SAMEDI 2 Octobre 2021
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Se doter d'une inspiration extralarge"

Animation : Régis MOULU

Thème : User des forces vitales pour être inspirant

Ce que nous possédons au plus profond de nous, ce qui nous pousse à agir, ce qui motive nos élans correspond à nos forces vitales. Puiser dans ce terreau en prenant connaissance et conscience de ce dont il est fait dopera nos écrits : ils seront porteurs de ces graines magiques et, par le fait, deviendront attrayants, attirants, réjouissants, énergisants.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : Écrire un texte où le héros tentera de se créer une vie en résonance avec ses désirs profonds. Les obstacles rencontrés réaffirmeront sa volonté. Sa détermination le placera même dans une exaltation dangereuse.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "L'extrême onction à la boue" de Régis MOULU



"L'extrême onction à la boue" de Régis MOULU, animateur de l'atelier

Bénédicte était toujours plus radieuse
après avoir cueilli un bouquet de fleurs dans les bois.
Des végétaux variés.
Du vert en tiges, immanquablement rehaussé
d'un panache de couleurs.
« Ses petits nuages de plaisir », comme elle disait,
d'un air presque timide,
davantage modeste,
avec la préciosité
que seule nourrit la naïveté.

Romain avait fini de composer ses fagots.
Le moment était arrivé
de les charrier dans la remorque de sa voiture,
un modèle passe-partout,
quasi invisible.
D'avoir bien ajusté les branchages
le comblait.
Une tâche bien menée,
bien aboutie,
bien maîtrisée le ravissait.
À chaque fois,
un bonheur simple mais puissant
le transportait,
le faisait respirer plus fort.
Aussi se sentait-il comme vastement déplié.
Depuis longtemps, travailler dans la forêt
avait été son choix,
sa voie,
sa loi.
Aujourd'hui se détacha
dans son décor mille fois consommé
la vue soudaine de Bénédicte
bien qu'elle était là depuis une heure maintenant,
sans bouger,
à étudier une nappe de fleurs sauvages
qui semblaient frissonner
sous le vent malicieux.
De nos habitudes,
on en arrive à ne plus percevoir l'inédit,
l'œil devenant parfois
comme un magnétophone enrayé.

Pourquoi parvenons-nous à figer un monde
que toute une vie cherche pourtant
et incessamment à révolutionner chaque seconde ?
Vieux Romain.

À l'inverse, Bénédicte avait remarqué
l'ouvrier forestier.
Elle eût même été gênée
à l'idée de se livrer
à son rituel floral
qu'une présence étrangère
rendait bien impudique,
peut-être même idiot.
Mais ces petites chéries à pétales
sont si magnétiques,
si envoûtantes
qu'elle leur dédia ses prunelles.
Aussi ses mains se coulaient dans les masses de couleurs,
comme couleuvres aidées par la rosée
et rissolées par la lumière
enflammée du jour.

De loin, toute personne l'aurait confondu
avec une biche,
si ce n'est à ce détail près
que sa robe était azurée.
Un cumulus échoué.
Une folie de cotonnade.
La foire au blanc.
Un mirage se révélant.

Et, en même temps, la jeune femme
se sentait comme dérangée
par un possible regard,
car être vu, c'est déjà être capturé,
quant à être envié, ce serait carrément être kidnappé.
Être prélevée.
En quelques sortes la défaire
de sa présente réjouissance.
C'est pourquoi, elle replongea
dans son occupation,
la tête la première.
Il s'agissait d'avoir des tiges de longueur égale,
il s'agissait d'associer les coloris
en disposant du blanc au centre
que couronnait du violet vif
piqué de quelques étincelles jaunes
que constitueraient les jonquilles.

Son cœur vibrait.
L'organisation et la circulation de son sang
étaient autres.
Ce revif inattendu l'exalta tellement
qu'elle sacrifia, sans le savoir,
ses délicates chaussures
à la boue la plus dégradante.
Comme un enrobage de confiture de lait,
les couches s'ajoutaient.
Ses pieds que le petit format rendait
charmants, à la limite, marrants,
étaient devenus d'immondes poteaux,
sur leurs pourtours mouvants et friables.

Elle se surprit, par ailleurs, en train de chanter.
Une de ces mélodies
dont la simplicité fait de ses auditeurs
des martyrs.
Quelques paroles s'y superposèrent.
Ainsi des mots tels que
« gentille », « garçons »,
« soucis », « maison »,
« amie », « courrons »
déchirèrent l'oxygène par endroits.

Romain les perçut.
Il pensa d'abord
que Bérénice était une petite fille de la ville
perdue.
« – bonjour mam'zelle, vous avez raison,
par là, y'a plein de champignons
… mais ne l'dites à personne ! »
lança-t-il, d'une voix trop affirmée.
La farouche créature fut saisie.

Virant pour lui faire face,
comme soulevée par l'énergie de la survie,
elle ne manqua pas de glisser.
La honte et la boue
la maculèrent en un temps record
qui, d'habitude, relève davantage de la magie.

De plus, le rustique la jugea stupide,
comme inadaptée à son univers de prédilection.
En effet, il n'est pas donné
à toute âme de se greffer à un sous-bois
en prétendant d'emblée
à une harmonieuse osmose !
Là, il avait affaire à une intruse confirmée,
un genre de verrue
dont on ne cherche qu'à se débarrasser :
il la souhaita « ailleurs ».

Étranglée par une overdose d'émotions,
la jouvencelle pleura.
On eût dit que sa tête d'agrume
avait comme dessein de se dessécher
par suées successives.

Elle pensa par dix fois se mourir.
Ce qui la rattachait à rester incarnée,
comme totalement locataire de son corps,
c'était son savant bouquet
qu'elle comprimait dans sa pince
qui lui servait de main douce.
Un jus de tiges s'égouttait sur le sol
improvisé « autel de la déchéance ».

Une âme normale
qui eût assisté à ce spectacle pitoyable
l'aurait secourue,
réconfortée,
remise en état de vivre.
À l'inverse, le manœuvre
ne fut point ébranlé.

Sa voix puissante avait beau
en être la cause,
il n'en ressentit aucune responsabilité.

Bérénice le pensa « bien mufle ».
Pas meilleur qu'un chasseur,
ces préleveurs de vie,
ces atomiseurs d'âmes,
ces monstres que la poudre anonyme.
Au mieux, elle lui paraissait
divertissante comme un écureuil.

Et puis arriva le moment dramatique
où la trentenaire dût accuser réception
de sa bouillie de fleurs
qui teintait déjà son poing serré.
Une dévastation concrète
lui redessina l'échine.
Elle vivait son crucifix :
ce qu'elle élevait au rang symbolique
de pierres précieuses
avait été détruit par ses propres doigts.
Une sorte de profanation.
C'est vrai qu'on se tue toujours un peu soi-même
en dépravant ce qu'on aime :
la jeune femme faisait au pire moment
cette triste expérience,
une douleur invalidante
tel un A.V.C.
la surprit et la figea,
mais c'était davantage une déchirure à l'âme
qui, en réalité, se produisit,
cet événement dont on ne guérit pas.

« Achevez-moi ! » lança-t-elle,
sous le véhicule d'une étrange voix
aux allures de corne de brume,
était-ce encore elle qui stridulait ?

Romain y vit pour sûr une comédienne,
de ce genre d' « irradiée »
à la recherche d'un succès
qu'on arracherait bien partout
tant la scène ne vous suffit plus.

Bref, selon lui, elle confinait à l'imposture.
Les actrices sont des dévergondées
qui se plaisent à grimer la vérité
à coup de sentiments.
À ce jeu du mensonge,
on corrompt une destinée,
on fait des nœuds au fil de sa vie.
Or, son existence à lui était droite.
D'un rectiligne économe.
Il s'affûtait à force de franchise
et de lucidité.
La simplicité est la meilleure des philosophies,
en plus d'être le kit de survie
le plus adapté à une immersion
dans le milieu naturel.
Ici tout est évidence,
se convainc-t-il,
sauf ce « transplant en robe crottée »
dont les pleurs révèlent avant tout
une allergie à la vie.

Bérénice décela ce mépris
qui lui ajouta un couteau dans la poitrine.
Elle aurait voulu qu'il hisse
en sainteté
sa sensibilité
et qu'il s'en agenouille.
Mieux, qu'il se rachète de sa goujaterie
en lui recréant un bouquet coloré
qu'une libre inspiration
ne manque pas de souligner en sublimation.

À la place, il empoigna un de ses fagots
qu'il lança approximativement
dans la remorque.
Cette indifférence fut en fin de compte
salutaire pour la villageoise
qui recouvrit sa liberté,
celle d'être livrée à ses seuls rituels,
ce monde clos comme un bocal
où les valeurs affectionnées
croissent en s'écrasant sur les parois
qu'elles épousent si bien.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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