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"Femmes se désaltérant", ce sont deux femmes au coeur de leur identité. Posons alors comme hypoyhèse que notre identité est notre ailleurs le plus proche...

 

 

 

Editions Le Chercheur d'Arbres, mars 2004

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...Arrivées toutes deux à une situation extrême, elles sont maintenant convaincues que leur vie doit être autre. Billie se plaint effectivement de trop penser au point de ne pas rencontrer son corps et Jeanne souffre de ne jamais avoir goûté à toute forme de reconnaissance, et notamment au statut de femme moderne.

 

 

 

 

 

Revivre, c'est ce qu'elles attendent toutes deux de la petite annonce qui va les rapprocher :

" change ma vie avec celle d'une autre, totalement. Je suis toi et tu es moi, totalement "

avait-on pu lire !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Gros plan sur la déglustration de Funi, illustrateur de la couverture du livre, 2004.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Première ébauche proposée par Funi...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette pièce est donc l'exemple d'une transmission radicale !

Extraits de...

Femmes se Désaltérant

 

Scène 1 - Avant tout le monde.

Dans les toilettes d'une boîte de nuit arrivent séparément deux femmes. Elles ne viennent pas de danser. Elles élisent maintenant domicile au milieu des lavabos et des portes de W-C. La femme blanche, Billie, a retiré ses lunettes pour se blucher tandis que Jeanne, une femme noire, reste bizarrement immobile en la regardant. Serait-on sur le nouveau continent que l'on vient de découvrir ? - Non, tant, pour qui n'est pas informé, aujourd'hui ressemble déjà à demain.

Billie. - (pour elle-même) " Comme toujours, pour avancer, il ne faudrait jamais rester chez soi. " Vous m'écoutiez ?

Jeanne. - Non, pas intentionnellement. Je viens prendre de l'eau.

Billie. - Pourtant je suis sûre que vous êtes Jeanne, la petite fille de l'annonce !

Jeanne. - Oui, ma voix est singulière au téléphone... quand on ne me connaît pas.

Billie. (après avoir remis ses lunettes) - Alors ? Quand est-ce qu'on échange, Jeanne, et qu'on n'en parle plus. J'y ai trop pensé. Moi, de notre rencontre, j'en ai déjà fait un film, en ai déjà eu des angoisses, puis quelques questions, te voir ne me suffit pas, il va falloir me dire tout et très vite. Tes réponses brèves sont pour moi comme des harpons. Jeanne. - Mais pour moi aussi c'est difficile !

Billie. - S'il te plaît, ne dis pas que des banalités, j'en meurs !

Jeanne. - Je ne fais que dire ce que me dicte le moment, je suis une fille simple comme la disponibilité.

Billie. - Toi, tu me fais déjà penser à ces personnes qui font exprès d'être connes pour que tout dure plus longtemps. Ce qui est facile dans le fait de parler à quelqu'un d'idiot, c'est qu'on ne prend pas de risque. C'est même plutôt valorisant et pas très exigeant. Mais reste quand même là, Jeanne, car je vais aussi en profiter pour tout te dire sur moi.

Jeanne. - Vous savez...

Billie. - Billie ! Moi, c'est Billie ou tu mais pas vous !

Jeanne. - Tu sais, Billie, moi aussi je suis arrivée au bout de quelque chose. Tu es mon espoir et déjà mon amie bien que je ne te connaisse pas, que je ne t'aie jamais touchée et à peine souri. Ça ne se voit peut-être pas, mais je suis très excitée, comme un nid d'abeilles. Il y a du plaisir et une drôle de fascination, celle contre laquelle on ne doit rien faire. J'ai ma colonne qui ronronne, Billie. Je ne suis pas folle, mais suis simplement en joie ! La vérité de l'oeil qui brille, connais-tu ça ? Regarde-moi !

Billie. - Non, mais comment peut-on en arriver là ? Te penses-tu réellement saine ? Et te l'es-tu déjà demandé ? J'espère que, comme moi, ça fait longtemps que tu ne te reconnais plus à la télévision et encore moins dans les discours politiques ; un marketing qui pense à ma place, et ne voilà pas mieux pour envenimer nos mots ! Et moi, fatiguée, qui croyais que ma banalité était imprenable et inintéressante, me voilà réduite à un statut d'employée communale, à une fiche de renseignement, à une carte d'électeur, coordonnées complètes, à une nationalité qui oublie ses mille fromages, à l'image du béret, au pays des chiens qui chient au plus court...

Jeanne. - Stop, je ne veux parler que de futur. On ne peut pas passer toute sa vie à ressasser sans cesse le passé. D'autres que toi ont davantage souffert, d'une façon et d'une force que tu n'as jamais eu l'idée de soupçonner, alors s'il te plaît arrête-toi là. M'as-tu compris, ou veux-tu que j'aille en voir une autre ?

Billie. - Calme-toi Jeanne car je te promets que je vais vraiment t'observer. Et puis d'abord cet échange ne pourra se faire qu'avec moi, c'est mon idée, et je compte bien me la réserver en premier. Enfin je saurai aussi te faire parler à un tel point que de toi, il ne restera rien ! Un temps.

Jeanne. - Oh ! Billie. - Tu n'es pas d'accord ?

Jeanne. - Bien sûr que si.

Il fait beau comme quand on court malgré soi dans les champs.

 

 

Scène 2 - Puis-je vous faire disparaître ?

 

Billie. - Et qu'as-tu d'autres à me donner ? Autrefois, quelqu'un qui m'aurait dit "rien" m'aurait rassurée. Cela ça aurait été bien plus pratique, plus assimilable, contrôlable, estimable. Mais avec toi, tout sera différent, sois juste prolixe… s'il te plaît !

Jeanne. - Rien à dire, ressens-moi ! Et Jeanne anime son corps.

A ce moment, toute femme pourrait se voir en elle, à en faire pâlir Pina Bausch.

Jeanne. - C'est dommage que tu n'aies pas fermé les yeux, Billie !

Billie. - Et quand on sait faire ça, est-ce assez pour être heureuse ? Réponds !

Jeanne. - Oui, mais ça ne suffit pas. Un autre aveu : je n'ai jamais acheté de gâteaux d'anniversaire qui ont été formidables, car il a toujours fallu que des petits riens puissent me convenir. Et je célèbre cette simplicité, Billie, je la célèbre, l'âme fendue. Là, l'as-tu vue ?

Billie. - Non. Jeanne. - Alors excuse-moi pour ce bouleversement… mais il nous reviendra, nécessairement.

Une porte claque. Silence.

 

 

Scène 3 - Bonjour vaut moins qu'une question.

 

Jeanne. - Important Billie, moi j'aime manger, et toi ? Par besoin. Tous ceux qui ont l'habitude de marcher longtemps pensent comme moi. Plus important encore : essaies-tu d'échapper aux productions de l'industrie ? Es-tu suspicieuse ? Allez, réponds à tout ça, toi qui aimes penser, je veux te connaître !

Billie. - Je n'ai plus d'illusions sur notre industrie. Elle passe le plus clair de son temps à nous cacher des choses, parole de pub. Salope, j'y ai cru. Mais excuse-moi, Jeanne, je ne voudrais pas qu'on perde le notre à parler de notre petite vie, " il fait beau hein - Bonjour comment ça va - Pas mal après tout - Mais on est plusieurs à le penser - Oui sauf que la plupart des gens eux ils n'y croient pas, ça s'entend dans leur voix - Ah bon - Alors que d'autres le veulent bien - Pas vrai - C'est pour dire à quelle époque on vit - Mais croyez donc c'est toujours pareil quand on nous cache des choses et on nous en cache ça c'est sûr ". Je suis désolée, Jeanne, mais hors de nous ces conversations d'hôpital, c'est si facile d'y participer ! A la place, je te dis de penser, car penser submerge toute forme de doute et d'errances. S'il te plaît, dis-moi plutôt l'essentiel : ton vrai âge, tes réflexions, tes valeurs et les maladies qu'elles te procurent, comment se conduisent tes parents chez toi au milieu de ton salon, l'opinion que tu aurais de ton boulot si tu n'avais pas de salaire, ta maison sans toutes ses décorations et tes enfants s'ils étaient ceux des autres. Alors, heureuse et accomplie ? Jeanne, te laisses-tu facilement jouir ? …

Jeanne. - Je n'ai pas d'enfants.

Billie. - Et dis-tu tout ce que tu as toujours eu envie de dire ? As-tu réalisé qu'avoir de l'imagination, c'est la façon la plus commode pour apprécier les autres ? C'est du travail. T'es-tu déjà vue dans un conte au point d'en changer ta vie ? Un homme, ce n'est pas l'homme, au moins le sais-tu ? Et puis n'y a-t-il pas meilleur entraînement que sa laideur pour t'apprendre à l'aimer ? Parle, je t'en supplie, je veux tellement savoir où tu en es avec tout ça, en saurais-tu plus que moi ?

Jeanne. - Stop, Billie, là je te sens suffisamment violente… Stop.

Billie. - Non, ce n'est que de la virulence ! Tout savoir sur ta vie nourrit l'appétit que j'ai de te connaître, allons-y !

Jeanne. - Non, c'est de la violence, Billie. Pour commencer, inutile de tout compliquer : dans la petite vie il y a la grande. Brosse-toi les dents et je te dirai ce que tu vas devenir ! Mange devant moi et je parlerai de suite de ton amour pour le plaisir. Et s'il te plaît par-dessus tout, ne me dis pas que je mélange tout, moi je ne mélange jamais tout, non, jamais, et pour rien au monde. Je t'en prie Billie, ne succombe pas toi aussi dans cette facilité d'être tentée de me le répéter, je t'en prie. Car la vie est plurielle. Son mystère, c'est que parfois avec un mot comme bonjour, un destin bascule, et ça, chacun de nous a dû le vivre, non ?

Billie. - (dépassée) Je ne peux te répondre, Jeanne, sur ça tu as plusieurs longueurs d'avance. Le malheur étant que, quand on a une idée forte, on peut passer toute sa vie à ne relever en toutes choses que l'on voit que celles qui peuvent la conforter. Et on y croit. Je ne connais pas plus grand drame. Ça me touche. Mais je ne peux pas t'en dire plus, c'est trop tôt, me comprends-tu ? C'est comme si tu allais en Bretagne avec un parapluie : ce voyage en couple va devenir très vite très obsédant, ceci est une provocation, mais je continue, et tu finiras même par lui parler à ton bouquet de baleines ! (Elle rit). Encore plus fou : tu seras même la seule qui soit contente qu'il pleuve, de peur de te promener seule ! Tu es comme ça, Jeanne, simple comme le tournesol ! Il va falloir que je m'y fasse. Et je ne plaisantais pas.

Jeanne. - Je ne suis pas mentale comme toi, Billie, je ne peux te suivre davantage… comme à chaque fois que je sens qu'on ne me respecte pas. Pour ça, je ne m'en fous pas … (en plongeant dans un vague à l'âme).

Billie. - Jeanne, à chaque fois que tu te mets à danser, je suis sûre que c'est merveilleux ! N'est-ce pas vrai ? Tiens, pourrais-tu, là, tout de suite, danser pour moi ! Allez, s'il te plaît !

Jeanne. - Arriva un flamant rose, Billie, non, deux flamants... roses, non, dix plus vingt, enfin je veux dire une meute, une échappée, une espèce, non, c'était même je me rappelle tout un ciel à en réécrire le dictionnaire de la francophonie. Ils sont tous plus beaux à voir les uns que les autres... comme des phrases sans verbe. Et d'un seul coup un nuage de fientes s'abat sur le petit baigneur. Oui, Billie, j'ai mal pour avoir assisté à tout ça... et j'en danse, oui je danse !

Elle danse, poussée par la vrille de ses os. (Ici Pina Bausch se remettrait en question).

Jeanne. - Merci. Merci de m'avoir parlé alors même que tu ne m'aimais pas totalement... Merci aussi d'avoir si discrètement regardé ma poitrine car, moi, c'est avec des choses comme ça que je vis.

Une porte s'ouvre, noir progressif.

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