SAMEDI 9 Novembre 2013
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"J'écris comme d'autres peignent"

Animation : Régis MOULU

Thème :

Saisir la première impression (Corot)

A l'instar de la "méthode Corot", il s'agit, au cours de cette séance, d'écrire en prenant de soin de ne jamais perdre la première impression qui nous a émus !

Il faut donc, ici, s'attacher à la "masse ressentie" ou à un ensemble qui nous touche : essayer d'aller au cœur de ce qui nous frappe importe plus que tout.
Cette façon de rédiger stimule donc notre capacité à saisir une vérité et à être précis : l'écrit produit aura été qualifié d'une meilleure assise. 

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), un sujet a été énoncé en début de séance : Se plonger dans l'ambiance suggérée par un des deux tableaux ci-après (au choix).
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support a été distribué en début de séance... Trop cool, on roucoule !

 

 

 

 

 

 

 

 

TABLEAU 1


"The little nest harriers"... pouvant être traduit en " Les chasseurs du petit nid" ou "Le petit nid des busards" de Jean-Baptiste Camille Corot

TABLEAU 2


"Paysage d'automne" de Jean-Baptiste Camille Corot

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "L'armée des justes" de Christiane FAURIE

- "De feu et d'eau" d'Ella KOZèS

- "Boîte à nuages" de Régis MOULU

- "Désespérance" de Janine NOWAK

- "Intrusion" de Marie-Odile GUIGNON

- "Une ombre au bord de l'étang ou le retour du chevalier"
de Nadine CHEVALLIER

 

 

"L'armée des justes" de Christiane FAURIE (d'après le tableau 2)


Le commissaire Le Develec était déjà installé derrière son bureau. Son imper défraichi pendait à la patère branlante.
Cette vieille, hier, l’avait agacé avec ses airs de conspiratrice, ses silences entendus, son air gêné de prendre tant d’importance assise dans ce fauteuil trop grand, sa robe noire flottant de part et d’autre de l’assise.
Mais qu’est ce que c’est que cette armée des Justes que sa fille Lyne aurait vue aux abords de la forêt de Brognan ?
Et la disparition du vieux Justin Le Braz, un chasseur vicieux qu’elle détestait, ça devrait la réjouir ? De quoi aurait-elle peur ? Pourquoi rechercher un type qui a quitté sa maison le jour même sans d’autre explication ?
Que peut-il risquer ?
- Il semble connaître la forêt comme sa poche,
- mauvais comme une teigne
- un fusil chargé jusqu’aux dents
- prêt à tirer sur  tout ce qui bouge
Non, explorer la forêt de Brognan au cœur de l ‘automne n’était pas pour le réjouir.
L’air humide s’est installé ces derniers jours et ça le rendait nerveux. Il n’avait pas besoin de ça !
Tout l’agaçait  depuis quelques temps.
C’est l’âge, mon vieux, lui disait Le Guilvinec, son fidèle lieutenant depuis bientôt trente ans ! Vivement la retraite !
Tu parles, encore quatre ans avec cette foutue réforme !
Le Guilvinec, dit la Fouine, n’avait pas son pareil pour flairer les indices  et une mémoire phénoménale qu’il entretenait en digérant des manuels historiques capables d’assommer une armée de tireurs d’élite.
Tu as déjà entendu parler de l’armée des Justes ?
Peut-être, laisse- moi faire un peu de ménage dans le grenier et je te fais signe.

Encore affairé à classer les principaux éléments de la déposition de la vieille, le commissaire aperçoit la mine réjouie de la Fouine.
C’est le nom de l’armée créée en 1432 par le Comte Adémar de la Fondière, propriétaire de la forêt de Brognan. Dieu l’aurait chargé d’une mission, redonner au Comté l’espérance et la ferveur.
Son armée en déroute s’est perdue au fil des siècles mais elle réapparait à l’heure de la fête des morts dans la forêt, aux abords de l’étang.
Malheur à celui qui la croise car elle se nourrit des âmes grises.
Mais les âmes pures qui l’entrevoient doivent délivrer le message des prochains appelés au risque de leur propre vie.
Lyne les a révélés hier à la vieille. Est ce pour cette raison qu’elle a fait ce chemin  jusqu’à nous malgré sa nature taiseuse ?
Sûrement qu’il n’y a pas d’esprit civique derrière tout cela. Le père Le Braz n’était pas homme à susciter d’élan particulier, tel qu’il apparaît en tueur assoiffé.
L’an dernier, il a tué sa chienne avec sa portée qu’elle allaitait encore.
Mais qui protégeait-elle ? Lyne, sans aucun doute. Elle doit rechercher un lieu sûr.
Bon, reprenons depuis le début :
- la vieille, après avoir pris conseil auprès de son vicaire, s’est rendue dans nos locaux
- annonce de la disparition de Le Braz
- homme célibataire
- pas de famille connue
- mauvais comme une teigne
- nombreux ennemis
- rejeté par les chasseurs des environs du fait de ses pratiques
- a quitté son domicile hier sans raison apparente
- a vidé son congélateur en répandant le gibier dans son salon avant de disparaître
- une armée de justes en marche dans les environs.
Par quoi commençons-nous ?
La forêt, Patron.
D’accord, j’y vais cet après-midi.
Treize heures. Il plonge en se frayant un passage parmi les grands chênes et les futaies épaisses. Quelle humidité ! Ca vous glace le sang. J’aurais du demander à la Fouine de m’accompagner !
Je ne sais pas si c’est cette histoire de spectres errants, mais je regarde ces arbres autrement.
Ce vieux chêne déploie ses branches d’une drôle de manière. On dirait qu’il est pourvu de mains crochues prêtes à m’agripper à chaque pas.
Mais, j’aperçois bien une forme humaine assise sur un tronc mort. Elle semble m’attendre.
Ah ! Vous voilà ! Il était temps.
Mais vous me connaissez ?
Je sais juste que vous avez l’air de quelqu’un qui recherche un mort dans les parages. Ca se sent ces choses là.
Mais de quel mort parlez-vous ?
Chez nous, on ne pose pas de question.
Mais alors, comment obtenir des réponses ?
On se débrouille, c’est tout.
Vous êtes intéressé par le corps, bien sûr.
Dépassez la rangée de bouleaux argentés à votre droite. Continuez votre chemin jusqu’au calvaire. Il est là. Sa mobylette est dans les fourrés.
Mais pourquoi n’avez-vous pas alerté la police locale ?
Chaque chose en son temps ! Je devais vous attendre.
Le commissaire sera furieux.
Je le connais bien, je l’ai sauvé de la noyade enfant alors qu’il était tombé dans l’étang.
Il est recouvert de brume, souvent. C’est là que l’armée des Justes jette ses âmes sombres.
Mais pourquoi le calvaire ?
Sans doute le vieux Le Braz a t’il préféré mettre fin à ses jours plutôt que d’affronter une vie éternelle d’errance.
Mais vous pourriez être désignée comme le suspect numéro 1 ?
La vieille  n‘aurait pas du parler. Ca ne donnera rien de bon !
Un mort suffisait pour cette fois. Vous êtes d’accord.
Pour sûr !
Pour ma part, l’enquête est terminée.
La locale poursuivra les investigations. Le Braz  n’est pas beau à voir. Déjà ces satanés vers envahissent ses orbites.
Des histoires pareilles, ce n’est plus de mon âge ! Et cette atmosphère… Trop de verdure pour un citadin comme moi.

 


"De feu et d’eau" d'Ella KOZèS (d'après le tableau 1)


Perrine, Jean-Baptiste et Camille sont inséparables. Quand l’un se trouve dans un lieu, on peut être certain que les deux autres ne sont pas loin. C’est ainsi depuis leur naissance. Ils n’ont pas encore de secret l’un pour l’autre. C’est le temps de la liberté sous couvert des bois qui bordent le lac. Un temps suspendu, comme les dernières feuilles accrochées aux branches qui se dénudent inexorablement avant l’hiver. Ce présent fragile est situé entre un riche passé de rires d’enfants, de jeux de cache-cache endiablés, de batailles, de roulades herbeuses… et un avenir incertain auquel nul ne veut songer. La nature s’achemine vers l’hiver après cette explosion de couleurs dorées et argentées à la fois. Des paillettes étincelantes se détachent de la cime des grands arbres pour venir former un tapis épais à leurs pieds. La timidité des derniers rayons de soleil les rend plus précieux que tout. Ils caressent tendrement les joues rebondies dans un au-revoir nostalgique. Ils tentent de douces percées par tous moyens comme pour mieux marquer le souvenir, avant de laisser place à l’eau.
L’eau…
L’eau va envahir les bords du lac. Elle porte élégamment déjà les couleurs d’acier que certaines feuilles arborent. L’eau vient toujours après les derniers feux d’automne. Elle va bercer le paysage au fil des risées du vent. En profondeur, elle s’amalgamera à la terre. Ce sera le temps du silence entrecoupé du souffle du vent. Ce sera aussi le temps du sommeil fécond. Elle se mariera à la prairie et aux champs environnants.  Elle emplira chaque interstice, y déposera ses semences : graines perdues et roulées par le flot créateur.
En tendant la main pour recueillir les dernières noix têtues que Jean-Baptiste s’est offert d’aller débusquer pour elle au fait du noyer, Perrine cesse soudainement de rire intérieurement. Elle a surpris le regard inquiet de Camille sur eux. D’instinct elle sait que cette innocente échappée sur les bords du lac est la dernière. Camille est leur aîné. Perrine a compris qu’il leur cache un lourd secret. Atterrée, elle plante son regard dans celui du jeune homme qui ne cille pas. Elle le connaît assez pour savoir que l’amour qu’elle y lit ressemble aux derniers rayons du soleil. Elle s’emplit de la lumière douce qui brille sur lui. Sans un mot, elle savoure le bonheur d’être aimée et le supplie des yeux de ne jamais la quitter.
Submergé par une émotion qu’il souhaite maîtriser devant celle à qui il a donné son cœur en silence depuis si longtemps, Camille parvient à articuler deux mots en serrant les poings : « je reviendrai ».  Les larmes emplissent le  cœur de Perrine qui murmure en réponse : « je t’attendrai ».

Le temps de l’eau est déjà arrivé dans leurs vies, dans leur cœur. Cette eau incontournable  que nul ne peut dompter a toujours raison du feu … tout simplement… parce qu’elle en est l’équilibre.

 

"Boîte à nuages" de Régis MOULU, animateur de l'atelier (d'après le tableau 2)

Vues du sol,
vues du sol,
des coulées d'encres noires déferlent sur le ciel,

à leurs extrémités,
quelques explosions de feuilles diaphanes,
comme de grosses émeraudes
prises dans un mirage de poussière :
tempête d'automne.

Le ciel est lourd, bas et fleuri de toute part
par des nuageons – petits nuages –
d'une blancheur résolue,
de la chantilly solide,
j'ai même cru à du joint de fenêtre, en amas.

À contempler l'ensemble,
se sont cinq – même sept – parapluies dressés
dont il ne reste que des baleines
assorties de quelques déchiquetés de toiles vert bouteille,
une couleur habituellement réservée aux vieux cabas.

En quelque sorte, des paratonnerres telluriques.
Ou des mains suppliantes.

En fait, des coraux terriens qui attendent
désespérément le retour de la mer.

On sait qu'elle était là,
bien qu'on ne l'ait jamais vue,

humeur de paradis perdu.

 

Des sacs plastics se prennent dans les branches
et le paysage joue aux estampes japonaises,
les créatures de l'entre-deux vont s'y engouffrer,
je reste tapi,
de possibles rencontres peuvent s'y produire,
me voilà joyeusement apeuré ?

Un lac dort en ce lieu
comme un vêtement posé sur le plancher.

Y plongeras-tu ?

Mon cerveau n'est plus qu'une boîte à nuages
à ouvrir,
à ouvrir amplement,
à quoi ressemble la clef ???

Toute une vie
à tenter une évaporation
et à la réussir,
rejoindre les émulsions lactées de ce ciel magnétique
mais passons,
laissons encore infuser ce rêve d'automne.

Devant le lac est planté
ce qui me paraît être un peintre assis
avec son chevalet de campagne sur les genoux,
de loin c'est un scarabée avec son bout d'écorce,
une petite âme avec un projet de vie trop grand,
trop radieuse. Je souffre.

Une lumière naissante allume le lac
qui se transforme en miroir,
les nuages, eux, deviennent phosphorescents,
et les troncs sur ma gauche poivre et sel,
comme s'ils se déguisaient en bouleaux,
mais leurs vertèbres qui s'affaissent les trahissent,
les accablent.

La paupière de l'horizon se lève ou se baisse,
je ne sais plus,
c'est cette ambiguïté qui me happe,
qui me fait entrer dans ce tableau.

Instantané de tissus qui s'étoilent
de couleurs sombres,
par capillarité,
tout s'y noiera,
j'ai commencé à boire le panorama,
gros ventre, petites cuisses que prendront les générations suivantes,
nous redeviendrons tous des ronds,
des boules,
d'infimes planètes en suspension

Les arbres sont des nacelles,
des berceaux,
où je vais me lover avec douceur,
en pensée,
avant qu'un vent de sorcière les agite,
les chatouille,
les poinçonne,
les transforme en monstres d'acier
qui crachent leur fumée,
qui vomissent notre ère industrielle,

laisse venir ta peine
si tu veux, un jour, retrouver le sommeil,
remettre à ton sourire deux branches d'étoiles
qui converseront à nouveau avec le croissant de lune,
dans une ambiance sépia.

La joie me mord,
fait lever le niveau de l'étang,
permet aux nymphes d'éclore
comme des fleurs de nénuphars,
et tout commence à se balader.

L'heure est à la déchirure,
la déchirure profonde,
on est pile sur le lieu de rendez-vous des forces,
dans l'arène où elles vont se mettre à lutter.
Du sans va couler, va cailler.

Le peintre veut saisir cela.
Assister à cet accouchement.
Faire son prélèvement.
Et colporter la nouvelle comme un journaliste
que le temps rendra documentaliste.

Les nymphes dansent,
les troncs sifflent,
les feuilles transpirent une odeur de maroquinerie,
tout se donne la main,
la farandole gagne les cœurs,
pourquoi gardes-tu tes bottes en caoutchouc, Isabelle ?

Le soleil est une lame
qui va bientôt se lever,
qui va bientôt s'abattre sur nous
en nous définissant en deux coups de crayon,
un aller retour,
je commence à avoir chaud,
mes sensations confuses gonflent mon parka en parachute ascensionnel,
j'ai touché un rêve du bout de ma fragilité,
je peux me rendormir pour quelques siècles,

signé « un des deux menhirs
sur la berge sud ».



"Désespérance" de Janine NOWAK (d'après le tableau 2)

C’est une heure très paisible… la fin de la journée.
Le coassement des grenouilles vient de remplacer le pépiement des oiseaux.
Le soleil, bas sur l’horizon, filtre difficilement au travers du feuillage.
Doucement, le crépuscule assombrit le paysage, le peignant en cette fin d’été, d’une teinte d’un vert profond, sombre, inimitable.
Les petits animaux fuient en toute hâte, furetant dans les herbes, à la recherche d’un gite pour la nuit.
Comme chaque soir, il a marché, mécaniquement, tête basse, sans se soucier de sa destination, tel un vieux cheval qui, dans un reflexe conditionné, retrouve spontanément la route de l’écurie.
Il a cheminé pesamment, s’est péniblement traîné, écrasé par une fatigue dont il ne peut se défaire ; une fatigue qu’il sent peser sur ses épaules ; il n’a en rien souffert dans sa chair, mais cependant, cette fatigue lui envahit les membres, des membres aussi douloureux que s’ils avaient été rompus à coups de barre de fer.
Son but atteint, il s’est écroulé plus qu’il ne s’est assis, sur un petit tumulus, toujours le même. Un rituel, en quelque sorte. Cette motte de terre herbeuse, accotée à deux bouleaux aux troncs tortueux, sur la berge de l’étang, l’attire comme un aimant
Et ainsi, immobile, prostré, on le croirait en état second.
D’où je suis, je distingue son profil qui apparait blanc dans la pénombre environnante. Une infinie tristesse latente, organique se lit sur ses traits. Il parait subir une sorte d’envoûtement maléfique. Il fixe le vide presque avec avidité. On dirait qu’il a soif de mélancolie.
Puis, invariablement, après un temps, il frissonne et sort de sa torpeur.
La lassitude qui se lisait sur son visage défait et abattu, cède la place à une vague d’angoisse qui monte par à coups pour enfin atteindre les yeux et leur donner un air égaré.
J’ai alors l’impression que des images effroyables envahissent sa rétine, s’y accrochent, ne voulant pas la quitter. Son regard – un regard de fou - m’effraie, et je crains chaque fois que son esprit ne se mette à battre la campagne.
Le ciel, à présent sombre, comme barbouillé de suie, ajoute à mon angoisse.
Ensuite, arrive l’instant des tics nerveux. Des grimaces secouent spasmodiquement son faciès, l’enlaidissant. Il en devient méconnaissable. C’est effrayant. Il parait avoir perdu toute maîtrise de lui-même.
Et brusquement, il se met à gémir. Faiblement d’abord, une sorte de vagissement dans la nuit, qui peu à peu s’intensifie, jusqu’à devenir un râle déchirant. Et pour finir, une immense plainte sort de lui, comme arrachée par une douleur surhumaine.
Pétrifiée, horrifiée, je l’observe douloureusement.
Où est l’homme sémillant et ardent que j’ai rencontré dix ans plus tôt ? Etait-il jovial, alors ! Son sourire suffisait à éclairer l’appartement.
Aujourd’hui, il personnifie le désenchantement le plus complet, le désespoir absolu. Son visage, jadis si beau, à présent émacié, fait peine à voir.
Ah si l’on pouvait revenir en arrière ! Si l’on pouvait faire tourner les aiguilles dans l’autre sens !
Il a tant changé ! Il s’est cristallisé. Tout a durci en lui. La gaité de son regard s’est éteinte. Les arcanes du destin ont fait jouer leurs rouages. Un sort néfaste lui a sculpté une tête de tragédie sous le coup de cet éboulement brutal dans sa vie, ce jour où tout a basculé.
Comment pourrais-je jamais l’aider ? Accepterait-il, d’ailleurs ?
Je l’aime toujours et suis désespérée de me sentir impuissante.
Enfin, il s’apaise et émerge lentement du puits noir où il avait sombré. Et c’est soulagé, qu’il se dresse calmement, pour reprendre le chemin du retour.
Je m’éclipse à travers bois, me dépêche de regagner notre logis, afin de me composer une attitude banale, bien ordinaire, faire semblant derrière mes fourneaux.
Faire comme si à tout prix.  
Lui apporter la douceur du foyer.
Lui offrir ma tendresse avec l’espoir que – peut-être, un jour – il sortira de cet anéantissement et trouvera enfin cette sérénité dont il a tant besoin.
Mais en attendant, surtout, surtout, qu’il ne sache jamais que je l’épie !

 

"Intrusion" de Marie-Odile GUIGNON (d'après le tableau 2)


Une fumée noire bouillonnait en grosse volutes qui filaient en s'éclaircissant dans l’atmosphère grise. Le sol carbonisé étouffait des râles chimériques au creux de ses craquelures.
Tout ne s'était-il pas consumé, dans l'espace, avant la chute ? Il n'y aura pas de feu...
Une masse informe gisait, agonisante, enserrée, étouffée dans des tentacules de branches tordues désireuses de protéger les troncs noueux de leurs origines.
Il se figea, scrutant le moindre frémissement qui pourrait jaillir de cette anomalie soudaine. Manifestement, la violation de son univers le déstabilisait. Quel danger le guettait ? L'accablement le saisit, la paralysie de ses facultés gagnait du terrain... Un sentiment d'impuissante frémissait dans son cerveau, s'insinuait dans son mental taillant des fissures d'agitation. Une sorte de fièvre dessinait des nervures d'affolement qui progressaient en tissant un hamac vertigineux où s'enfouissait ses désirs de sérénité.
Dans ses frontières balisées agonisaient ses illusions. Les arbres touffus, les taillis, les fougères épaisses se déshabillaient de leurs fonctions protectrices. L'automne de son espace vital changeait de couleurs, ses structures endossaient les lignes fantastiques qui, désormais, lui serviraient de labyrinthe d'exploration...
Abasourdi, il tenta de réagir.
L'antre de sa vie, il l'avait élaboré minutieusement : Il ne le voulait ni invraisemblable, ni utopique, mais avec quelques graines de fabuleux, à l'intérieur d'un domaine sauvegardé par des murailles romanesques empreintes de réalisme éloigné. Sa vaste forêt poussait joyeusement, habitée par une faune babillarde et un flore luxuriante. Rien ne pouvait bouleverser l'ordre fantaisiste établi des lianes et des branchages s'enlaçant pour danser dans le vent léger des substances parfumées.
Il humait quotidiennement le bonheur. Il exultait d'insouciance...

Jusqu'à cet instant suspendu... l'atterrissage de cette... Cette chose venant du ciel... Cette tache soudaine sur le sol... Cette structure boursouflée gisant là, sur la berge de l'étang de ses eaux calmes...

 

"Une ombre au bord de l'étang ou le retour du chevalier" de Nadine CHEVALLIER (d'après le tableau 2)

Lorsque l'ombre sombre est arrivée, les deux bouleaux ont frémi de toutes leurs feuilles, éparpillant des éclats de lumière argentée dans le nuage de leur verdure. Comme offusqués de cette présence, ils ont redressé leurs troncs crevassés, griffant le ciel de leurs branches souples.
A leurs pieds, le buisson de ronces s'est recroquevillé comme un hérisson dans ses piquants.
Les grands saules curieux se sont penchés vers l'ombre, tendant leurs grandes mains crochues  aux doigts écartés.
La forêt toute entière attendait, silencieuse.
L'ombre sombre s'est arrêtée devant l'étang dont l'eau brillait doucement dans la clarté de l'aurore. Des scintillements la parcouraient, de fumées de vapeur s'enroulaient autour de fourrés encore dans la nuit sur l'autre rive.
Une poule d'eau affolée a crié en fuyant sous les saules.
Une rafale de vent a soudain animé la scène, les feuillages bruns ont murmuré leur désaccord, les troncs des bouleux ont grincé leur mécontentement.
L'ombre sombre est entrée dans l'eau, écartant sur son passage des nuées de lentilles d'eau. Elle a contourné les saules pour se cacher dans l'obscurité des buissons.

Le chevalier est arrivé, tenant son cheval par la bride. Il se sentait inquiet, la piste qu'il avait suivie était si facile, qu'y avait-il au bout ?
Dans la pénombre de la forêt, le silence l'oppressait. Les grands saules penchés, leurs branches noires dressées lui semblaient des géants malfaisants.
Son épée s'accrochait à chaque pas dans les buissons de ronces. Les mille papillotements de la lumière dans les feuillages, l'étourdissaient, l'aveuglaient.
Arriver à l'étang lui fut comme un soulagement, la clarté du matin sur l'eau lui réchauffa le cœur.
Mais l'ombre sombre s'abattit sur lui et le combat commença.

La rive fut piétinée, creusée de profondes empreintes. Des vagues de colère, noircies de terre parcoururent l'étang jusqu'à la rive opposée y entrainant des milliers de feuilles arrachées. Les arbres secoués crièrent leur douleur, leurs écorces blessées, entaillées, lézardées par les lames acérées, leurs branches cisaillées, décapitées par les coups d'épée.
Toute la forêt résonna longtemps de la fureur du duel.

Au soir tombé, le chevalier, fourbu, crotté, ensanglanté, couvert de lentilles d'eau est arrivé au château.
Il y avait comme une ombre dans son regard.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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