SAMEDI 10 novembre 2018
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Vives incitations"

Animation : Régis MOULU

Thème : Célébrer l'éphémère

Ionesco a déclaré « seul l'éphémère dure » : est-ce à dire qu'il y a une magie qui lui soit liée ? Ou comme une forme d'éternité qui soit saisie à cette occasion ? Et il n'y a pas de hasard si ces idées titillent l'artiste pour lequel verser dans l'unique, l'inédit, le solennel importe. Il y a là comme l'exercice d'un rite, d'une grand-messe : une convocation éclairée. Aussi, cette nouvelle séance sollicite toutes nos ressources d'inspiration !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : Inventer un rite de passage nouveau. L'exposer reviendra à le révéler au travers de quelqu'un qui au sein d'un collectif le vivra, l'éprouvera et s'en retrouvera transformé.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support exposant les techniques d'écriture qui permettent de créer "un éphémère sous tension" a été distribué en ouverture de session, alors là, on pâme !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Réminiscence" de Marie-Odile GUIGNON

- "La lune rouge" de Caroline DALMASSO

- "Belle et magique inspiration ?" de Nadine CHEVALLIER

- "La salle est noire de monde" de Janine BURGAT

- "Le vernissage" de Janine NOWAK

 

 

"Réminiscence" de Marie-Odile GUIGNON

À cet instant précis d'un hier lointain, une flamme tremblait au fond de ses pupilles. Elle connaissait les ombres proches de son corps, pourtant son esprit les aurait voulu éparses, lointaines, fuyantes... L'intimité de soi accepte mal des témoins... La nuit blanche s'installait fermement dans un ciel profond où s'allumaient des scintillements d'or. Le groupe progressait vers le gué. Quand le ruisseau rompit le poids du silence en gazouillant avec les cailloux, dans sa conscience jaillit « Son Nom Secret ». Un Nom porteur de son identité profonde qui recèlera sa dignité humaine pendant toute sa vie à venir. Ses paupières glissèrent sur ses yeux comme le couvercle d'un coffret précieux s'abaisse sur son trésor...
Le lendemain, tous les participants s'égaillèrent dans leurs existences. Ainsi s'acheva le stage d'improvisation.

À cet instant précis d'une soirée d’aujourd’hui, la salle de spectacle s'enfonce progressivement dans l'ombre. Le rideau de la scène tarde à se lever. Autour d'elle un bruissement de toux sèches se propage, signe d'une impatience bienveillante. Le rideau se soulève enfin révélant une scène crépusculaire d'où émergent lentement des corps soutenus par des rythmes cristallins, clapotis de la sono. Sur le plateau, les membres des danseurs se lient, s'enlacent, rampent, émergent dans une continuité viscérale et sublime. Ils s'enroulent avec l'élasticité lente des anacondas, ils s'élèvent comme des lianes souples à l'assaut d'arbres géants... La prestation des danseurs s'accélère, la lumière devient plus pénétrante, la musique s'amplifie et remplit son être, happe ses souvenirs, l'entraîne toute entière dans un état de dépendance nostalgique... Furtivement de sa conscience surgit « Son Nom Secret », avec lui, elle s'enfuit dans les méandres exquis de la gestuelle des danseurs. Elle flotte sur les lignes des silhouettes mouvantes, brasse ses évocations, régurgite ses sensibilités, elle emprunte les creux des reins stimulant ses sentiments les plus émouvants, elle virevolte bouleversée d'émotions, les danseurs acrobates l'entraînent dans ses contradictions internes, elle les dénoue dans la plénitude vertigineuse de ses expériences oubliées, subitement si présentent ! Elle danse, elle danse dans les étoiles de cette nuit blanche d'un ciel profond... Elle s'évade dans la relativité de l'espace-temps ou du temps-espace dilaté. Elle se délite, emportée dans un élan fusionnel... L'atmosphère assourdie par l'apothéose musicale exalte les chairs sublimées par l'art du Hip-hop. La lumière se densifie puis les corps s'immobilisent... Le rideau tombe. Un tonnerre d'applaudissements débordant d'enthousiasme inonde les ombres d'une foule en liesse. La réalité l'interpelle, alors dans ses yeux humides scintille l'exaltation magique d'un instant d'ivresse...
Comme l'assemblée qui l'accompagne, elle se lève et quitte la salle dans la fluidité d'une foule comblée...


"La lune rouge" de Caroline DALMASSO


- Qu’est ce qu’on attend?
- Je ne saurais vous dire.
- Y en a d’autres qui vont venir?
- Je l’ignore, ma foi.
- C’t’endroit… Ca fout les j’tons.
- Effectivement, il n’a rien de rassurant, c’est lugubre à souhait.
- Merde, j’ai l’impression qu’c’est long là! Ca fait combien de temps qu’on est là?
- Un moment en effet! Enfin, il me semble. En réalité cela m’échappe quelque peu. Peutêtre
venons nous à peine d’arriver. Vous souvenez vous de votre arrivée en ce lieu?
- … Ben non… Et puis j’sais même pas où on est! Putain le flip!
- Bon, conservons notre calme, réfléchissons et accordons nos réflexions. Quel est votre
dernier souvenir?
- Euh… On avait fini d’bouffer… Une virée, ouais c’est ça, on a fait une virée, au clair de
lune, elle était rousse, sur la route de Mortemart. Le bruissement des feuilles dans les
arbres, le hululement d’une chouette et puis silence, total et… Blanc…
- Sacrebleu, cela ressemble étrangement à mes propres souvenirs. Nous avions
effectivement fini de souper… Une balade, oui c’est cela, nous avons fait une balade, au
clair de lune, elle était rousse, sur la route de Mortemart. Le bruissement des feuilles dans
les arbres, le hululement d’une chouette et puis silence, absolu et… Blanc… Comme vous
dites.
- T’habites dans l’coin? J’t’ai jamais vu.
- Et bien, au manoir.
- Au manoir, quel manoir?
- Mais au manoir sacrebleu, le manoir des Baltimore, route de Mortemart, il n’y en a qu’un
me semble t’il.
- Connais pas. C’est quoi ton blase?
- Plait-il?
- Ton nom quoi!
- Ah! Comte Charles Henri de Baltimore, pour vous servir. A qui ai-je l’honneur?
- Frédéric, Frédéric Bertier, Frédo pour les intimes.
- Enchanté, en dépit des circonstances bien sûr.
- Pareillement. Bon, ça nous dit toujours pas c’qu’on fait là et depuis quand on y est et
c’qui s’passe dans c’te foutu sous sol de merde!
- Hum… Cela ressemble fort à une crypte… A mon humble avis. Avez vous souvenance
du jour de votre balade?
- Ben ouais. C’était halloween, on fêtait mon anniv’ avec les potes. On avait picolé. On
s’était même déguisé pour l’occas’.
- Halloween dites vous? Ca ne me dit rien. Pouvez vous préciser?
- Ben, le 31 octobre quoi!
- Veille de la toussaint… Sacrebleu, une fois encore nos récits sont similaires… Mais dites
moi, vous me parlez de déguisement, votre accoutrement est en effet des plus étranges.
- Ben, c’est Dark Vador. Dis, tu sors d’où toi? Du trou du cul du monde?
- Hum… Il me vient un étrange et étonnant, fascinant même, sentiment d’anachronisme.
Comme si nous appartenions au même espace mais pas au même temps. Votre façon de
vous exprimer, de vous mouvoir, votre costume de Dark je ne sais quoi… Je vous prie de
bien vouloir excuser mon indiscrétion, empruntée aux circonstances vous l’entendez bien,
mais pourriez vous m’éclairer sur la date exacte de votre naissance.
- 31 octobre 1990, j’ai 20 piges.
- Sacrebleu! Sachez Monsieur, que si vous avez 20… piges comme vous dites, j’en ai
alors 120! Je suis moi même né un 31 octobre, mais en 1890. Nous avons le même âge
mais cent ans nous séparent!
- Putain, c’est quoi c’délire!
- Et, en poussant plus avant la réflexion, les âges que nous avons avancés supposent que
nous soyons en 2010, or, qu’en savons nous véritablement? Les mêmes questions
s’imposent alors… Depuis combien de temps sommes nous là et pourquoi? Questions
auxquelles s’ajoute une dernière énigme, en quelle année sommes nous aujourd’hui?
Nous nous trouvons là face à un épais mystère…
- Merde, c’est un truc de dingue! Mais le plus dingue dans c’t’histoire de dingues c’est que
j’ai subitement une putain de faim et de soif qui me tiraillent les entrailles à en crever!
Aaahhh! J’ai les crocs!
- Ah ça, vous ne croyez pas si bien dire mon cher ami! Les crocs vous les avez et
davantage encore, vos canines sont soudainement impressionnantes… Et vous me
semblez, tout à coup, bien pâle dans votre costume de Dark quelque chose… Pour tout
vous dire, Monsieur, je suis moi même assoiffé…
- OK, bon, faut qu’on s’tire de c’trou à rats, faut qu’on graille…
- Là! voyez! un corridor! Il mène à l’extérieur… Il fait nuit. La lune se lève, elle est rouge,
rouge sang…
- Alors en chasse mon pote, ça sent l’hémoglobine!



"Belle et magique inspiration ?" de Nadine CHEVALLIER


Comment produire un texte qui  n'existe pas, qui n'existe pas encore ?
D'abord s'inscrire à un atelier d'écriture, envoyer son coupon et son chèque.
Le jour J, se rendre à la salle où a lieu la séance.
Partir assez tôt pour n'être pas en retard.
Sur la route, s'inquiéter des ralentissements qui grignotent le temps donné pour le trajet. Chercher une place de stationnement, bien la repérer pour retrouver la voiture au retour !
Entrer dans le bâtiment, monter l'escalier, passer la porte de cette salle où une vingtaine de personnes sont déjà installées autour des tables formant un rectangle comme pour un conseil des ministres.
Le Président, pardon … l'animateur présente les règles du jeu et distribue les fiches actions.
Arrive alors ce moment unique où chacun lit dans un silence recueilli … suivi de soupirs, d'exclamations et de chuchotements.
Quelques explications et mises au point plus tard, le silence retombe sur l'assemblée.
Maintenant chacun est penché sur sa feuille.
A cet instant précis commence la symphonie des « écrivants » : gratouillis légers de quelques stylos, frottements de pieds sur le sol, grincements d'une chaise, tintements d'un bracelet, bruissements d'une page tournée, ponctués de quelques toux réprimées.
Les turbines des cerveaux tournent à plein régime.
Toutes les personnes présentes, différentes, singulières, dont on ne connaît rien de la vie, sont alors tournées vers le même objectif : produire un texte. Il est dit que la page blanche n'existe pas ici.
De temps en temps, un visage se lève, une main se pose sur un front, un doigt effleure des lèvres.
Il est 15h50, rien ne vient rompre la concentration des participants.
Éprouverons-nous tout à l'heure la satisfaction d'avoir réussi ou le regret de n'avoir pas fait mieux ?
A l’heure où j'écris, nul ne le sait.
A  l'heure où je lirai, où je lis maintenant -là est ma performance- peut-être le savons-nous, chacun en notre intérieur.
Quoiqu'il en soit, cette recherche de l'éphémère m'a conduit ce samedi 10 novembre 2018 à 15h53 à terminer ce texte unique, je ne le ferai pas deux fois, c'est promis !
Mais pour qu'il soit aussi éphémère  qu'unique, faudrait-il que je déchire mes pages et n'en garde aucune trace écrite ?

L'écrit peut-il être éphémère ? Ou inversement ?

 

"La salle est noire de monde" de Janine BURGAT


La salle est noire de monde. La pénombre ambiante adoucit l'image des corps et de leur ombre. Mais ce qui frappe le plus quand on y pénètre, c'est l'aligné de chaussures, chaussons, bottes et sabots qui s'entassent à l'entrée.

Le bruit de tous ces pieds en transe sautillant sur eux mêmes, rend le son mat et mou. Pas de grincement, pas de heurt, seulement un bruit sourd, lourd, de sauts muets.
Ils sautent, tous, oui, mais pieds nus.
"Ils s'échauffent", comme disent les plus âgés attentifs et attablés tout autour. Le spectacle est fantastique pour ceux qui approchent la dernière ligne droite de leur courte vie.

Qui passera le saut dans cette nouvelle génération qui s'avance ? Ils s'échauffent pour parvenir au nirvana situé sur l'estrade baignée d'une lueur orange. On ne voit qu'elle. Lueur tamisée mais forte, avec, en son centre, le bassin qui bouillonne sur quelques galets lisses et ronds, monticule fumant.

Chacun ou chacune qui se présentera, devra accomplir le saut de sa courte vie. Le saut vers le futur, vers une vie nouvelle. Le plus risqué certainement.
Monter d'abord jusqu'à l'estrade par trois petites marches de bois, s'approcher du bassin, prendre son élan les pieds bien prêts, agiles et chauds, et sauter, sauter le plus loin devant. Avec le coeur en l'air, le rattraper et retomber bien à plat sur l'estrade tiède. Alors l'instant délice sera complet et accompli.
Ils seront admis. Le jury inclinera la tête une fois seulement. Et ils rejoindront l'armée des "va nu pieds" les seuls capables de vivre et de combattre.
Bottes, sabots et chaussures resteront pour les couards, les peureux, les incapables, les pieds brûlés, les ratés. Toute leur vie l'odeur de leurs pieds chaussés les poursuivra. Pas les autres, bien à l'aise, les pieds nus.
Le monde des "va nu pieds" n'est accessible qu'à ceux qui ont quitté leurs modestes chausses. Et gare à celui qui saute dans les bouillons brûlants du bassin.
Il ré-enfilera des sabots de honte, illico et définitivemen. On ne vient qu'une fois au bassin chaud dans sa chienne de vie.
Gare aux pieds brûlés. La consigne est simple. On ne soigne pas, nulle part.
Les brûlures sont la punition des vaincus, des maladroits.

Combien de coeurs battent ensemble en sautillant sur place, cherchant l'énergie, canalisant la peur, mesurant le saut qui s'approche en pensée ? Le sol est gelé, froid et bleuit talons et orteils. La glace affleure sous le torchis de la salle.
Et saute, et saute, réchauffe ton pied bleu, sens la chaleur de ton énergie qui monte et fait reculer ta peur. Elle encombre et ton coeur et ton souffle, tu dois la dompter, la maîtriser.

Je suis où moi ?
Parmi ceux qui sautent ou parmi ceux qui regardent ? Je me cherche des yeux. Je vois seulement mes bottines neuves, là, dans un coin de l'estrade. Pourquoi pas dans l'entrée avec les autres ? Mes pieds enflent. Ils sont lourds, lourds.
Une douleur sur le côté raidit mon corps.

- Arrête de ronfler! Tu nous casses les pieds !

J'ai l'oeil rond, mon voisin l'oeil mauvais. Ce soir, décidément, le métro est bondé.


"Le vernissage" de Janine NOWAK


Sans être particulièrement maniaque, j’ai, un peu comme tout le monde je pense, quelques réflexes conditionnés. Ainsi, chaque matin, mes activités débutent par la mise à jour de mon calendrier mural à feuillets.
Avec cette pénible canicule qui ne nous lâche pas, j’ai encore mal dormi cette nuit, ce qui me rend d’humeur chagrine. Du coup, c’est rageusement que j’arrache la page d’hier de mon éphéméride.  
Mes rides ! Parlons-en de mes rides. J’ai découvert tout à l’heure en me scrutant attentivement dans le miroir grossissant de la salle de bains, un nouveau petit sillon au coin de l’œil gauche. Mes copines me disent : « Que veux-tu… La jeunesse n’est pas éternelle. Sois réaliste et accepte l’inévitable. Et puis arrête de t’examiner ainsi ! Tu te fais du mal inutilement. D’ailleurs, tes rides sont charmantes, car elles vont en remontant, signe de bonne humeur, de jovialité. Ce sont, ce que l’on appelle des rides d’expression qui donnent un certain cachet aux femmes mûrissantes ! ».
Femmes mûrissantes ! Je les hais, ces sales garces, qui ont trouvé le mot juste, celui qui fait mal. Et puis, d’abord, je n’ai pas des RIDES, mais des RIDULES ! Nuance !
Cependant, je dois bien l’admettre, on ne peut pas lutter contre la nature : « Dura lex, sed lex ».
Donc hier, journée calamiteuse. Voyons, ce que nous réserve aujourd’hui. Jeudi 9 Août. Saint-Amour. Ah, oh, oh ! Je ris. Non mais je rêve. L’Amour sanctifié et avec un grand A majuscule, encore ! Mais l’amour est un leurre, une chimère qui n’existe pas. Et si toutefois cette illusion a pu paraître réelle, c’est terminé. Tout au moins pour moi. Fini. Envolé avec ce triste individu. Bon vent et sans regret.
Le journal, à présent. Voyons ce que prédit l’horoscope du jour.
Vie sociale : ne restez pas les bras croisés et défendez-vous de façon vraiment active.
Cœur : il ne se passera rien si vous restez dans votre coin et que vous ruminez votre insatisfaction sans rien dire ou faire.
Hé bien, décidemment, c’est encore jour de fête pour moi !
Bon. Il est temps que je prenne la route si je veux arriver à l’heure pour le vernissage. Je dois retrouver mes fameuses « bonnes copines » en Normandie, dans une vaste demeure d’un coin perdu du Calvados. Un artiste, qui est aussi le propriétaire de l’endroit, expose ses œuvres chez lui. Je ne le connais pas, mais c’est parait-t-il une « pointure », un peintre renommé et très côté. Allez, en route.
                                                           
Trois heures plus tard.

Je n’en crois pas mes yeux. Quelle splendeur ! Le parc est immense, boisé. Des chevaux racés galopent dans une prairie. Un étang apporte une touche romantique à cet ensemble. Quant au manoir, c’est une merveille. Presque un petit château. Impressionnant. J’en suis intimidée, mais ouf, mes amies sont déjà arrivées. Un majordome en livrée nous invite à le suivre. A ma grande surprise, ce n’est pas dans un showroom qu’il nous introduit, mais dans un salon spacieux dont la partie centrale semble avoir été partiellement vidée de son mobilier, afin de pouvoir y loger, chose insolite, trois immenses chevalets. Ils sont alignés, côte à côte. Pour l’instant, les toiles qui reposent sur ces présentoirs, sont dissimulées. De longs voiles blancs les recouvrent.
Cette atmosphère est très troublante et me met quelque peu mal à l’aise. Mes cinq amies m’entourent. Je ne vois personne d’autre dans cette maison. Serions-nous les seules invitées ? Etrange. C’est de plus en plus flippant et j’ai brusquement envie de quitter ces lieux.
Mais un bruit de pas se fait entendre, et un homme parait. Waouh, ce mâle, quel physique ! Il est de belle taille, bien bâti, le genre grand brun taciturne aux tempes argentées. Le « Latin Lover » charmeur, si attirant. Et comme il est viril ! Mais ce sont surtout ses yeux qui retiennent l’attention. Presque des yeux de magiciens, qui vous sondent, qui vous déshabillent, traversent votre corps.
Je suis déconcertée. Je me sens soudain toute chose, toute molle.
Des domestiques apportent six fauteuils et les installent face aux chevalets. On nous prie de nous asseoir.
L’homme, qui n’a pas prononcé un mot, avance sur la droite, et se plante à côté du dernier tableau. D’un geste brusque, il actionne une sorte de levier que je n’avais pas remarqué jusqu’à présent. Brusquement, les étoffes s’envolent dans les hauteurs, dévoilant ainsi les mystérieux tableaux.
Et là, je reçois un choc. Je me cramponne aux accoudoirs, y enfonçant mes ongles, le souffle coupé. Pour un peu, je m’évanouirais ou me mettrais à hurler. Je me vois. Oui, c’est moi, MOI ! Multipliée par trois et grandeur nature. Suis-je plus belle ou moins belle que dans la réalité ? Je ne saurais le dire. Ces portraits sont d’un tel réalisme ! C’est hallucinant !
Je suffoque à moitié. Puis, reprenant le dessus, je me dresse. Furieuse, je demande ce que signifie tout ce cirque.
L’homme, semble soudain métamorphosé. Souriant (dents d’un blanc éclatant !), il s’avance vers moi, me prend les mains, se fait humble, me demande pardon. Pardon d’avoir volé mon image. Pardon de ne pas m’avoir avertie, de ne pas avoir sollicité ma permission. Mais il n’a pas eu le choix. Une force indépendante de sa volonté l’a poussé. Car je corresponds depuis toujours à son idéal féminin. Un idéal féminin qu’il cherchait désespérément depuis si longtemps. Et un jour, par le plus grand des hasards, découvrant chez une de mes amies une photographie me représentant, il a eu un éblouissement. Enfin, il avait trouvé son modèle. Ainsi, il a commencé à me peindre, d’après ce cliché. Puis, il m’a pistée, suivie, me photographiant à mon insu, grâce à la complicité de mon amie.
Que puis-je dire ? Ma fureur est tombée. Je suis… je ne sais pas ce que je suis. Je ne sais plus. D’un côté, je me sens presque humiliée. Mais par ailleurs, j’ai la sensation de flotter sur un petit nuage.
Moi, un idéal féminin !
Et cet homme, quelle séduction ! Il me trouble.
Puis cette idée si originale : un vernissage pour seulement trois tableaux géants. Du jamais vu. On pourrait l’assimiler à une sorte de rite païen, l’hommage d’un homme à une idole, à une déesse… Et la divinité… c’est MOI !
Quelques petits fours arrosés de bulles plus tard, je me retrouve en grande conversation avec l’artiste. Il est ensorcelant, passionnant, envoûtant. Je dois bien l’admettre : me voilà charmée, éblouie, et donc… prête à succomber.

Qu’est-ce qu’il disait déjà mon horoscope ? Ne pas rester dans mon coin, m’activer. D’accord, je crois que je vais « m’activer » auprès de cet être d’exception !

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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