SAMEDI 15 juin 2019
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Vives incitations"

Animation : Régis MOULU

Thème : Tout déconstruire, tout réenvisager

Quel plaisir, quel défoulement, quel relâchement il y a à détruire ! Allez, on déboulonne les statues, on sabre les mythes... et on installe quelque chose d'éclairé et de choisi à leur place. Ce contraste promet toujours d'être vivifiant, l'herbe serait-elle plus verte après la tonte (et un arrosage par dessus) ? Tel est le thème qui nous a inspiré lors de cette séance d'écriture qui investit une possible révolution des aspects formels.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : de n'importe quelle manière que ce soit, tenter d'avancer sur ce défi : « encore et toujours enregistrer le réel pour lutter contre l’oubli et la dissolution ».
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support ciblant des idées de J. Derrida et un catalogue des déconstructions stylistiques qu'ont apportées de gands auteurs a été distribué en ouverture de session.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):

- "Mémoire à trous" de Nadine CHEVALLIER

- "Action : exprire... inspire" de Marie-Odile GUIGNON

- "De profundis" de Solange NOYé

- "Dans la forêt lointaine" de Janine BURGAT

- "L'homme qui ne réfléchissait et ne parlait qu'en slogans" de Régis MOULU

 

 

"Mémoire à trous" de Nadine CHEVALLIER


Dissolue, u-e , elle était en arrivant.
J'ai peur de souffrir pendant la crémation avait dit l'homme.
Impossible avait-elle certifié, anéanties, i-e-s, que seront les sensations de votre corps.
En ébullition son cerveau avait pourtant enregistré tous les détails.
Vidé de tout souvenir à présent il semblait.
Tout déconstruire
Reprendre au début. Dissolue elle était en arrivant.
Un homme a dit sa peur.
Le rassurer est-il possible ?
Elle a oublié sa réponse.
Doit-on toujours tout enregistrer ?
Accueillir le présent sans rien oublier …
La peur de l 'oubli n'empêche pas de construire sa vie ? Si ?
La peur est-elle dé-cons-truc-trice ?
As-tu peur de l'oubli ?
Oubli, o-u-b-l-i, répétait Mireille
O-u-b-l-i, i-o-b-u-l
B-u-l, bul, dans une bulle, tu t'enfermes et oubli-e-s le monde, te recentres et luttes contre la dissolution.
Passe le comte avec sa canne
Un monstre sombre suit une piste sans fin
Un e mail t’arrive de l’agence VAM
Pauline te salue, une pierre bleue à l'annulaire
Nao le petit dernier marche dans la neige …
NON, passez votre chemin. Du balai.
Aujourd’hui, c'est plus dur que jamais, nous luttons contre l'oubli-i.
Éclatée la bulle, tous les chemins s'ouvrent et les autres s'y engouffrent
« Je ne veux pas, je ne veux pas » crie Yéyette
« Moi, ce qui me fait peur ; c'est de souffrir pendant la crémation » répète Henri
«  Vous me tenez à l'écart » soutient Alain
« Il faut absolument qu'il mette des gants » Jean-Marie n'en démord pas.
«  Lalalalala, lalalalala, lalalalala ... » passe Micheline.
Le réel est là.
Petit poisson devant son miroir, Denise peigne sans relâche sa perruque.
Jacqueline a encore perdu le livre de la médiathèque
Marcelle lui dit bonjour pour la cinquième fois de la matinée.
Elle enregistre le réel pour lutter encore et toujours contre l'oubli et la dissolution … la sienne ou celle des autres ?

Mais ce n'est pas bien déconstruit tout ça !
Reprendre au début
dissolue en arrivant
en ébullition son cerveau
la peur
l'oubli
une bulle
le présent le réel
la dissolution
un comte, une Micheline
des chemins
Prenez celui de gauche, c'est vers l’oubli
Prenez celui de droite, c'est vers… j'ai oublié
Au secours...



"Action : expire... inspire" de Marie-Odile GUIGNON

 

J'enregistre, tu enregistres, il enregistre, nous enregistrons... Stop.
J'efface, tu effaces, il efface, nous effaçons...

Blanc ; noir ; blanc ; noir ; blanc ; noir. Mélange. Naissance gris, souris ! Tu souris il sourit, rictus... Dissolution de la première partie. Au commencement était le verbe obscur, sans dessus dessous, ni droite ni gauche, l'inconsistance incarnée. Des courants d'air voyageurs, un souffle générateur, tellement discret. Une lumière jaillissante dans la morosité ambiante. Une petite flammèche rose, puis orange, puis rouge, avec des reflets bleus et des taches violettes. L'orage pour exister. Beaucoup de tapage pour se sentir vivant. Est-ce utile ce remue-ménage ? Juste l'occasion de déglutir l'impossible. L'assimilation régit toute soumission...

Je traverse, tu traverses, il traverse, nous traversons... Hop.
Je déménage, tu déménages, il déménage, nous dé-méninge-ons...

Trait ; circonvolution ; trait ; circonvolution. Alternance, l'écriture. Critères, consignes, règles... Dissolution des traces. A la recherche d'un fil conducteur : un petit point disséminé dans le grand vide. Germination, multiplication de soi. Apprécier la douceur d'exister. Uniquement, généreusement, cérébralement. Les pensées ambulantes transportent des mondes nouveaux. Les aspirations existentielles construisent des villes en échafaudages nocifs. En regardant les alentours, ils rétrécissent, se resserrent et les murs géants s'écroulent brisés par la folie des horizons oubliés. Le chaos. La terre tremble. Le feu tire ses langues assoiffées de pureté. La neige dégradée coule dans des artères rougies de sang neuf...

Je cohabite ; tu cohabites ; il cohabite ; nous cohabitons...Va.
Je sépare ; tu sépares ; il sépare ; nous séparons...

Plein ; vide. Refondation : la racine. Ramifications multiples dans les profondeurs des humus. Renaissances des décompositions nourricières. La verdeur créative dessine les agitations échelonnées des nuances, oxygénant, rassurant le ciel, sans limites visibles. L'espace jubilatoire s'étend. Au loin, très loin : les feux d'artifice sidéraux, où les étoiles filantes s'éclatent en morceaux de rire lumineux. Leurs yeux recueillent les scintillements de la Lune et autres planètes. Ils rêvent. Ils dansent la volupté d'être démembrés, la liberté des cauchemars éteints.

J'imagine ; tu imagines ; il imagine ; nous imaginons...Là.
Je me tais ; tu te tais, il se tait ; nous nous taisons...

Splendeur et misère. Ouverture : porte, fenêtre, barrière. Les chemins serpentent sans but précis. Qu'est-ce qu'une frontière ? Le pas de la porte. Code digital. Fuite des parallèles. L'effondrement irréversible voyage dans l'univers des probabilités. Le nomadisme, un vêtement spirituel d'avenir...

 


"De Profundis" de Solange NOYé


Savonnant la planche à écrire
Célébrant l’insensé
Désabuser
Ôter obus abusés
Tristespérer
Valdinguer cervelle
Voldinguer dingueries sorcières
Désillusionner
Gagner sa vie détergent
Je veux rester fou
Asilaire camisolé
Concombreries encombrantes
Je t’ai tout donné
Digne héritier
Enveloppe fripée
Acte notarié
Je suis resté fou
Tout je sais
Du grain de toute beauté
Animé j’y veille
Sommeille le dense en moi
Ego stratifié
Activer machine
Mettre gaz
Ma surface libre
Au contact de l’air
Sous l’action du soleil
Me transformera
Goutte à goutte
Solide liquide vaporeux
Évaporé je serai
Pas disparu
Estompé
Pas effacé
Eclipsé manquant
Pas absent
Dans tes pattes toujours tu m’auras
Plus visible
J’aurai filé
Étoile de mer
Je suis resté fou
Chatouilleux poisson des grandes profondeurs
Mon risque
Couler vers la surface
Techniciens d’interfaces
D’esquives véloces
De traques pensives
A quelle profondeur nous pensons-nous ?
Je voulais être fou
Plonger penser maritime
Dissoudre valeurs opinions
Adéquationner moi et le monde
Chef d’oeuvre de plusieurs vies
Lutter contre l’oubli des acquis
Acquêts peu tu auras
Legs ci-gît là
Enveloppe fripée
Acte notarié
Avec queue et tête
Nageoires dorées
Arrêter bavardages
Couards nauséeux
Me voici plus-là encore-là
Entre-là hors-là
En toi poisson rouge
Mémoire exsangue
Par déceptions cumulées
Tu ne seras pas fou
Mon fils doux-là
Tu ne seras pas fou
Danse liberté pour moi
Liberté pour moi
Papa

 


"Dans la forêt lointaine" de Janine BURGAT


Où étais tu ?
Les yeux du chat m'engluent dans mes mensonges. Jamais lui dire la vérité. Penser "la forêt" et il comprendra. La forêt de qui ? Qui a donc une forêt ? Mes souvenirs récents s'embouteillent sur l'autoroute de mes neurones.

Où étais tu ?
Si je lui dis "dans la forêt" il va imaginer. Les chats imaginent aussi bien la chasse que le ronronnement. Leurs yeux nous sondent et nous renvoient à nos contradictions.

 La forêt ? Pleine de mousses et de champignons ? Les chats observent les champignons. Au pire ils se cachent derrière mais ils ne les consomment pas. Tu rêves !

Même bien cuisinés ?

Même bien cuisinés. Ils foulent le sol, se tapissent en écrasant les champignons, en se vautrant dans la mousse . Mais ils détestent les champignons.

Dis nous donc ta vérité.

J'étais dans la forêt profonde des grands arbres morts et des grands chênes.

Et enchainée dans les chênes et leurs glands, tu as entendu le hibou ?

Dans la forêt lointaine on entend le hibou, du haut de son grand chêne, on entend le coucou. Poil au chou.

Le chou est de trop, non ? Garde le poil, le chat sera fier, fier et content.

J'étais dans la forêt lointaine, au milieu des choux, genoux, hiboux, joujoux et poux. Tous empaillés sur un grand X. X grand format..

Il faut écrire couramment pour savoir que le X n'est rien d'autre qu'une lettre cochonne que le chat dédaigne.

Depuis quand le chat dédaigne la cochonaille ? Le lard et le jambon n'ont jamais boudé la couenne et le chat le sait. Son pédigré le lui confère volontiers. Sauf si son sac de croquettes quotidiennes portent ce nom là. Pédigré, le seul aliment poulet, flocon d'avoines et vitamines.

Ton chat a bonne mine, la belle affaire !

Où étais tu ? redemandent les yeux du chat.

J'étais dans la forêt, je recherchais le loup. Paraît qu'il est revenu avec armes et bagages.

Un loup garou ou un loupé ?

Un loupiot, le masculin d'une loupiotte, soit un petit enfant, perdu dans la forêt. Poil au jarret.
Sur les jarrets, pas de jarretière. C'est la base. Des molletières, à la rigueur, mais on va régresser, je préviens. La grande guerre n'est pas loin.

Le chat lève la queue.
Tu disais ?

Il n'y a pas de petite ou grande guerre. Il y a LA guerre. On s'en contente. De temps en temps, nécessaire la guerre, disait mon pépé. Pour après, tout reconstruire, tout reconstruire, je l'aime à mourir...
Qui ? La guerre ou le chat ?

Le chat rigole. Il te regarde au fond de ses yeux, te déponctuer, t'enfermer dans des forêts de feuilles où les mots déambulent d'octobre à juin. C'est cyclique.
Ton chat ne suit pas. Fais simple.
Tu étais dans la forê, aux champignons. Un hibou t'a fait coucou et tu n'as pas su résister. Voilà la vérité !

La vérité ? Un chat est un chat.
Le réel d'un champignon c'est son goût. Et pas qu'il se dilue dans l'oubli.

Ton absurdité n'a pas de limite.
Pourquoi les yeux du chat disent tout haut ce que tu penses tout bas ?
Lézarde toi un peu qu'on visualise tes failles.

Failles, entrailles, boustifailles et marmaille. L'enfant était perdu. Je suis allée le chercher, ça part d'un bon sentiment, d'une attention délicate.

Enfant et chat ne font pas bon ménage. C'est l'enfance de l'art. Il va te falloir choisir. L'enfant ou le chat.
Choisis l'enfant il te survivra, enfin en principe.
Choisis le chat et le courroux du monde te pourrira la vie.

Comme pour la recherche de la vérité, c'est cornélien.

Choisir c'est renoncer.
Je renonce à tout, Monsieur le Président, à tout, à l'enfant, au chat, à la vérité, au réel. Seule compte la forêt. Sans elle, point de salut. Pour chacun d'entre nous. Vous comme moi. Le discours écolo émeut toute la planète.
Le président opine du chef. Touché ? Coulé !
J'ai rêvé ou le chat a levé la patte. Il valide ? Il acquiese aussi ?
Un humain aurait levé son pouce. C'est mieux que de lever le coude. Mais ça le chat l'ignore.

 

 


"L'homme qui ne réfléchissait et ne parlait qu'en slogans" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


« L'esprit lutin, matin sans prix, c'est plus mutin, t'as rien compris ».

« Intentions crues, expressions nues, joie bourrue ».

« La création sort du « frigo » pour aller se faire cuisiner ailleurs ».

« Dessocler les évidences permet de ressemeler mes différences, dès fois j'y pense, souvent j'y repense ».

« Quand l'usine à rêve de la métaphysique me travaille, elle licencie mes facultés, elle me pousse à démissionner, je me sens épanoui comme une phrase sans points, etc. »

« Être fou d'espérance de manière désabusée, c'est encore la meilleure façon de prospérer ».

« Élargir le monde, comme pour asphyxier le monde ».

« Astuces et malices, autant de puces qui se glissent partout, partout, partout ».

« Voies nouvelles, rire sauterelle ».

« J'invente moi-même les inventions, c'est plus facile à retrouver quand j'ai urgemment besoin ».

« Déconstruire n'est pas détruire, « décons- », « décons- », vite, vite ».

« La pulsion de vie a longtemps été la partie la moins visible de mon corps, ça va changer, je vais me bouleverser ! »

« La partie essentielle de ce que je ne suis pas proteste constamment en moi, aïe, aïe, aïe ! »

C'est l'histoire d'un homme qui ne réfléchissait et ne parlait qu'en slogans. Ainsi se cristallisait-il, le cerveau en stalagmite.
Saisir le réel était bien son but. Une caille rôtie qu'on grignote, qu'on cherche à ne jamais finir totalement, tu lèches l'assiette. Des fois il courait pour rien, créait sans raison, jouait avec son couteau. À tout déconstruire, il s'employait. « Le chardon de sa lucidité a lui aussi été un germe », songeait-il. Puis, d'un coup, il plongeait ses pieds violemment dans la terre que la pluie avait ameublie. Il fermait alors les yeux, se bouchait les écoutilles, se pinçait le brie après s'être généreusement coupé les cheveux : de la sorte il cherchait très fort à renaître, toujours et encore.
Si l'âme est une huître qui prospère, le cœur lutte toute sa vie pour être le plus tard possible une pierre… précieuse. Il le savait, impatient de libérer son gros amour encapsulé dans sa langue.
C'est ensuite que ses bras et ses jambes lui réclamaient de danser, son exploration mentale commençait à générer ses bulles alors même qu'il crapahutait tout genre de terrain, telle une araignée, ses fémurs s'étant transformés en allumettes. Montaient en l'air ses arrogances, ses propositions, ses hypothèses… et quelques facilités reptiliennes. À le contempler, on eut dit une fougère transpirante. Le vert qu'il arborait, quand l'obscurité joue de toute sa magie, lui allait très bien. Il était joli, l'ami rêvé des animaux aériens. Du moins, l'espérait-il.
« Vivre dans la propension » forgeait sa religion. Si l'impossible ne s'invente pas, le possible, lui, passe son temps à être réinventé, et il s'y adonnait totalement, terriblement, rageusement, comme s'il était plusieurs à lutter contre le don d'ubiquité qui nous guette. Cette convocation était sévère, presque punitive. Mais il aimait ça, comme on déshabille une ronce de toutes ses mûres mûres, au prix de quelques éraflures semblables à une colonie de fraises.

« La partie essentielle de ce que je ne suis pas proteste constamment en moi, aïe, aïe, aïe ! »

« Aventures langagières, attendez-moi, le temps que j'enfile ma peau, car je pars avec vous ! »

« Adieu mes défenses-réflexes ! j'enfourche désormais tous les prétextes ».

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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