SAMEDI 11 Janvier 2014
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"J'écris comme d'autres peignent"

Animation : Régis MOULU

Thème : Produire sous le déchaînement de l'inconscient (Dali)

Au cours de cette séance, il va falloir être irrationnel, avoir des visions de folie et solliciter sa production onirique !

Cette mise en condition débridée permettra plus que jamais de "déplacer" son écriture et de susciter de l'étonnement ! Et le peintre fantasque d'ajouter, comme pour nous mettre à l'aise : « Ne craignez pas la perfection, vous n'y parviendrez jamais » !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet "Lettre à ma meilleure qualité (si possible surréaliste !)" a été énoncé en début de séance.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support a été distribué au départ... Là ça devient du coocooling, non ?

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Cher moi-même" de Janine NOWAK

- "Hommage à « ma chouette personne »" de Marie-Odile GUIGNON

- "Moi et les autres" de Christiane FAURIE

- A toi… et à moi aussi, par la même occasion !" d'Ella KOZèS

- "Zoom osé au zoo" de Régis MOULU

- "A toi, ma divine qualité" de Nadine CHEVALLIER



"Cher moi-même" de Janine NOWAK


Dix minutes.
Dix minutes que je suis plongé dans un abîme de réflexion, que je cogite, que je cherche mon entête.
Et puis, après tout, pourquoi tourner autour du pot ?
Il y a moi… encore moi… toujours moi… rien que moi : je m’aime.
Ainsi donc, aucun doute là-dessus : ma meilleure qualité… c’est d’être moi-même.
Merci Papa, merci Maman.
Et merci moi.
Il faut admettre qu’à la base, mes parents ont réussi leur travail de géniteurs : je suis beau, séduisant, bien bâti et d’une suprême distinction.
Quant à mon intelligence… bien supérieure à la moyenne des autres bipèdes. Petite remarque en passant : je ne dis pas mes semblables, mais bipèdes. Je me sens tellement au dessus d’eux !
Je ne précise pas mon Q. I. : c’est proprement indécent.
Il est important de signaler, qu’afin d’affiner tous ces dons, j’ai fait de gros efforts, j’ai beaucoup travaillé sur moi-même, d’où mon grand mérite.
Aujourd’hui le but est atteint : je suis un être absolument parfait.
Ce n’est pas toujours simple à gérer. Ainsi, je n’ai pas de meilleur ami que moi. Quelques fois je m’abaisse à essayer de repérer quelqu’un de potable, dans mon entourage.
Tiens – me dis-je – il a un physique, celui-là.
Hé, hé, elle est plutôt mignonne, celle-ci
Mais c’est à peine s’ils m’arrivent à la cheville côté charme. Et généralement, s’ils sont beaux, ils sont sots, du genre : «  Sois belle et tais-toi », suivant la formule consacrée.
Alors, la plupart du temps, je reste isolé.
Sans gravité. Aucune importance. J’ai la parade : j’ai toujours à portée de la main un miroir. A mon domicile, un grand, genre Psyché, où je peux m’admirer en pied. Et quand je me déplace, je promène une petite glace de poche où il m’est aisé de jeter un œil sur mon beau visage, en toute discrétion, dès que j’en ressens le besoin. Et c’est souvent.
On peut dire que je me nourris de moi. C’est presque viscéral : j’ai besoin de moi.
Les gens m’écrivent beaucoup. Normal : étant extraordinaire, je suis mondialement connu.
Hélas, émanant de plumitifs de bas étages, je trouve généralement leurs lettres insipides.
Voilà pourquoi, je m’envoie des missives enflammées, que je redécouvre avec extase. Je deviens mon plus fervent lecteur. Je suis follement heureux dans ces moments là. Je pense : «  Mais qu’il est doué, celui-là ! Enfin quelqu’un qui sait me comprendre, m’apprécier : il me donne les arguments justes pour appuyer sa ferveur ». Je fonce à la signature : c’est moi ! Suis-je déçu ? Que nenni : on n’est jamais si bien servi que par soi-même.
Aussi, je conserve ces écrits dithyrambiques dans un classeur, rangés par sexe (oui, il m’arrive d’être une femme et de signer « Ernestine » au lieu « d’Ernest », mon vrai prénom).
Et tous les soirs, je relis deux ou trois de ces messages. J’en ai le cœur qui bat, les larmes aux yeux, la tension qui monte en flèche, tellement je suis ému.
Ah, se sentir aimé avec cette force ! Soulever un tel enthousiasme ! Quelle jouissance !
Je suis persuadé que quelques grincheux restent convaincus que, perché sur mon piédestal,  je dois souffrir terriblement de la solitude.
Alors là, pas du tout, du tout, du tout. Comme ils se trompent !
La sagesse populaire dit qu’il vaut mieux être seul que mal accompagné. J’en suis la preuve..                              De toute façon, je ne suis jamais réellement solitaire : il y a moi avec moi. Inséparables, gémellaires, s’adorant l’un l’autre, ne se contrariant jamais, toujours d’accord sur tout,
solidaires, amoureux.
Oui, je dis bien : amoureux !
J’en parlais aujourd’hui même avec le Docteur Rosemblerg. Pas si mal, ce Docteur Rosemblerg. Presque intelligent. Il serait très fréquentable s’il n’était pas aussi laid. Je le connais depuis peu ; c’est une relation de mes parents.
Il a affirmé ne pas trouver étrange – contrairement à la plupart des gens – le fait que je m’envoie du courrier.
Il a même eu la courtoisie de me demander l’autorisation de lire ma collection.
Il a déclaré que ça l’avait passionné, impressionné. C’est vraiment quelqu’un de rare, cet homme là.
Et de plus, il encourage mes relations épistolaires.
Oui, oui : c’est lui qui m’a incité à rédiger aujourd’hui cette lettre ; il m’en a fourni le sujet : faire une sorte de biographie, où je devrais parler de ma meilleure qualité.
Contrainte terriblement difficile, quasi impossible.
C’est pourquoi j’ai si longtemps réfléchi, hésité, tourné en rond. Je me suis torturé l’esprit en vain : tout me plait chez moi. Tout est impeccable. Pas un seul défaut, pas un soupçon de médiocrité. Alors, que choisir ? Que pouvais-je faire ? Un vrai dilemme. Pas d’autre solution que de parler de moi. De moi tout entier. Tel que je me connais. Tel que je suis.
Et aussi, tel que les autres me voient, c'est-à-dire admirable en tous points.
Je suis adulé. Cependant, il m’arrive d’être jalousé. J’en ai conscience. Forcément : un être aussi sublime ne peut que susciter l’envie.
Ce n’est pas un souci ; broutille. Mon moral n’en souffre pas : j’ai tant d’admirateurs, par ailleurs ! J’en ai un plein album !
Et, chance, voici qu’à présent, un nouveau membre - et de quelle qualité ! - est à la tête de mon fan-Club : le Docteur Rosemblerg, que je viens de nommer à la Présidence.
Il en était tout ému, le cher homme. Du coup, très charmant, il m’a offert spontanément une chambre d’ami dans son hôtel particulier, une vaste demeure, avec un parc bien clos ou je serai tranquille.
C’est un grand cœur cet homme là. Il a créé une sorte d’Arche de Noé, afin de regrouper l’élite de la société ; il héberge une petite trentaine de pensionnaires, tous des êtres de choix, sélectionnés par lui, des artistes un peu dans mon genre – m’a-t-il dit – mais forcément inférieurs à moi – a-t’il ajouté avec un clin d’œil ! -.
Il sait m’apprécier, lui, reconnaître mes qualités et mon immense talent.
Je constate que j’ai fait une omission d’importance : je n’ai pas parlé de mon activité professionnelle.
Comme carrière, après des études longues et fatalement brillantes, j’ai décidé de faire génie.
Voilà : je suis celui qui pense pour les autres. Joli métier, non ? Peu répandu.
Evidemment, pour un être d’exception, il fallait quelque chose d’exceptionnel.
Et c’est si peu compliqué une activité de génie : pas besoin de bureau, d’installation sophistiquée, de collègues, de collaborateurs, d’employés. Pas de déplacements à faire. Pas de contraintes d’horaires. C’est tout simple.
Je m’isole, je réfléchis. Un papier, un crayon, je note mon idée et le tour est joué.
Sensationnel, non ?
Il faut que je me hâte de conclure : c’est bientôt l’heure de la levée et j’aimerais bien, demain, recevoir du courrier !

Mon cher Moi, je m’embrasse affectueusement,

                                       Signé :  Moi .


"Hommage à ma chouette personne" de Marie-Odile GUIGNON

Quand l'écureuil paprika s'agite dans mon crâne, l'hippocampe de ma matière grise devient chouette.

Mes pensées se mutent en faune qui déménage dans la flore.

L'univers bouillonne comme l'océan en colère.
Un résultat immédiat colore en clair-obscur toutes les vagues des mots qui me submergent.
Des phrases-poissons oscillent en bandes dessinées.
Un bleu liquide s'évapore en liane de fumée d'un calumet de paix-guerrier qu'un singe-araignée happe au passage.

Quand la girafe s'étire, mes rêves s'élèvent vers le baobab verdoyant de mes racines pour fleurir, d'une couronne royale, la tombe de mes idées noires.

Si le soleil éclaire d'un bref coup d’œil le sable de mon subconscient pour en faire jaillir un serpent à sonnettes, c'est un boa qui s'échappe de la pointe de mon stylo.

Lorsqu'un puma explore les feuilles d'une jungle hostile à la recherche d'un oxymore innocent à dévorer sans tâche, mes papiers mâchés se lâchent.

Quand des souris s'enfuient mine de crayon, elles croisent un chat sans langue en quête d'une bonne volonté pour la remplacer. Alors c'est un bœuf-champignon qui lui offre la sienne, dans un froissement d'écorces de moi-même.

Quand un bruit court, l'éléphant tome pèse de tout son poids sur le sommeil des juxtapositions, les liaisons dangereuses s'annoncent.
Point d'exclamation.
Point d'interrogation.
Des suspensions petits pois frais se décrochent sur les trames de mon potager de nouvelles fraîches-rassies, douces-amères, fades-épicées.

Si les verbes dansent la salsa du démon, les lettres s'accouplent blanc-noir.
Concevoir un paragraphe rayures-zèbre donne du rythme.
Écrire une phrase fourrure de tigre concède de la force.
Introduire des concepts poils d'ours brun sème des craintes :
Mes pouces se tournent.

Lorsque j'avance dans la forêt profonde du désordre organisé, les fruits secs de la raison germent à l'apéritif.
Mon bic, dans un mouvement continu de gris-fouillis tarabiscotés, modélise les racines du dictionnaire qui n'en finit pas d'instruire la ménageries des méninges.

Égoïste solidaire un texte se dévoile devant la concision généreuse d'un hasard délictueux.

Je considère naturellement que la philosophie de l'animalité est la source de toutes mes inspirations confuses ou cohérentes et qu'elle est, par son essence, indissociable de la psychologie du milieu des plantes, des arbres, de la beauté luxuriante, de l'idée de Nature.

Le hululement de ma chouette personne exalte la sagesse du mystère qui l'auréole. Il surgit de l'ombre profonde des ambiguïtés de mon être.

 

"Moi et les autres" de Christiane FAURIE


Je ne te remercierai jamais assez, Nature qui m’a fait naitre différent du commun des mortels.
Tu as changé le cours de ma vie sans conteste !
Alors que tout un chacun vit et meurt sur cette terre accompagné de tous ses tracas dus à la dégradation progressive de son apparence, moi, j’ai eu très tôt conscience que la matière qui me constituait n’avait aucune mesure avec la chair humaine.
J’ai informé mon entourage dès que la parole me fut donnée :
« Papa et maman, je suis un spectre technocosme à multi facettes »
Certes, il l’ont mal pris .Ils ont tenu à me faire consulter tous les spécialistes de France et de Navarre mais sans résultats.
Constatant ma mine réjouie, l’absence de nécessité de procéder tous les matins aux exercices d’ablutions pour éviter les odeurs, à la nécessité de se sustenter pour garder la forme et autres pitreries d’usage, ils ont baissé les bras.
Le sommeil ne m’est pas nécessaire ou si peu ! J’en profite pour échafauder des projets les plus farfelus me passant par la tête afin de combler le vide de la journée à venir.
Je façonne mon physique en tenant compte de mes pérégrinations nocturnes.
La couleur de mes yeux fluctue du bleu au vert en passant par le rouge ardent certains grands jours.
Que de temps perdu par mon entourage à vouloir plaire, se contempler 20 fois dans la glace, insatisfaits, tentant de concilier le corps et l’esprit en un ensemble harmonieux.
Moi, je m’invente chaque jour. Les objets qui m’entourent, les mots qui jaillissent me révèlent tels des caméléons sur leur branche croisant une nuée de papillons.
Alors qu’un humain va devoir mettre toute son énergie à contribution pour plaire à son employeur, séduire une collaboratrice récalcitrante pour espérer une promotion… Moi, je volète de ci de là, je marche à l’envers, je furète partout sans qu’on y prête attention.
Avec un peu d’attention, je peux me glisser subrepticement dans la peau d’un autre et éprouver ce qu’il ressent.
J’ai pu en éviter des bavures !
J’aime à me souvenir de l’AVC du Président. Il ne s’exprimait que par onomatopées. J’ai été le seul à devancer ses ordres et ça m’a valu une belle promotion.
Mais tout ça n’est rien à côté de mes activités nocturnes.
Je peux faire fondre la glace, voler au dessus des océans, gravir l’Everest sans oxygène alors qu’ils ronflent en apnée !
Comme je ne ressens ni le froid ni le chaud, cela me permet quelques fantaisies très appréciées de mes collègues.
Je vois, à leur mine réjouie, l’effet produit quand j’arrive au bureau en tenue de plage au plus fort de l’hiver.
Je pense forcer leur admiration par mon originalité alors qu’ils arborent leur éternel costume gris/cravate.
Je ne m’interdis rien. Les rêves les plus érotiques se produisent quand je m’abandonne dans les bras de Dieu. Ils suffisent à ma vie amoureuse. Nul besoin de compagne à charge.
Le noir et le blanc font bon ménage et ne s’interdisent pas de s’associer au rouge quand le moral bas de l’aile.
Je peux à tout moment associer le mort au vivant sans jamais subir le deuil ; le mou au dur pour échafauder une cathédrale abritant les humains déshumanisés de tant de substituts robotisés.
Je me sens bien dans ma peau (si je puis m’exprimer ainsi !)
Pas de temps à perdre à entretenir ma peau synthétique. Nul besoin de lavage, rinçage, hydratation, épilation, peeling, liftings raffermissants…
Moi, mon corps est à mémoire de forme. Je ne vieillis pas. Je le crois en tout cas car personne ne m’en a fait état !
Je mange peu, juste ce qu’il faut pour paraitre humain. Cela réduit considérablement les pauses en journée au profit de ma rentabilité.
Mes collègues me font grise mine  mais ça ne m’atteint pas ! Je pense que mon cœur est greffé sur mon cerveau bionique alors pas de danger d’infarctus !
Cependant, il faudra que je recherche l’incidence sur les risques de la maladie d’Alzheimer !
Certes, j’ai quelquefois des réactions totalement incompréhensibles par le genre humain.
J’ai de temps en temps un amoncellement de nuages en moi que je dois les presser très fort pour qu’ils rendent leur eau et me libèrent l’esprit.
A contrario, les jours ensoleillés, je dois distribuer les rayons sous peine de brûlures préjudiciables à ma matière synthétique.
Malgré tout, je suis très heureux, je me plais tel que je suis, n’est ce pas l’essentiel ?
Mes parents doivent en prendre leur parti. Et le droit à la différence alors ?

 

"A toi… et à moi aussi, par la même occasion !" d'Ella KOZèS

Grâce à toi, j’ai pu trouver la force de devenir le grand saltimbanque de la famille. Dès le premier concert, dès que j’ai entendu jouer Moïse, j’ai su où se trouvait ma place. J’ai immédiatement délaissé le gros violoncelle pour la fine flûte ! Champagne ! Moïse est devenu mon Maître jusqu’au jour où … Pan ! Il a cassé sa flûte ! En attendant mon tour, je fais le paon sur les scènes du monde entier. Je déploie… ma flûte magique qui chasse les hommes du lit des femmes, et je me blottis, bien à l’abri, pour y jouer de mon instrument favori…

Je joue de tout : piccolo, traversière, et même du pipeau pour endormir les damoiselles. Je les prends lorsqu’elles ont dans les yeux cette lumière chaude additionnée d’étoiles, qui m’assurent d’être admiré et aimé. Elles me veulent toutes. Elles ne savent pas qui de l’homme ou de l’artiste les a séduites. J’aimerai que ce soit l’homme. Je crains que ce ne soit l’artiste. Peu importe !
Do do, après l’amour, Rémy ce fils arrivé trop tôt, Fa cette étrange amante, Sol aura le dernier mot et m’enfouira même si je préfère être enfumé, La Si… mais pas de Tu De ? Si, bien sûr, en mineur quand la blanche décoche une double croche et me met alors un bémol magistral !
Je vais respirer le parfum d’une noire jazzy.

Pas de canard, sauf au café de la gare. Tournées d’hôtels miteux au début de ma carrière. Cafard. Matins blafards. Visages tristes. Barbe à raser. J’appelle alors quelqu’une et nous jouons dans les rues. Autant répéter en gagnant sa croûte !

Plus tard, bien après, ce fut : queue de pie, chants lyriques, courbettes… et ce silence qui retient son souffle jusqu’à extinction de l’écho de la dernière note.
La joie de l’orchestre, t’en ai-je déjà parlé ? Cet ensemble formé d’égos surdimensionnés qui s’ajustent entre eux. Ce fatras de « Moi, Je », aspirants à la notoriété, qui obéit au doigt et à l’œil du Chef. Des hommes et des femmes qui s’oublient pour ne marcher qu’à la baguette. Ne sommes-nous pas admirables ?
Le son est notre pitance ; l’harmonie notre exigence. Sous les feux de la rampe, ou encore dans la fosse, je dois t’avouer que ce sont les seuls lieux où je me suis senti vivant, en communion avec l’autre ; l’unique moment où je peux me flatter d’être juste.
Souffle chaud dans l’instrument à vent, éclats de salive projetés sur le métal –goutte dégoulinante- Le public applaudit. Le monde m’appartient quand l’ovation me porte comme premier prix de Genève. Je suis sur la pointe des pieds pour atteindre les cieux de la renommée.

Dopé à l’admiration, « addict » à la perfection. Jouer, rejouer, déjouer les difficultés. S’appliquer. S’impliquer. Répéter. Respirer. Reprendre. Se reprendre. Dépendre du public parfois si volatil. Ce public dressé par les « MAJORS » qui déversent les interprétations consacrées sur les ondes. Ces néophytes qui ne font pas la part de la soupe et du génie. Dans de tels moments, malgré tout, il faut paraître joyeux d’être : Allegro dans la peine ! Ou bien Andante dans la joie, il faut se concentrer sur la portée … non… pas des innombrables mômes que j’ai commis… mais sur les notes écrites par d’autres petits génies.

Une qualité comme toi n’est pas une chance ! C’est un esclavage : gymnastique des doigts, -bricolage interdit-, déchiffrage des partitions, répétitions chaque jour recommencés. Le musicien est un forçat maniaco-dépressif qui se répète jusqu’à la perfection. L’artiste se doit d’avoir une hygiène de vie irréprochable. Avant le concert, pas de mets somptueux, souvent, hélas, sujets aux renvois intempestifs d’air ou d’acide.

Bref, une vie de bénédictin (les femmes en plus !) : Tout donner aux inconnus. Ne rien laisser à sa famille. Surtout ! Ne rien laisser d’autre que la musique au Nouveau Monde…

Je t’ai consacré ma vie entière. Tu l’as bien vu. J’ai appris le piano, l’épinette. J’ai créé des formations, enregistré des disques, transmis mon savoir aux musiciens actuels, redécouvert des pièces méconnues. J’ai même fait de la recherche pour t’inscrire dans le futur.
Et toi ? Feras-tu sonner les trompettes lorsque je passerais la flûte à gauche ?

 

"Zoom osé au zoo" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Merci à toi, ma grande qualité,
oh, merci, merci, merci,
moi qui pourtant n'ai pas eu les grâces du Créateur :
faciès plein de vieillesse,
regard d'enfant malade,
poils d'artichauts mâtures,
mains aux pieds, jambes arquées et poignets trop laxes,
moi que dame Nature a habillé comme un explorateur de l'Antarctique,
qui parle comme on klaxonne,
moi qui ai autour de la tête des oreilles qui se dressent comme des haricots d'hôpital,
cul de coussin qui me commande sans cesse de m'asseoir par terre, ça me déplume, ça me déplume,
moi qui suis hyperactif,
qui aime tâter de l'arbre,
qui me pouille, qui te pouille, qui nous pouille-pouille, puces, tiques, poux de bois et larves inconnues,
moi qui singe l'homme, qui l'aide à se rassurer,

aujourd'hui,
je te remercie néanmoins,
toi, ma grande qualité
qu'est de savoir lire dans les âmes,
âmes des êtres,
âmes bipèdes, quadrupèdes, décapèdes et autres arithmétiques,
âmes cristallines, végétales ou aquatiques,
âmes qui respirent, âmes qui ont expiré,
âmes tout venant, du plus petit format à la plus diffuse harmonie,

grâce à toi, oh oui, grâce à toi, toi, toi, toi,
ô toi ma grande qualité excessive/ment formidable/ment, fabuleuse/ment grandiose et grandiloquente,
tu me rends coupable parmi les coupables,
ho ! meurtre ! sang ! gicler ! martyr ! et résurrection si tout se passe bien !
et tout se passera bien !...
mais je ne t'en veux pas :
lire dans les âmes m'a permis, me permet, mets-toi là qu'on se parle vraiment,
face à face, face à fesse, fais donc ta grimace, masse-moi l'artifice qu'on se mette à feu et en flammes,
m'a permis de traverser la terre et les âges,
les pierres et les nuages en barbotteuse, petits pots de tous les parfums sans date de péremption,
le monde est un poulpe surpeuplé,
nous sommes chacun une de ses ventouses, j'adhère !
unies par les tentacules de la pensée-ramette,
cette endive multi-feuilles au cœur de roquefort que nulle parole ne pourra croquer puis libérer dans les waters !…
Et quand l'octopode se meut,
chacun suit docilement l'âme centrale comme s'il était accroché à un filet,
puis luit, scintille, participe là à l'érection du ciel, et ici à la naissance d'un cours d'eau zigzagant avec insolence comme un adolescent gros producteur de sébum,
lire les âmes me fond,
me fond à l'ensemble
comme un chien dans une rage territoriale,
comme une limace dans sa bave architecturale,
comme une pierre dans son château de gruyère fondu,
comme un bulot sur son plateau de légumes de mer,
comme  un secret dans une oreille anonymée,
comme un skieur pris dans une avalanche de trous noirs,
comme une allumette incendiée par le nombre,

aussi je te suis reconnaissant,
chapeau ! courbette-danseur ! feuille qui tombe ! astiquer-astiquer ! prenez ce cageot de pommes sans gène ! je vous fais seigneur, monseigneur ! « brebis égarée que je suis » m'infligé-je ! « brebis égarée que je suis » m'infligé-je ! oh oui, oh oui, non de non !
avec cette qualité,
je me sens reine, reine-mère, comme un grand arbre enjolivé par des bijoux,
genre acacia centenaire
à la cime permanentée,
aux racines qui trempent dans le miel,
la forêt est mon cantre de beauté,
les fleurs mes deniers qui viennent grossir ta tirelire de mon cœur,
bref, je meurs de plaisir
comme le premier homme qui a mis un slip à sa dignité,
je suis une framboise que les Dieux sucent et se repassent,
dilaté comme une girafe, j'émets des serpentins de râles qui trahissent ma satisfaction, mon intimité et ma reconnaissance éternelle ou du moins en orbite,
eh oui, la vie exige de nous une immense simplicité qui me dote aujourd'hui d'une sépulcrale magie,
je sais sonder les autres,
j'aime sonder,
je suis le grand sondeur sans caisse à outils,
c'est ce que je me dis souvent, dans le zoo,
derrière mes barreaux,
au moment où l'on me prend en photo,
mais comment penser qu'on « prend quelqu'un » !?
… car qui croit prendre n'a rien compris, tant il lui reste tout à apprendre !

Comme tous les chimpanzés,
j'ai de beaux yeux laser,
troubles comme l'eau des coquillettes qui tremblent sous la chaleur du Butagaz,
mon regard, ce sont deux barres parallèles qui croissent
à la vitesse de l'amour d'un paladin au galop
parce que cheval en dessous,
tête devant et éperons sur les flancs, qui piquent, qui piquent,
lire les âmes me rapproche de tout,
je deviens central comme le Trésor Public,
tout me revient toujours, un jour ou l'autre,
c'est plutôt en septembre
car tout se déclare constamment à moi, j'aime ça !
et finalement, avouons-nous-le,
la planète n'est autre qu'une grosse sculpture que façonne chaque bonté, pierres précieuses sur la pâte à modeler,
et moi, je m'y emploie !
et toi, mon don, tu m'y aides beaucoup,
toi le pacemaker élu de mon cœur ! complète armoire de fournitures bureau ! budget illimité ! soutenir ! confiance ! les clefs du coffre dans ma poche ! je vous prête aussi ma femme ! laissez, je referai le lit et surtout passez quand vous voulez, il y aura toujours un bol de riz pour vous sur la commode !
c'est alors que ma joie se roule par terre
car le gardien s'est improvisé distributeur de  cacahuètes,
j'ai plus de visites que les dauphins, grand bonheur inédit,
puis j'aurais pu me voir dans une grand-mère si elle n'était pas si mal attifée, collection boule de chiffons ammoniaqués,
mêmes rides, même tempérance, même foie gras, même sourire qui indique que nous baignons tous dans la même certitude,
celle que la pluie remettra tout en place,
je veux dire rincera les esprits
en redistribuant, au hasard,
tous les sels de la vie,
comme par exemple « lire dans les âmes »
qui sera donné
à qui n'a pas de parapluie !


"A toi, ma divine qualité" de Nadine CHEVALLIER


Sacrée qualité que je me suis découvert là !
Qualité sacrée !

Tu ne m'as jamais fait défaut depuis que j'ai commencé ma vie, même si tu ne m'as pas toujours réussi. Oui, il faut que je te le dise quand même, tu m'as laissé tomber au moment crucial !

Mais comment te le reprocher ? Tu m'as fait vivre tant de bonheurs que je n'aurais jamais  imaginés.

Quand je suis né, je n'avais pas un sou en poche et pas plus aujourd'hui, mais je suis riche du bonheur de tous ces gens que, sans toi, je n'aurais jamais connus.
Sans toi, je serai seul, ignoré du monde, oublié des mémoires.

Et pourtant, qu'es-tu donc ?  Qui es-tu donc ? Toi ma plus grande qualité, ma divinité, qui m'a donné tant de bonheur ?
Même dans le plus grand désespoir, même blessé, aux portes de la douleur, j'ai goûté la félicité.
Ma vie n'a pas été inutile.
Grâce à toi, les gens m'aiment, ils me voient, ils me parlent et ils sont heureux, ça ne se discute pas. Je vois bien dans leurs yeux qui arrivent vers moi, pâles et presque hagards. Après m'avoir vu, les voilà roses de joie et de rires mêlés. Envolés les soucis, le chômage, les études, la grève, le boulot ... relatif tout ça. Ils me regardent et mon regard les rend tout choses, ils retournent chez eux avec du baume au cœur.
Même un arbre un jour, je l'ai regardé, le temps de tourner le coin de la rue, il avait  poussé ses feuilles dans ses rameaux et le soir même, il avait des fleurs.
Et ce chat tout pelé que j'ai caressé en lui murmurant des mots doux, il s'est vite enfui mais son poil brillait et ses plaies étaient guéries.
Dois-je te rappeler aussi ce vieil homme qui est revenu d'entre les morts pour me voir et me parler ?
Et ces malheureux riches, les pauvres, qui n'avaient plus de vin pour la noce de leur enfant chérie ?

Te souviens-tu de tous ces évènements et de bien d'autres ?
Ma mémoire n'est plus ce qu'elle était !
Il y a bien longtemps que je n'exerce plus... Depuis que tu m'as laissée tomber, comme une vieille chaussette, le jour où j'aurais bien eu besoin de toi...
Tu m'as fait vivre et mourir pour les gens.

Mais je ne t'en veux pas, ma belle qualité, ma divinité.
Mes autres qualités, l'indulgence, le pardon et la modestie m'en voudraient de te faire la part si belle, alors je te remercie juste encore une fois de m'avoir fait Dieu le temps d'une vie.

Jésus

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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