SAMEDI 10 mai 2008 de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle " D'espérance en expériences"

Animation : Régis MOULU

Auteures invitées : Karine LEROY (conteuse) et Claudine VUILLERMET (écrivaine de théâtre)

Thème : Happening d'objets!
Chaque participant est venu avec un objet. Cet objet devait être singulier, étonnant
ou insolite (il ne devait pas, en tout cas, être connoté - effet de cliché - ni porteur
de marque publicitaire) et mesurer au moins 20 cm. Sa nature, sa forme, son histoire
lui confèrent presque quelque chose de symbolique...
Furent alors exposés deux objets pour commencer, puis, à intervalles réguliers, un autre
est venu les rejoindre en étant disposé avec précision comme si une œuvre d'art se créait
en direct.
Chaque participant en a profité pour écrire ce que l'amoncellement lui inspirait, son
texte étant réarmé à chaque ajout d'objet !

Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support a été distribué ; il portait sur la
façon dont on peut interpréter une oeuvre d'art, sur la force du symbolisme (travail de symbolisation suggéré) et sur
la démarche de Jean Tinguely au travers de ses "machines à" !
Trop chouettos, non ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance...


Utilisez votre barre de défilement horizontal qui se situe en bas de votre écran (ascenseur) pour dérouler les photos restantes, à droite !!!

Titre du texte

&

Nom de son auteur

Etape 1 Etape 2 Etape 3 Etape 4 Etape 5 Etape 6 Etape 7 Etape 8 Etape 9 Etape 10
Ombrelle & Couple d'oies se faisant face
Chariot à petites assiettes (bois)
Mandoline
Partition de musique (oeuvre écrite)
Grosse et vieille clef
Mètre enrouleur (déroulé sur 20cm)
Guirlande de Noël branchée (ampoules bleu, éclairage permanent)
Bouteille d'eau vide (en plastique)
Diadème de princesse (pacotille pour fillette)
Très vieille poupeé de cire (dans une corbeille ajourée)

Voyage polychrome

de

Karine LEROY,

auteure invitée

Assise sous le ciel jaune de son ombrelle, une petite fille avec des souliers rouges rêvait devant des papillons vert-pomme qui voletaient, voletaient…
" Emportez-moi, loin, vers le ciel et les océans… "
Dans le ciel, deux canards blancs sont passés avec dans leur bec, une guirlande de fleurs roses. Tout d'un coup, le vent s'est levé et l'ombrelle s'est envolée comme un hélicoptère. La petite fille a couru pour l'attraper. Elle est arrivée sur un chemin qui serpentait à travers les prés.

Au même instant, une charrette en bois arrivait. C'était l'homme-chocolat qui la conduisait. Tout à coup, une roue a cogné sur une pierre et la charrette s'est renversée. L'homme-chocolat a fini en petits morceaux sur le chemin. La petite fille aux souliers rouges s'est précipitée sur les morceaux éparpillés mais il y en avait tellement qu'elle ne savait pas comment les recoller. Elle s'est mise à pleurer mais pas trop parce que le chocolat commençait à fondre. Elle ne savait pas quoi faire…

C'est alors qu'un " scarabée-mandoline " géant est arrivé…Sa grosse carapace dorée luisait sous le soleil et ses grosses ailes vibraient avec mélodie. Il s'est posé sur le chemin en tanguant doucement. Avec sa voix de cordes pincées, il a demandé à la petite fille ce qui était arrivé. Elle lui a montré l'homme-chocolat éparpillés. Le scarabée-mandoline s'est mis à vrombir sur un air de berceuse, la musique était si délicieuse que les morceaux se sont recollés. L'homme-chocolat qui était de nouveau en pleine forme a remercié la petite fille qui avait pleuré pour lui et le scarabée-mandoline qui l'avait rassemblé. Mais vite, il est remonté sur sa petite charrette et il est reparti. Il n'avait pas le temps d'en dire plus à ses nouveaux amis.


Il leur a juste jeté un papier…Il y avait dessus de belles lettres noires, sûrement écrites avec des pattes de mouches : " Ersk blin far blou couine wam ".
Ni la petite fille, ni le scarabée ne connaissaient cette langue.

"Quelque chose d'important doit se passer. Tout à l'heure, j'ai vu deux canards blancs qui volaient dans le ciel, ils apportaient une guirlande de fleurs dans cette direction…" La petite fille pointait du doigt le ciel, c'était la même direction qu'avait pris l'homme-chocolat avec sa charrette. Alors, elle a sorti de sa poche une petite boussole. L'aiguille était en forme de clef. Elle l'a levé vers le ciel et l'aiguille s'est mise à tourner et tourner pour finir par s'arrêter devant un dessin : une colline.

"C'est la colline aux rêves ! Allons-y !", la petite fille sautait de joie.
" Je ne suis jamais allé, il paraît que c'est très loin ! ", le scarabée-mandoline hochait de la tête en la regardant.
D'un air malin, la petite fille a fouillé dans son autre poche, elle a sorti un petit colimaçon à rayures vertes et rouges. Elle l'a mis dans le creux de sa main et s'est mise dans la direction de la colline aux rêves. Doucement, elle a toqué trois fois sur la coquille du colimaçon. Le petit escargot a sorti sa tête et lentement son cou s'est étiré, allongé vers la colline. Ses petites antennes se sont abaissées l'une après l'autre et d'une petite voix, il a dit :
" C'est à environ 56 342 mètres… "
" Bon, allez, monte sur mon dos, je t'y emmène… ".
Le scarabée-mandoline a fait vibrer ses ailes et s'est envolé avec une douce mélodie dans le ciel. La petite fille aux souliers rouges était assise sur son dos.

Elle était heureuse, elle réalisait enfin son rêve : voler parmi les papillons vert-pommes. La nuit commençait à tomber. Enfin, ils sont arrivés au dessus de la colline aux rêves. D'en haut, quel paysage merveilleux ! Elle était illuminée de milliers de petites lumières bleues.

Le scarabée a essayé de se poser mais le sol se dérobait sous ses pattes : la colline aux rêves était liquide ! Et les milliers de lumières bleues étaient des poissons-bulles lumineux. Le scarabée s'est laissé flotter sur l'eau, la petite fille avait se souliers rouges tout mouillés. Ils se demandaient ce qu'ils allaient pouvoir bien faire ici, tout était tellement calme.

Quand tout à coup, une barque argentée incrustée de diamants est arrivée.

Sur cette barque, il y avait la reine de la colline des rêves. Son visage pâle couleur de lune imposait le respect. Elle les a invitée à venir sur la barque argentée. Lentement, la barque s'est enfoncée dans l'eau bleue et ils sont arrivés devant un palais de cristal. Les poissons-bulles nageaient autour de leurs têtes. Grâce aux pouvoirs magiques de la reine, la petite fille et le scarabée pouvait respirer sous l'eau…C'était la fête dans le château de la colline aux rêves…mais comme une bulle d'eau, il a éclaté car la petite fille s'est réveillée !
 
Ombrelle & Couple d'oies se faisant face
Chariot à petites assiettes (bois)
Mandoline
Partition de musique (oeuvre écrite)
Grosse et vieille clef
Mètre enrouleur (déroulé sur 20cm)
Guirlande de Noël branchée (ampoules bleu, éclairage permanent)
Bouteille d'eau vide (en plastique)
Diadème de princesse (pacotille pour fillette)
Très vieille poupeé de cire (dans une corbeille ajourée)

Objets sans surveillance

de

Claudine VUILLERMET,

auteure invitée

Tableau 1 :
Un petit coin de paradis contre un coin de parapluie,
Il y avait quelque chose de ça.
Un petit coup de bec par ci un petit coup de bec par là
Cahin-caha il était une fois.
Il était une fois une oie, deux oies, trois oies
Quel dommage je préfère les canards !
Cahin-caha, il était une fois deux oies.
Un peu bêtes les oies. Non ?
Incapables d'entrevoir le petit coin de paradis.
C'est bien ce que je disais : un peu bêtes les oies.
Et l'umbrella là.
Si bien colorée. Si bien déposée. Si bien disposée à les accueillir.
Ben non. Décidément non. Incapable de voir. D'entrevoir.
Entre elles. Toutes deux. Un seul cœur pour deux.
Là, Cahin-caha. Il était une fois.

Tableau 2 :
Quoi ? Un Chariot ! Jeté là. Entre les oies et l'umbrella,
Un chariot de bois accidenté. C'est l'accident.
Il était une fois, entre deux oies et une umbrella, un chariot renversé.
La charge roule. Se fracasse. S'immobilise. A leurs pieds à elles. Et elles quoi ? Coites.
Il était une fois un paysage avec oies et umbrella puis un petit chariot de bois.
Perturbateur le chariot.
Mais les oies imperturbables, un cœur pour deux, s'imposent.
Au premier plan du paysage, deux oies s'aiment d'un amour tendre.
Il était une fois deux oies qui s'aimaient, cahin-caha, d'un amour tendre.
Tableau 3 :
Quelques notes de musique.
Le paysage avec oies, umbrella, avec petit chariot fracassé
Décide de refuser à tout jamais la perturbation qui a faillé l'ébranler.
Il accueille cet objet oh combien apaisant !
Le bois chaud de la mandoline force l'histoire.
Le ventre rond. La posture allongée. Le petit chariot n'a plus qu'à bien se tenir.
D'ailleurs son bois s'harmonise avec l'instrument.
Des palets qui gisent au sol, on distingue à présent la musique.
Entre cordes et palets.
Entre mandoline, chariot fracassé et umbrella, il était une fois.
Tableau 4 :
Un petit coin de paradis contre un coin de parapluie
Il y avait quelque chose de ça.
De cette musique pour oies, canards, enfants…
Chanson venue de loin. Chanson d'amour.
Ecrite par un poète moustachu ou un musicien norvégien.
Qu'importe ! Gorille ou Solveig,
Deux oies s'aimaient d'un amour tendre. Cahin-caha.
Dans un paysage entre guitare et umbrella, un coeur pour deux.
Meister für die Jugend…Maestro ! Un cœur pour deux.
Tableau 5 :
Là est la clé.
La clé de tous les mystères.
La clé de ce coin de paradis.
Elle pourrait nous ouvrir la porte du château pardi !
Ou bien telle la clé des champs
Mener nos petites oies vers le grand nord.
Puis vers le cimetière marin par exemple.
Si discrète la clé. Posée là. Tout près. Mais en arrière plan.
Et les deux oies toujours aussi imperturbables. Un cœur pour deux.
Petit ruban bleu en guise de col. Bec à bec. Sésame ouvre toi !
Comme s'il ne s'agissait pas toujours de la même histoire !
Un paysage avec mandoline, umbrella, chariot, partition de musique.
Et puis une clé !
Il était une fois deux oies, qui s'aimaient, cahin-caha. D'un amour tendre. Point.
Tableau 6
Une histoire, c'est réglé. Comme du papier à musique. Comme un mètre.
Ça ne se mesure pas une histoire. Le tableau, lui, on peut le mesurer.
D'ailleurs, un mètre a été placé au cœur du dispositif.
Que dis-je au cœur ? Juste entre les deux oies !
Le seul objet que nos deux protagonistes ne devraient pas ignorer.
Il était une fois deux oies, bec à bec
Deux oies imperturbablement amoureuses.
Et sous leur nez cet instrument de mesure. Cet intrus il faut bien le dire.
Devant mandoline, chariot de bois, umbrella, partition de musique, clé
Devant le cœur pour deux
Il faudrait donc mesurer le tableau
Il était une fois.
Tableau 7 :
Il était une fois, deux fois, trois fois
On ne savait plus vraiment de quelle histoire il s'agissait.
On finissait par oublier
Le petit coin de paradis, de parapluie, de cœur pour deux.
On finissait par oublier
La petite perturbation, les petites notes de musique
Le paysage plateau de théâtre allait prendre un autre aspect.
Un éclairagiste avait œuvré, projetant sa gélatine bleue sur les personnages.
Bleue comme les petits rubans, la lumière nous racontait à nouveau l'histoire.
Elle avait rejeté la clé dans l'ombre. Aucun échappatoire vers l'ailleurs.
Le présent s'imposait à nous :
Bec à bec. Cahin-caha. Deux oies s'aimaient d'un amour tendre.
Tableau 8 :
Soif d'amour. Soif de vie. Soif de présent.
Triste présent dans sa banalité.
Pauvres petites oies !
Adieu les rubans bleus, le coeur pour deux, la mandoline.
On ne mesure plus l'importance des déchets
Dans notre présent électrifié et plastifié. Eau cristalline !
Cet objet énorme dans sa transparence et l'insolite de sa présence
Voudrait nous dire en se nommant qu'il porte encore des traces de rêve.
Mais de rêve il n'y a plus !
Petites bêtes. Bec à bec. Vous feriez bien de vous réveiller.
J'ai toujours préféré les canards mais j'ai pitié de vous. Fuyez !
Avant qu'il ne soit trop tard Avant que votre histoire
Ne soit devenue une histoire des temps passés….Il était une fois
Tableau 9 :
Et on voudrait encore y croire !
Aux histoires de reines, de belles au bois dormant !
Il suffirait d'une couronne,
D'un diadème ou autre signe extérieur de princesse.
Il suffirait d'un objet dans la lumière bleue.
Pauvres petites oies blanches ouvrez les yeux !
Regardez le paysage ! Osez voir le décor !
Le cœur pour deux pourrait bien se perdre au milieu de ce fatras.
Entre bouteille plastique et diadème de petite fille gâtée
Vous continuez à vous bécoter. Imperturbables.
Je vais finir par croire qu'une oie ne mérite pas qu'on lui ouvre les yeux.
Je vais finir par lui dire que décidément
J'ai bien raison de préférer les canards aux oies.
Si canard il y avait eu,
Le paysage aurait, très certainement, été différent.
Entre petit coin de parapluie et mandoline
J'aurais aimé pouvoir vous raconter l'histoire
Mais c'est le paysage qui m'impose cette histoire d'oies blanches.
Il était une fois un paysage avec oies.
Tableau 10 :
Il était une fois. Il est. Il était. Présent. Passé. Passé. Présent.
Pour vous mes petites oies blanches, il n'y a ni présent, ni passé.
Y a t-il un avenir ? Mais là n'est pas la question.
Vous n'avez même pas vu !
Il est vrai
Que vous êtes restées imperturbables à l'intrusion de tant d'objets.
Il est vrai que votre cœur pour deux. ..
Mais tout de même ! Si ancienne ! Si fragile ! Elle est là.
Avec les couleurs du temps. Ce temps qui nous a précédé.
Vous, vous ne connaissez pas la couleur du temps.
Celle qui est inscrite sur les joues de la poupée de cire.
Alors que faites vous sur cette scène ?
Un paysage avec deux oies blanches…
Et voilà que la silhouette de ces volatiles se perd
Dans le fatras du plateau de théâtre
Qui n'était là que pour accueillir la poupée.
Seule à pouvoir nous raconter le temps passé.
Le temps qui passe. Il était un fois une poupée de cire…
Il se pourrait bien que l'histoire ne fasse que commencer.
 
Ombrelle & Couple d'oies se faisant face
Chariot à petites assiettes (bois)
Mandoline
Partition de musique (oeuvre écrite)
Grosse et vieille clef
Mètre enrouleur (déroulé sur 20cm)
Guirlande de Noël branchée (ampoules bleu, éclairage permanent)
Bouteille d'eau vide (en plastique)
Diadème de princesse (pacotille pour fillette)
Très vieille poupeé de cire (dans une corbeille ajourée)

Comme dans "D'art d'art"

de

Marie-Odile GUIGNON

... Je marchais seule, dans le silence gris d'une atmosphère pourtant légère. L'espace, vaste et uniforme, ressemblait au brouillard diaphragme d'un petit matin de mai. J'attendais sa déchirure. Lentement quelques gouttelettes s'échappèrent en perles fines et tombèrent sur l'étang, laissant apparaître deux oiseaux de rêve aux ailes d'or. Face à face, unis en un seul cœur, ils se contemplaient, immobiles, figés par l'instant. Derrière eux, un soleil orangé rayonnait fraîchement, encore ébouriffé par les roseaux du temps. Soudain, la chute d'un OVNI s'élança dans l'eau calme en jetant le trouble avec ses cercles excentriques. Quelle audace ! Faire des ronds d'onde pour se montrer plus important et troubler les songes heureux à l'aube de l'idylle caquetante de deux volatiles.... La brume s'étira comme une écharpe d'opaline laissant découvrir un tronçon d'arbre flottant d'un brun ambré brillant. Une brise musicale se mit à vibrer en plissant la surface courante pour effacer les ondes maléfiques. Je ralentis le pas pour saisir la mélodie. Alors, le soleil se saisit de la partition en imposant son rythme de feu, l'ambiance s'échauffait à la surface du miroir qui semblait pourtant retrouver son calme. Des petites vapeurs s'élevaient en se tordant dans une danse swingué, endiablée, en léchant le noir OVNI et les oiseaux et le tronc flottant : elles composaient avec le vent ! L'air se mit à sourire, une douce tiédeur envahit mes yeux que j'écarquillais pour découvrir un objet synonyme de solution qui se dessinait en arrière de l' OVNI... Égarée, toute raide de bronze , le pied strié, elle portait à son sommet des petits génies et sur ses flans des inscriptions... Sur le devant de la scène un escargot surgit de sa coquille soufrée. Il se dirigeait en droite ligne vers le soleil ! Il allongeait ses cornes comme pour mieux mesurer son espace vital ! La partition retenait son souffle, les oisillons impassibles tournaient seulement un œil.
Personnellement, comme je trouvais la température de plus en plus éclatante l'initiative de ce gastéropode m'épatait !
Subitement la scène se mit à scintiller comme une myriade de lucioles !
Descendus du firmament les diamants de la nuit s'installèrent pour leur repos de la journée, brillants de mille feux bleu azuré à la surface de l'eau ils entremêlaient leurs guirlandes follettes.
Maintenant, une ombre transparente s'intercale entre le soleil et l'escargot, il semble se sentir mieux car de ses boules- yeux jaunes le soleil le toisait un peu trop ! Cela devait l'intimider ? Quoique la transparence ne solutionne pas complètement le problème de rayonnement... Mais elle peut aussi emmagasiner la lumière pour la restituer sous forme d'arc en ciel... Comme un pont... Une liaison... Un passage merveilleux, magique... A l'instant même un arc s'est posé sur les guirlandes mêlées ! Ses spirales argentées sertissent un cœur emprisonné qui flotte dans une cage perlée... Est-ce le reflet de la confusion des oisillons dorés en un peu plus coloré ? Teint de la chair, pulpe des lèvres, bouton de la rose fleur à cueillir dans le frais matin. Au loin dans les roseaux du temps comme moïse sauvé des eaux elle surnage en flottant dans le courant le teint de cire les cheveux de jais nul ne sait si elle s'endort ou s'éveille à la vie... La Belle, symbolique féminine a bouleversé le cœur serti d'argent, le couple se fait tout petit, les becs entrechoqués restent soudés pour toujours ...

Le silence de nouveau se rétablit.
L'atmosphère s'est alourdie.
A l'intérieur du musée, je suis immobile devant la scène éternisée où chacun des éléments, dans les secrets des attentes, interprètent leurs inexistences pour les regards pensifs des visiteurs dubitatifs...
éclairés...contemplatifs ... Il en est ainsi...
 
Ombrelle & Couple d'oies se faisant face
Chariot à petites assiettes (bois)
Mandoline
Partition de musique (oeuvre écrite)
Grosse et vieille clef
Mètre enrouleur (déroulé sur 20cm)
Guirlande de Noël branchée (ampoules bleu, éclairage permanent)
Bouteille d'eau vide (en plastique)
Diadème de princesse (pacotille pour fillette)
Très vieille poupeé de cire (dans une corbeille ajourée)

Sans titre

d'

Aurélie BOCCARA

Petite ombrelle jaune et deux petits canards en bois.
Oh comme c'est joli ces petits canards qui se font des bisous, mais en cachette de leur papa et de leur maman sous l'ombrelle que Tata Anne-Marie-Janine leur a offert. Tous les petits canards n'ont pas cette chance là. En même temps, devoir se cacher, et commencer " à mentir " dans la vie qui débute, c'est comme on dit pas " top ", pas " fun ".
Mais, chacun a droit à son pré carré. Tel un oisillon, petit canard tu es prêt à " t'envoler ", à faire tes premiers pas dans la vie, vers l'amour, vers les choses qui te plaisent et qui te ressemblent. Exprime toi ! Et ne sois pas impressionné par cette ombrelle qui est censée te cacher, te protéger de la vie…
Alors prêt à s'envoler ou à rester gentiment, pauvrement, tristement sous l'ombrelle, tout cela étant plein de symboles.
Range assiettes.
Oh je suis une assiette pas rangée : yes, yes, yes, quelle joie !
Enfin seule, finie de dépendre de X et/ou Y et de s'en aller faire sa vie ailleurs, autrement, avec d'autres, sans se faire réprimander. C'est la fête. De plus, le régime que je ne pouvais physiquement et psychologiquement ni commencer, ni arrêter, ni rien du tout car enfin pouvoir débuter sans qu'on ne donne les tuyaux des autres assiettes qui m'ont soulé et démoralisé et toute ma vie très vite. Jalousie, peur de se retrouver toutes seules. Que sais-je ?
Ah j'oubliais, comment puis-je ? C'est insensé. Egalement, les assiettes, ça valdingue, ça se casse, ça se piétine et ça finit souvent en mille morceaux ! Quelle vie ! Mais cette fois-ci, c'est bien fini. N'est-ce-pas ?

Mandoline.
Oh, toute la musique que j'aime, elle vient de là, elle vient du blues…
Ah, voilà ce que m'exprime cette mandoline, mais je me trompe, ce qui convient à cette chanson c'est tout simplement une guitare acoustique ou électrique.
La mandoline, ce serait plutôt pour endormir Jade, vous savez la petite fille que j'ai ramené du Cambodge avec ma femme Laetitia. On en a parlé dans tous les journaux de France et de Navarre ; vous ne pouvez pas l'avoir oublié. Finalement, c'était quand même super important et ça valait bien un air de mandoline.
Signé Johnny Hallyday

Partition de musique.
Ouh ! Ouh ! Ouh ! Mandoline, comment vas-tu ? Si tu savais depuis combien de temps je voulais te rencontrer pour qu'on joue ensemble.
La Mandoline : oui c'est gentil, mais c'est à dire qu'en ce moment je suis " overbookée " entre les concerts avec Johnny et une participation à un atelier d'écriture samedi en 10, je ne peux plus. On m'en demande trop. J'ai besoin de souffler. Mais attention, elle est très belle ta partition , une des plus belles que j'ai connue.
De plus : une partition, ça me fait penser à une danse, une danse virevoltante de notes de musique. En jouant ces notes, elles s'affolent, elles s'enfuient, elles font leur numéro : jouer de la plus belle et de la plus poignante des façons. Grande et Ancienne
Grande et ancienne clef.
Oh la clef, je ne vous ferai pas l'affront de parler de la clef du paradis, mais bon ça y est c'est fait.
Résumons : qui dit clef dit forcément ouverture et fermeture d'un lieu, d'un objet, d'une personne…ou autre.
Ca veut aussi dire : apitoiement, dépit et/ou émerveillement.
Ca veut aussi dire : bonheur, malheur, et on peut continuer la liste ainsi, en oubliant finalement qu'au début on parlait d'une clef.
La clef qui semble lourde et ancienne cache bien des souvenirs, les souvenirs de nos ancêtres, mais également nos souvenirs actuels, tels la clef USB (moins lourde celle-ci). Eh oui, les époques changent mais les mots restent (presque) les mêmes !!!!
N'est-ce-pas ?
Un mètre enrouleur.
Ca veut dire tant de choses : enrouleur de la vie (qui passe), de nos peines de nos soucis de nos joies.
Globalement, on peut espérer quez le mètre enroule les mauvaises choses et déroule, offre à la vie les meilleures choses pour l'offre à tout un chacun.
Un mètre enrouleur, cela fait aussi référence aux travaux qu'on peut effectuer dans une maison par exemple et dans ce cas-ci le mètre est fondamental. Sans lui, rien n'est possible et s'il n'est pas fiable, la maison risque de s'écrouler.
Guirlande électrique bleue. Vive Noël : Jingle Bells, Jingle Bells. Bon la suite, je ne la connais pas.
La guirlande avec les canards dans la mare : elle risque de faire un super court circuit et ce ne sont pas les canards du hameau de Claude François qui me contrediront. Quelle idée aussi !
Heureusement que la mandoline trône aussi et qu'à ses côtés la guirlande fait moins tâche.
Bouteille en plastique.
Ah, que de choses à dire sur une bouteille en plastique ; une bouteille en verre, légèrement, ou même plus pleinement aromatisée d'un quelconque alcool cela aurait beaucoup plus intéressé tout un chacun bien sûr.
Sinon, j'ai peut-être l'esprit tordu, mais quand je " scrute " une bouteille en plastique, j'ai l'impression de voir le corps d'un être humain : une taille marquée, des hanches fines, une tête qui veille sur tout ce petit monde.
Par ailleurs, une bouteille en plastique vide n'a souvent pas grand intérêt, mais en la coupant en son milieu, cela peut servir de vase à défaut d'un vrai.
Fascinant non !

Diadème d'enfant avec un cœur rose en son milieu.
On avait pas encore parlé d'enfants. Ca y est !!!!
Serait-il dangereux de parler d'enfants dans les ateliers d'écriture de Régis Moulu ? Non, je plaisante. Simplement, voir ce diadème prêt à prendre un coup de jus avec la guirlande électrique et en même temps voir que ces deux canards symbolisent plus l'amour que ce diadème avec un cœur rose, c'est un peu triste.

Poupée de Cire.
Bon, j'espère que je serai la seule " à le faire " : allez !
Je suis une poupée de cire, une poupée de son….
Je rend hommage à une chanson alors que devant nous il y a plusieurs années d'histoire. Une telle poupée, elle en a traversé des choses ; belles, violentes, rigoureuses, superbes…
Mais n'oublions pas qu'une poupée à la base c'est un jouet pour une petite fille, même si aujourd'hui les garçons empruntent les poupées de leurs petites sœurs. Surprenant non ! Mais là nous avons affaire à une poupée d'époque. Tel un objet qui a une grande valeur, elle trône et on ne peut pas jouer avec elle comme avec une vulgaire poupée Barbie
 
Ombrelle & Couple d'oies se faisant face
Chariot à petites assiettes (bois)
Mandoline
Partition de musique (oeuvre écrite)
Grosse et vieille clef
Mètre enrouleur (déroulé sur 20cm)
Guirlande de Noël branchée (ampoules bleu, éclairage permanent)
Bouteille d'eau vide (en plastique)
Diadème de princesse (pacotille pour fillette)
Très vieille poupeé de cire (dans une corbeille ajourée)

Culte de l'objet

de

Janine NOWAK

En voici deux qui s'aiment. Sont-ils charmants ! S'ils étaient des humains, on décrèterait qu'ils sont jeunes, qu'ils sont beaux, heureux, insouciants, qu'ils ont vingt ans. Vingt ans, est-ce réellement le plus bel âge ? Peut-on même laisser dire que vingt ans est le plus bel âge ? En vertu de quoi ? Encore une idée reçue !
Bref, voilà un couple parfait, lisse, sans histoire. Comme portés par un nuage, ils traversent l'espace et le temps, se croient seuls dans l'univers. Illusion ! Ils l'ignorent - ou s'efforcent de l'oublier - mais ils font partie d'un ensemble. Ah ! La fameuse théorie des ensembles chère à nos mathématiciens ! Or, seul, on ne l'est jamais vraiment, hélas ! Ce serait trop beau ! Ainsi donc, les petits amoureux paraissent cheminer vers un havre de paix matérialisé par une sorte d'ombrelle, sous laquelle ils espèrent pudiquement, à l'abri des regards, cacher leurs baisers.
" Un p'tit coin d'parapluie,
Contre un coin d'paradis,
Elle avait quelque chose, d'un ange "
Ah l'amour, toujours l'amour !
Alors que nos deux amants étaient sur le point d'atteindre leur nirvana - " le p'tit coin d'parapluie " - vient, inévitablement, s'interposer entre eux, le gêneur, le fâcheux, " l'empêcheur de s'aimer en rond " qui, brusquement, déverse un chargement d'assiettes. Le charme est rompu. C'est toujours ainsi : pas moyen d'être tranquille !

Cependant, nos deux tourtereaux restent de marbre, figés, stoïques. Fatalistes. Là est d'ailleurs leur force : ils essaient - mentalement - de s'extraire, d'oublier les contraintes extérieures et les vicissitudes de l'existence. Et c'est alors que le miracle se produit : est-ce un baladin étourdi ? Est-ce un ménestrel distrait ? Est-ce un ange invisible ? Toujours est-il, qu'arrivant on ne sait d'où, une mandoline apparait soudain. D'un seul coup, le soleil semble briller de nouveau pour le gentil couple.
Un philosophe a décrété (était-ce Azaïs ?) que nous avons - à quantité égale - chance et malchance dans nos vies. Plus prosaïquement, un dicton populaire affirme " qu'après la pluie vient le beau temps ". Quoiqu'il en soit, le présence de ce bel instrument, rend le sourire à nos deux personnages.

Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, une musique céleste se fait entendre. Des notes s'élèvent, s'envolent, surgies de nulle part. On dirait qu'elles s'évaporent d'une partition. C'est magique, irréel, surnaturel…
Quelle est la clef de ce mystère ? Après tout, pourquoi chercher à comprendre ? Rester dans l'ignorance est plus subtil, plus délicat… et permet à l'esprit de s'évader vers un monde abstrait, onirique. Il n'est pas nécessaire d'ouvrir la boîte de Pandore. Il est même parfois dangereux de souhaiter à tout prix, " savoir ce qui se cache dans le placard ". La femme de Barbe Bleue a failli l'apprendre à ses dépens.
Non, non. Laissons le rêve suivre son cours. Savourons l'envoûtement. C'est une source de plaisirs innombrables ? Tant mieux ! Le bien-être ne se quantifie pas comme on achète au mètre un coupon de tissu.
Pourquoi vouloir toujours chronométrer, calibrer, juger, jauger, peser, soupeser, estimer ? Un peu de fantaisie, que diable !
A ce qu'il parait, la nature a horreur du vide. Il est vrai que les creux ne tardent pas à se remplir et que finalement, les choses se mettent en place toutes seules. Curieusement, elles se complètent bien, ces choses ; elles s'emboîtent, s'accordent : les formes concaves et convexes s'épousent pour ne devenir bientôt plus qu'un seul élément. Alors, à quoi bon se torturer l'esprit et toujours " prendre les mesures qui s'imposent " ?
Le temps passe. Le jour décline. Cette heure, " entre chien et loup ", fait naître une bienheureuse langueur. L'air est plus vif, plus pur. Ce qui nous entoure se nimbe d'une lumière bleutée apportant une douceur nouvelle, gommant les angles, créant une sorte de patine, un lustre ancien qui modifie les aspects.
Tout est calme, paisible. La bonne entente semble régner désormais. Hétéroclite ne veut pas dire anarchique. Quelques fois, entre des êtres ou des choses pourtant dissemblables, une bienheureuse harmonie coexiste.
" Vivre d'amour et d'eau fraîche ! ". C'est ce dont on rêve quand tous les espoirs sont permis, quand - en fait - on n'a pas trop le choix étant donné que " la bourse est plate " lorsque l'on a vingt ans (nous y revoilà…). Mais l'heure tourne vite. On prend de l'âge, on acquiert de l'expérience. Le compte en banque s'arrondit… le ventre aussi. Et le " Château Margaux " succède au " Château-la-Pompe " ! Bref : on s'EMBOURGEOISE ! Et " les Bourgeois, c'est comme les cochons, plus ça devient vieux… " etc.
Qu'est-ce qui compte le plus, en ce bas monde, en définitive ? Quel est le couronnement d'une existence ? Les avis différent à ce sujet. Une coquette rêvera d'être un jour " Miss Quelque chose ", afin de poser dans des magazines, un diadème sur la tête. Un ambitieux ne verra son bonheur que dans une réussite professionnelle, donc matérielle. Heureusement, l'amour sera, pour la plupart d'entre nous, la consécration suprême, l'épanouissement total.
Et ensuite ? Et après ? Rien. Le néant. La mort.
Nous ne serons plus que de pauvres jouets de chiffon, inertes, aux masques figés, jaunâtres, telles les poupées de cire du XIXème Siècle.
Alors pourquoi s'agiter autant, se débattre, s'énerver, s'exciter, hurler ? Mais pour VIVRE ! Pour survivre, tout bêtement. Pour s'étourdir et tout faire afin de tenter d'oublier momentanément l'échéance inévitable.
L'avantage des objets inanimés (au fait, ont-ils une âme ?) sur les humains, est que, la durée de vie de bon nombre d'entre eux peut être éternelle. Bien sûr, ils s'abiment, se cassent, sont jetés… mais ensuite, fabriqués de nouveau à l'identique, tout recommence pour eux indéfiniment. C'est une renaissance qui leur est offerte.
Chez l'humain ? QUE NENNI !
Mais si, me répondra-t-on sur un ton excédé. Et Molière ? Et Mozart ? Des siècles plus tard, on en parle encore ! ALORS !!!
Alors ? Mais eux, ils sont morts. Leur enveloppe charnelle a disparu, s'est volatilisée. Molière, enterré comme un chien, de nuit, en catimini. Mozart, jeté à la sauvette dans une fosse commune, n'a même pas une sépulture sur laquelle ses admirateurs peuvent se recueillir.
Ce qui reste d'eux ? C'est leur esprit ! Cette " chose " pourtant impalpable, se retrouve dans leurs œuvres, donc… dans… des livres… des partitions… donc… des OBJETS !
Alors oui, après tout, les objets inanimés ont peut-être bien une âme !
 
Ombrelle & Couple d'oies se faisant face
Chariot à petites assiettes (bois)
Mandoline
Partition de musique (oeuvre écrite)
Grosse et vieille clef
Mètre enrouleur (déroulé sur 20cm)
Guirlande de Noël branchée (ampoules bleu, éclairage permanent)
Bouteille d'eau vide (en plastique)
Diadème de princesse (pacotille pour fillette)
Très vieille poupeé de cire (dans une corbeille ajourée)

Kibboutz jaune

de

Janine BERNARD

Sortir du désert et atteindre le sommet jaune, tout au fond de l'horizon.
A cette minute, c'est tout ce qui comptait. Là, ils pourraient ralentir mais pas avant.
La marche forcée avait creusé leurs joues d'ordinaire si rouges. Plus de cœur palpitant, plus de corset insouciant sous le ciel bleu.
La fatigue les avait réduits à ce beige, qui virait au bi, un horrible caca d'oie pour certains. Et si on avait pu lire dans le miroir de leurs yeux, c'est le safran, zébré de rouge et de vert qui aurait éclairé le paysage.

Car le chaos était total. Comment avancer dans ce tumulte, ce bouleversement qui faisait grossir la foule du petit peuple en flots désordonnés ?
Ils arrivaient de tous les horizons avec, au loin, ce pic jaune qui écrasait tout et tous.
Ruines encore fumantes. Un petit traînait un chapelet d'emballage bien plus grand que lui. A quoi lui servirait-il ? Une ribambelle de coquilles vides. Des milliers de vie, de gestes, réduits à néant en une seconde. Depuis, rien d'importait plus que marcher droit devant, le plus vite possible.
La colline tout au loin étincelait comme au temps d'avant, du temps des cœurs tout chauds et haletants. Du temps des bonheurs partagés. Des baisers complices et cachés, des câlins de pieds l'un sur l'autre, caressés.
Les pépins étaient arrivés les uns après les autres et les galeries s'étaient écroulées, les unes après les autres. Alors, comment survivre ? Sinon tout droit, en escaladant étage après galeries jusqu'à émerger au soleil brûlant dans le désert de sable blanc.

D'abord il y avait eu ce grondement suivi de cris perçants entrecoupés d'un son bizarre qui couinait dans les oreilles. Ce n'était pas la première fois que Mando et Line venaient batifoler dans le bocage ; mais leurs visées, au demeurant d'ordinaire si pacifiques, s'étaient muées en objectif féroce ce matin là : raser la fourmilière.
Et le bruit s'était transformé en sirène hurlante, en cris de joie, dans la cavalcade muette des milliers de vies qui s'enfuyaient en silence.
Mando et Line avaient rentré leurs bâtons au sous-sol, bien au fond, et tourné, tourné, en chantant la mélodie satanique.
Alerte ! Débâcle ! Sauve qui peut ! Surtout les petits blancs ! Alerte, les œufs !
Chacun avait attrapé sa chacune, sa provision, son œuf, ses pattes, son transistor sur antenne, et maintenant avançait vers l'Eldorado de Safran. Le chemin était tout tracé et au fur et à mesure de la progression du petit peuple, les accès à la colline se profilaient plus précis.
Ici un chemin, là, une rampe d'accès, si haute, mais présente. Possible.
Mando et Line tournoyaient encore autour de leur totem détruit, que le petit peuple, lui, avait déjà pris la clé des champs.
Il faudrait tout reconstruire sans Dieu ni maître. Creuser, saliver, consolider, porter, baver, sécher, colmater, galerie après galerie, conduit après conduit, ruelle après ruelle, jusqu'à l'inauguration d'une nouvelle ville, d'une nouvelle colonie.
Mesurer le temps en occupant le terrain.
Le petit peuple mettait du champ, des milliers de petites pa ttes les unes derrière les autres vers la nouvelle colonie. Avaler un brin par ci, un brin par là, mâcher une brindille sèche à défaut de petit ver, et avancer, coude à coude, petit pas après petit effort. Et survivre, survivre !
Aïe ! Ouille ! Une jeune rouge piétine une vieille noire tombée à terre.
Le petit peuple déroule sa vie et ses morts comme les blanches et les noires sur la portée de Vie du Maître de l'Univers.
Une note n'a que peu d'importance. Seule compte l'œuvre finale.
Mazurka, Ode, Requiem ou Symphonie. Ainsi se reconstruira la nouvelle colonie au sommet de la colline jaune. C'est le seul but de la transhumance ambiante. D'abord l'indescriptible et pas à pas, au final, des colonnes de plus en plus disciplinées.
Car le chemin de la colline est pavée de nouvelles résolutions et de projets plus attrayants les uns que les autres.
Se refaire une petite alvéole bien confortable avec un hamac de soie pour les rares nuits de repos.
Installer des lucioles réverbères pour retrouver son chemin dans les galeries à construire.
Investir dans des vigies bien nourries, capables de détecter d'autres Mandos et d'autres Lines toujours en quête de malheurs pour le petit peuple.
Chacun des marcheurs et marcheuses tendus vers le but, trottine, fourmillant de projets et d'innovation.
Mais ? D'une colonne lointaine s'élève une voix cristalline.
La Reine chante pour la première fois depuis le carnage et le petit peuple sourit. La Reine est donc bien vivante ! Baignée, portée et rafraîchit par ses servantes, sa litière est inondée de vivas et de hourras.
A défaut d'être entendue, la nouvelle se propage d'antennes en antennes, de cohortes en petits groupes. La Reine chante, le petit peuple respire.
Dans son ventre encore gros, l'avenir survivra jusqu'au nouveau kibboutz de safran.
Ne pas ralentir. Même si les cœurs émergent lentement de la frayeur.
- Tu l'as vue ?
- Où est-elle ?
- Devant !
- Non, derrière !
Peu importe. Elle est là. Quelque part dans les milliers de pattes. Et le temps semble se figer sur le défilé.
Qui creusera le nouveau palais de Madame ? Qui lui donnera son cœur à dévorer ? Le petit peuple fuit le désastre mais transporte ses rituels, ses orgies, ses rites cannibales et ses mises à mort en miroir de ses naissances. Une reine chasse l'autre sans pitié. Pour un œuf mal léché, pour un bain mal préparé, elle croque l'un, l'une ou l'autre. La jeune reine mastiquera la vieille déchue sans une once de remord. Ainsi vont les traditions du petit peuple.
Blanche Reine- Reine blanche. L'un ou l'autre de ces noms sera attribué à la grosse dévoreuse qui trônera au cœur de la colline jaune.
On la porte en chaise à porteur. 1820 petits porteurs anonymes la propulsent patte après patte, lentement, à bout de mandibules dans un chariot de branchages.
Son teint mat, olivé, aussi safrané que la colline au loin, inaugure déjà de la couleur à venir qui prédominera dans la nouvelle colonie.
Et c'est ainsi que, récemment, on a pu lire dans la revue scientifique spécialisée " Sous nos décharges ", l'article suivant :
" Découverte d'une nouvelle race de fourmis jusqu'à ce jour inconnue, car de couleur jaune safran, installée dans une colline de colza, elle même laissée en friche suite aux grands bouleversements climatiques.
Le colza avait recouvert le bric-à-brac baroque abandonné comme trop souvent, dans les années précédentes.

A quand la fourmi bleue, ou verte ? Des décharges anciennes sont en fouilles dans les collines environnantes. Le phénomène surprend pourtant les spécialistes et la communauté scientifique s'interroge.

Monsieur Mando et Madame Line, son épouse, aujourd'hui âgés de plus de cent vingt années et propriétaires du terrain, protestent vivement contre les nuisances occasionnées par ces fouilles sur un coin de terre peuplés de leurs souvenirs les plus précieux. Ils demandent d'ores et déjà, réparations. A suivre ! "


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Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur.
Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !

 

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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