SAMEDI 6 FEVRIER 2016
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Le conseil des Grandes Plumes - année 2"

Animation : Régis MOULU

Thème :

L'ordinaire, source vivifiante (Colette)

Nous faisant envoûter par les citations de Colette telles que « Il faut avec les mots de tout le monde écrire comme personne » ou bien encore « le monde m'est nouveau à mon réveil, chaque matin », nous rédigerons un texte remarquable de par sa simplicité ! Ce travail nous permettra de gagner en concision et en accessibilité.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), ce sujet a été énoncé en début de séance : Les confidences lyriques d'une femme qui fait très souvent confiance à sa petite voix intérieure.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support axé sur "savoir mobiliser l'ordinaire avec précision" a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "
Plis et replis confidentiels" de Marie-Odile GUIGNON

- "Lila" d'Ella KOZèS

- "Mer oubliée" de Chantal GUéRINOT

- "La gloriette" de Janine NOWAK

 

"Plis et replis confidentiels" de Marie-Odile GUIGNON

Cette femme là, faite d'intuition et de flair… Elle fait jouer les violons en sourdine, élève les sons subtils de la harpe en jouissant de ses larmes comme des flots d'une fontaine transformée en torrent dévalant des pentes neigeuses. Quand la fraîcheur inonde son visage, la douleur inscrite sur ses joues halées se love dans l'antichambre de ses souvenirs, ajoutant quelques épices acidulés à son intériorité. Librement elle glisse le long des dunes et plonge dans la mer docile. Autour de son corps nu son amie aux baisers salés, sa compagne pétrie de neutralité l'accueille quand sa conscience s'élance à l'assaut de ses décisions. C'est de ces longues flottaisons en clapotis qu'émanent les finesses de ses choix. Ainsi se brisent les liens de l'esclavage noués par l'amant devenu inconsistant… Ou que naissent le besoin impérieux de boucler ses valises vers un ailleurs à découvrir. Son ange diabolique s'épanouit chaleureusement au creux de son âme. Le tambour de ses tempes scande un tempo régulier de flux et reflux. L'horizon la redresse, elle marche sur les mousses fraîches de ses aspirations. Sa robe froissée s'enroule autour d'elle comme des phrases murmurées par le vent. Elle se dirige vers le chemin de sa maisonnette, sa fortification interne . Sa sérénité nourrit son autonomie : antidote de sa solitude, élixir stimulant de ses convictions. la véracité guide sa merveilleuse existence ! Les instruments de son orchestre, elle les sculpte avec l'attention d'un parfumeur. Son humeur fleurie colore toutes ses options. De ses passages vitaux naissent l'admiration et l'étonnement de l'être qui ose s'écouter. Pas de point d'orgue dans les balbutiements de son âme, juste les accents du piano brefs et virevoltants. Les tempêtes des émotions s'échouent comme des feux follets dans des landes perdues. Est-elle sirène, est-elle danse ?… Elle a cette capacité de suivre sa route à l'écoute de sa petite voix intérieure.


"Lila" d'Ella KOZèS

Le soleil de février inonde la cuisine de Lila. Seuls les arbres dépouillés de feuilles témoignent silencieusement de la saison. Lila est le nom qu’elle m’a demandé de lui donner lorsque je raconterais notre rencontre. Elle se lève, vigoureuse comme une jeune pousse qui ne sent pas ses quatre-vingt printemps, attrape en souriant la bouilloire et installe d’office une tasse de porcelaine fine sous mon nez. Elle n’a pas besoin de me demander ce que je prends. Elle ouvre précautionneusement un écrin métallique pour en extraire trois cuillères de thé rouge vanillé qu’elle jette une à une dans la petite théière en fonte asiatique. Puis, dans un silence attentif, elle arrose ce qui ressemble à des minuscules cylindres de bois.

Ce n’est que lorsqu’elle a fini de verser le précieux liquide qu’elle consent à me parler de ma mère.

Elle n’a aimé qu’un homme, qu’un seul… Toute sa vie pour un seul homme. Tu es une femme maintenant ; je peux t’en parler. Elle a toujours dit qu’elle n’avait eu qu’un grand amour et tout le monde pense qu’il s’agit de son mari, ton père. En réalité, elle ne t’a jamais parlé de lui. Tu n’as sans doute pas entendu son prénom prononcé suavement, ni la musicalité de sa voix, ni la douceur de son regard quand elle évoquait leur idylle. Lui sans qui sa vie n’aurait été qu’une petite pluie froide et régulière de ces journées d’hiver où il fait bon rester au chaud. Lui, qui a cueilli ses plus belles années. Je peux t’en parler parce que je l’ai rencontré et nous avons passé plusieurs soirées ensemble. Je ne l’ai jamais vue aussi heureuse. Tu n’existais pas encore, sauf dans ses rêves. A ce moment, je traversais une période de doutes sur mon devenir. J’hésitais entre mes différents amants.

Elle éclate alors d’un rire retentissant.

Cela doit te paraître étrange de voir une « vieille » te parler de ses amants ! Le dicton l’affirme « on ne peut pas être et avoir été ». C’est pourtant bien vrai ! Tu vois, j’ai tellement tardé à choisir, que c’est la vie qui a pris la décision pour moi. De deux, je suis passée à… rien…

Elle riait certaine d’avoir touché une de mes inquiétudes. Je levais ma tasse pour l’inviter à un toast et à boire une gorgée du breuvage chaud.

Je ne me sens pas vieille, en réalité. J’ai l’impression d’être quasiment la même que lorsque j’ai rencontré ta mère, à l’âge de quinze ans. Elle est partie l’année dernière, la lâcheuse. Moi, je tiens bon. Mais elle me manque. On ne se tricote pas soixante-quatre années d’amitié sans se sentir délaissée au moment où distraitement, l’autre cesse de respirer… Pour un peu, je lui en voudrais.

Une sorte de sérénité hors du temps s’était installée. Je regarde Lila avec tendresse. Ce petit bout de femme avait partagé les secrets de maman. Elle avait connu l’homme de sa vie. Finalement, elle en savait plus que moi-même sur ma propre mère. Un curieux sentiment s’installe fugacement. Connait-on réellement les siens ?

Tu as le même sourire que ta mère. Je vois bien que tu te demandes de quel type d’homme il s’agissait. Tu sais, nous deux, nous n’avions pas besoin de se parler pour se comprendre…

Autant te dire tout de suite, je l’ai immédiatement trouvé laid. Ta mère m’a avoué un jour qu’elle n’était pas tombée sous le charme d’un physique, mais que c’est l’ensemble qui lui avait plu. Elle, qui détestait les fumeurs, ne trouvait rien de plus élégant que lorsqu’il allumait sa cigarette, en faisant sauter d’un coup sec la protection de son briquet. Un Dupont le briquet, tu connais le goût de ta mère pour le luxe. Généralement méfiante vis-à-vis des hommes, ta mère s’était laissé embobiner par une voix de velours, un regard profond, des tempes argentées. J’avais remarqué sa tenue qui révélait une appartenance à la bonne société. Grand, mince, bien élevé, et intelligent avec ça ! Et puis, il avait énormément d’humour. Je me souviens de la première soirée où nous caracolions d’un éclat de rire à un fou rire, en passant par quelques sourires pour reprendre notre respiration. Ta mère était une femme à la répartie brillante. On ne l’arrêtait pas dans les jeux de mots les plus fins. Nous étions au restaurant, et les convives de la table voisine en profitaient pour passer une joyeuse soirée à peu de frais.

Je porte doucement la tasse fine à mes lèvres. Maman adorait la porcelaine dont les rebords étaient aussi minces que possible. Jusque-là, je n’avais jamais fait attention à la sensation de la matière qui se posait sur ma muqueuse. Petite, j’empruntais ses tasses pour la faire enrager. La finesse du bord de porcelaine était son plaisir, et quand j’utilisais son seul bol, unique rescapé d’une vie, pour la soupe, je l’observais froncer les sourcils. Je n’y voyais à l’époque que du maniérisme, ou une manie, ou encore du caprice. Aujourd’hui, je sens bien que le rebord de ma tasse contribue à l’instant parfait.

Il l’aimait. C’est certain. Du moins les premières années. Je dois avouer les avoir enviés tous les deux de cette si belle entente. La rencontre véritable est rare. Et elle était totale. Ils avaient besoin d’être proches physiquement, de se toucher par des petits gestes anodins. Je me souviens qu’il lui baisait les mains de temps à autres. Au début, je trouvais cela étonnant, un peu vieux jeu. Un jour, j’ai fini par lui demander ce qu’elle cherchait réellement dans cette relation sans issue. Ta mère m’a alors regardée droit dans les yeux avant de me répondre : « moi ».

Lila devait se taire depuis un moment quand j’ai pris conscience qu’à son tour, elle scrutait mon visage attentivement. Maman avait répondu : « moi ». C’était sans doute ce que j’étais venue trouver en passant prendre le thé chez Lila.

 


"Mer oubliée" de Chantal GUéRINOT


« Je le savais ! » dit Laurence en posant le dernier bol sur l'évier. « Je me fais toujours avoir. ». Elle repensa à ce dîner avec Marie il y a deux mois dans ce petit restaurant de la rue Gertrude. Elles avaient pu s'échapper toutes les deux de leur train train quotidien et se retrouver autour de cette bonne table. Marie avait changé, elle s'était en peu de temps affinée, sa nouvelle coupe de cheveux lui allait à ravir, elle était belle. Nos yeux brillaient, les verres de vin blanc illuminaient la table. La soirée s'annonçait joyeuse et chaleureuse. Marie m'a parlé de sa fille, de sa joie de vivre insatiable, de ses bêtises qui nous fait rire et sourire, de cette collègue si particulière qui lui fait vivre un enfer au boulot. Moi, je lui avais parlé de ce film qui m'avait bouleversé et des derniers romans que j'avais lu. J'en étais venue à parler de ma fatigue, de ce manque de lumière en ce mois de février, cette envie de vacances et retrouver le vent vivifiant de la mer. Et elle m'avait dit, allons-y toutes les deux en avril. Je me suis dit super. J'avais la voiture, j'avais aussi en tête la destination, Saint Valery sur Somme et on m'avait parlé de cet hôtel « Beau Rivage », face à la mer dans la vieille ville. Le lendemain, j'avais réservé et on allait occuper deux belles chambres spacieuses avec une terrasse commune aux deux chambres. Une semaine à flâner, discuter, lire, prendre l'air, les longues balades ensoleillées. J'en attendais beaucoup, j'y pensais chaque jour, j'avais commencé à réfléchir aux affaires que j'allais emmener, les livres que j'allais nous prendre, acheter un petit guide pour ne rien rater. On en avait reparlé avec Marie et on se faisait une joie. J'avais besoin de ce break. Et là, elle m'annonce à trois jours du départ qu'elle ne vient plus ! Tout cela pour un type qu'elle connaît depuis un mois et qui l'emmène en Corse sur son bateau. Mais qu'est-ce qu'elle fait de notre amitié qui dure depuis 25 ans. 25 ans où on a tout partagé : nos joies, nos coups de blues, où on a toujours été là l'une pour l'autre. Je suis déçue, j'ai cru que notre amitié passerait avant tout et Marie aurait du voir à quel point je tenais à ce petit séjour ensemble. Au lieu de cela, elle m' parlé de son Eric, si charmant, si incroyable et et si doux, qui la comprend si bien, qui est si attentif à ses besoins et à ses peurs. Bon, elle ne voulait pas s'emballer et ne m'a rien dit avant d'être certaine que c'est Lui, l'homme de sa vie. A aucun moment, elle m'a parlé de la possibilité que je le rencontre. Tant mieux, car je n'ai aucunement envie de le rencontrer, cet homme qui va certainement lui briser le coeur d'ici peu. Marie n'a pas encore compris qu'on n'a pas besoin d'eux. La liberté c'est d'être seule, de vivre sa vie comme on l'entend, tant pis si cela n'est pas conforme, je n'ai pas envie de me lester d'un poids inutile, de partager un quotidien qui ne peut être qu'insupportable à mes yeux. Au bout d'un moment, elle me dit « Que vas-tu faire ? » de sa petite voix semblant se soucier de moi qui va se retrouver toute seule sans son amie qui devait l'accompagner à un séjour au bord de la mer. Et bien, je vais y aller seule ! Elle me répond : « J'en étais sûre que tu n'aillais pas abandonner le projet d'y aller. Tu n'as pas peur de faire les choses seules. C'est pour cela, quand Eric m'a invitée sur son bateau, je n'ai pas hésité, je savais que tu partirais tout de même. J'ai pensé, voilà, c'est cela de passer pour une femme forte, même une amie qu'on connaît depuis 25 ans, pense qu'on a besoin de personne. Finalement, elle ne me connaît pas vraiment. Je suis très sensible et sa désaffection me touche plus que tout. J'ai trop besoin de moments de partage, de communion, de rires, d'affection. Elle ne se rend pas compte. Elle est trop centrée sur elle-même. J'aurai du m'en douter que cela allait se produire : le fait qu'elle prenne plus soin d'elle, le fait qu'elle soit moins présente, et quand elle était là, elle avait ce petit sourire béat qui ne la quittait pas. Voilà, un homme se cachait derrière tout cela... J'y suis ! Je suis à Saint Valéry. Il fait super beau, la mer est magnifique, j'aime les embruns de la mer. Je suis arrivée hier, j'ai super bien dormi. Je me sens bien et je suis en forme. Je prends l'air et le soleil sur la plage après une très longue balade à observer cette nature si belle qui me remplit de bonheur. Bahia pose sa tête sur ma cuisse. Ses yeux doux sont remplis d'affection et de reconnaissance. Marie m'a laissée sa chienne si douce. C'est une bête magnifique et on n'a pas besoin de parler pour se comprendre. Je pose ma main sur sa tête et la caresse doucement. Tout est là !

 

"La gloriette" de Janine NOWAK


A pas menus, j’avance prudemment vers l’extrémité de la pelouse, en direction de cet endroit que je chéris entre tous, celui où se dresse fièrement une pimpante, gloriette, qui un jour de la Belle Epoque, a été érigée là, suite à un brusque caprice de mon Grand-Père paternel. Je n’ai pas eu le bonheur de connaître cet aïeul, à la réputation de bon vivant, mort à la fleur de l’âge… d’avoir justement trop aimé la vie ! Je le déplore, car je sens que nous aurions su bien nous entendre. C’était un bel homme, à la fière allure, à la moustache conquérante, à l’œil malicieux. Son portrait, en pied, décore le dessus de cheminée du salon. Lorsqu’il m’arrive de déguster un whisky à la saveur tourbée (je dois avoir hérité de certains de ses gênes, car il était lui-même – m’a-t-on dit – grand amateur de cette boisson écossaise), je lève toujours mon verre en direction de son image, lui portant un toast muet et affectueux, au-delà de la frontière qui nous sépare. Me voici arrivée à destination. Je me hisse péniblement en haut des quatre marches et vais m’asseoir sur le banc installé à droite de la montée, là où la petite bâtisse côtoie un massif de seringa, si joliment fleuri et si agréablement parfumé au printemps. Je ferme les yeux, dilate mes narines, hume les senteurs de ce jardin, qui ont toujours eu sur moi, un pouvoir enivrant. J’ai atteint ce que l’on appelle un grand âge. Mon regard se voile inexorablement, mon ouïe ne vaut guère mieux, mais, miraculeusement, mon sens olfactif est toujours aussi développé. Aussi, plongée dans cette bienfaisante atmosphère, je me mets à rêvasser, me remémore mon passé. « Sarah, je parie que tu es encore fourrée là-bas. Veux-tu vite rentrer faire tes devoirs avant le retour de ton père ! » C’est ma mère ; je l’entends encore s’époumoner depuis la terrasse. Oh, elle ne se trompe pas : je suis encore « fourrée », comme elle dit, dans ma niche, la gloriette ! En ai-je passé du temps à jouer, à dormir, à méditer dans mon Paradis ! Oui, c’est le nom que j’avais donné à cet abri de jardin. Mes cousins aimaient construire des cabanes au milieu des ronces, s’écorcher en rampant. Moi, mon choix s’est fixé dès ma prime enfance, sur ce kiosque. C’était une évidence : ce coin était le mien. Il attendait ma venue depuis toujours. D’ailleurs, tous les moments importants de mon existence se rattachent à ce lieu. J’ai toujours eu un goût prononcé pour le spectacle, et le théâtre en particulier. A peine savais-je lire et écrire que j’inventais de petites histoires que je mettais ensuite en scène. Bien évidemment, je m’octroyais le rôle principal. Mon prénom – Sarah – y est-il pour quelque chose ? Il faudrait interroger les astres. Naturellement, les représentations se déroulaient là-bas ; la scène était la gloriette, et les spectateurs installaient des chaises sur l’herbe, en contrebas. Mes cousines ricanaient en catimini : « Quelle cabotine, celle-là ! ». Hé bien oui, cabotine, je l’étais déjà. Et cabotine, je suis restée. Et j’en suis fière ! Choisir sa vie. Choisir son avenir. Toujours choisir. Risquer de se tromper. C’est souvent difficile de prendre une décision, de trancher. Je n’ai jamais pu mettre de l’ordre dans mon esprit ou réfléchir aux choses sérieuses, ailleurs qu’à cet endroit. Mon enfance a été joyeuse, agréable. On m’a choyée. Il n’y avait pas plus charmante gamine que moi…dès l’instant où l’on cédait à mes caprices ! En fait, je n’avais qu’un seul caprice, toujours le même : la gloriette ! MA gloriette ! Mes repas d’anniversaires ? A la gloriette ! Ma communion ? A la gloriette ! Les joyeux goûters récompensant mes bonnes notes de fin d’année (en ce temps-là, des prix étaient distribués, et j’étais toujours la première de la classe) ? A la gloriette ! Adolescente, je m’étais inscrite en cachette, à un cours d’art dramatique. C’est dans mon antre que je déclamais des vers aux quelques spectateurs qui me faisaient l’honneur de passer par là, à savoir : lapins, mulots, musaraignes, belettes et hérissons. Même une pluie diluvienne ne m’empêchait pas de courir vers mon havre de paix. Croyant me faire plaisir, on y a fêté mes fiançailles, à la gloriette. Je revois la fontaine de Champagne que l’on avait osé installer, contre ma volonté, dans MA gloriette. « Il faut les mettre à l’abri, tous ces verres », m’a dit un serveur stylé, à l’air pincé. Le pauvre homme ! A l’abri ! Lui pensait aux intempéries : un coup de vent malheureux, une ondée imprévue. Il n’avait pas songé au prédateur que j’étais. Mine de rien, avec le plus grand naturel, je me suis pris les pieds dans la nappe immaculée, entraînant dans ma chute, la fontaine de Champagne, devenue pour le coup, une splendide cascade ! Je jouais la confusion à la perfection, puis, prétextant le besoin de changer de robe, je pris mes jambes à mon cou et me précipitais en toute hâte à la maison pour rire aux éclats. Au retour, je réendossais mon rôle de modeste fiancée. Quelle journée ! Pauvre Gaspard. J’ai été bien cruelle envers lui. Oh, il n’était ni laid ni déplaisant. Mais je n’avais aucunement l’intention de me marier. Je voulais vivre ma vie. Et cette promesse de mariage, orchestrée par nos familles respectives, me faisait horreur. J’avais longuement préparé mon plan. Le soir de cette funeste journée d’accordailles, je vins m’asseoir dans mon Paradis, pour admirer une dernière fois le clair de lune et aspirer les odeurs de la nuit, afin de les conserver dans mon être, tout au fond de moi. Quelle misère ! Quitter cet endroit me déchirait le cœur. Etais-je folle ? Cynique ? J’avais donné rendez-vous à Gaspard. Je lui avais promis d’être sienne le soir de nos fiançailles. Il me pressait depuis longtemps, mais j’avais toujours refusé. Du jour où je pris la décision de fuir, une idée m’a titillée : je ne pouvais pas débarquer à Paris en véritable oie blanche (d’autant plus que dans le milieu artistique… on sait ce qu’on sait !). Alors, pourquoi pas Gaspard ? Je lui faisais une vilaine crasse en cassant de si belles fiançailles. Il fallait bien être un peu sympathique et lui offrir une compensation. Enfin, passons. Toutefois, ce souvenir fait partie de ma vie. C’est tout de même dans ma gloriette que je suis devenue femme ! Et dès le lendemain, je fuyais à Paris où, sous un pseudonyme, j’attaquais une carrière de comédienne, qui s’est bien vite révélée brillante. Il a fallu de longs mois avant que mes parents me pardonnent. Enfin j’ai été autorisée à revenir. J’ai pu retrouver de loin en loin mon coin de Paradis. Aujourd’hui, ma vie se termine. Me revoici dans la maison familiale, à la case départ, attendant d’être rappelée à Dieu. Un souhait ? M’endormir doucement, pour toujours, sur mon banc, dans ma gloriette.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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