SAMEDI 5 mai 2018
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Les ingrédients d'une bonne histoire"

Animation : Régis MOULU

Thème : Devoir quitter un paradis

Tout bonheur suspend le temps et semble durer une éternité. Mais une fois ce sentiment fané, le retour à la réalité s'impose à nous : un déchirement !... Les paradis, ne seraient-ils que pertes renouvelées ? Aussi, ce moment particulier est une mine à explorer pour un écrivain. L'âme se fend, les vérités premières explosent, et si un salut perce, cela ne sera qu'au prix d'une transcendance. Nous investirons cet aspect au cours de notre séance.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), un sujet a été énoncé en début de séance, à savoir : Votre héros va devoir quitter un lieu où il se sent pourtant bien et aimé après avoir été traversé par un doute [à exposer] qui va furieusement le tirailler !
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support qui développe tout ce que "quitter" suggère, notamment sous l'angle psychologique a été ditribué en ouverture de session, renversant, non ?


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "L'été d'Aurélie n'aura duré qu'un été" de Janine BURGAT

- "J'ai transgressé la loi première des voyages extra-dimensionnels" de Nadine CHEVALLIER

- "Quand l’enthousiasme cède le pas au désespoir" de Janine NOWAK

 

 

"L'été d'Aurélie n'aura duré qu'un été" de Janine BURGAT


L'été d'Aurélie n'aura duré qu'un été. Un feu d'artifice pour elle, un pétard mouillé pour ses proches. Le temps compté de son rêve et de ses chimères.
Kiwo, Marcellin et les deux autres locataires sont restés là le temps des beaux jours. Enfin, jusqu'à ce que l'arrêté d'expulsion soit prononcé.
En regardant le facteur s'éloigner un matin d'août, son coeur a cogné un peu plus fort. Elle s'y attendait.
Des autorités diverses, bottées, en costume, étaient venues inspecter, mètrer, observer, mesurer presque chaque semaine. Des vautours en campagne. Les lettres se faisaient très rares. Plus de publicités idiotes. Le chemin restait boueux malgré le soleil. L'inondation ancienne avait balayé jusqu'aux visiteurs habituels de l'été. La nature du bord de l'eau gazouillait, butinait, bourdonnait en toute impunité.
Chaque pluie, même anodine, ravivait le doute d'Aurélie. Et si... et si tout recommençait ? Le débordement, l'éloignement, le désastre ?
Son rêve d'auberge n'était que les fantasmes d'une vieille femme en mal d'aventures.
Reste-t-on aventureux jusqu'à la grande vieillesse ? Un baroud d'honneur en quelque sorte et rien de plus.
Y croire, se projeter, ne prolongeait qu'un peu la vitalité, l'énergie, le mouvement.
- Rêver, c'est aussi se réveiller, Mamie tu sais ? lui avait dit la petite fée un matin en déjeunant avec les garçons.
Oui, surtout qu'au réveil, Aurélie toussait, toussait encore et toussait beaucoup. A s'en déchirer la voix et les oreilles de ses nouveaux compagnons.
Marcellin s'était fâché, lui réclamant un médecin. Un soir, elle l'avait vu en conciliabule avec son fils aîné. Il avait baissé la garde, son fils, respectant du bout des lèvres les lubies de sa vieille maman. Mais il n'en pensait pas moins. Elle le savait. Le médecin avait fait le déplacement, fustigeant poliment Aurélie au passage. Un emphysème ne supportait pas l'humidité. Ne pas confondre miracle et réalité. Et de l'humidité la maison en transpirait par tous ses pores. Même le pied de vigne vierge à l'extérieur pourrissait lentement. Le corset rouge de la maison se flétrissait. Aurélie en était mortifiée. La nature ne ferait pas de cadeau. La façade de sa maison en feuilles avait bronzé tout l'été par plaques. Seules quelques grappes de feuilles survivaient par endroit. Sa maison ressemblait à une chienne galeuse, toute pelée. Le jardinet ne retrouvait pas son assurance d'autrefois. L'eau était partout. L'eau de la furieuse narguait Aurélie. Au sous sol, elle affleurait encore, même sous le bitume parfois.
Et l'astre chaud engagé à rentrer par toutes les fenêtres grandes ouvertes le jour n'y suffisait pas. Pourtant l'été était là, ronronnant et tiède.
La lettre à la main, Aurélie a attendu Marcellin. Il rentrait chaque soir. Il avait trouvé un petit job de jardinier chez un maraîcher à l'autre bout de la vallée.
Les autres allaient, venaient, assuraient le ravitaillement, donnaient un coup de main. Elle les aimait bien "ses petits gars" comme elle les appelait. Mais tout au fond d'elle même, elle sentait que cela ne durerait pas. Il faudrait du temps et du temps, l'hiver ne lui en donnerait pas. Il reviendrait plus ou moins vite, plus ou moins dru, plus ou moins fort, couronné d'une humidité triomphante et tenace.
En tendant la lettre à Marcellin, Aurélie avait le poids du monde au fond des yeux.
- La région rachète toute la plaine avant l'hiver. Je fais partie des six propriétaires concernés. Les autres sont des villas d'été. Si je refuse, je serai expulsée. Je n'ai pas le choix. Autant en finir. Au premier octobre, les premiers bulldozers.
Marcellin l'a regardé droit dans les yeux et lui a pris la main.
- Faire pour un, ou quelqu'uns ce qu'on ne peut faire pour tous, c'est déjà planter dans les âmes qui reçoivent, la graine de la vie, de l'espoir, de la fraternité, de l'humain. Nous repartirons. T'en fais pas. Le copain indien qui travaille au jardin avec moi, appelle ça le karma. On a respiré l'air frais de ce pays, de ton pays, grâce à toi, on s'en souviendra.
Quand je suis monté dans le camion qui quittait le village ma mère m'a dit : "va, vis, et deviens".
Et puis Marcellin s'est tu, comme revenu en arrière, comme obligé d'imaginer l'autre camion qui allait se représenter.
Alors Aurélie l'a serré contre elle et ils ont pleuré, longtemps.

Avant de reprendre la route chacun d'eux a choisi un objet dans la maison. Un totem, leur a dit Aurélie, un gri gri a dit Marcellin rigolard. Et puis sérieux d'un coup il a ajouté une phrase en langue qu'Aurélie n'a pas compris. Mais ça devait être émouvant car ils sont venus l'un après l'autre, lui prendre ses deux mains dans les leurs en s'inclinant respectueusement.
Marcellin a choisi "L'étranger" de Camus et "Le très-bas" de Bobin dans la vieille bibliothèque. Ils en avaient partagé la lecture, le soir à la veillée. Et une petite aquarelle de la maison que le père de ses enfants avait peint un jour d'été à la fraicheur.
Kiwo a emporté une derbouka rapportée du Maghreb et puis deux petites casseroles d'aluminium. Son rêve c'est un orchestre de rue. Enfin, une petite boîte en nacre qu'Aurélie avait marchandé à Marrakech. Sur son chemin de croix, Kiwo parlait souvent du Maroc. Et en racontant quelques bribes de son passage dans ce pays là, il devenait soudain plus exubérant, moins sombre. Comme s'il avait été amoureux.
Aritu, lui, a trouvé un vieil harmonica dans un carton plein d'humidité qu'ils avaient vidé un après midi. Le son lui plaisait. Et puis, il a ajouté un Coran, en français, pour apprendre ta langue, a-t-il dit en souriant.
Baba emportera une lampe torche à grosses piles et aussi un couteau suisse qui ne compte plus ses lames tellement son usage est multiple. Baba, c'est le Mac Gyver du groupe, le nourricier de l'équipe. Avec Aurélie ils ont sortis tous les tiroirs de la cuisine et mille bricoles l'ont interessé. Ce garçon là est toujours en recherche de petits objets pour en construire de plus grands.
Fin septembre, le dernier jour de l'échéance, les déménageurs ont fait leur oeuvre pour emporter le petit mobilier d'Aurélie. Un de ses fils supervisait le convoi, elle n'a même pas demandé la destination. Ca n'avait plus d'importance.
Puis, à tous, ils ont sorti tout le reste et un grand feu a brûlé toute la journée jusqu'à la nuit.
Au centre du jardinet ils ont monté leurs petits tentes bleues et Aurélie a dormi dans l'une d'elle, à la dure, comme eux, et d'un sommeil de bûche, ce qui l'a étonné.
Au matin, les tentes pliées, les sacs à bout de bras, elle les a serrés tous, très fort et ils sont partis sans se retourner. C'était la consigne.
A son tour, elle a ramassé son petit sac de voyage, a tiré le portail. Sa maison, elle l'a regardée une dernière fois. La maison d'une vie. Mais elle l'a trouvée moche tout à coup.
Alors, en attendant son fils, elle a pris le chemin longeant la furieuse qui déroulait paisiblement son fil d'eau.
Aurélie a caressé une dernière fois son trousseau de clefs au fond de sa poche et elle les a sorties avec solennité.
- Tiens, chienne, a -t-elle crié en les lançant dans l'eau, tu m'as pris mon lit, que le tien soit maudit.
Un coup de klaxon l'a tiré de sa colère. Au loin, déjà, une petite silhouette bottée courait dans sa direction en agitant les bras. Un petit chat botté ça ne pleure pas. Aurélie a ravalé le sanglot qui montait.

 

"J'ai transgressé la loi première des voyages extra-dimensionnels" de Nadine CHEVALLIER


J'ai transgressé la loi première des voyages extra-dimensionnels et voilà qu'on me félicite, on me promet les honneurs à mon retour.
Une fois le vaisseau posé sur ce satellite gris, j'avais lancé ma sonde mentale comme à l'accoutumée, c'est mon rôle de linguiste : vérifier si des espèces locales communiquent, apprendre leur langage.
Sur toutes les planètes rencontrées jusque là, je n'ai jamais trouvé de résonance, elles sont inhabitées, de simples sphères minérales inertes, balayées par des courants gazeux aux formes changeantes. Il y a eu bien cette planète rouge où des cellules vivantes commencent à s'agiter, petites vies autonomes sans cesse menacées par la pression de leur environnement hostile.
Mais pour ma troisième mission d'exploration, on vient de le vérifier, c'est bien la planète du système 3aB2587 !
Cette terre est la première où la vie est apparue et a évolué depuis la visite de nos ancêtres qui l'ont explorée il y a plusieurs milliers d'années, y laissant quelques cailloux bleus transmetteurs. A cette époque on n'hésitait pas à descendre sur chaque planète rencontrée, on cherchait encore des territoires viables pour y installer des colonies.
Les temps ont bien changé. Aujourd'hui la loi première dit « observer sans intervenir ».
Quelle surprise quand l'esprit de cette terrienne a répondu à ma recherche ! Une furieuse envie de connaître cet autre m'a alors envahi. J'en ai oublié la loi première. J'ai communiqué avec cet être. Cela m'a rempli d’excitation mais aussi de honte, j'avais trahi la loi, je me suis tu et n'en ai rien dit à mes supérieurs, quelle lâcheté !
Puis, j'ai découvert la pierre bleue de la bague de cette autre terrienne, c'était trop de poids sur ma conscience, j'ai tout raconté, on m'a donné un blâme, je le méritais. Mais on m'a demandé de poursuivre mes investigations, Retrouver la planète du 3aB2587 semblait tout permettre !
Il fallait des cailloux pour confirmer, certifier, qu'il s'agissait de la bonne planète.
La récolte par Pauline, Pierre et Jacqueline a enthousiasmé l'équipage. Le capitaine m'a même félicité (un peu lourdement). Ai-je bien fait d'agir ainsi ? Aurai-je dû me taire et nous laisser dans l’ignorance ?
J'ai contacté des autochtones, je me suis fait connaître, je leur ai demandé de l'aide. Toutes choses interdites par la loi première.
Mais j'ai fait bien plus et personne ne le sait à bord. J'ai nettoyé le cerveau de Jacqueline de ces caillots mortels qui l'envahissaient. Cette femme est âgée selon les critères de cette planète mais elle a participé à la lévitation des cailloux, auraient-ils réussi sans elle ? Aurait-elle guérie sans mon intervention ?
Reverrai-je un jour ces trois terriens ? Comment vont-il continuer à vivre après cette rencontre avec nous ?
Mon œil se pose sur mon troisième tentacule où s'incruste une pierre bleue translucide. Y circulent d'étranges lueurs mouvantes. Leurs teintes douces et leurs circulations lentes m'indiquent que tout est calme sur Terre. Que pourrais-je y faire si ce n'était pas le cas ?

Je reste en contact mais je rentre chez moi...



"Quand l’enthousiasme cède le pas au désespoir" de Janine NOWAK

 

La date du départ avait été soigneusement choisie. Afin d’honorer une de leurs Divinités et se mettre plus que jamais sous sa protection, ils avaient pris la mer le jour de TORSDAG, le jour de THOR.
C’est avec un poids sur la poitrine que, accoudés au bastingage, cette communauté avant tout paysanne, avait regardé s’éloigner puis disparaître à jamais, leurs fermes, leurs étables, leurs granges.
Les femmes pleuraient. Et sur les visages figés des hommes, une émotion était palpable.
Tous avaient l’impression d’abandonner une part de leur cœur. Ils quittaient leurs terres pour se rendre ailleurs, ils ne savaient où.
La cérémonie des adieux au pays, très émouvante, avait débuté par une ode chantée, que le scalde avait composée en l’honneur de leur souverain. Adalbert y était présenté comme un Roi glorieux, Chef de guerre imbattable et – nouveauté – capable de conduire son peuple au-delà des mers.
Puis, toute la population, massée sur la berge, avait assisté à la montée d’Adalbert et de la famille royale, sur le navire qui allait être le sien, durant le voyage. Ce bâtiment était plus haut, plus large et plus ventru que les autres, afin que le Roi reste toujours le point de mire.
Adalbert et Edwina son épouse, portant dans ses bras leur fils Alrik, étaient vêtus de somptueuses capes, taillées dans les plus belles fourrures de loup. Ils arboraient, par ailleurs, des colliers de perles sculptées dans de l’ivoire de morse.
Adalbert, rayonnant, souriait de toutes ses dents. Des dents très blanches, un peu carnassières. Il était peut-être le seul à être véritablement heureux d’abandonner cette contrée qui l’avait vu naître.
Quand tous furent installés à bord, le druide, resté sur le rivage, bénit dans un geste large, l’ensemble de la flottille. Puis il monta à son tour sur le Drakkar d’Adalbert.
Après un instant de recueillement, l’ordre d’appareiller fut lancé par le Roi.
Deux navires étaient en tête. Suivait le vaisseau d’Adalbert, encadré d’un bâtiment sur chacun de ses côtés, pour sa protection. Enfin, venaient deux par deux, tous les autres Drakkars, au nombre de douze.
Les voiles, de teinte orange, avaient été largement déployées. Un vent favorable les poussa rapidement vers le large, à la grande satisfaction des rameurs, ainsi peu sollicités.
L’expédition avait donc débuté sous les meilleurs auspices.
Au bout de trois jours, le temps avait changé. Le vent était tombé, et peu à peu, un épais brouillard s’était installé. Les pierres de soleil, qui permettent de localiser la position de l’astre pour s’orienter, devenaient inutiles. On naviguait désormais sans voir. Angoissante impression.
Et le danger avait surgi sous la forme de ces montagnes de glace à la dérive. Par temps clair, il est aisé d’éviter ces blocs, repérables de loin. Mais il fallait bien continuer d’avancer dans cette brume presque compacte, malgré l’énormité du risque.
Très vite, hélas, une des embarcations heurta un de ces icebergs. La coque fut crevée. Les passagers purent être recueillis en toute hâte sur les navires les plus proches. On ne déplora aucune perte humaine, mais tous les biens et provisions dans la cale furent engloutis dans les profondeurs. Ce fut un rude coup.
Et la peur s’installa. Le mécontentement suivit. Adalbert sentit que la confiance de ceux qui l’avaient suivi presque aveuglément, commençait à être ébranlée.
Ignorant tout de cette route maritime, il ne pouvait guère se montrer rassurant. Pour calmer les esprits, et afin d’éviter d’autres catastrophes, il ordonna une nouvelle manœuvre : virer sur bâbord. Il expliqua qu’une halte sur la terre, afin de rafraîchir la réserve d’eau, serait la bienvenue. Et qu’un peu de gibier ne serait pas désagréable. Cette initiative convint à tous. Un mouillage fut repéré. Les navires s’immobilisèrent dans la rade. Les ancres furent jetées et une vraie nuit de repos au calme, redonna beaucoup d’espoir à tous.
Le lendemain matin, un petit détachement, muni de tonneaux et d’armes pour la chasse, monta dans les barques de secours. Ils revinrent quelques heures plus tard, riches d’une eau de source très pure et d’une abondante viande fraîche. Leur retour fut salué d’ovations, et ce soir là, les sourires refleurirent sur les visages.
Après une longue bénédiction du druide, le voyage reprit le lendemain matin, toujours dans la brume.
La peur revint, très vite, et plus vive que jamais.
L’euphorie qui s’était emparée d’Adalbert durant tous les préparatifs et au moment du départ, avait disparu depuis longtemps. Il ne comprenait plus.
Certes, il avait conscience qu’en partant ainsi, comme un insensé, il prenait – et faisait prendre à tous – des risques considérables. Mais il avait toujours cru en sa bonne étoile. Et il était convaincu que THOR allait veiller sur lui, l’accompagner pendant cette équipée et lui épargner tous les périls.
Or, rien de tel n’arrivait.
Chassé par un vent violent, le brouillard devint moins dense, ce qui était une bonne chose. Mais les navires tanguaient violemment sur une mer houleuse. Les nuages noircissaient, l’orage menaçait,
Voulant limiter les dangers, Adalbert décida qu’on ne s’éloignerait guère des côtes.
Cette initiative semblait rassurante. Cependant, en agissant ainsi, il comprit bien vite qu’un nouveau problème n’allait pas manquer de surgir : des récifs à fleur d’eau risquaient de déchirer les coques. Ce qui ne tarda pas à arriver. Poussés trop près du rivage par les coups de fouet de la tempête, quatre Drakkars se fracassèrent sur les écueils et sombrèrent corps et biens. On ne put rien faire pour les malheureux, qui disparurent, comme happés par les flots tumultueux.
Après ce nouveau drame, l’humeur d’Adalbert devint sombre. Découragé, il s’enferma dans sa cabine, s’isolant, ne voulant voir personne, surtout pas Abdallah qui, par ses beaux discours, l’avait presque contraint à cette folle entreprise. Il se savait profondément injuste en raisonnant ainsi, ce qui le rendait encore plus morose. Il allait devoir se ressaisir, retrouver un peu de sa dignité.
Qu’avait-il espéré ? Dans son village, la vie n’était certes pas douce. Tenté par l’aventure, il avait escompté trouver un paradis ailleurs, plus loin. Il avait naïvement pensé que les flots bienveillants, pour récompenser son audace, le conduiraient sans encombre, vers une contrée accueillante où lui et les siens s’installeraient durablement, pour vivre sereins, en paix, dans l’opulence, comblés, profitant des biens dont ils avaient été frustrés jusque-là.
Or, il en avait conscience à présent, le paradis terrestre était un leurre.
La vie heureuse n’existait qu’après la traversée de la vallée de la mort. Sur terre, il fallait subir son sort, lutter, se battre continuellement, manquer de tout, souffrir, survivre dans la peur et la tourmente.
Il avait eu la chance d’être un Roi adulé, aimé de son petit peuple. Tous l’avaient respecté et écouté, confiants. Or, qu’en était-il aujourd’hui ? Ils dérivaient sur cette mer qui semblait ne jamais devoir finir. Par son manque de jugeotte, il avait contraint de braves gens à abandonner tout ce pour quoi ils avaient âprement lutté jusqu’à présent.
Et tous ces morts sur sa conscience ! De cela, il ne se remettrait jamais. Oh, des morts, il y en avait toujours eu, à cause des attaques des peuplades voisines. Toutefois, avec ses guerriers, ils luttaient vaillamment, pour faire face, et ils ne faisaient que se défendre. Mais ces pauvres gens noyés étaient de son fait. Et cette idée était insoutenable.
Que faire ? Demi-tour ? Folie ! Non, il fallait continuer, avancer, encore et toujours. Oui, ils n’avaient plus le choix.
En avant, donc, et advienne que pourra…

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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