SAMEDI 4 Décembre 2004,

de 10h à 18h

  Animation : Régis MOULU.

Auteurs invités : Claudine VUILLERMET & Henri GRUVMAN

Thème : La Lanceuse de Globos, que veut-elle vraiment ?

Cette statue vit encore et toujours dans le jardin de la Bibliothèque municipale (23 Avenue Henri Martin, à Saint-Maur). Se poser cette question de projection ou d’intention se conclura par une information détaillée concernant son histoire.

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):

- "Mystère du loup" d'Angeline LAUNAY

- "La lanceuse de Globos, que veut-elle vraiment ?" de Claudine VUILLERMET

- "Je bouge imperceptiblement, et vous n'en finirez pas de ne pas le voir" de Régis MOULU

- "Versatile" de Patricia NATHAN

- "Statuts de la Statue" de Hugues DEVAULT

- "Soliloque" de Janine NOWAK

- "Topaze" de Françoise MORILLON

- "Je suis belle, ô mortels comme un rêve de pierre" de Bernadette BEHAVA

 

"Mystère du loup" d'Angeline LAUNAY

Tous les jours, je viens ici sur ce coin de pelouse. Approchez donc, jeune homme qui passez par là. Tenez, voulez-vous mon loup? Voulez-vous l'essayer? Oui, je distribue des loups. J'en avais plein mon panier et il ne m'en reste que quelques uns. Tenez, prenez, c'est presque mon dernier. (Elle lui tend son loup et le jeune homme le prend).

Mettez-le! Si, il vous va bien... Mais, vous ne dites rien... Pourquoi ce sourire si pâle? (Il montre sa bouche et fait "non" avec son index)

Ah, vous ne parlez pas... Vous ne pouvez pas parler... Ca ne fait rien. Je peux essayer de vous comprendre. Je peux essayer de parler pour vous. Est-ce que je peux quelque chose pour vous? Ne me regardez pas avec ces yeux effarouchés. Que craignez-vous? - Je suis Myrto, la lanceuse de globos. Enfin, il y a quelques temps, je lançais des globos jusqu'à ce que je me décide à lancer des loups. Les loups, c'est tout aussi mystérieux que les globos et tout aussi difficile à rattrapper. Mais, à vous, je ne l'ai pas lancé... Avez-vous remarqué? A vous, je l'ai... Je l'ai... Je ne sais pas ce que j'ai fait. Oh, ça n'a pas d'importance. A vous, je l'ai donné sans réfléchir. C'est votre regard... Il m'a paru... Excusez si je ne finis pas mes phrases. On ne peut pas toujours finir ses phrases. C'est déjà bien de les commencer. Après, on voit! Quoi au juste? - Je ne sais pas trop...

Moi, je vous vois comme vous me voyez. Vous souriez. Il est magnifique, votre sourire. Il est étrange. Il a quelque chose qui veut et qui ne veut pas en même temps, et il a quelque chose qui sait. Comme j'aimerais savoir tout ce que vous savez! Je suis sûre que vous connaissez beaucoup de choses. Vos mains sont délicates. Vous êtes peut-être un artiste... un musicien ou un peintre, un rêveur sans doute...

C'est drôle, aujourd'hui, je termine mieux mes phrases. Vous m'inspirez, jeune homme... Comment vous prénommez-vous? - Charles ou Théodore? ...J'aurais dit "Théodore" : "Théo" pour votre sourire divin, "dore" pour vos cheveux clairs. Cela vous ennuie si je vous appelle Théodore? (Il rit et fait "non" de la tête)

Je ne vous ennuie pas, Théodore? Votre rire me dit que non. Je voudrais pouvoir rire aussi mais je n'y arrive guère ces temps-ci... Pourquoi est-ce que je vous dis cela... D'habitude, les états d'âme, je les laisse à la porte mais il faut bien dire que, sur cette pelouse, il n'y a pas de porte! Et les états d'âme en profitent pour m'assaillir.

Je voudrais tellement parler d'autre chose, penser à autre chose, faire autre chose, être ailleurs... Mais déjà je vous parle, à vous qui ne pouvez me parler. Jamais je ne me suis trouvée dans une situation semblable. Je me sens étonnée, presque embarrassée. J'imagine que vous êtes venu par hasard, un hasard qui n'en finit pas de chercher sa direction.

Je ne peux vous entendre, Théodore. Vous seul m'entendez. Je vous regarde comme vous me regardez. Vous lisez dans mes paroles et je lis dans vos yeux. Ils m'en disent long, vos yeux... Ils me disent qu'en passant par hasard dans ce jardin, vous m'avez aperçue mais que vous n'osiez pas m'approcher. Ils me disent votre curiosité malgré tout. Oui, vos yeux ont su débusquer la langueur dont mon esprit est pénétré. Ils se sont amusés de mon stratagème. Ils sont allés jusqu'à se désoler de la légèreté de ma tenue. Et maintenant, ils voudraient retenir les minutes qui s'envolent... Mais ma sagacité s'arrête là car je ne sais pas vraiment si vous pensez à me fuir ou à partir avec moi. Excusez mon indélicatesse. Je déteste appeler un chat un chat et je déteste détester. Et je voudrais vouloir. Bien sûr vous n'y pouvez rien et je n'y peux pas grand chose non plus.

Je pourrais vous remercier de tout comme de rien. Quittez-moi ou suivez-moi, Théodore. Quand je partirai, je ne me retournerai pas. Mais j'aperçois un regret dans vos yeux, tout à coup... Il n'y a rien à regretter. Si quelqu'un doit regretter quelque chose, c'est moi. Je vais regretter... cette lumière que j'entrevois dans votre regard. Lorsque vous porterez ce loup, vous vous rappellerez ces instants, ma mélancolie et vos hésitations peut-être... Ne m'oubliez pas , Théodore, ou plutôt, prenez soin du loup, du mystère qui nous "re", qui nous ra-ssemble.

Non, ne me suivez pas! Là où je vais, vous ne devez pas m'accompagner. Ma route se poursuit... vague, cahotique. Aucune destination n'est plus improbable que l'ailleurs.

Que m'importe le son de votre voix! L'eau de vos yeux lave un lieu de ma mémoire que je croyais perdu. Je sais maintenant que je ne reviendrai plus ici, que je ne lancerai plus ni globos ni loups. Vous m'avez fait comprendre ce que je n'entendais plus. Sans mots, vous me l'avez dit. Je ne connaîtrai pas votre vrai nom mais je sais vos désirs - je les ai lus sur vos lèvres - , et j'imagine vos rêves - ils naîtront de vos mains - . Vous m'aurez aidée à porter mes pas plus loin. Je n'aurais pas imaginé cela en vous voyant arriver... On ne sait jamais qui passe, et pourquoi, et encore moins ce qui fait qu'il s'arrête un moment. Je ne sais comment vous le dire...

Je ne sais comment terminer ce qui commence et continue. Alors, je ne dis ni "adieu", ni autre chose. J'ai dit tout cela. Vous avez écouté tout cela. Tout cela nous lie encore et nous délie encore, Théodore. Gardez le loup!

 

"La lanceuse de Globos que veut-elle vraiment ?" par Claudine VUILLERMET, auteur(e) invitée

La lanceuse de Globos que veut-elle vraiment ?

Elle est là, derrière la bibliothèque municipale.

Dans le jardin. Au centre. Sur la pelouse.

Elle courbe l’échine ? Non.

Sa tête penchée est recouverte d’un voile gris.

Voile. Masque.

La main gauche tient le voile

Et le masque.

Ou plutôt le loup.

Le masque. Le loup. Le voile.

La tête est légèrement penchée.

Je cherche son regard.

Je me déplace.

Impossible.

La lanceuse de Globos que veut-elle ?

Elle a ôté le masque.

Son visage est pâle, lisse.

Serein ?

Non. Pas serein.

Je me déplace.

Sur le socle, le nom du sculpteur Charles Perron.

Une date : 1910

La date de naissance de mon père.

La date des inondations de Paris.

Tandis que ma grand-mère accouchait

Tandis que les Parisiens se promenaient en barque

Charles Perron sculptait.

Marbre gris. Marbre blanc.

Ou plutôt écru.

A présent, la robe est écrue

A présent, la lanceuse de Globos

Se tient sur le socle, et nous offre son visage.

Mais pas son regard.

Le masque, le loup, dans la main gauche

Que veut la lanceuse de Globos ? Que veut-elle vraiment ?

Elle regarde de biais.

Toujours.

Où que je me place,

Je suis dans l’impossibilité de croiser son regard.

Où est la Joconde !

Arlequin a chassé Léonard.

Où est le Globos ?

Qu’en a-t-elle fait ?

Quelqu’un a pris cet objet étrange

Et la femme est restée là. Pétrifiée.

Elle a ôté son masque

Elle a osé.

La femme voilée a osé.

A-t-elle ôté le masque avant ?

Je veux, dire avant qu’on lui arrache cet objet ?

Le Globos.

Et le petit sac, à ses pieds ?

Et cette main, la droite ?

Vide la main.

Il fait froid. J’ai froid. Mes mains sont gelées.

Ceux de la main gauche surtout.

Sa main droite a été amputée.

Cette main qui portait l’objet, amputée, tout simplement.

La lanceuse de Globos, que veut-elle vraiment ?

Voir, sans croiser le regard de l’autre ?

Etre vue, sans qu’on puisse l’interroger ?

J’ai ôté mon masque.

Elle pourrait dire cela, j’ai ôté mon masque.

Mais elle ne dit rien.

Muette.

Elle reste là. Pétrifiée et muette.

Je me déplace.

Qui regarde-telle ?

Où regarde-elle ? Que veut-elle voir ?

Ou ne pas voir ?

Que voit-t-elle que je ne peux voir ?

Qui est Charles Perron ?

J’apprends que celui qui a signé Charles Perron

Se prénommait Charles Théodore

Et qu’il fut l’élève de Falguière.

Falguière était donc un sculpteur ?

Inculte. Je suis inculte.

Non seulement, je ne connaissais pas Charles Théodore Perron

Mais en plus, je ne savais pas que Falguière était un sculpteur. Et les autres, là ? Ceux qui lui tournent autour, comme moi Savent-t-ils qui est Falguière ? Ont-ils déjà vu des statues de Falguière ? Ont-ils déjà vu d‘autres œuvres de Charles Théodore Perron ? Mais je m’égare. Est-ce à cause de son regard ? Peut-être. Ce regard Que veut-elle vraiment ? Voir ? Ne pas voir ? Ce regard, à la dérobé. Comme le Globos. Dérobé le Globos. Arlequin a chassé Léonard. Non. Pas en 1910. c’est ridicule. Elle est bonde. Elle porte un voile. Une femme du nord, voilée. Pas masquée mais voilée. Le masque est tombé. C’était sa volonté. A elle ? Ou bien à lui. Le sculpteur. Charles Théodore. Voiler une femme pour la démasquer ? Sous le drapé gris, la pointe du sein. Aux pieds, le petit sac. Vide. Et la main droite amputée. Il fait froid. J’ai froid. La main gauche. Les pieds. Les orteils surtout. Je vois les souliers pointus de la statue. Ils sont de la couleur de la jupe. Ecrus. Le pied fin et allongé. Le pied léger et le regard insaisissable. Que veut-elle vraiment ? Regarder, de telle sorte

Que celui qui la regarde,

Ne croise jamais son regard.

Ce serait trop simples !

Et Charles Théodore, que veut-il vraiment ?

Il n’est plus là !

Il doit être mort depuis longtemps, c’est certain.

Je ne connais pas la date de sa mort bien sur !

Mon inculture.

C’est comme Falguière !

On ne peut pas tout savoir, me direz-vous.

Mais elle, là, on dirait qu’elle sait quelque chose.

Que veut-elle vraiment ?

Nous révéler qu’on ne saura jamais ce qui se passe là bas.

Là bas, c’est à dire derrière.

On ne sait jamais ce qui se passe derrière.

Ce qui se trame.

On ne peut pas savoir ce qui se trame

Derrière le masque

Derrière le voile

Derrière le regard de celui qui observe.

Que veut-elle vraiment ?

Nous dire qu’on ne sait jamais vraiment.

Je regarde le jardin.

Les bancs. Les réverbères. Les autres statues.

Et puis ceux qui, comme moi n’arrêtent pas de lui tourner autour. De cette femme au regard insaisissable Cette femme au sein proéminent

Cette femme drapée de gris

La lanceuse de Globos

Avec son regard à la dérobée

Je me dérobe.

Je renonce.

Faut-il que je me retourne ?

Dans quelle direction ?

Non. Vraiment, je ne sais.

Que veut-elle ?

Vraiment, je ne sais et ne saurai.

Avant de me laisser pétrifier de froid

Je renonce.

Je me dérobe.

Que veut-elle vraiment ?

La fuite. Rien que cela ! LA FUITE !

Arlequin a chassé Léonard.

Elle veut peut-être tout simplement aller au bal.

Et danser

Masquée ou démasquée

Danser.

Voilée ou dévoilée

Danser.

Tourner. Se détourner.

Nous faire tourner

Nous détourner

Nous perdre.

Avec son regard, son masque

Son drapé qui révèle

Le petit sac à ses pieds

Messieurs, je vous vois, vous êtes déjà à ses pieds.

Que veut-elle vraiment ?

Nous laisser deviner ou bien nous laisser coi.

Convoquer Arlequin, peut-être.

Une autre fois, je vous raconterai

La rencontre entre Arlequin et la lanceuse de Globos.

Une autre fois.

 

"Je bouge imperceptiblement, et vous n'en finirez pas de ne pas le voir" de Régis MOULU, auteur animateur

(La succession de tirets marque qu'elle se coupe à elle-même la parole....)

LA LANCEUSE DE GLOBOS :

- Regardez-moi, je bouge imperceptiblement !

- Ne me regardez plus, je bouge encore !

- Regardez-moi de nuit, et le doute vous gagnera. Tant mieux ! Il faudra vous y faire, je suis la lanceuse d'interrogations en plus d'être l'autel de vos envies, investissez-moi, investissez-moi au mieux que vous pourrez me gravir

- Ce que je veux ? …

- Mais oubliez donc que vous me voyez, et oubliez que vous m'avez vue, vous aurais-je marqués avec un fer ? ou comment après ça pourrez-vous passer outre ce masque que je mets, pour rien, pour vous, pour vous perdre, pour vous tromper, comme je rigole ! ce n'est pas par moquerie, c'est par pertinence

- Ce que je veux ? …

- Mes yeux ont la profondeur du vide, et alors, puisque pour vous, c'est tomber dans ces trous noirs ou poursuivre vos errances ! Je suis faite de trois marbres, épaisseur triple, superpositions, surexposition, comment voudriez-vous les effacer, comme ça, vous qui avez les pupilles si sensibles comme du papier crépon, - On dit que mes yeux sont trop écartés, c'est-à-dire plus que de raison,

- C'est vrai ! entre eux il y a assez de distance pour vous semer

- Ce que je veux ou ce que je voudrais ? …

- Je lance, je lance, je lance… - Ça vous lance dans les tempes et le reste, je trouve ça idéal !

- Des Globos ! Toute ma vie j'ai aimé lancer des Globos de toutes mes forces pour frapper le hasard là où il se trouvait, mes doigts sont partis avec parce que je le souhaitais,

- On dirait de moi aujourd'hui que j'ai le bras d'un camionneur, la main d'un conducteur déchargeur, je l'atteste, c'est vrai, j'ai tout pour être calme,

- Ce que je veux, qu'est-ce que cela peut-il bien vous faire puisque je ne vis aucune restriction dussé-je vous voir moisir ?

- Je réponds de ce jardin qui est vierge autour de moi, de ces allées qui me prolongent, qui me dessinent, de cette herbe qui m'agrémente, de ces arbres qui me singent, je suis leur modèle, j'ai toujours eu bien plus que ce que je voulais, la nature est comme cela avec moi, à me qualifier de "prétentieuse", je vous apprendrai le mot "précieuse",

- Qui est mieux placé, pour l'incarner, que moi ?!

- Sans doute parce que, ce que je veux, vous ne le connaissez pas, mon sens de la détente n'a pas d'égal, j'ai le recul de la catapulte, et si mes veines tendent mes bras, c'est parce que de ma main j'en fais une pelleteuse, si je veux, quand je veux, un scraper auquel vous ne pourrez pas échapper, mes doigts sont beaux et invisibles, et je voudrais bien que vous ne soyez pas plus obsédés par moi, tachez d'obéir, votre vie est entre mes mains, mes cheveux, je ne suis aucunement désolée de les avoir disposés en couronne, couronne pour capuche, capuche pour chignon, le tout dans une cagoule en partance pour l'inaltérable, je veux dire l'incorruptible,

- Vous me trouvez "sournoise" ?

- Vous l'avez pensé, vous ne me l'avouerez pas, vos yeux dans mes trous, c'est que vous avez refusé de voir ma bouche malicieuse comme un sucre ! Qui me voit n'a pas d'âge, je défie le concept même de la caricature,

- Alors, que pourrais-je bien encore vouloir après tant de bonheur ? Effrontés que vous êtes en vous posant ainsi en victimes de l'insistance, n'oubliez jamais que je suis une laborieuse, une travailleuse dès que je veux, si je le souhaite, que je corromps tout à la force de mon marbre et que je lance à jamais ma fissure à la tronche de la réalité car je bouge imperceptiblement, je vous l'ai déjà dit, mettez vos marques et vos repères, je les dilaterai nonchalamment, passez votre route, c'est un conseil, passez votre route et au premier carrefour sur lequel vous tomberez, j'y serai, calme et paisible, sans les humeurs visqueuses de l'attente je veux dire,

- Ce que je veux ?

- Je veux être, dans le rebours de la beauté, à retrousse-pieds, portée par les voiles de l'imprescriptible, ceux que je porte, droits comme une affirmation, blancs comme ce qui s'effrite et gris comme ce qui est infini,

- Ce que je n'ai jamais voulu ?

- Un concept que je laisse en pâture aux grillages de vos cerveaux, ne pensez pas, ne pensez plus, "sournoise" je vous l'ai confirmé, "malicieuse" vous ai-je appris et "amoureuse" rajouterai-je comme si, à vous surprendre, j'eus plaisir à me voir mettre des clous sur une croix avec la tendresse d'y sonder, avant le bois, votre corps tout fait de chair et de croyances, pauvres Globos que vous êtes, pauvres satellites admirateurs, mous comme l'innocence, frais comme l'inconséquence.

- Certains disent qu'ils m'ont vue plonger dans mon panier tout de marbre tressé,

- Vous êtes fous à lier, vous êtes l'esclave de ma présence, vous ne pourrez plus jamais m'oublier, vous êtes aussi la poésie de ma folie, celle de vous parler

- Ce que je veux vraiment ?

- Ce que je vais faire ?

- Ce que je vais faire de vous ?

- Et vous voilà encore captivés par le déplacement de mes pensées, et si je vous disais de "déplacer une bibliothèque", que liriez-vous en premier ? et que resterait-il de vos yeux avant de lire ? et que resterait-il de vos globes échauffés après ?

- Aaaaah, vous vous innervez comme un filet sans poisson, comme un chalut racleur de fonds pierreux, coraux mis à part,

- Ce que je veux vraiment et tout de suite ?

- Disposer de vos corps endormis au creux de votre témérité de coton, bave mise à part, car vous me baratinez quelques compliments de liège, au pire quelques piques de miel, à moi qui suis la mise en péril des adjectifs, ici et maintenant, ici et maintenant,

- Ce que je veux par-dessus tout ?

- Vous prendre, vous pendre à mon bras et vous jeter, vous jeter là où vous ferez des découvertes, je veux dire partout, pauvres Globos que vous êtes, étonnants Globos que vous serez là où vous vous poserez, incomplets comme des hivers et pétris comme des cendres, je vous malaxe, je vous mélange, je vous disperse et hop ! je rétrécis les lois de vos petits univers juxtaposés, car je suis la lanceuse de Globos qui parie sur votre immobilité.

Fin.

 

"Versatile" de Patricia NATHAN

 

Tu es une fille de joie, tu t'exposes sur la place publique à tous les regards.

Je veux m'exhiber et dévoiler mes parties intimes

Je veux gagner beaucoup d'argent en vendant mon corps

Je veux marcher sur des talons hauts et porter des étoffes légères

Je veux côtoyer beaucoup d'hommes et ne m'en attacher aucun

Tu es une toute jeune fille en robe de mariée

Je veux descendre les marches de cet escalier de pierres blanches

Je veux épouser celui que j'aime pour la vie

Je veux vivre comme un long fleuve, fidèle

Je veux avoir trois enfants au moins

Tu es une mère adolescente, seule, en rupture

Je veux briser ma solitude et noyer mon chagrin

Je veux ressembler à la Vierge Marie

Je veux expier ma faute et prier en silence

Je veux retrouver une famille aimante

Tu es une aventurière, une sorte de Mata Hari

Je veux vivre dangereusement

Je veux infiltrer ce groupe occulte

Je veux me travestir pour mieux me reconnaître

Je veux être l'héroïne de cett histoire rocambolesque

Tu es une statue muette, énigmatique, prisonnière

Je veux détacher mes cheveux

Je veux marcher jusqu'au bout de la rue

Je veux pouvoir te confier ma main

Veux-tu me dire pourquoi tu as décidé de sculpter mon corps ?

 

"Statuts de la Statue" de Hugues DEVAULT

Statuons que : d'ore et déjà les statues vivrons encore et toujours.

- panier vide à ses pieds.

Le statuaire y veillera, quelle soit gisante, orante, dressée, entière ou morcelée.

- long châle de couleur grise enserrant la tête et le buste.

La stature devra rester fidèle à certaines proportions, quelles soient figuratives ou non.

- main droite en attente de lancement dans le geste de la semeuse.

Cet ouvrage de sculpture devra obligatoirement, sous peine de déclassification, être travaillé en Ronde-bosse.

- main gauche sur l'épaule tenant un loup.

Trop souvent condamnée à jouer les potiches décoratives, elle pourra s'insurger contre le statut infamant qui lui est accordé.

- seins légers affleurant le tissu, tétons pointant.

L'érection de la statue sera de tous les points de vue, mise en valeur.

- de facture simple néanmoins expressive, se rattachant à l'esthétisme Symboliste, mais de réalisation plus moderne. Léger piédestal.

Quand le statuaire aura statufié, la personne ainsi figée devra respecter le statu quo de son attitude.

- sourire naïf mais cependant incisif, regard tendu.

Elle attend, j'attends, on n'avait plus grand chose à se dire, on s'était quittés, mais avec une drôle d'impression, comme si on ne s'était pas tout dit. Pas trop à l'aise.

- traces, graffitis à la peinture fluo. Street Art ou dégradation de monument public.

 

"Soliloque" de Janine NOWAK

Une voiture passe. Le silence. Un clocher dans le lointain égrène paisiblement sept coups. Un crissement de gravier, puis un bruit de porte en fer que l'on tire, qui grince, que l'on verrouille. Des pas qui s'éloignent. Le silence retombe. Un soupir de soulagement.

" Hum ! Enfin ! J'ai des courbatures ; je vais pouvoir me détendre. J'apprécie infiniment cet employé municipal, toujours parfaitement ponctuel. Aujourd'hui, avec cette crampe, il m'aurait été difficile de garder la pose davantage.

C'est un réel bonheur pour moi d'avoir ainsi - après des heures d'immobilité - la faculté de m'étirer, bouger la tête, lever le menton et admirer la voûte céleste. J'éprouve toujours la même émotion devant l'infinité de la nature.

Eh !!! Qui je vois ? Mon charmant visiteur du soir aux beaux yeux verts ! Bonsoir le chat. C'est un plaisir de te retrouver, fidèle compagnon. Mes élucubrations semblent te divertir. Quel public délicieux et attentif tu fais ! Un dicton populaire veut que la nuit, tous les chats soient gris. Mais tu me parais bien plus sombre encore. Je pense que tu es noir. Ne serais-tu pas un chat de sorcière ? Cette idée me séduirait assez.

Ah ! Voici mon instant favori. Quand la lune luit, ce jardin public devient un sanctuaire de sérénité. J'apprécie cette atmosphère très prenante, crépusculaire ; l'heure où les grands fauves vont boire. Evidemment, c'est une image, car les grands fauves dans les rues de Saint-Maur … hein ! Quoique … les fauves des villes peuvent revêtir des aspects insoupçonnés. Du haut de mon piédestal, en ai-je observé des choses ! D'ailleurs, toute mon existence se résume à cette seule activité : la contemplation. J'ai là ma petite aventure quotidienne. Ne pouvant arpenter les routes ou me lancer à la conquête des étoiles, c'est avec jubilation et une curiosité insatiable, que j'écoute et regarde s'agiter le genre humain. J'en ai vu défiler des cohortes de personnages, tous plus " pittoresques " les uns que les autres ! Et je mesure mes mots…

Les plus charmants sont les enfants, les tout petits mignons, qui font l'apprentissage de la vie avec innocence et bonheur. Que dire des plus grands qui croient intelligent de couvrir les statues de gribouillis ? Personnellement, j'ai été relativement épargnée : une touche de rouge aux lèvres et des pupilles noircies qui me donnent un air fripon. Un maquillage presque coquet, en somme. Mais ces méfaits sont pêché véniel en comparaison du sacrilège impardonnable commis voici quelques décennies, par de véritables prédateurs : je veux parler du vol de mes globos. Car on a osé dérober mes globos en me brisant les doigts ! De quoi ai-je l'air, moi à présent ? Une lanceuse de globos sans globos, à quoi ça ressemble ? On pourrait toujours penser que je les ai déjà lancés … Mmouuui … c'est une idée. Mais dans ce cas, personne ne saura plus jamais ce que sont des globos. Ainsi, j'ai pu remarquer, à maintes reprises depuis le larcin, la déception des Saint-Mauriens assoiffés de culture, venus spécialement pour admirer mes fameux globos. Car j'ai des visites ! Pas plus tard qu'aujourd'hui, en fin de matinée et pendant une heure malgré un temps froid et maussade, neuf énergumènes du genre B.C. B.G. se sont déplacés pour me scruter, tourner autour de moi, prendre des notes, des mesures, que sais-je encore ! On ne m'avait jamais manifesté autant d'intérêt. Ils étaient là dans le but " d'écrire sur moi ". C'était très flatteur pour mon ego. Mais de quoi parlaient-ils tous ces curieux ? DE MES GLOBOS ABSENTS !!! Ils m'ont vaguement détaillée, omettant d'apprécier mon port de reine, la finesse de mon visage, la joliesse des mèches de cheveux sortant du châle ou le gracieux de mon drapé. Certains, plus " attentifs " dirais-je, n'ont pas manqué d'apercevoir mon sein droit, dont le dessin délicat se devine sous le vêtement bien ajusté. Mais " glob "alement, leurs conciliabules portaient sur mes globos. Il fallait les voir émettre des hypothèses, faire des suppositions sur la signification de ce mot. C'était d'un comique ! Pourtant, même sans globos, ma beauté n'est en rien altérée. C'est un fait qu'ils pourraient tout de même apprécier ! Allons, du calme, du calme, voici que je m'énerve, que je m'emballe ; mon humeur en est affectée. Et puis tout compte fait, je tiens ma revanche : depuis le temps que ces fichus accessoires ont disparu, je dois bien être la seule, ici-bas, à savoir ce que sont des globos ! C'est une satisfaction ; c'est " mon petit bagage ", comme disait Landru à son avocat, en cheminant vers l'échafaud !

Quel est ce bruit ? Oh, je vois : il s'agit de mon ami le chat qui course une fouine dans le buisson de romarin. C'est amusant et insolite d'héberger, en plein cœur de Saint-Maur, des animaux sauvages. Récemment, un jeune homme sortant de la bibliothèque, déclarait qu'il avait vu un renard à La Varenne Saint-Hilaire. C'est curieux, je suis revenue à mon point de départ : les fauves dans la ville. Ma pensée est en boucle.

L'heure tourne. Les étoiles pâlissent. La nuit est moins noire. Voici déjà potron-minet. Livrer ainsi quotidiennement aux éléments mes désillusions, exprimer tout haut mes pensées intimes, faire un bilan de ma journée, me soulage, m'apaise et me redonne joie et vitalité.

Il est temps que je reprenne ma pose de statue athénienne. Prétentieuse, va ! Evidemment je ne suis pas la Vénus de Milo. Je suis moins célèbre -infiniment moins célèbre - j'en ai conscience. Et de plus, c'est une chanceuse, celle-là : elle vit à l'abri des intempéries, choyée, admirée dans un musée prestigieux, et surtout … elle est dispensée de porter quoi que ce soit : forcément, elle n'a pas de bras ! Et toc ! Halte-là, je suis mesquine à présent ; ce n'est pas dans mes habitudes.

Tout à l'heure, j'ai aperçu une étoile filante. Elles ont, parait-il, le pouvoir d'exaucer les vœux. Que pourrais-je espérer, moi qui suis pétrifiée pour l'éternité ? Peu de choses, en réalité. J'ai l'air de fulminer, mais en définitive, ma vie me convient : minérale et statique le jour, mais pourtant si attentive à ce qui m'entoure. Et la nuit, libre de me décontracter, de soliloquer, d'analyser mes sentiments, de rêver. Quant à mes globos, après tout, les humains feront bien ce qu'ils veulent avec. Finalement, serait-ce vraiment utile de les réinstaller ? "

 

"Topaze" de Françoise MORILLON

Ah ! c'est toi ? Tu es bizarre ? Quel regard ! et quel accoutrement !

Je n'ai pas l'habitude de contempler une statue en trois D, enfin, euh ! Trois sortes de marbre, paraît-il ?

Je peux te toucher ? Ta pelure grise, çà n'est pas du marbre : elle est rêche, ton Maître n'avait sans doute pas assez de matière, alors il a coulé de la lave sur tes épaules, tu es triste ; mais au fond c'est facile de t'habiller avec cette matière si fertile pour la nature, quoiqu' il faut aller la chercher loin la lave ! Je le répète, tu est triste. Enfin ! Alors où était donc situé ce volcan qui a craché ces coulées de lave pour permettre de te vêtir ; à l'Eglise St-Nicolas ? Peut-être est-elle bâtie sur cet ancien volcan éteint ? Entre parenthèses, il y eut 500 brûlés et puis on la construisit sur les gravats.

Et voilà le tour est joué, je commence à comprendre.

Souvenir ? Il nous embête ton Maître avec ces souvenirs ! Alors, que veux-tu dire ? Pourquoi ces lèvres pincées ; je n'aime pas çà du tout. Oh ! Et tes yeux, ils ne me plaisent pas non plus. Quelle tête ! J'aime pas ta tête ; tu me gênes, tu regardes en biais, t'es pas franche.

Attends : je me penche un peu sur toi, tu permets ? Oh ! c'est bien ce qu'il me semblait, tu est pleine de tâches de rousseur, pas mal, t'es mignonne dans le fond, même harmonieuse finalement ; j'aime bien les rousses….. naturelles. Et tu l'es ! Tu es vierge ? Oui. Non ! : - elle m'a répondu !! Pourtant tu en as un peu la tête.

Allons, soyons un peu sérieux ; plus je te regarde, plus je suis mal à l'aise.

Ton bras droit : pourquoi le mets-tu comme cela ? Tu causes à quelqu'un ? Mais parles, parles donc ! Dis-moi quelque chose ! Tu as l'air d'un ange mais ton sourire " de Reims " me semble malsain, et tes yeux en biais, ta tête légèrement baissée, tu te prends pour la Joconde ? ; orgueilleuse ! Est-ce pour te protéger ce petit loup blotti contre ta poitrine ? Crains-tu d'être attaquée ou bien de faire une mauvaise rencontre ?

As-tu quelque chose à te reprocher ? Ah ! Tu ne m'aimes pas ? Bof ! Je suis trop curieuse ? Je te pose trop de questions ? Ou bien alors joues-tu ? A quoi ? Il paraît que tu tenais une boule dans ta main droite, peut-être une boule de pétanque, non, pas affublée comme cela : tu ressembles à la Sainte Vierge.

Quelle dégaine ! Boule de verre soufflé contenant un liquide odorant, je viens de le lie sur des documents historiques trouvés à la Bibliothèque de St-Maur, boule de cristal, une pierre précieuse ? ? Tu ne sembles pas être assez riche. En fait, tu ne peux me dire ce que tu fais là, qui t'as posé là, derrière ce monument culturel ; et dans ton petit panier, à tes pieds, il y en a encore de boules, ou plutôt il y en avait ; tu m'énerves, réponds-moi ? Peut-être les as-tu lancées bêtement ? Non ? Ont-elles été subtilisées ? Si tu tenais tant à ces boules pourquoi es-tu restée dehors dans ce jardin sans intérêt, par ce froid automnal, pourquoi n'as-tu pas demandé à ton Maître de te garder au chaud ?

Ils ne sont pas malins les "PERRON " ; si ton panier était rempli de topazes, fallait demander à ton Maître qu'il te " colle " Place Vendôme, chez Boucheron, par exemple, mais à l'intérieur de ce lieu prestigieux. Tu tiens trop de place pour te mettre dans ce luxueux salon ! Oui, bon, alors dans un endroit digne de toi ! "Lanceuse de Globos " Mais je m'acharne après toi ; je suis stupide ? Peut-être.

Attends, je me rapproche encore un peu contre toi, je te regarde, tu m'impressionnes, ton visage est pur, beau, intrigant, inquiétant même, dérangeant. Tu n'es pas comme tes copines toutes blanches derrière, c'est sans doute pour cela que tu me perturbes : tu m'obliges à m'interroger à philosopher. C'est pas le jour, c'est le week-end, les trente-cinq heures tu connais ? c'est pour les loisirs….

Je reviendrai te voir un jour de grand soleil. Je te laisse. Peut-être ce jour là, serais-je émerveillée par ta simplicité et ta modestie, peut-être tu m'en diras plus sur tes mains, tes boules, ta vie, tes misères, tu m'ouvriras ton cœur, et je me sentirai sans doute comme apaisée dans ce jardin fleuri.

Mais tu restes, au milieu de cette brume, l'énigme de ce matin d'automne. Au revoir, ma belle ! A bientôt.

 

"Je suis belle, ô mortels comme un rêve de pierre" de Bernadette BEHAVA

- Tu m’apparais, seule, sereine, dans ce parc et je ne comprends pas .

- Je peux t’expliquer , si tu le désires. Pose ta question.

- Ne trouves – tu pas qu’il faut une bonne dose d’ingénuité pour perdurer ainsi, impassible, à travers siècles et millénaires ?

- J’ai contemplé tellement de choses, plus rien ne me touche ni ne m’atteint.

- Tu es un monstre.

- Je suis la Beauté.

- Parce que la beauté pour toi ne doit exister que dans le rêve, la douceur, l’idéalisation des choses de ce monde ? Comment se fait-il que le temps traversé n’ait pas imprimé sa marque sur ton visage ? Pourquoi ce sourire immuable ?

- Je suis d’autre part, d’ailleurs. Je suis la consolatrice, j’apporte apaisement et douceur.

- Tu ne m’es pas douce et tu ne m’apaises pas. Je te préfère ces statues de mortels martyrisés dont les bras souffrants s’élèvent au ciel en protestations incantatoires et iconoclastes. L’homme n’est il pas condamné par les dieux ? Les mères ne savant – elles pas qu’en donnant la vie elles donnent la mort ? Qu’ai-je à faire de ta jeunesse impavide et éternelle ?

- Je ne t’apaise pas. - Non, et pour cette raison je te honnis. Pour moi, tu es comme la nature, imperméable à la douleur humaine. Et pourtant, les fleurs naissent, s’épanouissent, flétrissent et meurent. Toi, tu restes toujours la même.

- Toujours la même…

- Peu importent pour toi les souffrances des hommes, leurs cris de haine, de désespoir. Ah, je te préférerais souillée ou éventrée comme ces statues à qui on a coupé la tête à la révolution. - Et la Joconde ?

- Crois-tu que j’aime cette représentation niaise et sirupeuse de la beauté féminine ? ce sourire épandu, ces yeux vides, crois-tu que cela me console de vivre ? Crois-tu que cet art soit sauveur ? - L’art ne te sauve – il pas, dans son essence même ?

- Si : Francis Bacon me parle : je me reconnais, je retrouve dans humanité dans ses corps difformes torturés.Toi, je hais ton visage lisse… Tu me donnes envie de hurler sans fin…

- Des enfants, parfois, ou même des plus âgés, me grimpent dessus et impriment sur moi leur marque de détestation : graffitis, peinturlures, dessins..

- Oui, je hais ta surface vierge. Pour moi tu n’existes qu’en tant que palimpseste. Et tes airs de Sainte Nitouche… tu me fais penser à une sainte . Je n’aime pas les saintes.Je n’aime que les déviants.

- La Vierge ? Marie-Madeleine ?

- J’ai vu la vierge écrasée de douleur : la piéta me parle. Marie- Madeleine et ses longs cheveux aussi ; toute cette sensualité, c’est si vivant, si proche de nous ! Tu n’es pas vivante. Tu es morte et ce voile, ce voile pudique…

- Il ne cache pas mon visage.

- Encore heureux. il y a eu deux ans de débat sur le voile, ça suffit. Et puis, cette affaire date un peu. Si elle avait été réglée avant…

- Me préférerais- tu nue ?

- Je te préférerais marquée au fer rouge.A la fleur de lys.

- « L’essentiel est invisible pour les yeux. »

- Ah, ne la joue pas psy avec moi, je t’en prie. Je ne supporte pas les visages où le temps n’est pas inscrit. Oui aux corps, les aux corps humains, bosselés, déformés, cassés, médicamentés, les corps pourrissants, je vous aime et vous revendique.

- Comme le visage de Duras.

- Oui, et elle le dit : détruit, très tôt, très jeune.

- Celui de Marguerite Yourcenar ? - Oui , âgée.. je n’aime pas l’hiératisme.

- N’est ce pas pour toi le début de la catharsis ?

- Je t’ai dit que cela suffisait, ce langage de spécialiste. je hais ces gros mots.

- C’est toi qui as commencé. Mais j’ai compris ce qui t’inspirait : l’art comme exorcisme.

- Exsudation et exutoire. Aussi.

- Toi-même, n’emploies- tu pas des mots qui…

- Mais bon sang quand comprendras-tu que ces mots me sortent des tripes, que je les vis seconde après seconde, minute après minute, heure après heure. Toujours. Pour toujours.

- Ils sont ton sang, ta sève et ta sanie… « Et mon sein où chacun s’est meurtri tour à tour »… -

- Tu peux citer Baudelaire. Je préfère le ver dans le fruit, la pourriture dans la pomme et la charogne dans la jolie femme.

- N’es-tu pas capable de jouir fruit avant le ver, de la pomme avant la pourriture et de la femme avant la charogne ?

- Si, mais je n’oublie pas. Je suis le présent, le passé et l’avenir, ahhhhhhhhhhhhhh ! - Ta souffrance est insupportable.

- A qui le dis-tu ! Je vais la jouer autrement

- « Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme, O Beauté ? »

- Tu préférerais l’abîme.

- Rien en toi ne me parle d’abîme. « O beauté monstre énorme, effrayant, ingénu. »

- Baudelaire disait aussi : « Ton regard infernal et divin. Verse confusément le bienfait et le crime. » Ne vois-tu pas cette dichotomie en moi ?

- J’ai envie que ton visage s’effrite.

- O comme je préférerais que tu sois comme Dorian Gray ! Au moins, tu aurais vécu.

- Il était pétri de vices. -

- Qu’est ce que le vice ? les bouges, les filles ? C’est une question de point de vue : il a vécu.

- Il a souffrir.

- Qui n’a pas fait souffrir ? Peut-on l’éviter ? Peut-on faire en sorte de ne pas souffrir ?

- « Que te sers, courtisane imparfaite

- de n’avoir pas connu ce que pleurent les morts »

- Hélène de Troie a déclenché la guerre.

- Paris était prisonnier des dieux.

- Tu m’aurais préféré comme Sarah . - Sarah ?

- « La femme qui est dans mon lit n’a plus vingt ans depuis longtemps (…) La peau brûlée par les baisers »

- Oui, c’est ça. la marque, la marque, la brûlure ,la flétrissure ! Ah, je suis hanté.

- Je suis ton double. - Ne dis pas de gros mots.

- Oui, ton double, ton contraire, ton miroir déformé, déformant. C’est ton âme qui parle, c’est le mal en toi qui jaillit de toi. Grâce à moi. grâce à mon visage. Grâce à ce que je suis. Je te fais sortir de tes gonds.

- Ah, statue de malheur, je te dis de ne pas jouer les psychanalystes.

- Mon enfant, mon petit enfant.

- Je te hais, tu n’es pas ma mère .

- Tu aurais voulu que je sois ta mère. Et ta sœur, et ton amante.

- Tais-toi.

- Pourquoi refoules – tu ce que tu caches depuis le début ? L’art est exorcisme. Cela te ferait du bien de parler de dire plutôt que de te couvrir de mots comme d’un masque.

- Je te hais.

- Laisse - toi aller. Là, là. tout en moi ne t’y incite-t-il pas ?

- Tu es la non - vie.

- Je suis morte. Mais je vis. Peux-tu comprendre cela, toi, l’homme, si buté..

- Traite – moi de misogyne, pendant que tu y es.

- Oui, tu aimerais me voir marquée.

- Ces mots n’ont aucun sens pour moi. Je hais la durée, l’immuabilité, l’intranquillité.

- Pourquoi ne m’écoutes tu pas ?

- Tu es une sorcière.

- Te sens – tu si proche de mourir ?

- Comme si c’était demain.

- Ne veux-tu pas me dire ?

- Non.

- Tant pis. Tu te bloques. Tu retiens. Tu te gâches. Tu connais déjà la mort.

- Tu es morte. Je suis vivant.

- Je suis éternelle. Tu me repousses. Ecoute - moi une fois parce que je vais me taire sur mon sourire, mes yeux, mes gestes doux. Je peux te prédire quelque chose.

- Tu te prends pour une voyante, maintenant ?

- Je veux te parler de ce que tu aimes. De ta dégradation. De ta pourriture. De tes crimes Car tu as tué.c’est pourquoi tu repousses la beauté. La pureté. C’est toi qui as parlé de Doria Gray. Tu t’es trahi. D’où ton arrogance, ta colère et ta haine. « Mais le ver rongera ta peau comme un remords. »

 

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !

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