SAMEDI 7 Novembre 2020
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Vives incitations - année 3"

Animation : Régis MOULU

Thème : Tendre au fulgurant saisissant

C'est l'exploration d'un rapport au temps artificiellement compressé qui nous envoûte sur cette séance. En effet, investir une impression d'immédiateté est d'autant plus saisissant pour son lecteur/auditeur. Cette convocation permet par exemple de transmettre de façon brute et massive des émotions. Tout vivre en temps réel accélère alors, très bénéfiquement, l'identification au personnage et l'adhésion à son récit. Ces jolies clefs ont donc tout intérêt de figurer au trousseau de l'écrivain, ce dont nous nous sommes assurés.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance :

 Écrire un texte qui devra inclure les 10 mots suivants : biscornu, consolation, contours, faucon, incisif, jardin, langage, manivelle, oscillation, se pigmenter.

Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support transférant des techniques permettant d'écrire de façon saisissante et lumineuse a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Marche ou rêve" de Solange NOYé

- "Un nouveau monde" de Christiane FAURIE

- "Guernica" de Peggy CUVILLIEZ

- "Focus sur le faucon" de Lili CULIOLI

- "À cinq arbres d'ici" de Régis MOULU



"Marche ou rêve" de Solange NOYé


Longtemps, j’ai marché de bonne heure…
Jardin d’enfance
Marcher, j’écris
Agitation effusive
Écrire, je marche
Oscillation infusive
Tu vois ?
Vers l’avant, je marchais jusqu’à point d’heure…
Jardin du langage
Signifiants incisifs
Signifiés biscornus
Et bien entendu
Manivelle perdue
Tu comprends ?
Plus avant, je marchai une heure…
Jardin du vrai faucon
Voleur d’âme
Bec et ongles
Crissant secrets
Fomenteurs de drames
Tu entends ?
Hier encore, je marchais avec heur…
Enfance au jardin
Vallons vus se pigmenter
Oxydes de fer odorants
Rougier et feux verts
Vibrations en tellurique color
Tu vois ?
Dans longtemps, je marcherai de bonheur…
Langage au jardin
Pensée en arborescence
Appui de notre fragilescence
Liqueur des mots
Viaduc de consolation
Tu comprends ?
À tous les temps, je marche…
Horloge tic-tac boum
Compte-tours débridé
Contours sémiotiques nomades
Coups de foudre clairvoyants
Pluie des heures
Tu entends ?

Des heures en chœur, j’irai par les chemins…

Glaner de bon cœur
À la fortune du mot
Chemin d’errance heureuse
Mélopée radieuse
Et plume de la consolation suprême
Tu me suis ?



"Un nouveau monde" de Christiane FAURIE


Comment ça incongru ? Invraisemblable ? Chimère que cette réalité ?
Mais que crois-tu ? Nous sommes bien au delà de la privation de liberté physique et psychique.
Il est question de remise en cohérence universelle, telles des armées de métronomes désaccordés qui font entendre leurs tic-tacs cacophoniques.
A force de tinter, ils se laissent petit à petit entraîner à résonner d’une seule voix.
La terre fait de même.
Entrer en cohérence te semble une thèse biscornue ? Laisse ton cerveau limbique donner un tour de manivelle et perçois les oscillations de ton électroencéphalogramme loin de l’empreinte bétonnée de nos sols appauvris.
C’est loin d’être absurde ! Va dans ton jardin secret et réapprends le langage des plantes, loin des polémiques et des enjeux de pouvoir.
Le faucon enveloppe le paysage de son regard perçant et choisit sa proie avant de plonger  irrémédiablement sur sa victime qu’il dévore en plein vol.
J’observe comme lui les contours de ce mal universel qui se répand sur notre planète et je l’intègre comme un animal en décomposition que je dois ingurgiter pour assainir l’environnement.
Chacun va intégrer ce nouveau langage à sa manière sans se laisser envahir par les discours clivant.
Il n’est plus question de soi mais de nous dans la conception d’un langage universel qui s’inscrit au delà des frontières étroites et infuse la terre-mère nourricière.
Il s’agit de laisser la graine germer au plus profond des entrailles de cette terre pour nous nourrir de ses fruits régénérés.
Après tant de mois de jachère, c’est une grande consolation que de vibrer à nouveau, de découvrir ces fruits dont il faudra apprendre les modes de consommation.
Cela va nécessiter de nouvelles recettes, un nouveau langage pour les apprivoiser.
Que crois-tu ? Sortir tes vieux grimoires ? Tes arguments incisifs d’antan ? Mais le monde n’est plus sensible à tes vieux préceptes. Il est vierge de tout.
L’ordre est inversé. C’est toi l’enfant qui a soif d’apprendre le nouveau langage, les nouveaux gestes, faire partie des nouveaux paysages. Tu te dois d’affuter ton regard incisif aux pupilles pigmentées d’éclats de lune.
Ecoute le chant de la terre et le vent qui murmure. Pose ta main et attends. Que ressens-tu ? Ton corps est-il agité par ces ondulations sismiques ?
Pars à la rencontre de cet inconnu qui ne demande qu’à te connaître.  Laisse-toi goûter, sentir, toucher, montre-toi nu.
Ton corps se pigmente tour à tour des couleurs d’espérance et fait briller par réfraction les murs de ton abri.
C’est toi qui décide désormais de l’intensité de la lumière que tu diffuses et non la société qui te l’impose.
Tu es la lumière comme tous les élus qui peuplent notre planète.
Tu es admirable, fais-le savoir autour de toi et plus rien ne pourra t’atteindre car nous sommes tous au diapason.
Les virus n’auront bientôt plus de prise sur l’humanité car les fabuleuses ressources de chacun alimenteront la terre et nous rendront résilients, asymptomatiques.
Nous avançons d’un pas assuré. Les demeures résonnent de voix d’enfants insouciants et confiants.
Les arbres déploient leurs branches afin que nous puissions contempler le soleil radieux.
Les rumeurs se taisent et laissent place aux pas dansant en hommage à la renaissance.
Que la Terre s’enracine à nouveau. Déployons nos bras et ouvrons nos mains pour re tricoter la vie.

 

 

"Guernica" de Peggy CUVILLIEZ


Biscornu, biscornu, biscornu, biscornu ; la meilleure description possible. Le mot le plus adapté à la situation. Je suis certaine que vous n’avez rien vu, ni connu de tel.
Commençons par le visage. Ce qui frappe en premier c’est le regard perçant, un regard de faucon, incisif. Puis on s’attarde sur les contours et toutes les croyances s’effondrent. Les yeux, le reflet de l’âme ! Comment serait-ce possible ? Une âme vive, aiguisée dans un contenant flasque et disproportionné ? Des joues tombantes, surtout la gauche, un bouton de nez, des dents de piano, un front d’obus, un obus de la première guerre retrouvé dans un champ de betteraves de la Somme. Une oreille cassée et l’autre atrophiée, des cheveux éparses, indisciplinés et filasses.
Le reste du corps est à l’avenant, peu avenant. Une consolidation de membres dans la plus grande tradition de Picasso. J’ignore son nom, je l’appelle Guernica. Il est cheval, enfant, taureau, sang, cris, larmes tout à la fois. Je ressens dans son langage corporel toute la souffrance de son être. A mes côtés, vous seriez vous aussi submergé par son désespoir.
Il actionne une manivelle qui provoque les oscillations d’un jardin suspendu. Les Végétaux se pigmentent alors au grès des mouvements et de l’orientation des spots de couleur. Rien n’explique la raison de tout ceci. Le mécanisme semble lourd à manipuler. Des morceaux de terre et de végétaux en décomposition tombent des bacs et lui recouvrent le crâne et les épaules. Surtout l’une car l’autre, très inclinée laisse glisser les amas sur son pantalon et ses pieds, qu’il a nus.
Le mouvement continue. L’angoisse m’étreint. Une pie vient se poser sur sa tête. Elle repart en emportant son butin : une des rares mèches de cheveux. Elle l’a prise pour un ver sans doute. Le sang coule. Elle a tiré fort. Son crâne terre et sang mêlés est un champ de bataille posé sur un obus. Guernica.
Dans le ciel, un faucon attrape la pie au vol. Vengeance de l’âme sur la chair ; une émanation de son esprit brillant emprisonné dans ce corps asservi à l’absurdité de sa tâche.
Les enfants s’émerveillent des oscillations, de la beauté des plantes, de la variété des couleurs, des oiseaux qui virevoltent sans se soucier de l’origine. Solitude extrême.
Une petite fille le regarde.
Une petite fille le regarde, c’est moi.
Une petite fille le regarde, c’est vous aussi, chacun de vous.
Une petite fille le regarde, c’est nous. C’est nous lorsque notre cœur d’enfant accède à l’invisible, l’indicible, l’imperceptible. Lorsqu’il entre en résonance avec le cœur de l’autre. Cette résonance crée des oscillations comme le pas cadencé des soldats sur un pont. Guernica se redresse, il tourne la manivelle de plus belle. Le jardin penche dangereusement ; les oiseaux s’éloignent bruyamment, ils manifestent leur désapprobation en lançant des fientes tout autour de nous. Les enfants courent se mettre à l’abri, dégouttés.
La petite fille est toujours là, elle ne l’a pas quitté des yeux. Guernica lâche la manivelle et le mécanisme s’affole. Le jardin suspendu est projeté quelques mètres plus loin, il atterrit sur des badauds, assommés ils s’affalent au sol.
La foule crie au scandale mais n’ose pas s’approcher. Guernica hurle à présent ; un cri de bête, une profonde douleur rentrée qui sort au grand jour. La carapace craque, il est magnifique. Il s’approche de l’enfant, elle lui tend la main. Ils partent en tournant le dos à la fiente, la haine, les cris, la douleur, la terre et le sang.
Je les suis longtemps de yeux, jusqu’à ne plus apercevoir qu’un point à l’horizon. C’est derrière le malheur, la cruauté et la laideur que se cachent les plus belles fleurs. Guernica.

 

 

"Focus sur le faucon" de Lili CULIOLI


C'est le concours ! Ze day !
Putain, le stress ! Si je l'ai pas, je te jure, je suis mort. Et si je suis pas mort, c'est mon père qui me tue.
Respire, mec, bats-toi, défonce-toi, serre les poings, t'es con, toi, des fois, si je serre les poings, je fais comment pour bosser, ok, je retire, serre pas les poings, mais laisse-les sur le carreau, les autres, ratatinés, exsangues.
J'aurais jamais cru que je dirais des mots comme ça un jour, je suis sûr qu'il y en pas un qui le connaît. Leurs tronches, je te dis pas.
Tu te disperses, là, va à l'essentiel, tu vas encore partir en sucette. Rétropédale, et vite !
Moi, du sang, j'en ai. Même trop. Ça fait des genres d'uppercut dans ma trombine, vlan vlan prends ça, t'endors pas sur le gigot, si t'as mal à la tronche, c'est que t'es pas mort, prends-le en positif, mec.
Bon, d'accord.
Ça y est, on avance, on est dans le ring. Zut ! Adrénaline.
Allez, aboule le sujet !
« Avec les supports, les matériaux, les textures et les pigments de votre choix, réalisez une représentation personnelle et originale d'un faucon biscornu.
Durée de l'épreuve : 3 h »

Je lis ça, et volatile pour volatile, je me sens d'un coup comme une poule sans gouvernail.
Je reconnaîtrais même pas mes œufs si j'en pondais.
Reprends toi, réfléchis, respire, calme-toi, vas-y cool.
Ok. C'est sur faucon biscornu que je bute. Et sur l'idée saugrenue que je pourrais me faire une représentation personnelle d'un faucon. Vous en avez, vous, une représentation perso du faucon ? Où ils vont chercher des trucs comme ça ? Ils ont un cerveau, ces mecs ?
En plus, faucon biscornu, ça sent le piège. Ils vont pas m'avoir. S'ils croient que je vais gober que c'est une race de faucon, ils hallucinent, chuis pas si con.

Concentre-toi sur les mots, justement les mots, c'est ton jardin secret, non ? Ça part de là, mec. Mobilise ton brain.
Zy va !
C'est vrai, les mots, tu m'en dis un, je percute aussi sec.
Ben vas-y, associe plein pot les manettes, te gêne pas, c'est le moment.

Ok, biscornu, bicorne, cocu, Napoléon, faucon corse, Ile de Beauté, copa, figatelli, eaux turquoises, cochons sauvages, filles en beauté, à demi nues...
Oh la, du calme, concentre-toi sur le sujet, on s'en contrefout de la sexualité de Napoléon. De celle du faucon. Et de la tienne aussi, c'est pas le sujet !
Puis, méfie-toi du langage, c'est pas parce qu'il s'appelle peuplier que tu peux pas en dessiner un tout tordu, ou cyprès que tu peux pas en mettre dans le lointain.
Tu perds du temps, là.

Biscornu, c'est juste que t'as droit de le faire ressembler à une manivelle si ça te chante.
Mais tu lui fous pas un bicorne, please. Ni des bielles, ni des cornes, ni des bois, ni des cuivres, ni un orchestre symphonique, ni rien.
Rien, tu entends, tu contrôles un max, c'est pas le jour pour déraper.

Ecoute-moi, un peu de méthode, tu fais un vrai faucon, réaliste un max, puis à la fin, tu le dézingues, tu l'exploses, pour que ça fasse perso. Quand il ressemble plus à rien, c'est bon, t'as fini.
Allez, vite, t'as déjà perdu du temps, avec tes bêtises.
Dans le sujet, y a écrit : « réalise »
Ben oui, justement, je réalise que je sais pas quoi ni comment réaliser.

Branche l'instinct, mec, tu prends la glaise, là, dans le bac, tu fais une boule, assez grosse, tu l'installes sur le support, t'as oublié le plastique, ça va coller au support et adieu la pole position, tu te la joues pas win win, putain, si tu forget le basique on est mal, c'est sur les détails qu'on te juge, tu continues, les contours, maintenant, la tête, et sans cornes, siouplaît, là, tu évases un peu le centre, puis tu resserres le bas, tu stries le dos, strier le dos mais avec quoi, je me suis coupé les ongles avant de venir, mec, ne me dis pas que tu vois pas les outils incisifs que t'as sous le nez, là, oui, là, grouille, le scalpel, oui, bon, ça ressemble à une chouette, c'est pas grave, on t'a pas demandé de faire dans la dentellle, et puis c'est instable, ça fait que bouger, rajoute un stock de terre pour le caler, l'oscillation, c'est pas top pour les faucons biscornus, ça leur file le mal de mer, il va vomir sur la table, quoi ? je dis juste ça pour te détendre, prends tes pigments, tu choisis quoi, noir et bleu, c'est bon, tu pourrais rajouter du vert pomme, et du rose, ça fait plus contemporain, mais qu'est-ce que tu fous, bordel, qu'est-ce tu fous, là ? C'est pas se pigmenter, qu'il faut, mais pigmenter le faucon pour le biscorniser un max.
Tu dérailles, mec...
Là, c'est bon, heureusement que c'est pas ta tête qu'ils vont noter, t'as du bol, parce que tu t'es pas loupé. Des fois, il te passe des trucs à noix dans la tête, tu devrais ralentir les produits frelatés, mec.
Tu m'énerves, j'arrive pas à me concentrer sur le finish, c'est vrai quoi, t'es toujours là à pas me lâcher avec tes conseils, tu me saoules.
Tiens, je te débranche.
Je relis. J'ai pas mis de texture ! Je lui ai même pas mis d'ailes ! Sans déc' ! Je m'essuie le visage avec deux sopalins, j'ai quand même des idées de génie, des fois, écraser deux pavés avec la même mouche, me moucher, m'essuyer, et hop, des ailes de faucon personnelles, comme si on y était, carrément, devant la bête, trop en direct live.
Biscornu...
Il est pas là, l'autre, pour me dire que je devrais faire ci ou ça, à m'apporter, je cite, les bienfaits de son pouvoir infini de consolation ? Non ? personne en vue ?
Je respire un grand coup, je prends mon élan, je ne freine pas ma main, de toute façon, elle est moite et elle m'échappe, j'écrase avec volupté, en deux coups de manchette fulgurants, le faucon de terre.
Fracassé, écrabouillé. Le sopalin déchiré, les pigments en bouillie.

L'effet est saisissant, ah, vous vouliez du biscornu ? En voilà !
Je crois, je viens d'inventer un nouveau style : le cubisme cornu !
Putain, là, si je suis pas major de ma promo, je leur colle un procès !



"À cinq arbres d'ici" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Se promenant dans un pré que la fraîcheur matinale rendait très vrai.

Les pousses de toute sorte et les verts épuisant toute la palette des couleurs forçaient la manifestation de la réalité qu'un animal surgissant surlignait régulièrement.

Charles. – Toute la journée, j'ai fortement pensé à notre rendez-vous. Surtout que je vais emménager dans le hameau, à cinq arbres d'ici.

David. – Quel plaisir, en effet, de nous voir plus souvent. On va devenir plus proches. En surcroît d'incandescence. Toi, effervescent dans ta vie. Moi, pétri par mes sentiments. Deux intérieurs de cathédrale. Le même genre de bâtisse.

Charles. – On a toujours été intimes, d'aussi loin que je me souvienne. Une amitié solide et pleine s'entretient, et dans ces habitudes, se réinvente. Je crois qu'aujourd'hui, nous pouvons lui trouver un revif en prenant en compte et exposant totalement nos différences. Assumons. En es-tu prêt ?

David. – Oui, ta solennité me touche, me saisit, me prend de court, presque me rançonne. On a toujours été présent l'un pour l'autre, j'aime cet état de fait. M'en réjouis profondément. Être disponible à l'autre est un somptueux cadeau. Avec son flot de paroles qui nous défait et que l'on offre. Un repas gargantuesque où l'hôte se nourrit goulument. Quand un être de désirs se sent cerné par un magasin de tentations, ce vertige même de ne jamais pouvoir être repu participe au renouvellement de ses envols. L'avive. Pour moi, tout est richesse, on ne saurait se trouver des différences.

Charles. – Nous n'avons pas les mêmes recettes, juste la même énergie, la même intensité. Ta famille t'importe. Tu t'y régénères. Tu t'y affines. Parfois même tu y meurs à toi-même. Ce dont je serai incapable, en esprit et en actes. Tu te dois également d'y travailler une idée du beau, en somme, la culture de l'agréable. Du plaisant agissant. Un intime civisme. Regarde comment tu es habillé. Eh bien, ton âme est pareille. Moi, j'appelle cela du classique frivole. Une sorte de consensus fou. Au plus profond de moi, je n'aime pas. Sauf sur toi.

David. – Tu es marrant. Surprenant. Et volcanique. Quand tu me parles si franchement, j'ai l'impression qu'on se retrouve irrésolument dans un vapo-cuiseur. Ça me fait du bien. Et tu finis par me bouffer, avec un peu de piment. C'est une symbolique. On dirait qu'ensemble on se stimule à être extralucides. J'ai encore rêvé de toi dernièrement. Je te protégeais : tu ne voyais pas les dangers. Pas plus que les délicatesses. J'en ai ri. Mais que peut-on, entre nous, réinventer si ce n'est favoriser nos fusions. Je sens de toutes tes capacités sourdre le bonheur. Une contagion que tu précipites. Et cela me convertit étrangement. Comme un plein d'essence. Avec les coups d'accélérateur en plus. J'en suis ravi. Comme brûlé. Comme augmenté par mes cendres.

Charles. – On devrait ramasser tous ces rosés des prés qu'on croise. Tu marches parfois dessus. C'est que nos nerfs ne sont pas au même rythme. Pas façonnés pareils. Là est notre fossé, autrefois même ce fut une divergence. Appliqué à nos conquêtes de jeunes amoureuses, on aurait pu jadis se brouiller. Je t'en ai voulu d'être ce consolateur en grand, cette tête froide, cette aile protectrice qui, par son oreille et sa langue labile et rose, savait apaiser la belle que je m'étais ingénier à surprendre. Tu étais déjà vieux, d'une certaine façon. Déjà engagé pour les autres. Déjà dégagé de la jungle sauvage des surprises. Comme absent au grand jeu de l'estocade. Comme éloigné de mon tourbillon. Or c'est la friction qui nous redéfinit sans cesse. Elle nous désarçonne autant qu'elle nous remet en selle. Et fatalement, on ne bonifie qu'en toute conscience de nos fragilités. On voit surtout celles des autres, puis arrive, un jour, la jouissance d'avoir accueilli et métabolisé les siennes. « Tes vertus t'ont tués » ai-je cru à une époque. Quand j'avais seize ans, j'ai d'ailleurs terriblement résisté pour ne pas te frapper. T'en coller une.

David. – Tu aurais dû, car je l'ai toujours ignoré. Cela aurait été plus conforme à notre vie d'alors. Il me manquait en effet beaucoup de choses cette année-là. C'est pourquoi tu me fascinais. Au moins autant que je ne te comprenais pas. J'essayais alors d'imaginer mon existence en étant toi, ton corps, tes attitudes, ton langage et tes chimères de sentiments mutilés. Je te voyais en poulpe. J'adorais ton pull fait de grosses mailles bleu électrique, col roulé et biscornu, ça fait un genre, une sorte d'insouciance cosy et insolente, un plaidoyer pour l'artisanat qui cherche à s'échapper de tout domicile. Tes prunelles étaient encore plus noires, ces jours-là, comme deux flacons d'encre dont le bouchon sautait à la moindre de tes intentions de regarder. Un chasseur, tu étais. As-tu toujours un peu de ce sang de faucon en toi ?

Charles. – Oui. Seul le paysage de mes veines a changé. Mais je ne prospère sur aucune certitude. En cela, je dissemble de toi, encore et toujours.

David. – Nous n'avons pas les mêmes oscillations, il est vrai, voilà tout ! La manivelle de mes sensations nous pigmente avec des intensités variées. Et pendant que tu te ciselais en étant incisif, moi j'agrandissais mon jardin secret avec le labour prometteur de la consolation, une tendresse qui sait bien mastiquer le temps. En fait, si nous sommes constamment régis par le même fantôme, ses contours, eux, n'instituent jamais la même danse. Rien, jamais, ne peut nous percer, nous transpercer, nous voler de quoi que ce soit. Cela a permis et permet encore aujourd'hui d'inventer en nous et entre nous la confiance. Une foi. Un lendemain qui se tisse parce que tu seras toujours là.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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