Ci-après quelques textes produits durant la séance,
notamment (dans l'ordre):
- "Des choses comme..." de Fabienne
SENNEVILLE
- "La maîtresse veut me gommer la main"
de Régis MOULU
- "Boum boum" d'Angeline LAUNAY
- "Avant" de Janine NOWAK
- Les choses qui font battre le coeur" de Marie-Odile
GUIGNON
"Recette miraculeuse" de Céline CORNAYRE
"Des
choses comme..." de Fabienne SENNEVILLE
Des choses ? Quelles choses ?
Des choses étranges qui font battre le cœur, "mon cœur" ; ces choses
qui nous accompagnent depuis l'enfance et qui m'ont fait l'effet de
fusées violentes projetées dans le ciel comme un feu d'artifice au 14
juillet improvisé, inopiné, incongru ou bienvenu…
Des choses comme :
Le cri de sa mère la première fois qu'elle met bas, qu'elle nous voit
- Ah non, c'est parce qu'elle a eu mal ! -… enfin, ce cri strident qui
fait que mon cœur a faillit ne plus battre à ce moment là.
Des choses comme :
Le cri de son frère la première fois qu'on tape un coup de pied dans
son "autre" organe ; j'ai bien cru que mon cœur allait sortir de moi
à force de battre.
Des choses comme :
Le premier baiser… quand on ne sait même plus où il se trouve ce coeur
qui bat.
Des choses comme :
Le premier grand examen oral ou écrit où le cœur bat si fort, si longtemps
qu'il a pris entièrement la place du corps.
Des choses comme :
Le trac… d'oublier son texte sur scène (Oh non pas ça !)
Le trac… de ne pas être à la hauteur de sa témérité… (Hey dis, tu te
prends pour qui ?)
Des choses comme :
La vieillesse qui inflige son règlement intérieur : celle du temps et
qui parle tout bas au cœur et lui dit : "Je suis désolée mais là tu
vois je ne peux rien faire pour toi mon cœur ; tout est déréglé, je
ne vois même plus où se trouve le bouton pour te faire cesser de battre
si vite..." Et le cœur tambourine comme un fou là d'dans comme s'il
avait 20 ans !
Des choses comme :
La musique qui vibre dans les murs, dans les sols, dans nos corps et
qui fait battre le cœur au rythme de ses notes comme les lianes du lierre
qui rampent dans nos veines.
Des choses comme :
La course ; les dernières fois où ça m'a prise de faire la course, mes
jambes restaient clouées au sol tandis que mon cœur battait la chamade
pour être le premier arrivé ! Ou alors courrait-il après son amoureux
? A mon insu !
Des choses comme :
La foule en délire !!! Heum, heum…
Des choses comme :
Le plaisir, la joie, l'extase, ces trucs après lesquels on court sans
cesse, on court toujours ! "Cours toujours tu m'intéresses"… Enfin faut
bien lui faire plaisir à ce cœur de temps à autres, histoire qu'il batte
quoi !
Des choses comme :
Le désir… Hummm, le désir ! Mais là il n'y a pas que le cœur qui bat…
Par solidarité, le "chœur des organes" se met également à battre !
Des choses comme :
Le miroir ! Oui moi, les miroirs font battre mon cœur. C'est à double
tranchant (!)… c'est vrai… mais généralement je cris quand je me vois
dans un miroir, pas vous ? Alors mon cœur, lui, sursaute enfin bat plutôt,
très vite, trop vite.
Des choses comme :
Mon compte bancaire… euh non là on passe, on passe, on coupe, on coupe…
Coupez !!
Des choses comme :
Les policiers… quand je les vois je me dis toujours mais vraiment sans
exception : je n'ai pas mes papiers - mon assurance est dépassée - je
n'ai plus de lumière aux phares - de l'essence coule sous ma voiture…
celui qui bat toujours, lui, doit chercher à se planquer sous le siège
tellement que je me sens mal à ce moment là.
Des choses comme :
Les retrouvailles avec un "sien" enfin avec les "siens" ou les "vôtres",
un de ceux qu'on aime beaucoup au fond ; un frère, une sœur, ce serait
le bonheur ! ! ! Un ami qui revient…
Des choses comme :
Un départ, l'ami qui était revenu et qui repart ; non ne pars pas tu
fais battre mon cœur !
Des choses comme :
Un départ, je l'ai déjà dit mais là c'est autre chose, c'est le vrai
départ... en général là le cœur ne bat plus ; en tous cas pour quelques
temps et puis la vie continue, il paraît…
Des choses comme :
Une rencontre fortuite ou prévue ou prévisible, une de ces "choses"
qui embaume notre cœur de battements d'ailes rien que pour qu'on s'envole.
Des choses comme :
Une désencontre… euh c'est quoi ça ?
Des choses comme :
Un non retour, quand il ne vient pas, quand il est en retard, quand
le cerveau danse avec le cœur au même rythme et que la panique s'en
empare et font la danse des 7 peurs….
Des choses comme :
La peur… Ah… la peur… Boum-Boum !!
Peur de l'abandon, petit patapon, "ne me quitte pas" !!
Peur de l'avion quand il rentre dans le triangle des Bermudes (non ?)
Peur du noir quand il n'y a plus d'espoir (oui bon ben ça va !)
Peur du vide… à la Forêt de Fontainebleau quand j'avais 8 ans (tutut
tutut, tu ne vas pas commencer hein ?!)
Ah ! quand on me fait peur aussi Ouah ! Quand j'ai le hoquet OUAH !
Qu'on me dit ! Pff… non seulement mon cœur est remonté dans ma gorge
et en plus j'ai encore le hoquet ! Même pas drôle.
Des choses comme :
Le rire, l'éclat de rire, la grosse rigolade, celui où l'on suffoque,
le souffle se coupe et que l'oxygène ne passe plus et que le cœur se
met à sauter partout et qu'y dit "Vas y envoie, balance de l'air… par
ici, par ici".
Des choses comme :
Un enfant, oh banal quoi… cette petite chose qui grimpe, qui grimpe
et qui fait battre le cœur ! "Mon petit cœur", chaque jour, chaque heure,
chaque seconde… des cœurs jumeaux. Un battement de cœur à l'unisson…
Des choses comme :
L'amour ? Ah oui vous croyez ? Ca fait "battre le cœur" ça ?
Le pauvre cœur qui se fait battre ! C'est violent quand même !
Il gonfle, il tombe, tourne, se retourne…
Il sèche, il fane, il pleure,
Il colle, se rafistole, bricole !
Il dégouline, danse ou chante, fait la fête…
Et à la fin il crève de toute façon, alors à quoi bon ?
Mais quand même, ça vaut la peine d'essayer !!
Les cardiaques, s'abstenir.
Des choses comme :
Le sang… comme chacun sait
Sans lui, pas de battements de cœur,
Pas d'amour, pas de bonheur,
Pas de rire, même pas de peur,
Pas d'enfant, pas de désir,
Pas de musique, pas de plaisir.
Bon bah, si toutes ces choses ne font pas battre votre cœur, c'est que
vous n'en avez pas !! Et qu'il est donc inutile d'aller vous le faire
soigner… Passez plutôt me voir, j'ai du cœur à revendre…
"La maîtresse veut me gommer la main" de Régis
MOULU
Jeanne. - J'ai le cœur qui bat,
j'ai les côtes qui font les sismographes
c'est horrible
je suis faite comme ça
déjà toute petite un rien m'agitait les ventricules
le docteur disait que j'étais émotive
sensible comme un coquelicot
et que ça passerait avec l'âge
que j'étais comme un petit oiseau
encore tout mouillé dans son nid de papier
que ma mère m'avait trop couvée
mais ce n'est pas vrai ce que disent les toubibs
ils mettent des blouses blanches
pour mieux cacher ce qu'ils ont à déclarer
déjà toute petite je savais que ce n'était pas normal
d'avoir autant de tambours en moi
qui résonnaient qui résonnaient qui résonnaient
ne voyez-vous pas que j'ai la peau qui vibre
à chaque fois que j'entends mon nom
à chaque fois qu'on dit "eh toi !"
à chaque fois qu'on me touche
d'ailleurs quand on me touche j'explose
en moi mes organes ne sont accrochés à rien
tout flotte comme des bouées
elles viennent appuyer sur mes poumons
mais ils sont fragiles mes poumons
comme tout ce qui respire
l'institutrice m'a dit qu'ils étaient précieux
comme deux énormes fraises roses
aussi délicats que deux grosses Tagada
dans leur jus de viande
l'institutrice, mademoiselle Bazooka, fait battre mon cœur
quand elle m'interroge
quand elle me regarde avec les yeux du directeur
quand elle demande à voir mes parents
quand elle me jette un silence fort comme un cri
à ces moments-là je me mets à nager dans mes chaussettes
même celles qui ont des petits chats
qui font des galipettes,
un jour je sens bien que je peux toucher le plafond
tellement mon petit cœur fait des bonds
tellement il grossit à l'intérieur de mon corps tout petit
c'est que j'ai peur de péter mes coutures
il paraît que pleurer ça peut empêcher d'éclater
alors j'aimerais pleurer
mais il ne le faut pas il ne le faut pas
car à trop me vider que va-t-il rester de moi.
Bertrand c'est mon amoureux
ça veut dire que pour lui j'existe
et je le vois dans ses yeux
dans lesquels je me vois
on va bien ensemble
on partage déjà nos yeux en nous les prêtant l'un l'autre
il est coquin comme un renard
qui aurait des mains Bertrand
et avant même qu'il n'ouvre la bouche
mon corps galope déjà comme un fou
à l'intérieur de moi il fait le tour,
je le sais parce que j'entends ses sabots
on dirait un cheval avec une seule jambe
ça fait "bôpe" "bôpe" "bôpe"
ça chante comme une horloge dans le noir
je suis sûre que je suis verte à cet instant précis
et raide comme un clou qui aurait peur
du marteau au-dessus de sa tête
alors j'attends de voir la suite
ce qu'il va dire avec ses bras
avec ses jambes de pirate au bord de la falaise
je suis tout au bout de mon âge
prête à entrer dans le palais de mon avenir
j'aime ça
je suis certaine qu'il croit que je suis bête Bertrand
parce que je n'arrive pas à parler
il se sent fort
il rigole
il s'approche plus près
je ferme alors les yeux comme les moutons la nuit
mon cœur m'enfonce un peu plus dans le sol
et j'attends que sa main vienne m'électrifier
de toute façon j'ai des interrupteurs partout
il peut y aller Bertrand
comme je suis impatiente
j'imagine qu'il a mille mains
toutes là prêtes à m'effleurer
me sculpter
à me refaire la silhouette
à me donner la forme d'une femme heureuse
ça chante dans ma tête
ça danse sur ma plèvre
j'ai les veines qui s'éclairent
comme des guirlandes de Noël
ma bouche devient une gondole
j'ai la tête comme une télé
et je rêve
je rêve qu'il me comprendra
comme quand on aime quelqu'un qu'on ne veut plus perdre.
Bertrand j'en ai rêvé
je suis trop timide pour connaître
un jour ce prénom
comme tous les autres.
Ce qui fait courir mon cœur
c'est donc les chiens gentils
quand ils s'approchent de moi
avec leur queues qui écrivent des lignes de "Z"
tout plats dans le ciel.
Voir ma grand-mère aussi me rend toute mayonnaise
sur le quai des arrivées
puis sur le quai des départs deux jours après.
Maman m'a dit qu'un jour
il n'y aurait plus de train…
Alors je ne sais pas pourquoi
mais je me suis mise à pleurer
comme une machine à laver qui se vide
sauf que moi ce n'est pas de l'eau grise.
Un jour je m'évanouirai
c'est ce que font les belles femmes
dans les westerns
et avant que je ne touche le sol
un garçon vacher me rattrapera
pour que je puisse me réveiller
il n'y a pas de raison que je sois toujours punie
que j'aie une vie de fil de fer
comme à l'école où je fais des lignes de punition
on dirait que la maîtresse veut me gommer la main
et me rendre sage comme un caillou
à la sortie de la classe je cours alors très très vite
pour tout laisser sur place
pour ne rien emporter
je n'ai même pas peur de tomber
et une fois à la maison avec le cœur
comme un marteau-piqueur
je m'allonge dans la brouette de fleurs
ce sont des pensées
que Bertrand ne tardera pas
à cueillir.
"Boum
boum" d'Angeline LAUNAY
Quelqu'un derrière vous
Dont vous ne savez pas le nom
Dont vous ne connaissez ni la voix
Ni le visage, ni le regard, ni le sourire
Et qui vous dit
Mademoiselle, vous n'avez pas mis votre tablier
Qui mâche des allumettes
Qui ne mâche pas ses mots
Qui ne marche pas, qui court
Qui ne chante et ne danse guère
Mais qui apprécie la musique ancienne
La musique celtique et les Rolling Stones
Qui trempe le pain azyme dans son yaourt
Qui parle assez peu
Qui n'hésite pas à prendre la route
Pour aller au bout du monde
En écoutant Stevie Wonder
Quelqu'un qui a l'air de savoir
Ce que personne ne sait
Qui rit peu
Mais quand il rit
Boots
Pull cachemire
Ray bans qui s'obscurcissent au soleil
Sable tiède
Coucher de soleil
Lune rousse
Soudain
Souvent
Quelquefois
Peut-être
M'enfin comme dirait Gaston
Y'a pas de quoi
Pas de ça entre nous
Vous avez des pieds de cochon ?
Moi, c'est Lucas
Qui dit mieux ?
Personne
C'est son nom
Comme Paul Personne
Ou Gérard Manvussa
Ni vu, ni connu
Furtif et fureteur
Incognito
Insolito
Tout claquer
Jusqu'au dernier dollar
Dollar à trois faces
Oui, toi, là-bas
Mémoire dépravée
De quel futur j'me mêle
Dans quel dédale j'm'emmêle
Boum sur la calebasse
Boum boum quand tu m'enlaces
Quand le téléphone sonne
Quand le train arrive en gare
Quand le train repart
Quand on cogne à la porte
Quand on grimpe à l'arbre
Et qu'on ne sait plus en redescendre
Quand on est allé trop loin
Trop au galop
Trop idiot
Trop bien
Trop comme il faut
Trop comme il faut pas
" A demain my darling
Je ne vis que pour ton retour "
Il n'y a pas que ça dans la vie
Ah oui, et quoi d'autre
Eh bien je sais pas, moi
Il y a toi
Il y a moi
Et eux
Et les animaux
Et les plantes
Et les minéraux
Inspirez, expirez
Il y a les nuages qui voyagent
La cabane qui attend
Les sommets enneigés
Avec l'edelweiss et le génépi
L'élixir de l'aventure
Peut-être que je m'aventure
Aventurine
Et nos ancêtres
Qui dorment sous les pierres
Sans eux, qui sommes-nous
Nous sommes
L'étonnement
La peur du froid
La folie douce
La belette qui fuit
Et le petit lapin aussi
Qui détale devant l'ennui
Et les ennuis
Et les ennemis
Qui bondit dans les prés
Boum devant lui
Boum boum derrière lui
Monsieur Lelièvre
Pan, vous êtes mort
Non, il ne faut pas
Pas courir
Pas danser
Pas s'aventurer
Il faut… guetter
Ce n'est pas suffisant
Guetter qui
Guetter quoi
Au loin, une lueur
Où ?
Tu la vois, toi
Là-bas, tout là-bas
Elle se déplace
Ca suffit
Tu me mènes en bateau
Et j'ai le mal de mer
Qu'est-ce qui suffit ?
D'avoir mal et d'être en mer
Mal à l'estomac, mal au cœur
" Savez-vous les gars
Danser, danser la polka "
Ca tangue
Ca souffle
Ca tempête
Ca se calme
Si tu me prenais par la main
Par le bras
Par la taille
Si tu me prenais dans tes bras
Si on dansait
Si on échafaudait
Quel mot affreux
Gardons la tête sur les épaules
Les épaules sur le thorax
Le thorax sur les hanches
Laisse tes mains sur mes hanches
Et gardons les pieds sur terre
Regagnons la terre ferme
Il vente
Il pleut
Il tonne
Mais il ne chaloupe pas
Il verdoie
Il poudroie
Au loin, je t'aperçois
Dans l'herbe, je m'assois
Vite, la nappe
Le pain
La salade verte
Le saucisson sec
Le beurre breton
Qu'est-ce qu'il manque
Les olives
J'ai oublié les olives
On oublie toujours quelque chose
L'imper au restaurant
Le parapluie chez le voisin
Le porte-monnaie
La clef de la voiture
La clef des champs
La clef du cœur
Ah, celle-là
On la laisse quelque part
Et on ne sait plus où
Chez Pierre, Paul, Jacques
Chez Désiré, Honoré, Anesthésié
Rebondis, mon pauvre cœur
Comme une clef jetée
Sur un parquet ciré
" Porte-clef, porte-plume,
Si j'me perds, j'vais sur la lune "
Mais me voici sur l'herbe folle
Là où ne pas aller plus bas
Pays des oreilles de lapin
Où guetter tout ce qui bouge
Tout ce qui passe
Et ne repassera sans doute pas
Ce n'est pas que ça me soucie
" Plumes de paon, Plumes de mélancolie "
C'est plutôt que ça m'sourit
" Perlimpinpin Barbe fleurie "
Formules magiques
Refrains malins
Boîte à primevères
" Porte-cœur, pompe à chaleur
Si j'me lève, c'est tout à l'heure ".
"Avant"
de Janine NOWAK
Un lit.
Mon lit !
Ce lit, rien que ce lit.
Ce lit de douleurs…
Mon avenir, désormais.
D'abord, il y a eu l'accident. Cet effroyable accident. Le destin bascule.
Puis vint cet état entre deux mondes : pas tout à fait mort… et pas
vraiment vivant. Je ne pensais plus. On pourrait presque en conclure
que j'étais bien.
Et me voici à présent dans ce lit, ce lit de douleurs.
J'ai un cœur. Oh, il bat ce cœur, et même très régulièrement. Il irrigue
mes vaisseaux, alimente mes organes, lubrifie ma pauvre cervelle. Il
entretient, oui… mais quoi ? Que peut-il entretenir, ce pauvre cœur
? Tout le reste est anéanti !
Je n'ai pas mal, non. Mais comment dire ? Je n'ai plus de sensations,
ce qui fait tout bizarre et crée un malaise. Je vois, j'entends, mon
odorat fonctionne. C'est déjà bien, dit mon entourage. Admettons ! Seulement,
je ne peux plus parler, plus bouger.
Avant…
Avant, j'aimais courir.
Avant, j'aimais rire.
Avant, j'aimais faire la fête.
Avant, j'aimais le théâtre, les spectacles, le cinéma, les musées, les
arts.
Avant, j'aimais lire.
Avant, j'aimais voyager.
Avant, j'aimais travailler.
Avant ?
Avant, j'aimais la vie, tout bêtement. Je la croquais à pleines dents,
cette belle vie, sans même réfléchir, toujours prêt à me jeter dans
le tourbillon du plaisir.
Désormais… Comment vais-je occuper mon temps désormais ? Car, des loisirs,
inévitablement, j'en ai ! On me met de la musique : ce n'est pas forcément
celle que j'apprécie, ou plus simplement le moment où j'ai envie de
l'entendre. On me fait la lecture : c'est gentil, mais l'aide-soignante
lit mal, platement. On me montre des photos de beaux paysages : ils
ne comprennent donc pas que ça me brise le cœur toutes ces images de
lieux où je n'irai plus jamais !
Ceux qui m'assistent me parlent comme à un bébé ou à un gâteux. Ma parenté,
mes amis, ne savent plus quoi me dire (pas facile pour eux de faire
la conversation avec un presque mort !). C'est trop dur pour eux, pour
moi.
Le plus souvent, je suis dans le vide. Et ce n'est pas plus mal.
Alors, je regarde. Souvent, je suis des yeux, longuement, interminablement,
le vol d'une mouche. C'est toujours en mouvement, les mouches. Elles
se posent, frottent leurs pattes avant l'une contre l'autre, émigrent
ailleurs, se reposent, avancent de trois pas, frictionnent leurs pattes
de nouveau. Sans fin.
Par beau temps, fenêtre ouverte, je profite des odeurs. Je suppose un
jardin en contrebas de ma chambre ; des fragrances de toutes sortes
me parviennent. Je reconnais la menthe, le thym, le romarin, le basilic,
l'estragon, le laurier, le fenouil, les tomates. Alors, dans ma tête,
je réinvente des recettes. Je mitonne des daubes à base de taurillon
camarguais, avec carottes et plantes aromatiques, le tout marinant dans
un Côte du Rhône capiteux.
Je fais des alouettes sans tête, ces paupiettes marseillaises composées
de steaks de bœuf aplatis et dont la farce comprend, curieusement, des
anchois.
L'idée d'une bouillabaisse avec son parfum de safran et de fenouil me
ferait presque monter l'eau à la bouche, si mon humeur s'y prêtait.
J'aimais cuisiner, et le dimanche c'est moi qui préparais le repas.
Tôt le matin, je faisais le marché. J'étais d'une vigilance ! Je tâtais
les légumes, palpais les fruits, soulevais les ouïes des poissons pour
m'assurer de leur fraîcheur, scrutais la viande d'un œil soupçonneux,
goûtais les olives avant de fixer mon choix, puis me rendais dans une
cave et trinquais avec le vigneron, devenu depuis longtemps un ami.
Et enfin, je me mettais aux fourneaux. J'excellais dans ce domaine.
Ma femme hurlait : selon elle, après mon passage, sa cuisine ressemblait
à Waterloo. Tout, j'utilisais. La collection de casseroles y passait.
Idem pour les : passoire, chinois, écumoire, louche, presse-ail, hachoir,
râpe, dénoyauteur, économe, éplucheur, couteau désosseur ; que sais-je
encore ! Pas un ustensile ne m'échappait. Mais au moment du repas, quel
bonheur de voir les miens les yeux brillants de gourmandise, se régaler,
en reprendre, en redemander, nettoyer leurs assiettes à fond en déclarant
que même Bocuse ne m'arrivait pas à la cheville !
A présent, je " mange du goutte-à-goutte ". Voilà. Tout est dit.
Les nuages. Ils font partie de mon quotidien, les nuages. Je les aime
bien. Ils vont, viennent, oscillent au gré du vent, si légers. Ou alors
si menaçants. Je passe des heures à les détailler. Ils sont en perpétuelle
métamorphose. J'étudie leurs formes. Oh, j'ai de l'imagination. Je vois
: des montagnes, des soucoupes-volantes, toutes sortes d'animaux ou
encore des têtes humaines ; un indien au nez busqué, un Zeus barbu,
des angelots joufflus. Et puis aussi des monstres effrayants, dragons
ailés, salamandres cracheuses de feu, chauves-souris griffues, gnomes
grimaçants. J'aime bien me faire peur : ça occupe !
La beauté des choses et des objets me manque terriblement. J'aimais
la délicatesse des fleurs. Effeuiller une marguerite me ravissait :
je t'aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout,
je t'aime, un peu, beaucoup, passionnément !!! C'était futile ; c'était
charmant. On se sentait le cœur en émoi, tout attendri.
J'avais un jardin. Bien modeste, mais je l'entretenais avec soin ; quelques
arbustes le long d'un mur de pierre, une pelouse et un coin égayé de
pâquerettes, myosotis (Vergissmein- nicht ; Forget me not ; Ne m'oubliez
pas !), de quelques soucis et autres fleurs des champs, toutes simples.
Je ne les cueillais jamais, ces fleurettes. Elles croissaient, multipliaient,
et mouraient sur place, renaissant inlassablement. Dans ma chambre,
j'ai en permanence un bouquet. Aujourd'hui, ce sont des roses rouges,
somptueuses. Somptueuses… mais coupées ! Des roses coupées de leur monde,
coupées de tout, coupées de leur vie. Elles sont comme moi : de futurs
cadavres en attente de la mort. Comme ils me manquent ces instants du
passé où j'étais heureux, insouciant, où je jouissais d'une vie normale.
Qu'est-ce qu'une vie normale ? Se nourrir, travailler, se distraire,
aimer. Des fonctions bien naturelles, toutes simples, auxquelles on
ne pense même pas quand on les vit, mais que l'on regrette tant à l'heure
où plus rien ne se fait " naturellement ", justement.
Dans mon état comateux, je revis souvent des instants de cet hier si
proche, tels que je les ai vécus réellement. Et puis, dans ma tête,
je fais évoluer les choses : j'imagine des remarques que j'aurais dû
faire, des réactions que j'aurais dû avoir. Bref, je réinvente ma vie
et je l'améliore. C'est curieux, non ? Pourquoi ne pas accepter ses
erreurs, ses faiblesses ? L'être humain est donc si vaniteux ? Toujours
le " paraître ", même au seuil de la mort.
Ah ! Voici mon infirmière. L'heure de la piqûre du soir. Celle qui me
fera dormir. Artificiellement. Je vais faire " un bon gros dodo " (comme
elle ne va pas manquer de me le dire, dans un instant). Gabrielle, elle
s'appelle. Elle n'a rien d'un archange. Elle doit approcher du mètre
quatre-vingts, la carrure et le poids en rapport. Pas méchante, mais
rugueuse. Peu bavarde ( et à mes yeux, c'est plutôt une qualité ), contrairement
à sa collègue Caroline qui la remplace le week-end : une vraie pie ;
mais une pie agréable à regarder…
Avant de plonger dans les bras de Morphée, je vais, comme tous les jours,
dévider le " cinéma de ma vie ". C'est ma petite récréation.
J'ai été un enfant heureux : le joli petit Pierre aux cheveux bouclés.
Puis, à l'adolescent sans problème, un peu rêveur mais charmant, (aux
dires de mes parents et de nos proches), a succédé un étudiant appliqué,
sérieux. Ma vie d'homme s'est déroulée dans la joie : vie familiale
et vie professionnelle épanouissantes.
Aurais-je moins de regrets actuellement, serais-je plus serein si mon
existence avait été toute autre ? J'imagine que ceux qui ont connu une
enfance martyre, suivie d'une adolescence de délinquant, d'une carrière
en dents de scie et d'un univers familial plein de cahots, quittent
avec soulagement cette chienne de vie ? Pas sûr, après tout. Jusqu'au
bout on s'accroche. Même moi, qui pourtant, voudrais tant que tout s'arrête.
Et puis à d'autres moments, je me remets à espérer. Et si un jour je
remarchais ? Et si ma vie reprenait comme AVANT ?
Vieux fou, va. Allez, dors !
"Les
choses qui font battre le coeur" de Marie-Odile GUIGNON
Si nous considérons cette phrase par son graphisme alphabétique, nous
décodons :
2 l
4 e entiers +1 e accolé à une autre lettre.
3 s
2 c
1 h
2 o entiers +1 o accolé à une autre lettre.
1 q
2 u
1 i
1 f
1 n
3 t
2 r
1 b
1 a
Ce qui fait en tout 27 lettres +2 combinées pour donner un sens phonétique
comportant un piège, celui du o et e entrelacés ayant pour résultat
une complication de prononciation ainsi que d'écriture o+e = œ Soit
:
c + o-pris-dans-e + u + r = 5 lettres qui font quatre lettres dans l'espace
limité du mot à écrire, un graphème : cœur.
Phonétiquement, l'alliance combinée " œ " donne un assemblage complexe
ayant un résultat variable selon la position de la langue dans la cavité
buccale : plus ou moins proche du palais, des dents ou de la gorge,
avec un volume plus en avant, plus en arrière, plus haut, plus plat
ou plus rond.
Nous déduirons donc que, dans le graphème complexe de " c-œ-u-r ", s'exprime
une multitude de possibilités sonores qui, audibles selon le taux de
décibels produits, génère une musicalité à des fins pittoresques, colorées,
capables de déclencher chez celui qui reçoit, dans ses organes auditifs,
une partition d'émotions.
Nous devons donc analyser l'ensemble de ces émotions pour en extraire
dans un premier temps : l'essence, ensuite : le sens, puis : le sang.
Dans ce dernier cas précis il va de soi que nous trouverons les tonalités
du rouge.
Revenons un instant à notre point de départ, soit la phrase :
" *Les choses qui font battre le cœur* ".
L'attention est attirée par un autre mot lui aussi cause de sonorités
particulières :
le mot : " *b-a-t-t-r-e* " :
Composé de 6 lettres dont une double dans son centre : le " t ".
Ces deux " tt " juxtaposés produisent un roulement profond dans la gorge
lorsqu'ils se frottent au " r " qu'ils précèdent.
- " Aiguisez votre ouïe !
- Prononcez : -battre.
- Puis prononcez : -bâton, bataille, bataillon.
- Et maintenant dites :
- Batterie ".
Dans " Batterie " un " e " s'est intercalé entre les " tt " et le "
r ", mais le roulement subsiste et nous découvre un élément primordial
de notre expérience : La batterie de l'orchestre, l'indispensable instrument
de rythme... Le fond sonore de l'actualité musicale...
Boum boum boum - badaboum boum boum - baboum baboum - poum poum poum
- poumpoumpoum - poumboum - poumboum ...iiiiiiiiiiiiiiiiiii = électrocardiogramme
plat... Vite défibrillateur ! Attention, prêt :
Grande secousse ! Tarabadaroum... iiiiii... Attention, prêt : Grande
secousse ! Taraboum... boum - taboum taboum taboum - ça repart...
L'électrocardiogramme n'est plus plat :
D'où l'observation et preuve irréfutable du lien indissoluble entre
les assemblages des lettres des mots " *cœur " *et* " battre "*
Revenons encore à notre phrase de départ :
Une autre combinaison importante celle du mot " *c-h-o-s-e-s* " :
Sur le plan sonore, les deux premières lettres soit le " c " et le "
h " qui s'assemblent harmonieusement, il suffit pour cela que la langue
forme un replis vers le palais et dégage un passage qui provoque un
courant d'air libérateur, mettant à contribution les lèvres afin d'établir
un son plus ou moins chuintant dont le " chut " doux à l'oreille est
l'expression commune. Ce " chchch " est accompagné de l'effet de surprise
du " o " bref, où la langue flotte, mais il est très vite étouffé par
le " zzzz " insecticide du " s " en train d'écraser le " e " qui
suit et qui pourtant s'était assuré la collaboration serrée d'un autre
" s ", hélas, endormi pour la circonstance...
De ces dernières observations nous extrairons le fait intangible que
ce mot " *choses* " dans ce contexte n'est pas anodin.
Avec ces simples considérations qui lient intimement les trois mots
" *cœur " " battre " " choses " : *nous allons essayer d'effectuer
des corrélations non objectives pouvant s'accorder avec l'émotionnel
en recensant dans sept groupes au dénominateur commun sept (/7 : l'entier
naturel symbolique/ ), des verbes prétexte à des *états d'âme " choses
"* où l*'action " battre "* se répercute sur l'*objet " cœur ".
- * Douleurs et fièvre : Tambouriner, étouffer, attendre, endormir,
assommer, ressaisir, calmer.
- Évocation et plasticité : Vibrer, rêver, découvrir, mesurer, accélérer,
admirer, essayer.
- Sensation et virtuosité : Moquer, danser, s'étourdir, courir, s'enlacer,
jouir, jaillir.
- Réalisme et banalité : abandonner, refuser, s'élancer, explorer, délaisser,
aborder, planifier.
- Source de fécondité : S'associer, tournoyer, virevolter, pleurer,
s'envoler, s'évader, se perdre.
- Indispensable nécessité : Planer, s'exclamer, s'adonner, voyager,
tourbillonner, continuer, bifurquer.
- Sérénité et surprise : Poursuivre, conforter, subsister, entraîner,
craquer, sursauter, hoqueter.
En conclusion :
Cette forme d'autopsie graphique et phonique, élaborée sur des bases
anatomiques et mathématiques peut-elle être un des moyens suffisamment
fiables pour répondre à l'inventaire " Des choses qui font battre le
cœur " ?
Je vous remercie d'avoir écouté attentivement l'enchaînement de ces
réflexions que je vous avais annoncées comme complètement loufoques
!
"Recette
miraculeuse" de Céline CORNAYRE
Prenez une forêt de mares où poussent des arbres, des branches qui s'accrochent
et décochent un regard furibard aux passants qui passent, deux pigeons
se faisant la cour, mutuellement, un écureuil transi de pluie, un renard
éperdument épris perdant sa chasse, un lièvre qui s'arrête, un paon
qui se cache, une hirondelle qui joue à la marelle et le décibel du
choeur de la forêt se met en marche.
Ajoutez un enfant poussé sur sa bicyclette, premiers instants sans béquille,
une jeune femme poussant son homme qui pousse l'enfant, une main qui
se tend, deux qui se tiennent, des coudes qui se serrent, des yeux qui
parlent, un train qui part, des au revoir, des retrouvailles, des châteaux
de sable,des pelles qui roulent, des bisous plein les joues, son premier
lego, son premier contrôle, sa première discorde, son premier oui et
son premier non, le premier amour, et le dernier aussi.
Mélangez doucement.
Et rajoutez tout ce qui manque : le derrière d'un chien qui chaloupe,
une vitre cassée, un train qui revient, un tableau isolé, une photo
écornée, une porte ouverte, une autre qui se ferme, une poignée de croquettes,
un lapin raté, un gâteau de riz.
Le tout, dans un champ de blé.
Enfournez.
Surveillez la cuisson de temps à autre, l'oeil droit collé à l'est,
l'oeil gauche retiré vers l'ouest.
Un pied au passé, l'autre au présent, enfilez vos pantoufles et raccordez
vos idées pour :
Cueillir une pensée pour l'être aimé, la regarder pousser et l'arroser
quotidiennement
Promener votre chien tout en s'amusant : à quatre pattes frétillant,
coeur sautillant.
Aller à la poste aux heures de pointe pour envoyer votre flamme en Colissimo.
Assister à un ciné théâtre muet.
Ecouter la musique que vous aimez vous.
Fermer les yeux.
Les rouvrir et courir vers le four en ouvrant les murs.