SAMEDI 5 JANVIER 2013
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"J'écris comme d'autres peignent"

Animation : Régis MOULU

Thème :
Tout mettre dans les sacrifices et les partis pris (Goya)

Au cours de cette séance, il s'agit de faire des choix radicaux et d'instruire, jusqu'au bout, cette voie. Et comme choisir, c'est, en creux, accepter de perdre ce qui n'a pas été élu, les textes produits se teinteront d'une affirmation particulière.

A ce sujet, Francisco Goya ajouterait des phrases qui pourront retenir notre attention, comme par exemple: "Le sommeil de la raison engendre des monstres" ou bien "Il n’y a dans la nature que du noir et du blanc".

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), a été lancé le sujet suivant : Ecrire un texte dont l'histoire vraisemblable est pourtant incroyable. Les 10 mots "perdu", "ténèbres", "souterrain", "brume", "délire", "troublant", "pacte", "automate", "professeur" et "monstre", devront figurer dans votre écrit.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support évoquant notamment ce qui rend grâcieux un style et affirmé un propos a été distribué... Coolissime, non ?!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):

- "Echecs, et blanc mat" d'Ella KOZèS

- "Hémoglobine" de Janine NOWAK

- "Le bal des mots dits" d'Angeline LAUNAY

- sans titre de Marie-Odile GUIGNON

- "Monstre blanc" de Nadine CHEVALLIER



"Echecs, et blanc mat" d'Ella KOZèS

Je me promène dans un champ de blé jaune. Il est orné de grandes fleurs parfois rouges, oranges ou encore vertes. Ces fleurs immenses aux couleurs changeantes bordent la piste. Je sens le souffle du vent dans mes cheveux. Je goûte un courant d’air chaud au niveau des chevilles. Les odeurs mêlées me troublent. Je suis sortie du tunnel. Enfin, je respire ! Je res-pi-re ! La vie bouge autour de moi. J’en ressens ses vibrations. Du sol chaud, monte une brume qui dépose ses gouttelettes sur ma peau. Je suis à peine couverte d’un vêtement de nuit. Du bruit, il y a du bruit. Je ne suis pas seule. Je ne rêve pas. Je sais bien que je ne rêve pas. Je ne veux plus penser à l’avant. Je ne veux pas encore penser à l’après. Etre dans le présent, uniquement dans le présent. Jouir de la lumière naturelle. Sentir la violence du monde. Faire partie de ce monde. Etre le monde.

La dernière fois est trop loin pour que je me souvienne d’une telle intensité. La dernière fois a-t-elle eu lieu ? Ne l’ai-je pas rêvée ? J’ai tant attendu ce moment qu’il se pourrait que je l’aie imaginé. Non, non et non ! Je n’ai rien inventé. Je sais que je l’ai vécu cet instant. Le présent vient me le rappeler. J’ai déjà connu un tel bonheur jusqu’au délire. Je crie de joie. Je hurle de délivrance. Je suis libre comme l’air ! Je suis l’air. Si je les croise, je leur dirai ce que je viens de découvrir ; je leur dirai que je suis fluide comme l’eau, rapide comme le vent. Rapide ? Tu vas voir. Je vais courir plus vite que ces animaux là-bas sur la piste. Et je me mets à courir à perdre haleine. Je zigzague entre ces gros mastodontes qui ronronnent. Ils sont gentils. Ils s’arrêtent souvent dans un doux crissement pour me laisser passer. Je les salue. Je les caresse au passage. Dans leurs yeux, il y a une curieuse lueur. Un éclat s’agite au fond de leurs prunelles ténébreuses. Ils barrissent. Je m’arrête. Ils barrissent de façon stridente sans arrêt maintenant. Ils avancent à la queue leu leu. Ce ne sont pourtant pas des éléphants. Ceux qui m’ont dit qu’ils sont de dangereux monstres sont des menteurs. Ils ne me font pas de mal. Je vois bien qu’ils tentent de se faire comprendre à leur façon. Ca gesticule beaucoup dans leur tête. Je les gêne peut-être ? Je les laisse à leurs occupations. C’est un peu comme un pacte entre nous : Ils reprennent leur course seuls, sans plus se préoccuper de moi. On s’est compris sans le savoir. Où vont-ils ? Je voudrais tant leur dire de ne pas y aller. S’ils vont là d’où je viens, ils ne survivront pas. Hélas, nous ne parlons pas le même langage. J’ai bien tenté un barrissement tout à l’heure. Je ne sais pas de quoi cela avait l’air. Je me souviens juste d’un recul au fond de leur grosse tête.

Maintenant, je me sens seule. Je suis triste. Je suis un peu perdue. Le bruit a curieusement disparu. J’adore ce monde qui semble fait pour moi. Il vit à mon rythme. Les animaux sont là quand il le faut. Leurs chants puissants me rappellent que je suis en vie, comme eux. Et quand j’ai envie d’un peu de solitude, ils disparaissent. Mais là, le silence persiste. Je sens bien que quelque chose d’inhabituel va se passer. Je suis inquiète. J’ai peur qu’ils me rattrapent. Les mastodontes ont totalement disparu. Ils sont remplacés par des automates qui jettent au sol des lumières bleues. Je les reconnais : ce sont les têtes chercheuses. Je sais qu’elles sont là pour moi. Derrière elles, je distingue déjà les blouses blanches. Je me tapis contre le sol. Le dur contact des blés me rassure. Ne pas bouger. Ne plus exister pour ce monde en blanc.

Dans ma tête, une chaîne de questions sans réponse défile : Pourquoi moi ? Quelle anomalie me fait exister dans deux mondes à la fois ? Pourquoi cette séquestration dans le monde souterrain des néons ? Qu’ai-je fait pour ne pas avoir le droit de vivre en couleurs ? La peur se déchaîne. La panique m’enchaîne au sol rugueux. Surtout, ne pas bouger.

Je me souviens maintenant ; la dernière fois, ils sont venus tout sourire. Ils m’ont dit des mots de miel ; de ces mots gluants qui vous salissent. Ils m’ont transpercée pour m’endormir. Lorsque je me suis réveillée, j’étais allongée dans un lit blanc. Le Professeur L. m’a détachée en disant que je venais de faire une fugue en pleine crise. Il était soulagé qu’il ne me soit rien arrivé. Sa voix calme m’exaspérait. Que sait ce méchant petit bonhomme de la vraie vie ? Que sait-il, lui qui ne sort jamais de ce monde totalement faux ? Je le regarde. Il me sourit. Je le hais. J’entends des mots tels que : route, voiture, camion, accident. Je détecte la peur dans ses propos. Je ne comprends pas ses paroles. Je les laisse glisser sur ma peau. J’ai fait le plein d’images pour de longues années. Je m’immerge en moi. Je souris. Il prend ce sourire comme un signe d’apaisement. Il ne peut rien contre moi.

Je suis une terre qui lui restera inconnue. Je suis un pays impénétrable. Je suis un obstacle à son savoir. Je suis un monde étranger dont il n’aura jamais les clés.

Cela m’emplit de joie.

Dans ce milieu blanc mat, je suis Le  Monde têtu de ses échecs.



"Hémoglobine" de Janine NOWAK


Pendant dix-huit ans, j’avais suivi une route droite - ou presque -.
Enfant sage, puis adolescent sans problème, j’avais, à priori,  abordé l’âge adulte sans trop de secousses, toujours bien sur mes rails - ou presque -.
Enfant sage, ai-je dit… peut-être même trop sage, en vérité. Trop réservé. Trop silencieux. Trop lisse. Car collectionner les images et les bons points distribués par les professeurs pour récompenser une bonne conduite, ne prouve rien.
Certes, j’étais un élève plus qu’honorable, battant les records de premiers prix, et ne faisant pas de bruit. Mais cette tenue parfaite, trop parfaite, aurait dû révéler à des adultes plus attentifs ou plus psychologues qu’ils ne l’étaient, le côté ténébreux de mon tempérament.
Ainsi donc, les années glissaient sur le petit automate tranquille, obéissant, bien brave apparemment, que j’étais en ce temps là.
C’est en me penchant à présent sur mon passé, en analysant mon comportement de l’époque, en revivant mes pires souvenirs, que j’en perçois, avec le recul,  les anomalies.
De mon enfance, je conserve une suite d’images chaotiques.
Ainsi donc, tout gamin déjà, mon attitude vis-à-vis de la nourriture n’était pas claire et aurait dû alerter mes parents.
Contrairement aux jeunes bambins, je n’ai jamais apprécié les sucreries, ce qui ravissait ma mère, puisque j’échappais ainsi à la carie dentaire. Les légumes et les fruits ne me branchaient pas davantage. En revanche, ce qui me faisait vibrer, c’était la viande !
Je me souviens que lorsque nous rentrions du marché avec Maman, et que cédant à mes supplications elle rapportait – oh merveille ! – une bonne tranche de foie bien saignante, j’étais aux anges. En cachette, j’en découpais un morceau que je dévorais tout cru, et si juteux. Quel délice ! J’étais malin, je me dissimulais et ce fait troublant n’a jamais été remarqué… ce que je déplore aujourd’hui, car peut-être aurais-je pu être, en ce temps là, dépisté, soigné, traité, et qui sait, guéri ?
Bref, je grandissais, et grandissait avec moi ce mal souterrain.
A l’époque de l’argent de poche, je n’achetais pas de friandises comme le faisaient allègrement mes copains de classe. Je devais user de ruse pour me procurer des biftecks. Ensuite, dans une rue déserte, dissimulé dans l’encoignure d’une porte, ces morceaux de viande, je les tenais à pleines mains, mordant dedans avec rage, les déchiquetant et les avalant gloutonnement, tout émoustillé par cette bestialité qui me dominait.
Puis je revenais sagement au domicile parental, où le goûter préparé par ma mère n’avait guère de succès, on s’en doute.
Que dire ? J’étais ainsi fait. Ce sont les mauvais tours du destin. Cette passion pour la viande saignante prenait sur moi une emprise grandissante.
Bientôt, mes besoins se firent de plus en plus pressants. Comment expliquer pour que l’on comprenne ? On pourrait assimiler cela à une dent malade que l’on tripote du bout de la langue. C’est douloureux, mais c’est plus fort que soi : on y revient.
Pourtant des peurs multiples m’assaillaient. Je me suis longtemps retenu avant de me résoudre à accepter ce vers quoi je me sentais si fort poussé. J’ai résisté furieusement, avec l’impression angoissante de me mouvoir dans le vide.
La première fois, a été un fait du hasard. Ce fut imprévisible, violent. Comme un délire.
Un petit moineau s’était étourdiment assommé contre la fenêtre de ma chambre. Je le pris dans ma main, le caressais doucement… Hum, sentir palpiter l’artère de sa gorge frémissante…
Ensuite ? Ah ! Pauvre Zouzou ; c’était le chat de la voisine. J’ai même participé à la battue organisée par les gens du quartier, pour le retrouver.
Et puis, et puis… J’en perdais tout sens commun.
Je m’étais embarqué dans une croisade apocalyptique.
Qu’est-ce qui me poussait ainsi ? Je n’avais pas le souvenir d’avoir signé le moindre pacte avec une quelconque créature diabolique sortie des flammes de l’enfer.
Mais, perdu à jamais, je continuais à courir après mon vieux fantasme. Toujours plus ! L’attrait de perspectives nouvelles me stimulait. Même le risque d’être châtié ne me retenait plus.
Et voici qu’un beau jour…
Chassant la brume matinale, la pluie avait lavé le ciel. Il était d’un bleu si tendre. Tout était                        calme, beauté, fraîcheur, douceur angélique.
Elle m’adressa un sourire radieux, comme si elle auditionnait pour une pub. de dentifrice. Sa peau était laiteuse. Son cou semblait aussi frêle et délicat que celui de l’oisillon de jadis.
Quand les gendarmes sont arrivés, les coups se sont mis à pleuvoir ; j’ai été meurtri dans ma chair, secoué, insulté, qualifié de monstre.
Je suis certain que l’on considère un sac poubelle avec plus d’égard.
Voilà, Docteur, mon triste parcours.
J’espère que vos traitements sauront calmer mes ardeurs. Je voudrais tant trouver la paix, dormir, dormir...

Un conseil : soyez prudent… Attachez-moi !

 

""Le bal des mots dits" d'Angeline LAUNAY


       Encore une fois, me voilà perdue dans la brousse. Chaque fois que je m’aventure dans cet enchevêtrement de bambous morts et de racines qui sortent de terre comme des serpents emmêlés, je ne sais plus où je suis. Qui plus est, la brume se débrouille pour délayer les contours et des formes troublantes m’apparaissent, mi-bêtes, mi-humaines. Je pense avancer, à moins que je ne recule ou tourne en rond, telle un automate déboussolé qui s’enfonce dans les ténèbres.
       Si je me mets à rire très fort, peut-être pourrai-je attirer un esprit plaisantin répondant au nom de Firmin… Mais la situation semble plutôt virer au tragique et mieux vaudrait s’en remettre aux conseils d’un professeur qui m’initierait aux secrets de la forêt… C’est quoi ce délire !
       Je tombe sur une troupe de daims. Ca pourrait être pire… Ils sont bien une vingtaine qui sont là à grignoter les buissons. Celui qui porte des bois imposants se retourne soudain et, de sa voix souterraine, insinue une remarque : « Ton chapeau ne sert à rien, aujourd’hui pas de soleil ! ». Je ne me formalise pas pour si peu et en profite pour lui demander la route. « Ici pas de route – me dit-il – il faut juste éviter les mauvaises rencontres. »
_ Vous me paraissez une bonne rencontre…
_ Si vous le croyez, c’est votre interprétation.
       Je sens qu’il vaut mieux m’en tenir là et m’éloigne tout doucement. Le chef du clan se contente de me suivre des yeux. Aucun autre animal n’a bronché. J’ai l’impression d’être un étranger sur une planète oubliée. J’aurais peut-être dû pousser plus loin la conversation…
       Bientôt j’aperçois un paon qui semble chercher son chemin. Je ne suis donc pas la seule à qui ça arrive… Je lui demande à brûle pourpoint : « Vous cherchez votre chemin ? » - Il s’esclaffe : « C’est la meilleure que j’ai entendue depuis longtemps ! Mais que faites-vous dans la région ? »
_ Je crois que je me suis égarée.
_ Vous croyez ou vous en êtes sûre ?
_ Vous ne me trouvez pas assez radicale…
_ Il ne s’agit pas de cela. Ici on ne fait pas de politique.
_ Et que faites-vous donc ici ?
_ Ici, on évolue… dans un environnement… naturel… et sauvage.
_ Vous ne me paraissez ni l’un ni l’autre.
_ Et vous, vous n’êtes pas dans votre élément, ça se voit.
_ Que dois-je faire ?
_ Survivre.
_ Piquée au vif, je rétorque : « Et vivre, avez-vous pensé que je puisse juste vivre ? »
_ Ah mais ça, c’est votre problème. Le mien est tout autre…
_ Je n’ose l’interroger sur son problème et  pars en courant le plus vite que je peux. Ma gorge me brûle. Je finis par m’affaler sur un tronc tout ému de me servir d’aire de repos. Il me demande pourquoi j’ai l’air si pressé ? – Je lui réponds que c’est peut-être parce que je viens d’Occident. Comme il ne semble pas comprendre, je lui explique patiemment que dans le pays d’où je viens, les gens courent dans tous les sens. Intrigué, il me dit : « Savent-ils pourquoi ? »
_ Non, oui, peut-être, enfin qu’est-ce que j’en sais !
_ Vous avez des réponses multiples… Ce n’est pas bon pour l’esprit.
       Je pense à son esprit à lui, l’esprit du bois, celui des feuilles… Je pense à tous les esprits qui sévissent dans cette jungle mais aussi à l’esprit humain, fragile et incertain, surtout quand il flotte dans un milieu qui lui correspond  peu. Je boirais bien un thé… Je pense à l’esprit du thé… J’ai conscience que je ne suis pas au bout de mes rencontres. L’arbre me susurre que je peux repartir tout droit.
_ Comment ça « tout droit » ?
_ Oui, tout droit, vous ne pouvez pas vous tromper.
       Je décide de lui faire confiance. J’ai pactisé avec un arbre et ne vois pas pourquoi je le regretterais. Me voilà soudain devant trois éléphants qui me barrent l’horizon. Tout en faisant ceux qui ne m’ont pas vue, ils secouent vigoureusement les branchages avec leur trompe souple et agile puis ramènent une flopée de feuilles dans leur bouche humide. J’hésite à les aborder et attends que l’un d’eux veuille bien entamer un échange verbal. Mais sans doute les éléphants ne parlent-ils pas la bouche pleine...
       L’un d’entre eux s’interrompt brusquement pour me demander si je n’ai pas de la citrouille à lui offrir car il en raffole. Je bredouille une excuse… Heureusement, il s’en contente. – Savez-vous, me dit-il, qu’il nous arrive de venir vous visiter la nuit, dans vos grandes maisons ? Ce sont les feux que vous allumez qui nous attirent. C’est vrai que nous aimerions nous rapprocher davantage de vous mais les phares que vous braquez sur nous et les moteurs que vous faites tourner bruyamment nous découragent de rester.
_ Ah, c’est vous que nous avons aperçu l’autre soir, après le dîner ? Sachez que nous avons été très contents de vous observer dans la nuit… Mais tout de même, nous étions impressionnés et peut-être un peu inquiets aussi.
_ Nous ne sommes pourtant pas des monstres ! Nous sommes beaucoup plus délicats que vous ne le croyez… délicats et humbles… Nous sommes à la fois des rois et des serviteurs. Pouvez-vous imaginer cela ?
_ J’avoue que non.
_ Et pourtant, vous me reconnaissez et vous êtes là à me parler. Nous allons vous laisser passer votre chemin et même, je vais vous indiquer la direction de vos habitations. Nous les éléphants, nous ne nous égarons pas et nous savons emprunter les chemins de traverse. Si nous sommes un danger pour vous ? Seulement à nos heures… Vos heures ne sont simplement pas les nôtres….
      

 

Sans titre de Marie-Odile GUIGNON


Une douleur vive dissèque mon corps. Je résiste avec discernement ne livrant aucun de mes neurones. L’écartèlement cesse, le monstre invisible s'est dissipé.

Je me redresse lentement, un paysage austère m'environne, des reliefs brumeux menacent l'horizon, des sentiers tissent sur le sol le dédale complexe d'une toile circulaire démesurée. Une araignée géante gît à mes pieds, les pupilles exorbitées, les pattes d'un ébène fluorescent repliées en signe de soumission. Je la regarde avec bienveillance, l'iris de ses yeux s'éclaircit d'un reflet argenté et programme, comme un GPS, le parcours à suivre à travers les fils de son tissage. D'un effleurement je l'imprime dans ma main. Subitement l'arachnoïde disparaît dans un souterrain.
Grâce à ses indications, automatiquement, je m'engage dans ce labyrinthe
: C'est un désert flamboyant de rouge et d'ocre, strié de noir, divisé par d'étroits chemins troublants .

J'ai perdu la notion du temps quand j'atteins les collines boisées à l'orée des sables. Dans ma paume, le plan s'est effacé.
Je pénètre dans le sous-bois.
Métamorphosée en oiseau de nuit, je vole sans bruit. C'est chouette de planer d'une branche à l'autre, mes yeux brillent de plaisirs.
Un vieil hibou m'interpelle, je réponds en hululant, « Par automatisme ». Je sursaute, subjuguée par ma réponse réflexe ! J'ai changé d'identité ?
Installée sur une vieille branche, je sanglote. Quelques congénères me répondent en échos, dans le lointain des ténèbres. La forêt profonde m'enserre de ses  bras sylvestres. Le vieil hibou s'approche tendrement avec l'intention de me consoler. Avec ses lunettes il ressemble à un professeur de philosophie. Il me propose un pacte : Si je danse avec lui toute la nuit, je serai délivrée du maléfice dès le petit matin.
Alors, nous virevoltons, glissons, frôlons, enlaçons, tournoyons, avec l'énergie des noctambules. Les délices duveteuses de l'enchantement submergent nos sens dessus dessous. La vivacité d'un trait solaire clôt brutalement nos sombres ébats.
Éblouie par l'éclair je ferme les yeux.

Je suis assise sur une falaise qui domine les flots colériques d'un océan, l'eau cerne une île minuscule, avec un palmier dans son centre.
Des noix de coco s'y balancent en tambourinant !
Je peux tourner en rond, dans un sens pour m'occuper, dans l'autre pour rester lucide... Échapper au délire... Finalement je vais me reposer en regardant dans le lointain...
C'est beau la vaste mer... Quel spectacle que les vagues écumantes de blancheur qui se brisent en fracas d'éclaboussures... C'est fascinant la profondeurs des remous marins. Les scintillements turquoises émeraudes aigues-marines, les ondulations de la houle m'attirent irrésistiblement...
Je plonge... C'est le noir profond...

Subitement je perçois un bourdonnement sourd accompagné d'une clarté laiteuse.
Derrière la fenêtre le rideau roulant se soulève, la lumière du jour entre dans la chambre, j'émerge, ensommeillée, le corps particulièrement engourdi.
Où suis-je ?


"Monstre blanc" de Nadine CHEVALLIER

Noir, c'est noir
y a-t-il de l'espoir ?
j'ai basculé dans les ténèbres
y dérivent des monstres livides
ils me touchent, ils me giflent
Madame, Madame, m'entends-tu ?
comme des automates  ils répètent sans cesse la même phrase
ma cervelle en charpie me semble vraiment nase
que disent-ils ? que disent-ils ?
je vois des mots flottants dans la brume épaisse
j'en capture quelques uns au lasso
ils sortent par ma bouche sans tambour ni trompette
"professeur, rodéo, serpette"
les monstres blancs répondent aussitôt
Madame, Madame, tu nous entends ?
"professeur, canoë, serpent"
je m'endors, je rêve, je délire
je suis un petit serpent rampant dans un sombre souterrain sans fin
nous entends-tu ?  nous entends-tu  Madame ?
Je suis réveillée, je rêve
que répondre, que répondre ?
il ne faut pas décevoir les monstres blancs 
je le sais, ça fait partie du pacte
mais j'ai perdu les mots au fond du souterrain
on me porte on m'emporte on me bouscule
on me tapote on me pique on me bascule
je suis une petite chose sans défense
entre les mains des monstres blancs
sont-ils bienveillants
suis-je un serpent
je me souviens d'avoir eu des bras et des jambes
je me souviens d'avoir marché
je me souviens d'avoir chanté
je me souviens
c'est troublant

je me souviens
je suis moi aussi
un monstre blanc

je me souviens
je me souviens d'avoir goûté
le fruit bleu de la forêt interdite
le fruit qui rend fou
disent les anciens
j'ai donc réussi
j'ai donc réussi

j'ouvre les yeux
la caverne est immense et lumineuse
les monstres blancs, mes semblables, sont là
l'ancien s'avance
Madame, tu as défié la forêt interdite
tu as résisté au poison bleu

sois la bienvenue
parmi le peuple élu.


Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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