dans un plouf éblouissant
qui fait naître des cercles multiples qui s'élargissent pour se perdre
à l'infini sur la surface de l'eau du lac.
Puis, c'est une valse à trois temps des nageoires, la fête sous l'eau,
la musique des poissons et de leurs spectateurs aquatiques.
Les grenouilles sortent leurs gros yeux noirs de dessous les feuilles
de nénuphars en fleurs, les araignées d'eau sont toutes chamboulées
mais retombent sur leurs longues pattes noires et la vipère d'eau montre
le V de sa tête victorieuse et fuit en longues glisses entre les roseaux.
Tout ce tourbillon refait un tour et maintenant c'est la java qui semble
exciter les eaux du lac si calmes en temps normal. La paix revient.
Et sur la rive les notes d'un piano s'égrènent dans un coulis de son
limpide, apaisé ; et à nouveau la folie sur le lac : les bulles d'eau
se forment, jouent, rient, s'affolent comme pour accompagner les deux
elfes enlacées puis se cassent et s'allongent sur les vagues pour mourir.
La cloche de l'église au loin sonne à nouveau, réveillent les Aimés
qui s'envolent vers d'autres nuages, les poissons s'amusent, les plantes
ondulent à leur passage. C'est à nouveau l'effervescence : tout bouge
et vit, la vase est soulevée, elle creuse des trous au passage de la
faune aquatique.
Alors tout ce monde se replace dans le calme du lieu sauvage.
Le danseur est là au bord de la rive ; la danseuse apparaît plus belle
encore. Les deux étoiles toujours enlacées, leurs chaussons s'entremêlent,
leurs voiles flottent et fendent la brise apaisée.
Les amoureux dansent, dansent, se regardent, se sourient, et volent
encore au-dessus du lac, suspendus hors du temps.
La musique cesse, quelques dernières notes courent vers eux et embrassent
leurs lèvres enflammées, celles-ci se touchent, se pressent, c'est un
délice, le délice de l'amour, le délice de la Vie.
"Musique"
suivi de sans titre
d'Aurélie BOCCARA
Musique
Musique tu m'appelles
Musique tu m'interpelles
Musique tu m'énerves
Musique tu me juges
Musique tu me tends un piège
Musique tu me prends aux tripes
Musique tu m'émeus : je suis émue
Musique tu remontes en moi à la fois des choses tristes, pas forcément
très marrantes et des choses graves : ça a un côté un peu bizarre, un
peu déroutant.
Musique, à mes yeux tu es mystique. On imagine les chœurs dans une église
qui résonne de toute part. C'est d'une grande beauté, j'y suis sensible
et j'ai presque la larme à l'œil.
Musique, tu es grave, tu es noir, tu es sombre. On dirait du Wagner
et je n'aime pas le citer car c'est un musicien qu'aimait Hitler.
Musique à la fois Désir, Victoire, et à la fois Monstres et Terreurs.
Musique, tes violons et tes violoncelles sont d'une telle densité, d'une
telle intensité que la Mort, le Tragique, le(s) drame(s) y trouvent
leur sens profond et leur Beauté.
Musique, tu conjugues une Beauté de la Mort.
Musique, tu ne m'en voudras pas si je te résume ainsi : tu es à la fois
Bonheur, Joie, Drame, Malheur et Tristesse.
Musique, A ton écoute, A ton toucher, A ton goût, A ta sensation, A
ta vue, je palpite, mes cinq sens palpitent.
Musique, je te verrais bien, je t'imagine en musique de films du genre
plutôt triste…
A la fois passion fugueuse et envolée lyrique, tu déchaines les passions,
et on imagine tes violons posant seuls au milieu de nulle part. Est-ce-que
ça te plairait ?
J'espère que oui car enfin, tu prendras toute ta place, ta force et
ta vigueur.
Musique, plus je t'écoute, plus je t'imagine à ton bras, papillonnant
au bord de l'eau, sous un clair de lune, brillant de toute part et de
toute beauté.
Cela te dirait d'aller prendre un café ? Mais non, c'est trop banal,
trop anodin, pas assez noble pour toi. Tu préfères les nuits sombres
et douteuses, n'est-ce-pas ?
Tu ne réponds pas ?! Mais ton silence en dit long sur toi !
Je me révolte…Oui je me révolte contre toi ! Tu n'es que sombre et noirceur,
malheur et désespoir.
Arrête de m'interrompre. Tu monopolises tout le temps la parole… la
musique je veux dire. Tout le temps à t'écouter, à t'écouter, à t'écouter
et encore à t'écouter…
J'EN AI MARRE !!!!!
J'EN AI ASSEZ !!!!!
Basta, Finito, The End, Es Endet
sans titre
Piano, Violons, Violoncelles, que je peux reconnaître, vous m'éblouissez
par votre beauté, par votre âme si belle !
Toujours ce rythme incessant, répétitif !!! Toujours la même torpeur,
le même désordre qui surgissent, quel qu'il ou qu'elle soit.
C'est comme quelque chose, qui a de la peine à avancer, à se lancer
; comme un vieux vinyle rayé et c'est toujours le même rythme en toile
de fond : 1 2 3 4 5 6
1 2 3 4 5 6…
Toujours avec ce même rythme vont noirceur, froideur, tristesse…
Puis tout d'un coup, on se lâche, comme disent les jeunes d'aujourd'hui
; tout éclate, tout explose même avec ce rythme incessant.
Quelle beauté de la musique, du musicien, du piano avec ces très beaux
mouvements de pianiste. On imagine les mains du ou de la pianiste sur
le clavier.
Après une montée en puissance, une chaleur existante, c'est le redoux,
" le recalme ", " la retristesse ".
C'est à la fois exaltant, palpitant et remuant. Cela prend aux tripes.
J'ai chaud, très chaud, je ne me sens pas tout à fait bien.
Ce sont mes émotions qui parlent, mais je suis un peu bouleversée.
Cette musique pourrait être la musique d'un film de Hitchcock.
Musique tu me plaies, mais en même temps tu me fais peur, tu m'effraies
comme quelqu'un qui sonnerait à ma porte et qui n'en finirait pas d'appuyer
sur la sonnette.
J'ai peur (tu m'autorises, n'est-ce-pas ?) comme un masque de carnaval
qui fait peur aux enfants.
Tu m'impressionnes !!!
Tu veux me faire du mal : ça y est, j'ai chaud, très chaud à nouveau…
Pourquoi m'impressionnes-tu, pourquoi me fais-tu peur ? Pourquoi tu
as une telle emprise sur moi ? Je ne saurais l'expliquer !
Encore une fois, tu m'ensorcèles, telle un(e) charmeur (se) de serpent.
A quel jeu joues-tu avec moi ?
Si c'est un jeu pervers, je ne suis pas consentente.
Et d'abord, qui t'a permis de jouer avec moi ?
Ce n'est pas parce que tu es MUSIQUE, avec un grand M que tu as tous
les droits. Encore moi, ça va, tu me connais, mais les autres comment
vont-ils réagir en t 'écoutant ?
S'il te plaît, en son nom, arrête de jouer comme ça avec les autres.
Je peux compter sur toi ? Et, arrête de jouer !!!!!