SAMEDI 22 avril 2017
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Le conseil des Grandes Plumes - année 3"

Animation : Régis MOULU

Thème :

Penser fou, écrire raisonnable (Gide)

Au-delà de l'intitulé de ce thème, c'est également André Gide qui a stipulé : «  écris ce que tu veux dans l'ivresse, mais quand tu relis, sois à jeun ». Pour notre atelier, le ton est donné : il a fallu travailler en deux temps et allier par exemple une densité de sentiments parfois très exaltés avec une relecture éprise d'épure, de précision, de raffinement.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : décrire de façon sensible le rapport entre deux personnes qui ont chacune un secret (attention : ne pas révéler le secret, ou alors tardivement).
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support présentant les ressorts d'écriture gidiens a été distribué en ouverture de session... ah, comme on aime ça !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):

- "René" de Janine BURGAT

- "S'il vous plaît..." de Marie-Odile GUIGNON

- "Antoine et Magali" de Janine NOWAK



"René" de Janine BURGAT


En rentrant, il n'avait pas allumé. Seulement la télé à qui il avait concédé tout l'espace, son et lumière. Un babillage de fond et une lumière mouvante sur les murs du salon. Images fugaces et incertaines. Il l'attendait. Allait elle deviner quand il ouvrirait la bouche ? Il tira la vitre coulissante et tendit son bras au dehors. Elle n'aimait pas qu'il fume. Et fumer pour lui ce soir, c'était respirer, s'alarmer, ignorer et revenir à son idée fixe, comme une corde autour d'un pieu. Serait-elle attentive ou lointaine ? Tout dépendait de sa journée, du temps, du vent, des nuages, des gens. Elle était versatile. A cela rien de nouveau. Il l'avait compris depuis bien longtemps. D'elle on disait souvent : "quelle girouette !". En entendant le qualificatif, il se demandait encore aujourd'hui : et moi ? J'aime aussi l'imprévu ? Le quart de seconde où tout bascule ? Où rien n'est approprié ? Où tout est nouveau et fou ? Il ne savait pas, encore aujourd'hui. "On ne sait jamais" aimait elle à dire en fin de conversation. Que ferait elle quand elle saurait ? De profil, pour ne pas trop entrebailler la porte fenêtre, il passa sur la terrasse. L'air vif le ramena au gel que la nuit ne manquerait pas d'apporter. Il frissonna. Verrait-elle seulement son trouble ? Qu'il était en bras de chemise sur la terrasse, dans la pénombre, seulement éclairé par le reflet des images qui faisaient osciller la pièce entre des ombres impures et des reflets colorés indéfinissables ? Son mégot arrivait à expiration, comme lui. Il l'écrasa machinalement sur la terre dure et sèche d'une jardinière, détruisant lentement une tige d'hiver rachitique et pouilleuse. Une lumière blanche l'aveugla. Elle était là. Il rentra, tirant doucement la porte coulissante derrière lui. - Ah, tu es là, dit-elle en retirant une de ses bottines."Il va neiger c'est ma cheville qui l'annonce". Elle avait encore son sac en bandoulière et ses clefs en bout de bras. Elle posa le tout par terre et se massa le pied. Elle releva la tête d'un coup et le fixa. - Ca sent la clope ici, dit elle en fronçant les sourcils. Si les reproches approchaient, ce soir, il était prêt à la soumission sans condition. Mais non. Elle quitta sa deuxième bottine et la lança près de l'autre tout en sautillant. Elle tourna le dos abandonnant d'un coup la partie de reproches qui s'engageait.et sa cape qui recouvrit mollement un fauteuil. Il ferma les yeux. L'amener sur son terrain serait tout un art et il sentait monter cette peur qu'il connaissait bien lorsqu'il devait la combattre. De quel tréfond d'enfance lui venait cet effroi qui le faisait se tourner vers le mur quand elle entrait dans sa chambre d'enfant ? Quel âge avait il ? Cinq, dix ans ? Revivre ces instants là, ce soir, il en mourrait. L'affronter, elle, sa mère, le poignardait. Il scrutait déjà la brûlure, l'axphyxie, le vide. Ne rien lui dire le minait, le trouait, des petits clous piquants qui lui labouraient le corps. Que faire ? A 40 ans, c'était un comble. Il s'assit au plus profond du canapé blanc. Son dos soudain douloureux, il attrapa la télécommande. Regarder défiler les images lui apportait quelques minutes de répit. Il l'entendait brasser dans la cuisine. - Je te sers quelque chose, mon petit chou ? dit elle en passant la tête au travers du rideau de perles qui séparait les deux pièces. "Petit chou" se figea. Combien d'années qu'elle ne l'avait pas appelé "petit chou" ? Et encore, quand il y avait du monde à la maison. Le reste du temps, c'était son prénom qui leur servait de mot d'amour. Pas d'embrassade le matin. Juste un "Bonjour René" bien pincé, bien serré, qui devait remplir ce temps du lever et surtout du petit déjeuner qu'il aimait tant. Il détestait son prénom mais il adorait prendre son temps pour beurrer ses tartines. C'était son luxe. Il avait toujours beurré ses tartines. Qui le lui avait appris ? Elle ? Sûrement pas. Il ne se souvenait pas l'avoir vue s'occuper de lui dans ces petits riens de la vie quotidienne. C'était personnel les tartines. Au moins là dessus, ils étaient d'accord. "Petit chou" ? Elle s'entraînait en attendant quelqu'un. Ce soir il n'avait besoin d'aucun témoin pour les confidences à venir. - Moi, je veux une Orangina, tu en veux une avec moi ? demanda-t-elle. Il se retourna. Elle s'approchait, passant délicatement sa main dans des cheveux gris et plats. Ca sentait la visite. Dieu du ciel, la visite de qui ? - Oui, dit-il, Orangina, avec une paille si tu as. - Une paille ? Elle éclata de rire. Une quinte de toux la rattrapa coupant court aux sarcasmes. - Et bien, dit-elle, une paille, ça ne nous rajeunit pas, ni toi, ni moi". Elle reprit le chemin de la cuisine. Il monta le son de la télé. La télé l'empêchait de cogiter d'ordinaire. Et cela la ferait revenir. Elle ne supportait pas la télé qui braille. Alors il se lèverait et tout de go il lui dirait. "Tiens, mon petit chou, dit elle soudain revenue devant lui. Elle posa les deux petites bouteilles ventrues et fraîches près de ses pieds qu'il avait posés sur la table basse. Debout, elle souriait. Elle lui tendait une paille rayée de couleurs vives, comme un berlingot vernis. Le sourire mielleux qui le dévisageait, lui coupa net l'élan qu'il préparait, pour se lever d'un bond, et lui dire. - Tu attends quelqu'un ? demanda - t-il en saisissant le ventre humide de sa bouteille. - Qui sait ! répondit elle, pour une fois, tu serais perspicace René. Elle s'éloigna. Ses mules tapaient le sol et résonnaient dans le couloir. Ce "René" prononcé d'un air dégoûté lui souleva le coeur. Raté, cette fois encore. La télé ricanait au fond du salon. Il avala le liquide sucré. C'était presque agréable. Qu'avaient ils donc en commun ? Leur goût pour les bouteilles d'Orangina bien fraîches ? Il pouffa intérieurement. Elle m'a passé un gène rare. - Eh ! , dit elle en repassant la tête au milieu des perles, faut que je t'annonce une grande nouvelle. - Moi aussi, dit il d'un jet. Trop tard pour revenir en arrière. C'était sorti tout seul. - Ah bon. Toi aussi ? Les petites mules s'approchaient déjà ferrées de curiosité. Il avala sa salive soudain brûlante et sèche. On sonna à la porte.


"S'il vous plaît..." de Marie-Odile GUIGNON


S'il vous plaît... Hum... Mais... Qu'est-ce qu'un secret ? Exactement ? Sans doute une « chose », plutôt des « choses » de dimensions variables ? Un refus d'avouer une réalité de nous-même impossible, disons difficile à partager… Ou une aventure dont nous sommes peu fier… Ou un mensonge de circonstances... Ou une banalité du quotidien qu'il ne faut pas mettre au grand jour… Ou une aventure qu'un proche doit ignorer parce qu'elle générerait en nous, ne serait-ce que pour un temps, une honte ou une gêne, car, notre Ego, que nous portons en haute estime, serait fragilisé par la révélation d'une conduite personnelle inadéquate avec l'idéal que nous nous efforçons d'afficher… Ou une de ces petites trahisons qui quand elle se produit entortille dans une situation rocambolesque, et, le filet ainsi tissé finit par craquer ! En général suite à ce petit déchirement, une mise au point permet un réajustement, un raccommodage, et la relation à l'autre peut se poursuivre… ou non… ou en est affectée... Il y a des secrets considérés comme ridicules. Des secrets finissent par disparaître dans l'ordre du temps, des nouveaux s'empilent sur les anciens... Et même effacent les anciens… La vie étant en continuel recommencement... Alors, y-a-t-il des faux et des vrais secrets ? Qu'est-ce qu'un vrai secret ? Exactement ? Une situation émotionnelle, vécue, inattendue, qui, soit nous a fait du mal, soit nous a fait du bien, tellement ancrée dans nos profondeurs que de l'exprimer ouvertement constituerait un danger. Elle doit rester dans son écrin. Ce secret engendre une forte réaction d'autoprotection. Si le secret est douloureux, il peut générer un enfouissement jusqu'à l'oubli… Si l'évoquer procure de la joie et un plaisir intense c'est une vigilance accrue qui se met en place. Ces secrets-là font très rarement surface. Ils s'en vont alimenter nos affects et ils modèlent notre personnalité. Sont-ils du domaine de l'expérience humaine ou sont-ils de ceux qui remplissent le jardin dit secret, ce jardin intérieur apparenté à l'esprit, à notre âme, où les circonvolutions de notre cerveau, notre matière grise, sont tributaires de nos ressentis. Un secret s'apparente à la non narration d'un fait, d'un événement vécu dans une relation désirée ou rejetée qui lie un être à un autre ou à la Nature (avec une majuscule et au sens large)… Le secret n'est-il pas une protection utile ? Les secrets, les vrais, ne me semblent pas des plaisanteries qui pimenteraient un quotidien banal. Quelle que soit leur taille, petits, grands, gros, ils nourrissent l'existence. Les secrets sont existentiels. Ils sont précieux et leur enracinement développe des perceptions, des valeurs qui transcendent l'humain. Il me semble nécessaire pour toute personne de sauvegarder des coins d'ombre dans sa vie. Le Trop de lumière aveugle. Il n'y a pas d'ombre sans lumière… La lumière et l'ombre sont indissociables.

 

"Antoine et Magali" de Janine NOWAK


Les dés sont jetés. Ma tâche va être ardue. Les mois à venir ne seront peut-être pas un enfer, mais pas loin. Je ne vais pas me plaindre. La situation dans laquelle je me trouve aujourd’hui, je l’ai désirée, et même ardemment souhaitée. J’ai postulé en pleine connaissance de cause. Très lucide, je ne me suis pas jeté dans la mêlée sans réfléchir. J’ai pesé le pour et le contre. Cette décision a longuement mûri dans ma tête. Cette idée, devenue envie, a tourné cent fois, mille fois, dans mon pauvre crâne, avant de prendre forme. Bien souvent, je me suis senti très seul. Car avec qui partager mes questionnements, mes angoisses ? Généralement, c’est auprès des siens que l’on cherche un soutien moral, un peu de sympathie, voire des encouragements. Dans ma situation, c’était impossible. Mon projet aurait laissé mes enfants indifférents. Quant à ma femme… mon Dieu, comment vais-je lui annoncer ça ? J’en suis malade. Je connais ses idées, ses opinions. Elles sont nettement à l’opposé des miennes. N’étant jusqu’à présent qu’un simple quidam noyé dans la masse, elle tolérait bien nos divergences de vues. C’était même un petit jeu entre nous. Nous débâtions, chacun défendant son point de vue. Chacun son cheval de bataille ! Nous avons eu de mémorables prises de bec. Mais toujours courtoises, amicales et je pourrais presque dire… amusées ! C’est ce que j’apprécie particulièrement chez ma chère
Magali : sa finesse, son intelligence, son esprit ouvert, son sens de la répartie et ce que j’appelle – pour la faire enrager – son obstination. Car en fait, je trouve admirable quelqu’un qui sait soutenir son point de vue, avec des arguments de valeur et de qualité. Et je la respecte trop pour essayer de l’influencer. Elle sait ce qu’elle veut, elle est capable de défendre âprement ses idées et c’est tout à son honneur. Mais aujourd’hui, la tournure que vont prendre les évènements, m’inquiète bougrement. Horreur ! J’entends sa voiture. Il va bien falloir que je lui parle. Je n’ose penser à sa réaction…

Antoine (très souriant) : Bonsoir, ma chérie. Bonne journée ? Te voici déjà de retour de ta réunion Tupperware ?
Magali : Oui. Je commence à me lasser de ces rencontres un peu trop féminines à mon goût. D’ailleurs, tu vois, je rentre les mains vides. Rien acheté. Et toi, ton Club de Bridge, ça va ?
Antoine : Très bien. Très, très bien, même. Hum… J’ai gagné la partie ! Je viens juste d’arriver à la maison, moi aussi. Si tu permets, je vais me doucher, me mettre à l’aise, et on se fera un bon petit apéro, O. K. ?
Magali : O.K.
Antoine : à tout à l’heure. Je prépare les verres. (Antoine sort)
Magali (parlant entre ses dents) : Pfutt ! Tu parles… réunion Tupperware ! Voilà des lustres que j’ai abandonné ce genre de distraction. Mais sinon, comment expliquer à Antoine mes absences ? Lui mentir était plus confortable. Seulement, aujourd’hui, me voici au pied du mur : plus moyen de reculer. Comment Diable, vais-je lui annoncer la nouvelle ? C’est un brave homme et je l’aime comme au premier jour. Il est honnête, généreux et compréhensif ; il a toujours respecté mes opinions sans toutefois les partager. Et même, il en est très, très, très éloigné. Bien que nous ne soyons, fort heureusement, ni l’un, ni l’autre d’inquiétants extrémistes ! Mais là, j’ai fait un peu fort. Comment va-t-il prendre la chose ? Je suis engagée jusqu’au cou. Il ne va pas apprécier. Ah, le revoici. Tâtons le terrain…
Magali : Au fait, Antoine, j’ai croisé tout à l’heure Monsieur Lacassagne. Il m’a annoncé qu’il allait se présenter à la Mairie sous les couleurs de « Chasse, Pêche et Nature ». Qu’est-ce que tu en dis ?
Antoine : Oh, il n’est pas déplaisant cet homme-là ; et même tout à fait charmant. J’aime autant que ce soit lui plutôt qu’un autre.
Magali : C’est sa première expérience comme candidat-Maire. Ce doit être assez émouvant, tu ne crois pas ?
Antoine : Oh si, sûrement ; d’ailleurs, il faut être un peu fou pour se lancer là-dedans, tête baissée. Mais d’un autre côté, c’est un sacré acte de bravoure digne de considération. Car, pour réussir, il faut faire preuve de dévouement, de constance et de beaucoup d’abnégation. Et moi, à tous ces candidats, je tire mon chapeau.
Magali : Justement… Tous ce candidats… Tu en connais d’autres ?
Antoine : Euuuhhh… noooon… Sais pas… Crois pas… Je parle en général. Nous avons habituellement six à huit listes dans notre petite bourgade. Certains candidats, manquant un peu d’envergure, ou au contraire trop engoncés dans leurs certitudes, ne font que passer et sont vite oubliés. Quelques-uns s’accrochent, souvent à tort, du reste. Mais d’autres, sont des gens de qualité, qui sont longtemps restés dans leur coin, et même franchement à l’écart, sans oser franchir le pas. Ils ont eu la sagesse d’attendre le bon moment. Et puis un beau jour, se jugeant enfin à la hauteur, ils font preuve d’une hardiesse, d’un courage, d’un sang-froid dont on ne les aurait pas crus capables. Et, sortant de l’ombre, les voici brusquement bombardés tête de liste. Ils en sont les premiers surpris, même si c’est ce qu’ils espéraient au fond d’eux-mêmes. Ne crois-tu pas qu’ils méritent notre estime, tous ces téméraires qui sont prêts à sacrifier une grande partie de leurs loisirs, leur bien-être, leur tranquillité d’esprit, leur famille, pour une cause qui la plupart du temps ne leur apportera pas forcément la satisfaction qu’ils sont en droit d’espérer ?
Magali : J’admire ton enthousiasme ! Je ne t’aurais jamais cru aussi emballé par ces hommes… ou ces femmes… Car en effet, ils font preuve d’un grand dévouement. Ils vont devoir être capables de faire front à toutes les attaques, car la tâche n’est pas aisée, et il est nécessaire qu’ils sachent, avant tout se protéger. C’est une image, mais il est indispensable qu’ils se recouvrent d’une peau de crocodile, s’ils ne veulent pas vite sombrer, être déséquilibrés face à l’adversité ou perdre leurs illusions.
Antoine : Hé, dis-moi, on dirait que le sujet ne te laisse pas indifférente, toi non plus ?
Magali : En effet, car je dois t’avouer que je connais quelqu’un de très proche, qui pour ces élections, va franchir la pas…
Antoine : Comme c’est curieux… Quelle coïncidence… Pour être honnête, j’admets que moi aussi je connais une personne pour qui j’ai beaucoup d’estime… : C’est qui ? Antoine : Non, tu le dis, toi, d’abord.
Magali : Alors, chacun l’écrit sur un bout de papier et on se le passe.
Antoine : Bonne idée !

Ils écrivent, plient soigneusement les feuilles en quatre, se regardent, hésitent. Puis chacun lance son petit carré sur les genoux de l’autre. Se saisissant du document, c’est les yeux dans les yeux, qu’ils le déplient très lentement. Leurs visages sont inexpressifs, figés. Enfin, au même moment, ils jettent un rapide coup d’œil sur la feuille qui dévoile la réponse. Chacun peut lire : MOI ! Ils relèvent la tête, et, éclatant de rire, ils s’écrient en choeur : « Hello, adversaire ! »

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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