SAMEDI 10 Avril 2021
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Vives incitations - année 3"

Animation : Régis MOULU

Thème :

Quand l'espace devient débordant et convertissant

Là, dans son texte, il va être question d'y mettre une ambiance. Bonne ou mauvaise, voire bonne et mauvaise, toujours est-il que le travail d'un contexte à exposer va être roi et régnant. Aussi listera-t-on les circonstances qui sont de nature à immerger son lecteur. Cette séance se promet d'être envoûtante, d'autant plus que la flûte du charmeur de serpent aura la forme de votre stylo !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : Écrire un texte où le lumineux et l'extensible se mêleront au sinueux et au sauvage !
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support contenant des techniques notamment pour favoriser les micro-espaces a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Reconnaissance" de Blandine DELGADO

- "Le grenier des souvenirs" de Christiane FAURIE

- "Saladland" de Régis MOULU

 

 

"Reconnaissance" de Blandine DELGADO


J'ai décidé de sortir. La douleur de la perte est encore là, accablante, mais mon enfant a besoin que je revienne dans la vie.
Le parc est grand et lumineux sous le soleil flamboyant de cette magnifique journée d’été. Claudine joue à côté de moi. Elle lance des cailloux aux quelques pigeons ou moineaux qui volètent et s’agitent autour de miettes de pain sorties de vieux sacs plastique, jetées par des mamies en mal de compagnie. Elle est si jolie, si gaie et la regarder vivre pleine de promesses est un enchantement. Alors qu’elle s’apprête à mettre à la bouche une main souillée de terre, et qu’en bonne mère soucieuse de la santé et de l’hygiène de mon enfant je vais pousser un cri pour l'arrêter dans son élan, un oiseau, sorti de nulle part, se pose sur son épaule, doucement ; tellement délicatement qu’elle ne le sent pas et suçote tranquillement son petit pouce goûtu.
De mon côté, immobile, je suis comme hypnotisée, ensorcelée par ce piaf minuscule, frêle et gracile, qui prend étrangement une place incroyable dans mon champ de vision, rendant flou voire invisible, tout le reste.
Et soudain, c’est comme si un mystérieux ressort l’étirait au loin, à le rendre indiscernable, déformé, évanoui, pour le ramener brutalement vers moi, laissant apparaître un colossal et effrayant volatile dont je suis incapable d’imaginer les intentions, pour peu qu’il en ait. Cette transe dure quelques infinies secondes et “Oh ! Regardez votre petite !”, lâche une dame sur le banc voisin, en refermant bruyamment le sac plastique contenant le pain nourrisseur, “Un oiseau s’est posé sur son épaule !”. Cela suffit évidemment pour que le moineau s’envole et mon engourdissement s’achève là-dessus.
J’en suis ressortie avec la sensation étrange et pressante qu’il fallait rentrer chez nous, maintenant. Une injonction du domestique, du familier, du retour au connu. C’est comme si cet oiseau m’avait tout à coup reliée à l’intime et que j’étais sommée de l’écouter.
Nous rentrons. Pourquoi la poussette est-elle si difficile à manier, pourquoi mes pieds sont-ils si pesants, mes jambes si lourdes ?
Nous sortons du parc. La lumière de fin d’après-midi est encore prégnante mais plus nous avançons vers notre maison, plus le flamboiement faiblit derrière nous, plus la route se resserre dans notre dos et nous pénétrons dans un tunnel sombre où résonnent mes pas lourds et lents.
Bizarrement, je n’ai pas peur et mon enfant non plus qui babille ; et je n’ai pas de doute que ce chemin qui ne ressemble en rien à celui qui doit nous ramener chez nous, soit celui qu’il nous faille prendre.
Notre chambre, cette nuit, sombre. La chaleur est étouffante. J’émerge de ce rêve oppressant avec toujours une sensation de jambes lourdes et de mouvements ralentis par je ne sais quelle entrave invisible. J’aurais aimé sortir du tunnel avant de me réveiller, qu’importe... en ce moment toutes les nuits sont agitées.
Je sens son corps moite près du mien, nous suintons et les interstices des persiennes ne laissent passer que quelques rais lumineux, projetés comme un ballet d’étincelles sur le mur qui fait face à notre lit. Pas un souffle d’air... Il se lève, s’étire, boit un peu d’eau dans sa bouteille en plastique et la succion forcée de la dernière goutte fait retentir un bruit assourdissant, presque métallique, en même temps que le matelas m’aspire dans un souffle monumental et se referme sur moi, comme une aumônière.
Je suis en position fœtale, flottant dans l’obscurité comme un poussin dans son œuf, attendant le moment idéal où dans sa perfection à naître, il mettra toutes ses forces à briser sa coquille. Je cherche à étendre mes membres. Mes mains et mes genoux se heurtent à la substance molle et élastique qui m’entoure et qui m’empêche d’atteindre la fragile membrane qui me ramènera à la lumière.
Je grandis, je m’étoffe, je patiente un instant d’éternité. Soudain, les sons du dehors jusque-là assourdis, me parviennent plus distinctement, comme une note claire, libératrice ; et une lueur s’insinue dans mes ténèbres. Quelque héros a pourfendu ma coquille et je jaillis, gigantesque, me détends, m’enfle, me gonfle, me distends, jusqu’à envahir la totalité du sac en plastique dans lequel j’ai éclos. Le bruit émis par mes mouvements dans ce ballot est phénoménal, bruissant, crissant, hurlant, incroyablement strident, comme un cri, celui d’un être inconnu et pourtant si familier.
Je sursaute et m’éveille, en nage, trempée, inondée, noyée ; encore groggy de ce rêve intense et sauvage. Et brusquement, l’évidence de ces songes m’apparaît : elle est partie il y a quelques semaines. Elle souffrait beaucoup. La poche de son anus artificiel faisait à chacun de ses mouvements, un bruit de sac plastique froissé... c’était comme un cri, son cri...
Elle m’avait dit : “Tu verras, je serai là, même après... tu me reconnaîtras, je prendrai la forme d’un oiseau”.



"Le grenier des souvenirs" de Christiane FAURIE


Par le plus grand des hasards, je devins propriétaire d’un bien immobilier laissé à l’abandon depuis des décennies. Il avait la particularité d’être inséré dans la grande bâtisse appartenant à ma famille entre le haut de la maison donnant sur la ville et le bas plongeant sur les eaux de la Vézère.
C’était comme une verrue qui semble disparaître dans la mousse accrochée aux pierres. Comme des entrailles laissées là à se dessécher au soleil après le carnage du poulet source du festin familial.
L’acquisition devait redonner à la propriété son ventre perdu.
Passant là par hasard afin de montrer à une amie de passage le lieu où je fus conçue quelques décennies plus tôt, je vis que la porte était ouverte sur le chemin et une tête inconnue passait par la seule fenêtre du bâtiment.
Surprise, je me dirigeai alors vers cet être vivant sortant d’une ruine et lui demandai si elle était la nouvelle propriétaire.
Non, elle représentait l’agence immobilière de la ville proche et un acquéreur anglais devait venir visiter. Il est vrai que les Anglais affectionnent cette région et ces bâtisses délabrées pour en faire un pied à terre en France.
Je me surpris à lui dire que j’étais acquéreur sous les yeux ébahis de mon amie qui me lançait de grands coups de coude en voyant l’état du logis.
L’affaire fut faite sur le champ.
J’expliquais alors que cette maison, ma mère avait toujours voulu la posséder mais les héritiers, pensant en tirer un prix élevé, l’avaient laissé en vente depuis sans acquéreurs potentiels.
Depuis lors, les propriétaires avaient vieilli et voulaient s’en débarrasser à tout prix.
C’est ainsi que ma famille devint l’heureuse propriétaire d’un bien insalubre, un taudis, sans lumière, humide, emplit de vieux souvenirs encombrants et de toiles d’araignées si épaisses qu’elles auraient pu servir de rideaux de théâtre.
Pour l’heure, elles pendaient aux murs sans âge et diffusaient à chaque mouvement un halo de poussière chargée d’odeurs de catacombes.
L’escalier, donnant sur la cave, était doté de semblant de marches vermoulues laissant apparaître les tréfonds d’un cachot.
J’appelais alors toute la famille pour lui faire part de cette incroyable nouvelle. Tout lui sembla normal, comme si tout était déjà convenu. De mon côté, j’en étais encore à me demander pourquoi cet espace m’avait sauté dans les bras alors que j’étais bien celle qui étais le moins attachée à cette bâtisse que je ressentais hostile à mon égard.
Elle avait plutôt vocation de sanctuaire, lieu de malheur, de maladie et de mort.
Pourquoi charger ce lieu de souvenirs encore plus enfouis ? Y avait-il concordance de vie ?
Je l’ai acquise sans la visiter, en l’état, ce qui plu aux propriétaires et à l’agence.
Quelques mois s’écoulèrent avant que je ne me décide à investir ces lieux effrayants.
Le confinement sur ces terres fut un bon prétexte pour me décider, alors désoeuvrée, à investir ces lieux effrayants.
Je partis armée de ma lampe, vêtue de vieux vêtements et d’une blouse, de bottes caoutchouc et de gants. J’étais parée pour l’expédition, tel le chirurgien dans sa salle d’opération.
La descente fut périlleuse et je finis en glissade.
Parvenue au fonds, une oppression me submerge. Je tente de respirer mais l’air est saturé, noir et empesté d’odeurs de cadavres de bêtes prises au piège depuis la nuit des temps.
Je suffoque et des grincements se font entendre, augmentant mon malaise.
Je suis glacée, mon corps se fige. Je tape dans mes mains mais le son semble absorbé par les murs suintants et entoilés de rideaux de poussière.
Mes battements du cœur s’accélèrent et je tente de les rassurer en leur parlant : arrêtez, ce n’est qu’une cave !
J’aperçois une rangée de bocaux sur des étagères bancales. : des fruits au sirop, des cèpes, haricots verts du jardin sans doute. Une vraie réserve de siège en temps de guerre.
Une vieille lessiveuse trône non loin près d’un câble électrique muni de pinces aux extrémités : un outil de torture ?
Mon sang se fige.
Le temps s’écoule sans que je ne me sente à nouveau en vie.
Je tente d’éclairer l’espace pour le rendre moins inhospitalier. Un vieux coffre se présente à moi, ventru, hostile, sans clé à proximité.
Je tente d’approcher le seul meuble vestige d’une vie passée. Que contient-il ?
Un nouveau malaise me surprend par son intensité. Mon corps se tend et se tord dans tous les sens. Je gémis en heurtant  des objets lourds à proximité telle une jeune accouchée après une nuit de contractions. Il me semble voir le trou béant expulsant le nouveau né ensanglanté, dans cet amas de crasse.
Est-ce un message, je me suis vue naître et j’ai crié NONNNNN. Je ne veux pas vivre cette vie là !
Je veux de la lumière. Mais un long silence me répond et le coffre s’ouvre dans un grand fracas sous mes coups répétés.
IL est vide.
Est-ce à moi de tout réinventer ? Reconstruire sur ces ruines ? être forte pour porter l’héritage ?
Je remonte à l’air libre et je m’apaise.
Quel voyage initiatique.

Je perçois aujourd’hui la mission qui m’est confiée.

 

"Saladland" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Il était un moine,
à ce qu'il pensait.

Il s'attribuait un visage translucide,
un teint de vitrail,
une présence légère,
presque imperceptible.
Une plume.
Ou même l'impression d'une plume.
Une plume d'ange.
Un dépôt concrétionné que le vent réanimera.

Anselme partait souvent, très loin,
dans ses songes.
Un voyage-séjour, sans retour réel.
Un vagabondage où l'épopée à elle seule
était ressourçante
parce que déstabilisante,
peu commune,
étrange et grande consommatrice d'attention.
Son entourage en était préoccupé.

Le médecin appelé secrètement
à cette occasion
n'avait voulu s'engager dans quelques diagnostics que ce soit.
Il avait seulement dit « oui, observez-le,
de loin.
À part avoir un troisième bras
qui pousse dans le dos,
il y a peu d'événement chez l'humain
qui soit anormal
au point d'intervenir de force ».

Il arrive parfois que les paysans
habillent une balle de foin
afin de donner naissance à une personne
appelée « épouvantail »
et dont la mission sera de rester immobile
comme un capucin séculaire et professoral
au milieu d'un champ de blé.
Et, en effet, cet horrible montage
ne peut que faire fuir le peuple des oiseaux,
qui, d'ailleurs, ne s'en éloignerait pas ?
Ainsi notre homme était affublé
d'une lourde chemise à carreaux rouge-bleu
avec d'intrigantes lignes dédoublées en marron,
d'un pantalon informe
qui trahissait le travail soutenu
de ses genoux dans leurs loges,
de souliers simples, presque propres,
où la symétrie des deux flots de chaque lacet
présumait d'une prégnante rigueur logique
et d'un soin opiniâtre.
Parfois, même, un chapeau « démodelé »,
genre cow-boy polonais,
perchait sur son crâne
résumé à une flaque de farine.

Et le « chartreux en désir »
mettait tout cela en mouvement,
sans à-coup,
dès lors qu'il s'adonnait à ses tâches de maraîcher modeste
qui entretenait une relation préférentielle
avec des salades de toute sorte.
Évidemment, on pourrait croire
que l'aspect « tête de hard rocker »
qu'offrait par exemple une feuille de chêne rouge
ou même « tignasse de Jackson Five »
qu'arborait une chicorée frisée,
ou bien encore « crâne avec résidus »
que révélait un pissenlit dents de lion
suffisait pour initier un premier échange
avec les folasses végétaux
mais, loin de ces personnifications,
si Anselme les chérissait tels des monstres sacrés,
c'est bien pour toute la sauvagerie qu'elles contenaient.
Car tout légume qui pousse vite
ne peut que nous bouleverser,
nous mettre en face de nos incapacités de transformations réelles,
nous signifier notre objective lenteur pour toute chose.
L'homme ne sait avoir une existence flamboyante
et c'est là son drame.
À la place, il se doit de lisser ses révolutions
dans le temps,
à l'échelle d'une vie.
Tout acte de création en nous
est diligenté par le vieillard
qui nous habite dès notre naissance.
Vivre longtemps, c'est avant tout « créer mou »,
et de cela notre journalier en avait le vertige,
très concrètement.

Et Catherine de l'avoir déjà vu
à plusieurs reprises
étendu parmi ses crânes verts chéris.
À cette inquiétude lancinante
qu'elle exorcisait le soir,
devant la soupe,
sous forme de remarques saillantes du style :
« je t'ai encore vu mort aujourd'hui ! »,
il répondait :
« se coucher sur la terre
est une action forte
qu'on n'aurait jamais dû s'arrêter de faire,
qui qu'on soit ! ».

Hier soir, d'ailleurs,
s'était ajouté cet axiome supplémentaire :
« il ne doit pas être laissé à la prétention de l'humain,
cette horrible et broyeuse mécanique,
de se croire plus intelligent
qu'une batavia :
moi, je me mets à leur hauteur,
les yeux dans les yeux,
et, ainsi, ma philosophie tourne mieux ! »,
« – en attendant, si tu tournes encore de l'œil,
je vais finir par te faire hospitaliser, Anselme !
… Excuse-moi de t'aimer encore »
rétorqua la femme
dont la paupière en carton
se déformait sous le jaillissement d'une larme,
replète comme une perle précieuse.

Gaspard le chat assistait, lui aussi,
à cet étrange cérémonial.
« Est-on si détachés de la glèbe que cela ? »
que ses deux grands yeux à soupirail
semblaient plaider…
Un humus imperceptiblement ronflant,
ne se comporte-t-il pas
comme une bouche
dans laquelle on trouverait du plaisir à s'abandonner,
moelle la première ?
Et puis la glaise du coin,
ne joue-t-elle pas au « miroir dépeçant le ciel »
de par l'émergence de son reflet ?
Autrement dit, l'air solide
que nous offre le sol,
ne constitue-t-il pas notre deuxième chance
d'accéder à un grand bol d'air ?
Ainsi, creuser, ce serait danser,
et piocher, bondir.
Quant à planter en semant des graines,
on touche au lancer de confettis
en direction d'un zénith en fusion !
La nature devient notre cour de récréation
où chaque humain redécouvrira
et exercera son corps de mécano,
y testera sa finitude,
y évaluera sa dégénérescence.
Ce rapport frontal et massif avec les éléments,
et Gaspard-the-cat et Anselme-the-man
s'y étaient conformés,
en pensée et en actes.

C'est pourquoi aujourd'hui,
le petit maraîcher
se sentait pauvre, démuni, réduit,
handicapé comme un moine à genoux
devant son Dieu tout puissant.

Il faut accepter nos évanouissements :
ils sont une langue minoritaire
à ne plus opprimer.

Et, à force de voir ce philosophe
écraser de la scarole,
de chute anarchique en affalement pathétique,
Catherine se saisit du téléphone
pour précipiter une hospitalisation.

Il faut dire que notre penseur
gisait cette fois
comme un torchon fatigué,
écroulé sur lui-même
comme s'il n'avait plus de squelette
ni de muscles.

Et pourtant, d'une syncope réelle,
le travailleur en faisait une énième occasion
de s'exercer à être lumineux.
Et le voilà parti dans un Pompidou d'imagination
où il se voyait,
à l'instar d'un scarabée,
crapahuter sur les routes
qu'esquissaient les sarments de la vigne proche.
L'explorateur entendait bien
que son exploration
au cœur du sauvage
le rende, justement, plus sauvage,
comme plus naturel,
à savoir « véritablement intuitif »,
peut-être même,
plus digestible.

D'ailleurs, la sinuosité des vrilles
le stimulait à « penser droit »,
à « réfléchir court et bien ».
À ce stade, il était convaincu
que chacune des idées qui lui survenaient
provenait, en fait, d'un rai de lumière
soudain et puissant,
un peu comme si le soleil
lui avait fait une œillade,
Sa fantaisie, en pareil instant,
devenait infinie :
un grand coffre à jouets
s'offrait alors à lui.

Il était donc convaincu
que le merveilleux, tel un jaguar,
se tenait tapi près de nous tous,
prêt à égorger nos habitudes convenues.

Notre cerveau est un saladier
de spaghetti bolognaise fumants.

De ces vapeurs abondantes
naissent d'autres hallucinations,
Anselme venait de revenir à lui
tant il avait pressenti l'intention
qu'avaient les deux blouses blanches
s'approchant
d'enlever prestement l'encombrant bonhomme
qu'il était devenu,
se redressa,
prit es jambes à son cou.

Semblable à une gazelle de Thomson,
il franchit ses haies de légumes
et détala en direction du boqueteau le plus proche.

Le personnel médical,
davantage exercé à remplir des formulaires,
ne put suivre cette cadence surnaturelle,
l'un des employés, d'ailleurs, chut dans les poireaux,
rompant l'équilibre blanc-vert
qu'avait généré la subtile palette du temps qui passe.

Une fois à couvert,
le fugitif, dans sa précipitation
et comme dans une impossibilité à décélérer sur quelques mètres,
se confronta à de multiples ronces
qui l'écorchèrent.
Très vite, il fut constellé
de mouchetures de sang grossissantes
qui couraient les fibres de ses vêtements.

Cette nébuleuse de picotement
enflamma son corps :
ces souffrances avaient comme agrandi
sa chair.

Ressortir vainqueur d'une épreuve
fait de nous un géant.

Et le titan poursuivit sa route
en disparaissant de plus en plus
dans le magma de l'obscurité
dévorante.

Un tel feu d'artifice de plantes sans limite
le plongea dans l'ambiance d'une boîte de nuit.
Ici, ombres et feuilles d'arbres
se partagent le monde des taches,
se marient à merveille :
on eût dit une piscine
de couleurs mouvantes
où quelques animaux venaient, d'ailleurs,
se désaltérer.

Un concert chaotique de mouvements et de sons
semblait apposer son couvercle
à cette « forêt d'Éden ».
Anselme eut désormais la sensation
de vivre sous cloche,
comme l'un de ses semis fragiles.

Et, à chaque fois qu'il progressait
dans la sirupeuse végétation,
cette cloche se déplaçait avec lui.

Les rides du paysage s'intensifièrent.
L'évadé dut alors constater
et gérer son épuisement.
Un gang de moustiques audacieux,
attirés par les jeunes fleurs sanguines
de sa chemise à carreaux,
l'obligèrent à vivre
dans un oppressant nuage de poivre virevoltant.

De ce fait, le moine évaluait mal
son parcours,
aussi des branches de plus en plus grosses
échappaient à son attention
mais pas à sa tête.
Pauvre petite pomme talée
qu'elle était devenue,
son prix se dévalorisant de plus en plus.

Quelle immense joie s'emparait alors
de ce pauvre homme
lorsqu'il accédait à une clairière
où le soleil redonnait
de sa chaude voix.

Une folie grimpante lui fit même
entrevoir l'idée
que l'astre s'était mobilisé
comme sous un détecteur de présence
qu'il aurait déclenché.
Peut-être, au-delà de toute considération,
pensait-il surtout qu'il y avait
une imbrication naturelle et ingénieuse
qui régissait tous les êtres entre eux
sur cette planète.

Ses souliers épuisés
multiplièrent les signes d'alerte
en relâchant et rompant ici et là
une couture.
Il faut dire qu'un épais tapis marécageux
cherchait inexorablement à lui absorber les pieds
et le reste
dans une cacophonie de bruits de ventouse sans amour.

Déjà bien confit par sa sueur,
il entendit la voix de Catherine
que le vent imitait si grossièrement
que ce fut une bien mauvaise hallucination.

De toute sa vie,
il ne se sentit jamais aussi seul
bien que, quand la nature a commencé à vous digérer,
c'est un peu comme si votre mère
vous pouponnait.

Bien sûr qu'il est mort,

mais son sourire éternel,
comme l'a toujours été l'image d'un croissant de lune,
rayonne encore dans ce petit bois provincial,
du côté de Chartres, Eure et Loire.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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