SAMEDI 1er décembre 2007
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle " D'espérance en expériences"

Animation : Régis MOULU

Auteur invité : Henri GRUVMAN


Thème : Drôles de natures
Quand un poireau rencontre un cristal de roche, que se racontent-ils ?
Au début de cette séance, l'animateur a composé une "nature morte".
A ainsi été exposé un contexte (lieu où se passe la scène) et, par la suite,
sont arrivés des personnages symboliques d'origine naturelle.

Ecrire de la sorte permet à chacun de travailler sur les caractéristiques
(et donc aussi la symbolique) d'un objet. Car il s'agit de sentir
et de retranscrire la force que peut prendre toute représentation !

Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support a été distribué. Son but : aider techniquement à créer un personnage en listant tout ce qui peut lui donner de l'épaisseur.

Ci-après quelques textes produits durant la séance...


Processus de composition de notre oeuvre :

Sur une table ont été posés deux cartons-HLM. Dans ce décor ont été disposés ensuite, à quatre moments précis (tous les 30 min), des objets qu'ont apporté les personnes participant à notre séance. A chaque étape (ou acte), une sélection d'objets a donc été opérée et disposée.
Ces objects d'origine naturelle présentent des caractéristiques sur lesquelles les écrivants doivent s'appuyer pour créer les personnages de leur histoire... ce qui donne ceci :

Utilisez votre barre de défilement horizontal qui se situe en bas de votre écran (ascenseur) pour dérouler les photos restantes, à droite !!!

Titre du texte

&

Nom de son auteur

Acte 1
Acte 2
Acte 3
Acte 4
Présence d'un gingembre, d'une sauge et d'un coquillage
Présence d'une sauge, d'un coquillage, d'un poivron et de 5 citrons
Présence d'un coquillage et d'un poivron
Présence d'un gingembre, d'une sauge, d'un coquillage, d'un citron et d'une feuille de platane
 
Acte 1
Acte 2
Acte 3
Acte 4

"A l'ouest, à l'est, rien de nouveau"

de

Marie-Odile GUIGNON

Les rues désertes donnaient sur la place du vieux village endormi en ce début d'après-midi d'été.

Comme d'habitude madame Feuillantine ouvrait sa fenêtre et dépliait son store décoloré. La mine un peu fanée, les rides nervurées, elle inclinait son buste efflanqué pour pouvoir scruter de ses yeux d'émeraude l'étendue des évènements qui pourraient agiter son quartier.

Un peu plus loin, à l'angle de sa maison, monsieur Coliquinage les yeux clos avait assis toute sa prestance sur son banc de sable, les oreilles aux aguets… La rondeur sans égale de son corps plissait comme un ressort tassé sur le sol , son oreille, géante, enregistrait tous les bruitages et les commérages environnants. Si des oiseaux s'égosillaient ensemble, il les identifiait un à un sans erreur…

Ce jour-là, c'est un bruissement de pas qu'il saisit ! Celui de Line Gimbelette ! Un pâle minois, un parfum acidulé, sa petite silhouette glissait au ras du sol, mine de rien.

Monsieur Coliquinage se dit en lui-même " A cette heure, où peut bien aller une si jeune fille seule et avec tant de discrétion ? "

Madame feuillantine du haut de son observatoire pensait : " Où s'en va-t-elle celle là ? De toute façon je suis témoin de son passage "
Line Gimbelette a disparu dans la rue des Pelures…

Madame Feuillantine aux abois, s'incurve vers la droite et reflète dans ses yeux d'amandes un groupe de joyeux lurons très " ensoleillés ".

" Tiens, la bande des jeunes rugbymen acides, il vont encore assaisonner le village de leurs essais vitaminés… 5 joueurs seulement ?… L'équipe n'est pas au complet ? … "

L'oreille de Monsieur Coliquinage sait déjà qu'un évènement se prépare… Peut-être…. Sous réserve…

Il a perçu de son ouie fine, un pas lourd mais assuré ! Vêtu de son short vert et de son maillot rouge le coach de l'équipe de rugby arrive ! Les reliefs de ses muscles se dessinent sous ses vêtements, sa stature imposante ressemble à un cylindre qui reposerait sur 2 courts piliers, sa tête s'enfonce dans son cou tauromachique, pas vraiment beau mais tellement placide !
Les cinq joyeux compères s'en sont allés ailleurs, fuyant leur entraîneur.

Madame feuillantine un brin déshydratée a disparu à l'ombre de sa pénombre.

Sur la place, en tête à tête, Monsieur Coliquinage et le chef sportif se taisent et se contemplent béatement, ils partagent leurs désœuvrement du moment, l'un, parce que c'est son état permanent, l'autre, parce qu'il ne s'agit que de l'instant, d'une trêve entre deux entraînements.
Finalement, il se passe bien peu de choses sur la place du village !

Les pierres grises traversent le temps et les heures chaudes, imperturbablement…
Vers d'autres cieux le professeur rouge et vert s'en est allé.
Monsieur Coliquinage s'est levé pour contourner son logis, il a entendu madame Platebrune ouvrir ses volets. Elle chantonne doucement avec sa voix frissonnante et douce de vent d'automne.
Madame feuillantine se penche de nouveau à sa fenêtre et observe le paysage. Line Gimbelette est là et discute avec l'un des jeunes rugbymen de tout à l'heure.
" Qu'est-ce qu'ils peuvent bien se raconter ces deux-là ? Vraiment ma surdité est un handicap. "
Monsieur Coliquinage lui, auditionne !
Line échange avec son ami Caro.

Line : " Le rendez-vous est bien pour ce soir ?
Caro : - Oui, vers 22 h
Line : - Tu seras seul, comme maintenant ?
Caro : - Bien sûr, il ne faut pas de témoins.
Line : - J'aurai le sac sur l'épaule, avec tout ce que tu m'as indiqué dedans.
Caro : - Bien, je me charge du reste, c'est le plus lourd.
Line : - Ce soir la nuit sera étoilée.
Caro : - Ce soir la Lune sera belle.
Line : - Caro…
Caro : - Line…

Les yeux dans les yeux ils s'imprègnent mutuellement.
Madame Platebrune fredonne … " Et au bout du chemin….Lalalalalè-re…
Monsieur Coquelinage en son for intérieur : " Je me doutais bien qu'il se passerait quelque chose aujourd'hui !…
Ce n'est pas l'Amérique ici, mais quand même… Caro-Line ? "
Du nord, du sud ? Du nouveau ?
 
Acte 1
Acte 2
Acte 3
Acte 4

"Déserpolis"

de

Françoise MORILLON

Ce jour là, je décidais de me promener par cette belle journée, malgré le soleil brûlant.

L'été était là, je marchais, je marchais à l'ombre de mon immense capeline beige en paille froissée posée sur le côté gauche de ma tête minuscule et ridicule à la fois.

Je commençais à rêver et ne regardais même plus où j'allais ; heureusement ma capeline était assez large pour abriter mon gros corps bouillant, difforme et ventru ; vu cette tournure, j'avais d'ailleurs toujours beaucoup de mal à m'habiller malgré mon rang élevé de Marquise de La Maltournée ; et je commençais à être très essoufflée et à sentir la fatigue quand soudain je vis au bout du chemin deux immenses maisons en terre ; je titubais et je m'écroulais en m'adossant contre le mur de l'une d'entre elles et je fermais les yeux. Après un court repos, je les rouvris : je vis devant moi un être un peu étrange à deux têtes, deux bosses, monstre puant sans jambes ni pieds et qui semblait se reposer sur le sable, il me faisait penser à un chameau antipathique mais qui malgré tout aurait pu peut-être me laisser monter sur son dos afin de me permettre de continuer ma promenade.

Je voulus faire sa connaissance et m'approchait de lui, je lui donnais plusieurs coups de capeline, et malgré mes appels répétés, il n'émit aucun son et ne bougeait pas, je le caressais mais il s'enfonça dans le sable et je ne le revis jamais plus.


La Marquise de La Maltournée que j'étais, toujours mal fagotée à cause de ces deux cents kilos, fut fort déçue et s'affala de nouveau contre le mur de la solide maison :
" Que vais-je devenir ? Je ne puis rester là, je suis épuisée, il me faut réconforter ".
Je jetais un œil devant moi quand j'aperçus devant l'autre maison cinq commères toutes vêtues de burnous jaunes citron riant et cancanant entre elles.

Les Commères : " Nous sommes des quintuplés et nous venons au marché afin de vendre notre nectar naturel : du jus de citron pour revitaminer les habitants de ce petit village pauvre perdu dans le désert et qui n'a aucune ressource pour vivre "

La Marquise de la Maltournée : " Bonjour, mes commères, puis-je goûter votre potion bienfaitrice ? Je suis si fatiguée "
Les commères : " Bien sûr, disent les commères à la cantonade "

La Marquise de la Maltournée : Je bus un peu de ce breuvage et sentis mes forces revenir ; je les remerciais de leur gentillesse.

Maintenant que j'étais rétablie, je marchais de nouveau et me rapprocha d'une sorte d'outre à vin qui était posée devant moi : elle paraissait bien pleine, rebondie et dodue, rouge comme la bure d'un cardinal, ses flancs étaient gonflés et brillants comme des chausses bien lustrées. Je me plantais devant elle, la fit basculer à l'intérieur de ma capeline en paille froissée qui me servait de bouche ou plutôt de gosier gargantuesque et but tellement que je la vidais presque entièrement.

La Marquise de la Maltournée : " C'est encore meilleur que le jus de citron des commères quintuplées, me voilà complètement ragaillardie "
Mais presque aussitôt un grand cri sorti de l'outre, celle-ci hurla de douleur, je la vis se dessécher peu à peu en vociférant, sa peau était toute plissée, elle gisait lamentablement sur le sable !!

L'Outre-Cardinal : " Sale Marquise, vous m'avez pris pour une outre, mais je suis un être vivant, je suis le cardinal Benoît IV qui vient visiter les gens de Déserpolis afin d'apporter du réconfort aux malades et à toute cette population pauvre et affamée. Qu'avez-vous fait là, je suis tout desséché et je n'ai plus de force, je ne pourrai plus prêcher la bonne parole, emmenez-moi à l'intérieur de la casbah ; je ne sens plus mes entrailles, je me meure !! "

La Marquise de la Maltournée : " Tout de suite, Monseigneur, je vous fais toutes mes excuses pour cette méprise, c'est affreux " La Marquise porta le cardinal dans la maison qui servit de casbah ; tous les gens étaient autour de lui, priant, pleurant ; on l'allongea en dépliant délicatement sa longue robe rouge, il ne respirait plus et il mourut dans la minute qui suivit à l'ombre du bouquet de sauge qu'un oiseau avait enlevé de la fenêtre afin de former un dais pour abriter Benoît IV de la chaleur.

La Marquise en fut si affectée qu'elle demanda pardon au Bon Dieu, et pria pendant des heures pour le repos du cardinal.
Elle sortit de la casbah et rencontra les quintuplés plus jaunes que jamais vu l'évènement, et qui étaient venues aux nouvelles.

Commère 1 : " Que s'est-il passé ? "

La Marquise de la Maltournée : "J'ai tué Benoît IV, j'ai honte ; que faire maintenant ? "

Commère 2 : " Attendez, regardez, le mini monstre vient de sortir du sable, il vient aux nouvelles aussi ; allons le voir "
Et voilà que la commère 2 et la Marquise réveillèrent le mini monstre.

Commère 3 : " Monseigneur est mort, la marquise l'a pris pour une outre à vin et elle a bu tout le vin qu'il portait aux pauvres, sous prétexte de fatigue, c'est lamentable ! "

Mini monstre : " Comment a-t--elle pu confondre un cardinal et une outre à vin ? Par sa couleur rouge peut-être ? "

Commère 4 : " Quelle mauvaise plaisanterie ! Je suis outrée ! ! "

Il faut vous dire que le mini monstre, à qui entre-temps on avait coupé les deux têtes, possédait une vertu extraordinaire : ses deux bosses étaient remplies d'un liquide magique qui redonnait non seulement force et quelquefois vie.
Les commères, la Marquise et le mini monstre entrèrent dans la casbah pour se recueillir auprès du cardinal. Le mini monstre lui débloqua la bouche et lui fit boire deux grands verres de son précieux breuvage au goût de gingembre ; aussitôt Benoît IV rouvrit les yeux, son corps se gonfla, sa peau redevint lisse, rouge écarlate et brillante. Il respirait, vivait et se demanda bien ce qui lui était arrivé !
Tout le monde s'attabla, chanta, but et fêta la résurrection de Monseigneur.
 
Acte 1
Acte 2
Acte 3
Acte 4

"La fenêtre"

de

Janine
BERNARD

Barbara Saugues n'en revient pas. Ce matin sur la place du marché la voilà qui ne sait plus où donner de l'œil.
Son Gros, comme d'habitude, est adossé à l'immeuble qui fait l'angle de la rue des Chaumettes.
Mais ce qui trahit le rituel habituel, c'est qu'il n'est pas venu seul. Il est accompagné d'un Gringalet au visage noueux, un peu déformé, mais pas vilain garçon. Et, de suite, Barbara Saugue se dit : " Celui là, il sent fort ". Fort comme quoi ?
Elle est incapable de répondre. Mais il sent, c'est sûr.
Son Gros, comme elle l'appelle, il est ridé de partout et ce matin, il baille à s'en décrocher la mâchoire. Ses grandes mains nacrées toutes rondes s'agitent dans tous les sens. De quoi discutent-ils ces deux là ? De sa fenêtre ouverte, elle se penche, et le vent frais de ce matin de printemps, agite les quelques mèches dépassant de ses bigoudis.
Son Gros qui s'est fait un pote ! Le Gringalet qui doit sentir fort, ne l'a pas encore aperçue, du moins il n'a pas encore levé la tête dans sa direction.
Son Gros, lui, sait qu'elle est là, à l'affût. Il voulait qu'elle le voit, voilà au moins une certitude. Il le lui a amené, exprès.
La discussion semble animée et drôle également. Son Gros découvre les quelques chicots qui lui servent de dents à tout bout de phrases que le petit lui lance. Il est court sur pattes, le Gringalet, mais le torse est bien bombé, les bras semblent du roc en barre et le nez de Barbara la taraude pour aller le renifler. Ca l'énerve Barbara d'être ainsi l'obligée de son odorat. Elle se fustige intérieurement. Chienne de chienne.

Quand elle a vu son Gros Coco la première fois, même scénario. Une envie folle de le renifler. Son Gros, il avait été marin. Son odeur était incomparable. La mer, ça vous rentre dans les pores et l'odeur ne quitte plus l'habitué des flots bleus. Il sentait encore la mer, bien qu'elle se soit retirée de sa vie depuis longtemps.
Mais celui-là, qu'est-ce qu'il peut bien sentir ? Il est lisse, sec, et elle caresserait bien sa peau beige. Barbara frissonne. Si seulement elle entendait ce qu'ils se racontent.
Est-ce que le Gros montera aujourd'hui comme il le fait à la fin de chaque marché deux fois par semaine ? Elle, ça lui laisse la matinée pour quitter son vieux peignoir vert et déplier ses bigoudis. Instinctivement, elle porte ses mains tout au long de son cuir chevelu pour évaluer le temps qu'elle mettra à retirer tous ses attributs. Un bon coup de brosse, un passage au bain, trois pschitts de sent-bon, sauter dans son déshabillé de faux satin et à nous la bagatelle ! Elle sourit.
Il est encore tôt et le marché se met en branle lentement. Installations, poignées de mains, premiers clients pressés ou grand-mères tôt levées.
Les deux compères ont dû aller boire d'abord un café et une petite gniolle, histoire de se donner du courage. Et le Gros lui a amené le Gringalet, juste à sa portée. C'est très troublant. D'habitude il vient, s'adosse comme maintenant et la zieute sans vergogne comme s'il la chauffait en prévision de la suite avant midi.

Son Gros Coco. Elle en en a de la tendresse pour lui. Quand il pousse sa porte soufflant et suant après cinq étages pour s'échouer sur son canapé. Combien d'années qu'ils se connaissent ?
" Des crevettes, des roses, des blanches, des grises, allez mes petites dames, elles sont comme vous encore meilleures quand vous leur avez quitté le corset ! ".
Elle n'avait pas résisté Barbara. Elle en avait pris cent grammes de ses crevettes et tout en lui glissant les pièces, elle avait senti sa main nacrée frôler la sienne.
Et puis des crevettes, elle était passée à la sole, au merlan, aux algues pour frictionner sa cellulite, et c'est là que le Gros avait sauté sur l'occasion. Il en faut des kilos de fucus à écraser sur les cuisses, et pour les cuisses de Barbara il en fallait des tonnes !
Alors il lui en avait monté un sac en fin de marché. Et puis l'habitude aidant, il avait fini par lui en tartiner lui-même du fucus. Autant qu'il fallait. Et la vie de Barbara s'était éclairée. Une cellulite bien traitée agrémente sacrément la vie.
Barbara se frotte les yeux. Le Gros fait un signe et le Gringalet s'éloigne.
Barbara a beau se pencher comme une défenestrée, l'immeuble en biais est impitoyable.
Le Gringalet a disparu, perdu au milieu de la foule et du marché. Bizarre que son Gros ne bouge pas. Sur l'étal de sa poissonnerie, son apprenti doit s'activer. La clientèle est encore rare mais l'étal est conséquent et la tâche ne manque pas.
Après le signe du Gros, Barbara attend un petit clin d'oeil. Mais le Gros regarde fixement au loin, sur la gauche. Qu'est-ce qu'il peut bien regarder ? Elle attrape ses jumelles.
" Nom de Dieu ! " Les jumelles ne mentent pas. Au bord du trottoir d'en face, ce qu'elle voit lui incendie le cœur, l'âme et les pupilles.
Les tréteaux sont déjà montés et une mégère en jupe rouge s'active. Des poupées bariolées, des objets de couleur venus de nulle part, des tissus chatoyants. Dame ! comme elle est roulée celle là ! Barbara retouche ses bigoudis. Le Gros semble en hypnose. C'est pas un spectacle de poufiasse quelconque, c'est Tahiti en personne avec ses colliers de fleurs entre un banc de choux fleurs et la machine à rôtir du chinois muet.
Juste quoi ? trois mètres et la voilà qui déplie la plage, les cocotiers et le sable blanc avec une robe rouge sur le dos qui ne cache ni les mollets justes rebondis à souhait, ni les bras nus luisants d'huile de palme, ni le buste généreux avec des petits bourlets partout placés au bon endroit.
Les muscles du Gros sont immobiles. Elle sent monter une panique incontrôlable.

" Tu regardes jamais ailleurs, toi, j'espère ? " qu'elle lui avait demandé la semaine dernière alanguie sur le canapé alors qu'il remettait ses bretelles.
" C'est pas parce qu'on est au régime qu'on peut pas regarder le menu ! " qu'il avait répondu goguenard. Il s'était pris une charentaise en représailles.

Le salaud. Reluquer la tahitienne juste sous son nez.
Et ce n'est pas l'équipée sauvage qui apparaît sur la droite au bout du trottoir qui fera bouger son Gros.
La patrouille de cinq jeunes gars qui surveille le quartier les jours de marché est bon enfant. Le quartier et son marché, c'est une vraie communion. Et la patrouille communie comme les autres. Pardi. Tous au même pas, débonnaires, ils flairent les bonnes odeurs et la tahitienne se pourlèche de les voir arriver.
Salope. Faut la voir bouger le caraco et le jupon et tout ce qu'il y a dedans. Barbara fulmine. Et si elle sifflait pour décongestionner son Gros qui n'en peut plus ?
Aller chercher des munitions. Se manifester pour attirer l'attention et du Gros et de la patrouille.
Elle quitte la fenêtre. Il ne décollera pas, scotché comme il est. Faut aller se chercher de la grosse artillerie. Il la provoque, c'est sûr. Comment répondre ? Elle est au milieu de la cuisine, du salon et de la salle de bains. Que faire ? Que prendre ?
Un rapide coup d'œil au carreau la glace d'effroi.
La Tahitienne fait le dindon devant le Gros en plein milieu de la place. Il en a les yeux qui lui sortent de la tête. Du mur, toujours adossé, il est assis sur le muret il la regarde.
Foutue patrouille. Les cinq ne sont plus là. Ils ont dû la reluquer au passage et puis ils ont passé leur chemin.
Mais il lui parle, le cochon. Elle donnerait cher pour lire sur les lèvres. Même quelques syllabes.
Son cerveau cogite. De l'huile dans une bouteille, y mettre le feu. Comment ils ont dit l'autre jour, à la télé, qu'ils faisaient les gamins ? Cocktail Molotov ? Elle ne sait pas faire ce genre de machine infernale Barbara. Et puis, elle ne pensait pas en avoir un jour, ne serait-ce que l'idée ! Et voilà qu'une fille tout en rouge, pulpeuse comme un rouge à lèvres, vient aguicher l'objet de son cœur là, juste sous ses yeux ?
Des pommes de terre. Lancées avec violence, du cinquième. Cela ferait combien au sol de kilos sur le caraco et la jupette ?
Ils l'ont dit aussi à la télé. Lancées à pleine vitesse les pommes de terre ça doit valoir des pierres et le rouge de la demoiselle se transformera en sang sur la place. Son gros lèvera le nez et la patrouille reviendra constater le désordre.
Barbara a pris sa décision. Elle va s'habiller, défaire ses frisettes, brosser ses cheveux, passer un coup de noir sur ses yeux de biches. Bref. Rassembler ses restes et pousser la porte d'entrée.
Ah ! son Gros est hypnotisé et bien elle va casser le sortilège. En personne. De visu. Elle a de beaux restes Barbara. Sa bobine ressemble plus à une jupe plissée qu'à une soie chatoyante, mais tout de même, avec un peu de peinture. Le fucus lui a tonifié la peau et elle a encore le muscle agile et une bonne droite. Une bonne paire de claques, c'est encore la meilleure arme face à une pétasse.
Et tandis que Barbara se prépare à descendre, la tahitienne minaude et le poissonnier la regarde, la détaille. Ils conversent du marché, du quartier. Elle lui raconte ses difficultés à installer son banc de robes exotiques. Le Gros apprend son nom : Doda Poivranne, de l'île Maurice, et que Doda, c'est le féminin du grand disparu de l'île, le Dodo, l'oiseau disparu. Et le Gros glousse. En voilà un féminin heureux, une bien jolie histoire !
La tahitienne frétille de tous ses cils avec un œil sur son stand où personne, encore, ne s'est arrêté.
Barbara est prête. Astiquée, relookée, un panier de pommes de terre à la main, bien sales, bien germées, bien attaquantes. Surtout bien positionner la tahitienne pour lui tirer les pommes de terre en pleine poire !
Elle passe jeter un dernier coup d'œil à la fenêtre.
Le sac de patates lui en tombe des mains ! La tahitienne a disparu, l'étal chamarré et coloré aussi.
Un de la patrouille est en faction en plein milieu de la place et son Gros lui tourne maintenant le dos.
Il semble prêt à retourner à l'étal de poissonnerie, peut-être craint-il le patrouilleur ? Pas toujours très net son Gros. Se frotter à la patrouille, il n'aime pas trop.
Le rapide coup d'œil de Barbara se fixe net.
Non seulement le Gringalet est revenu mais il lève la tête. Plus près encore, elle peut le détailler à souhait.
Elle se penche avantageusement, passant dans ses cheveux maintenant ébouriffés, une main paresseuse.
Un coup d'œil au Gros qui regarde définitivement au loin, et Barbara agite son bras vers la peau beige et luisante dont l'odeur indéfinissable lui monte déjà à la tête.
" Vous êtes un ami de Coco ? " crie-t-elle dans ses mains en porte-voix.
Le Gringalet fait signe qu'il n'entend pas.
La patrouille au milieu de la place n'en perd pas une miette.
Elle a envie de rire, Barbara, car devant cette place à peine animée, ils sont trois mecs, en fait, à stationner sous ses fenêtres.
Trois Roméo, pour une Juliette. Le patrouilleur n'est pas le dernier à jeter quelques œillades difficiles à interpréter. Méfiance ? Attrait ? Distraction ? Son Gros doit avoir la tête ailleurs, car des trois, c'est bien le moins attentif. Il connaît déjà, c'est vrai.
Le Gringalet relance la conversation.
" Je monte la marchandise à domicile, je peux ? "
Il fait le signe de monter l'escalier au trot.
Le patrouilleur sourit.
Barbara a compris.
Elle se penche, vérifie une dernière fois son Gros. Toujours absorbé comme un buvard par le bout du boulevard qui se dérobe à ses yeux.
Le signe de Barbara fait bouger le Gringalet sur ses jambes noueuses.
Le patrouilleur le regarde pousser la porte d'entrée.

Ainsi va la vie d'un quartier où le marché se tient deux fois par semaine et où, Barbara Saugues se tient au courant de l'évolution du monde et de ses nouveaux produits.
Championne de l'odorat, elle goûte, hume et touche à tout ce que sa fenêtre lui permet.
La fenêtre n'est-elle pas un formidable outil de communication ?
Qui a inventé la fenêtre ? Faudra qu'elle s'équipe de ces nouveaux matériels qui permettent à domicile de tout savoir, un certain Gogole, y répond en direct au doigt et à l'œil quelle que soit la question posée, et des questions sur le monde, elle s'en pose tout le temps, Barbara.
 
Acte 1
Acte 2
Acte 3
Acte 4

"Là où poussent les mimosas"

de

Rémi DANO

Bâtiment B, rue Raymond Poincaré, dans la cité des mimosas.
Solange est à son balcon. Jérôme, qui passe par là en contrebas, s'arrête en l'apercevant.
Conrad, le mari de Solange, est isolé non loin, au pied du bâtiment d'à côté.


Jérôme : Solange ? Qu'est-ce que tu fais ?
Solange : Ah, Jérôme !...
Jérôme : Qu'est-ce que tu fais ? Tu n'as pas l'air bien !
Solange : Je vais me jeter !
Jérôme : Du balcon ?!
Solange : Oui, je vais me jeter !
Jérôme : Pourquoi tu dis ça ? Descends, on va discuter. Enfin, descends par les escaliers, hein !
Solange : Non, je ne descends pas ! Je suis déprimée, cuite au court bouillon…
Jérôme : Mais viens, j'te dis ! Que je te raconte des histoires, que je te joue du Joe Dassin, que je te parle des étoiles !
Solange : Nan ! J'veux pas ! Et il fait jour, en plus !... Ah, Jérôme, la vie est trop dure ! Elle a perdu son parfum nature. Je n'ai plus le goût à rien…
Jérôme : Qu'est-ce qui s'est passé ? Raconte !
Solange : C'est trop compliqué.
Jérôme : Allez !
Solange : Nan, j'peux pas !
Jérôme : Allez !!!
Solange : Nan, j'veux pas !
Jérôme : Allez-hhheu !!!
Solange : Bon d'accord : c'est Conrad ! Il ne fait plus attention à moi. Je ne suis plus à son goût, je crois.
Jérôme : Allons Solange, celui-là n'est pas fait pour toi ! Non, toi tu as besoin de chaleur et d'attention. Lui est froid comme un… comme une… comme une coquille vide, tiens !
Solange : Une coquille vide ?
Jérôme : Oui, c'est comme j'te dis ! A chaque fois que je le vois, il me fait l'effet d'un trou sans fond !
Solange : Ah bon ?
Jérôme : Non, toi ce qu'il te faut c'est un homme, un vrai !
Solange : C'en est un et un vrai qui plus est. Seulement… je crois qu'il y a une autre fille dans sa vie ! J'ai beau m'apprêter : petit top vert, jupette verte, bottines vertes et cheveux détachés, il ne me regarde pas !
Jérôme : Comment ne peut-il te voir ?! Il n'a vraiment qu'un cœur de pierre ! Ca ferait un bon fossile, tiens ! Mais, tu sais, le mien est tendre. Il ressent, bât et bout même ! J'ai toujours pensé que l'on irait bien ensemble, Solange : tous les deux dans le même bain, nos parfums mélangés qui nous enivrent !
Solange : Arrête, Jérôme, tu es fou !
Jérôme : Quand je suis près de toi, ça oui !

Solange remarque Conrad, renfrogné et immobile, un peu plus loin.


Solange : Horreur ! Tais-toi donc !!! Il est là-bas !
Jérôme : Où ça ?
Solange : A la porte, là-bas ! Il nous regarde, je crois ! Tu penses qu'il a entendu ?
Jérôme : J'espère bien, avec les esgourdes qu'il se paie !
Solange : Ne dis pas ça ! Sa placidité, c'est un air qu'il se donne. Tu ne l'as jamais vu en colère : c'est Neptune qui se déchaîne ! Je ne sais pas à quelle sauce on va être manger !
Jérôme : Ah ah ! Il ne m'fait pas peur. Et puis il est tellement gros qu'il ne pourrait même pas se gratter le nombril ! Je vais aller le voir, moi !
Solange : Non, n'y vas pas : que lui dirais-tu ?!
Jérôme : Que ça ne se fait pas de tromper une belle branche comme toi.
Solange : Ah Jérôme, tu es fou !
Jérôme : Quand je suis près de toi, ça oui !
Solange : Alors ne t'éloigne pas ; je crois que je pourrais sauter sinon.
Jérôme : Non !
Solange : Si !
Jérôme : Non !
Solange : Si, Jérôme ! Et puis, je t'en prie, je t'en supplie ne reste pas planté là au milieu du parking. Je ne veux pas que Conrad te voie.
Jérôme : Mais c'est trop tard ma belle !
Solange : Cache toi donc, mon intrépide, mon poète, mon Hercule. Et passe de l'autre côté de ce bâtiment, qu'il ne t'aperçoive pas !
Jérôme : Ah ! La disparition, ma muse…

Jérôme disparaît derrière le bâtiment B, rue Raymond Poincaré, cité des mimosas.

Arrivée des quintuplés de Solange et de Conrad : Riri, Fifi, Loulou, Filou et Rififi.
Arrivée, également, de Paula, en face des enfants, du côté de Conrad. Elle est habillée d'une robe rouge pimpante et très sexy.


Riri (enjoué) : Bonjour m'man !
Fifi (enjoué, également) : Oui, bonjour m'man !
Loulou (fou de joie) : Oui, m'man, bonjour !!!
Filou (fou de joie, également) : Oui oui, m'man, bonjour bonjour !!!
Rififi (grave) : Salut !
Solange : Les enfants ?! Que faites-vous ici ???
Riri (enjoué) : Y'a pas école !
Fifi : On est libres !
Loulou : A nous les bonbons !!!
Filou : A nous le monde !!!
Rififi (grave) : Les profs sont en grèves…
Riri (enjoué) : Oui, ils demandent plus de poésie dans les maternelles !
Fifi : Oui, plus de musiques et de comptines, aussi !
Loulou : Et de bonbons !!!
Filou : Et de monde, aussi !!!
Rififi (grave) : Et le paiement des heures supplémentaires…
Riri (toujours enjoué) : Ils nous ont dit : " rentrez chez vous pour chercher l'amour de vos parents ! "
Fifi : Pour l'attention et l'affection aussi !
Loulou : Et pour les bonbons !!!
Filou : Et pour le monde, aussi !!!
Rififi (grave) : Pour se débarrasser de nous, ouais !!!
Riri (interloqué, à Rififi) : Hey, mais pourquoi tu parles toujours comme ça et jamais comme nous ?
Rififi (grave) : Parce que je suis né avec une heure après vous !
Riri : Comment tu sais ?
Rififi (grave) : J'ai regardé ma montre !
Riri (ébahi) : Ah bon ?! Et pourquoi t'étais resté ?
Rififi (grave) : J'étais mieux au chaud ; ici c'est trop froid. Mais je suis resté trop longtemps dans le ventre de ma mère : j'ai hérité de son côté dépressif !
Solange : Les enfants, vous ne devriez pas être ici. Vos parents ne peuvent pas s'occuper de vous. Papa n'est pas là et maman est fatiguée.
Riri (montrant Conrad du doigt) : Si, il est là papa, je le vois !
Fifi (enjoué) : Avec une autre femme près de lui, même !
Loulou (fou de joie) : Ouais, et des bonbons !!!
Filou (fou de joie, également) : Et du monde, aussi !!!
Rififi (grave) : Mes frères, tout porte à croire que nos parents traversent une profonde malaise relationnelle…
Solange : Non, Rififi. Tes parents s'aiment toujours. C'est juste que… c'est juste que… heu… ton père a pris du poids !
Riri (déçu) : Oh, non ! Je suis jaune !...
Fifi (déçu, également) : Oh, oui, moi aussi !...
Loulou (très déçu) : Comme des bonbons au citron !
Filou (très déçu, également) : Comme le monde amer aussi !
Rififi (grave) : Eh bien moi, je suis pressé ! D'ailleurs, allons plutôt faire notre jus ailleurs. Nous sommes trop jeunes pour être les témoins privilégiés de la triste comédie humaine.

Les quintuplés s'en vont.
Paula se rapproche de Conrad.


Solange : Ah, c'est elle ! Cette traînée ! J'aurais dû m'en douter. Tout à fait le genre de mon Conrad ! Une jupe et du rouge à lèvres, et il perd sa placidité ! Ah, quelle ignominie ! Je suis cuite aux petits oignons ! Je ne peux tout de même pas sauter devant les enfants. Je rentre chez moi me cacher : je ne veux pas voir ça.

Solange quitte sa fenêtre et rentre chez elle.
Paula se arrive à hauteur de Conrad.


Paula : Hola, mi Conrad'zón !
Conrad : Salut Paula…
Paula : Tou as bien réfléchi, mi amor ?
Conrad : Heu… Oui…
Paula : Tou ne me trouves toujours plou à ton goût ?
Conrad : Désolé, Paula, de l'eau a coulé.
Paula : Ah, ils sont rangés les beaux discours, si ! Les " jé t'emmènerai sour la plage y oun se saoulera dé toute l'eau dé la mer ", les " oun sentira l'air dou large en écoutant lé chant des baleines " !
Conrad : Je n'étais plus moi-même. J'avais bu la tasse, je crois.
Paula : Si, cierto ! Tou étais plous bavard ! Y la maison dé campagne à la mer ?! Y les parties dé pêche en voilier autour dé l'île de Bréhat ?! Ah les hommes, tous les mêmes, Madre de Dios !!!
Conrad : C'est que je…
Paula : Tou es retourné dans ta coquille, hein ? Mais tou ne devrais pas te jouer de moi, commé ça ! Tou sais que j'ai oun tempérament dé feu.
Conrad : S'il te plaît pas de scandale ici, Paula.
Paula : Ah, plou dé fanfaronnade, si ?
Conrad : C'est vrai. Je me cachais quand tu m'as trouvé. Je n'ose plus guerre rentrer chez moi.
Paula : Ah, moi qui mé voyais déjà ouvrant des volets bleus sour la cote dé granite rose. Au lieu de ça, yé vais devoir retourner à mi resto tex-mex et continuer dé servir des chili-con-carne à des routards imbibés ! Dé toute façon, les belles histoires, c'est jamais pour ma pomme ! Yé préfère rentrer chez moi, Conrad. Tou es qu'oun goujat sans goût !

Paula s'en va, rouge de colère.
Conrad reste seul dans la cité des mimosas printaniers, le cœur serré.

Rififi revient seul voir son père Conrad.

Rififi (grave) : Que se passe-t-il entre maman et toi ? Tu sais que, malgré mes 5 ans, tu peux me parler.
Conrad : C'est gentil, Rififi, mais tu es trop petit pour ces choses là. Tout ce que je peux te dire, c'est qu'il y a un peu de rifif… enfin… un peu de difficultés passagères dans notre couple.
Rififi (grave) : Regarde moi bien dans les yeux, père, et réponds moi franchement. Est-ce que cette femme, qui part à l'instant, compte pour toi ?
Conrad : Non, Rififi, bien sûr que non !!!

Un voisin, personne âgée et même plus, sort soudainement de sa fenêtre au dessus des deux protagonistes.


Le voisin : Dites voir, vous ne pouvez pas aller raconter vos histoires cochonnes autre part que dessous ma fenêtre, bande de malappris ?! (à Conrad) Et laissez-moi vous dire, monsieur, que si cet enfant est le vôtre, il ne vous ressemble pas du tout !

Sur ce, le vieil homme rentre sa tête en claquant sa fenêtre.


Rififi : Viens père, allons de ce pas courir le guilledou sous des fenêtres plus clémentes.

Le père et le fils se rapprochent du bâtiment B, cité des mimosas.
Solange et Jérôme (ce dernier étant réapparu entre temps) reprennent leur entrevue.

Solange : Jérôme cache-toi donc, je vois Conrad qui se rapproche avec Rififi, notre prodigue prodige.
Jérôme : Je n'en ferai rien. Mon cœur est ici avec toi.
Solange : Jérôme, je ne voudrais pas cracher dans notre soupe mais je suis mariée avec 5 enfants. C'est touchant, c'est sûr, mais cet amour est impossible.
Jérôme : Impossible ? Il n'en est rien ! Moi aussi, j'ai des femmes et des enfants ! Ce n'est pas un problème !
Solange : Comment ?! Tu as d'autres femmes ???
Jérôme : Oui, plein. Les femmes m'aiment ! C'est mon côté aphrodisiaque, je crois. Je ne sais pas encore si je le tiens de ma guitare ou de mon parfum.
Solange (offusquée) : Tu m'as menti, Jérôme ?!
Jérôme : Non ! Je t'aime vraiment, toi… et les autres ! Viens plutôt partager un amour sans haine. Je t'attends.
Solange : Non, Jérôme, ce ne se peut. Je veux un peu de haine aussi. Vas-t-en chercher une autre déprimée dans notre cité fleurie.
Jérôme : Ah, vous les filles, vous êtes si versatiles !

Jérôme s'en va bredouille.
Conrad et Rififi arrivent juste après.


Conrad : Ah, Solange, tu es là !
Solange : Plus pour longtemps, qui sait.
Conrad : J'ai fait le deuil de la mer. Finis l'air du grande large et les parties de pêche. Solange, c'est toi que je veux et sans volets bleus.
Solange : Ah, Conrad, je te retrouve ! Et si Rififi veut bien s'en aller quérir ses frères, je te laisserais monter à mon balcon et partager avec moi l'aurore de ce soir.

 
Acte 1
Acte 2
Acte 3
Acte 4

"Une inauguration"

de

Janine NOWAK

Une place. Un petit immeuble à l'angle d'une rue. A l'opposé, se dresse la modeste église du village.
Une jeune femme est assise sur la barre d'appui de la fenêtre du troisième et dernier étage de l'immeuble. Elle est vêtue d'un affriolant déshabillé vert. Le vent agite les volants de sa légère tenue. Elle semble guetter quelque chose, ou quelqu'un.
Sur le trottoir, arrive un homme habillé d'un complet beige. Il a des difficultés à se mouvoir, tant son corps est contrefait.
La femme, plutôt exubérante, le hèle de loin : " Chéri, te voilà enfin ! Je commençais à m'inquiéter. Monte vite ! "
L'homme qui se dirigeait vers l'entrée de la maison s'immobilise soudain et semble hésiter.
Il se dandine d'un pied sur l'autre. Il vient de remarquer la présence, au coin de l'église, du Curé de la paroisse. C'est un brave Abbé, ventripotent, rond, jovial et débonnaire, qui comprend la vie, les besoins et les faiblesses des humains. Toutefois, sa présence en cet instant, semble contrarier l'homme en beige.
Le Curé : " Alors, mon ami, vous prenez l'air ? "
L'homme en beige : " Oui, mon Révérend, la journée s'annonce splendide ! "
Le Curé, avec malice : " Et qu'est-ce qui vous amène dans le quartier ? Auriez-vous besoin de mes services ? "
L'homme en beige, quelque peu mal ennuyé : " Non, non, mon Père, je rendais seulement visite à… à… une de mes relations… "
Le Curé, faussement naïf : " Ah ? Je connais bien mes ouailles. Il n'y a plus grand monde dans les parages, à cette heure matinale. Beaucoup sont au travail… "
L'homme en beige, de plus en plus gêné : " Oui, certes, Monsieur l'Abbé. Mais je ne me suis pas déplacé pour rien. J'ai rendez-vous avec … la … personne en question ! ".
Le Curé ne veut pas faire durer le malaise de l'homme. Il estime qu'il serait même cruel de sa part de la taquiner davantage. Il lui adresse un salut et s'éloigne. Mais avant de pénétrer dans l'église, le Prêtre lève la tête et fait un sourire à la jeune femme à la fenêtre qui - espiègle - lui décoche un clin d'œil canaille.
L'homme en beige, enfin libéré de son embarras, pousse un profond soupir et se précipite (aussi vite que ses jambes arquées le lui permettent) dans le hall d'entrée de l'immeuble de la femme au déshabillé vert.
L'Abbé, qui s'était contenté de franchir le seuil de l'église, regarde prudemment par la porte, s'assure que l'homme en beige a bel et bien disparu, pense que décidemment la chair est faible, puis ressort tranquillement du Saint Lieu. Il retourne en faction à l'angle du bâtiment religieux. Bien lui en prend, car à cet instant précis, il voit arriver celui qu'il attendait si impatiemment, Monseigneur le Cardinal Eusèbe de Miremont, Membre du Sacré Collège.
Ils sont amis de longue date. Ils se sont connus au Petit Séminaire, ont été ordonnés Prêtres le même jour. L'ascension de l'un, n'a en rien terni leur indéfectible amitié. Et c'est par le plus pur des hasards, que leur dernière mutation les a récemment rassemblés dans le même Diocèse, l'un sous les ordres de l'autre.
Aujourd'hui, tout de rouge vêtu, le Cardinal de Miremont vient très officiellement, à la demande de son vieil ami, l'Abbé Camoins, bénir la nouvelle Salle Paroissiale, attenante à l'église.
Soudain, on entend dans le lointain, la fanfare du village. Ayant revêtu leur traditionnelle tenue jaune vif, les musiciens approchent du lieu de l'inauguration. Ils ne sont pas bien nombreux (le village est petit, et l'effectif des bénévoles doués pour la musique est insuffisant), mais ils font de gros efforts pour jouer de leur mieux. Ils avancent, irréprochables, bien en ordre, en rang serré. Des têtes apparaissent aux fenêtres des maisons. La dame en vert, elle aussi, jette un œil au moment où l'harmonie défile en contrebas de son logement. Les musiciens s'engouffrent dans la Salle Paroissiale, pour une ultime répétition avant la cérémonie officielle.
Le Curé et le Cardinal se retrouvent seuls sur la place de l'église.
Ils peuvent donner libre cours à leur émotion. Ils se regardent, heureux d'être réunis.
Ils se ressemblent un peu. L'Abbé Camoins est plus grand que son ami ; c'est une " force de la nature ". Le Cardinal est plus râblé, mais tout aussi rond. Et ces gabarits généreux ne sont pas dus au hasard : ils sont, l'un et l'autre, de fins gourmets. Aussi, l'Abbé Camoins a-t-il veillé en personne à ce que les agapes, qui seront offertes aux officiels après l'inauguration, soient à la hauteur de l'évènement.
Quelques notes (certaines justes, d'autres, un peu moins) s'échappent du local. Le Curé et le Cardinal sourient, avec bienveillance, appréciant les efforts fournis par tous ces braves gens qui se dévouent pour la commune.
Ils ont encore un peu de temps devant eux, avant que la cérémonie ne débute.
Ils évoquent leur passé, leur jeunesse, leurs anciens fous rires ( le Cardinal était le plus espiègle des deux, et si ses fonctions l'obligent aujourd'hui à un grand sérieux, il n'en demeure pas moins un homme joyeux, un aimable compagnon).
Mais il est l'heure d'officier.
L'inauguration est terminée. A présent, à l'une des fenêtres de la Salle Paroissiale, flotte un étendard - ou une bannière - (difficile de faire la distinction, cet objet ayant été fabriqué par les âmes charitables de la paroisse qui, si elles font preuve de bonne volonté, manquent parfois de savoir faire !).
Le Cardinal est reparti. La place de l'église a retrouvé son calme. La cérémonie s'est parfaitement déroulée, dans la sérénité, la dignité, l'émotion et l'amitié. Le nouveau local est prêt à fonctionner et saura rendre de grands services à tous. Le chef de la fanfare - qui a libéré le reste de sa troupe - reçoit les félicitations de l'Abbé Camoins.
A la fenêtre du troisième étage de l'immeuble voisin, la femme en vert fait de grands gestes d'adieux à l'homme au complet beige, qui essaie de s'éloigner discrètement, en tapinois, se faisant le plus petit possible, ses jambes arquées repliées près du sol, espérant échapper ainsi, au regard de l'Abbé.

Utilisez votre barre de défilement horizontal qui se situe en bas de votre écran (ascenseur) pour dérouler la suite des textes qui vont de l'acte I à l"acte IV, à droite !!!

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !

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