Ci-après quelques textes produits durant la séance,
notamment (dans l'ordre):
- "Ballade sous les toits des souvenirs" par
Marie-Odile GUIGNON
- "Lui" de Céline CORNAYRE
"Ballade
sous les toits des souvenirs" par Marie-Odile GUIGNON
Deux courbes rondes d'un brun ambré s'agrippent gracieusement
à une masse fripée par le temps et gravée des sillons de la dégradation.
Sur des facettes informes gisent encore des pochettes closes par des
boucles rouillées et dépravées...
Un regard balaie d'une caresse tendre l'objet pudique, l'extirpe de
sa torpeur morne, l'illumine d'une aura scintillante, le réhabilite
d'une provocation nouvelle, l'expose à l'usage de l'inventaire.
Aux alentours la poussière tremble, quelques minces fils de soie se
rompent dans l'émotion d'une tension inquiétante. Une lueur blanchâtre
s'élargit et s'insinue en dénaturant la grisaille sombre d'un mince
espace subsistant. Dans un craquement plaintif, un rail délicat écarte
la fente froissée qui se laisse aller sans résistance au viol lent d'un
présent ordinaire en quête d'un passé enfoui dans l'oubli.
Deux iris mordorés s'échappent dans un compte à rebours...pour un autre
présent.
Le dernier cri de la mode se balance guilleret sur le coté d'une étoffe
gabardine claire. Il danse, sursaute, tressaute fièrement, conscient
de l'importance du moment : il est gonflé à bloc mais ses rondeurs ne
sont que de douces courbes au design séducteur, pas d'artifice mais
de l'utilitaire joyeux, pas de prétention mais une assurance à toute
épreuve... Des pas dans la rue, des pas dans les boutiques, des pas
chez les amis, il s'accommode des mouvements d'humeur, il avale ou régurgite,
il s'abandonne au service, fier de sa bonne conduite... Parfois délaissé
un instant nulle part, il respire dans le calme l'agitation d'une recherche
infructueuse qui prend fin dans un éclair de mémoire. Digne de confiance,
il recèle les confidences les plus extravagantes, inscrites noir sur
blanc, soulignées en rouge de temps en temps... En général, des vapeurs
subtiles et enivrantes déposées sur un carré de linge fin lui donne
le tournis. Des monnaies sonnantes et trébuchantes l'alourdissent ou
l'allègent selon les jours du mois. L'effigie du saint patron des voyageurs
se dissimule dans un repli accompagnée d'une multitude de petits billets
griffonnés à la hâte, c'est dans un autre repli que parfois de douces
mitaines de laine alternent leurs séjours avec les gants aux cinq doigts
fourrés ou non. S'il loge précieusement dans un compartiment spécial
les papiers officiels et officieux qui sortent rarement et qui bénéficient
d'une haute surveillance , il héberge sucettes , allumettes, cigarettes,
il les bichonne parce qu'elles sont condamnées à la peine suprême dès
leur sortie.... Honteux de jouer les couloirs de la mort, il vieillit
inexorablement en bon esclave de l'usure du temps, du vent, des courants,
il voyage moins souvent. Sous ses poches aplaties des cernent dessinent
les bruns desseins de l'abandon...Et un jour délaissé dans la soupente,
il s'est endormi le ventre encore garni des petits trésors d'une séquence
de vie qui a sombré dans l'oubli.
Des battements de cils humides éteignent les vibrations argentées du
regard perdu dans le lointain passé...
La bouche béante de la fermeture éclair laisse à voir des lambeaux raidi
de cuir déformé , d'où émergent, d'un cavité d'acariens, la mince effigie
métallique du St Christophe et quelques papiers froissés noircis et
jaunis qui s'aplatissent. Au fond, pudiquement, un cordon de bourse
s'échappe en cascade frisée. Encore souillé de remugle et bouchonnée,
la mousseline laisse transparaître le coin d'une enveloppe ouverte à
la hâte où s'est endormie, dans la colère, une missive...
La réminiscence assaille un visage ridé de courbes douces et l'enveloppe
dans un voile à l'aurore crépusculaire.
"Lui"
de Céline CORNAYRE
Ce café porte un nom étrange, c'est le café du sac. Il chevauche la
plage avec ses terrasses en pilotis, tout près des vagues. Café du sac
n'est pas son nom mais c'est celui que j'ai choisi. Pour lui.
Il était là. Le sac. Il lui ressemblait tant de dehors, mais de dedans
? Je reconnaissais la couleur, chocolat. Chocolat noir, aussi fondant
que pouvaient l'être ses yeux. Malgré le soleil et sa lumière, je devinais
l'usure naissante des bords. Déception. L'usure aurait dû être plus
prononcée, plus appuyée. C'est sans doute le soleil, ou bien ma vue
qui décline. Ou bien les deux, peut être. La forme enfermée dans un
rectangle pocheté de droite comme de gauche, le rabat rabattu, la poignée
disparue. Disparue ??? La bretelle se tient négligemment au dossier
de la chaise, elle-même accoudée au bord du sable. Elle glisse, agitée
par le vent, doucement. Presque tendrement.
Je tente une approche. Il n'y a après tout que deux tables et quatre
chaises entre nous. L'une est vide, l'autre non. L'air de rien, comme
si j'allais vers quelqu'un, je ne suis plus qu'à deux chaises, puis
une. Puis une serveuse habillée en banana split me sourit en
m'annonçant que les toilettes se trouvent à droite, au fond. Assez tergiversée
! Je plonge vers le sac et m'en empare avec l'ardeur et la joie de la
retrouvaille. J'échappe aux toilettes.
Je suis seule avec lui maintenant. Il sent l'iode si fort que je me
demande combien de temps faisait-il le planton. La piste du parfum s'éteint
là.
A l'ouverture, trois séparations et une fermeture éclair me défient
du regard. La fermeture éclair, pénible à franchir, encoffre une menue
monnaie et quelques miettes. A moins que cela ne soit du sable. Des
pellicules ? Il n'en avait pas ! La première tranche, tranche avec les
deux autres, elle est vide. La seconde, légèrement humide, fait salle
comble. Ce carnet rouge, rouge orangé comme le destin ne pouvait pas
ne pas être le sien. Sa couverture dorée aux bords, ses feuilles si
douces au toucher, telles du velours, cette écriture que je n'ose regarder.
Un double décimètre me tient tête, droit comme un I. Le pense bête du
géomètre. Deux revues au titre évocateur m'enchantent le cœur. La troisième
me laisse dans l'incompréhension. Son journal du matin, tout en bas,
plié en quatre, est bien là. Et les miettes ou les grains de sable sont
partout là. La dernière tranche est la plus nette. Pas une miette, pas
un grain de sable n'est venu perturber son univers. Trois stylos se
superposent. La plume, le bic et l'effaceur. La plume est bonne, le
bic est brut et l'effaceur truande son utilisateur. Il n'effacera jamais
plus. Mes yeux brillent devant l'apparition du portefeuille.
Le soleil maintenant décline et bientôt je n'y verrais plus. Ma vie
d'aujourd'hui reprendra son cours, interrompu l'instant d'un sac.
Les frontières de ce portefeuille s'écartent facilement. Son odeur perpétue
le souvenir. L'iode n'y a pas filtré. Mon portable sonne et re-sonne.
Grand bien lui fasse ! Le contenu n'est pas au rendez-vous. Tant pis,
tant mieux ! Odeur de sa peau, de son parfum mélangée. Portefeuille
si pleinement, ouvertement touché. Imprégné de lui, de son histoire,
de son passé.
Le sac n'est plus que l'ombre de lui-même. J'ouvre les poches avant.
Fébrilement. La droite est vide, désespérément vide. La gauche, par
contre, est occupée. Un porte clé se dessine, anneau dépersonnalisé,
sans clé à son bout.
Du bout de mes doigts, je sens une maquette, une maison. Un toit, quatre
murs et trois fenêtres. Celle du rez-de-chaussée a le volet droit déchaussé.
C'était LUI.