SAMEDI 7 octobre 2017
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Les ingrédients d'une bonne histoire"

Animation : Régis MOULU

Thème : construire un personnage à fort potentiel

Souvent, un récit qui commence nous happe par la présentation de son héros (ou anti-héros si on veut être comique ou pathétique). Il va faire office de fil rouge. L'enrichir alors de mille atouts ou limites peut s'avérer complexe, et de tels plis sont passionnants, infinis et beaux comme des promesses ! Aussi c'est ce que nous avons investi au cours de notre séance...

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : Moi et toutes ces petites voix intérieures et toutes ces idées qui me pétrissent !
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support déclinant tout ce que la construction d'un personnage suppose a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Elle n'entend plus rien..." de Janine BURGAT

- "Séance de relaxation" de Nadine CHEVALLIER

- "Germaine" de Caroline DALMASSO

- "Aleen" d'Ella KOZèS

- "Mézigue" de Janine NOWAK

- "Tendeurs et tendresse" de Régis MOULU



"Elle n'entend plus rien..." de Janine BURGAT


Elle n'entend plus rien. Elle aurait dû prendre sa montre. La monstruosité de ce qu'elle vit ce matin est grotesque par rapport à la taille de sa petite montre. Pourtant le temps est important car compté. Accroupie sous la fenêtre, elle écoute. Ce n'est pas vraiment le silence. Non. Plutôt un murmure épais au dehors. Comme assourdi par sa propre peur. Ca lui vient de l'enfance. Un bruit fort l'a toujours fait sursauter en maintes occasions. Peut-être dans une vie précédente ?, Vivait on plusieurs vies ? se demandait elle souvent. Il a fallu cette folie de la nature au petit matin pour qu'elle s'écroule sous la fenêtre attrapant le velours des rideaux d'un coup sec en s'enroulant dedans. La peur nous fait faire de ces gestes, se dit-elle. Elle lève la tête. L'obscurité ne s'est pas éclaircie. Les roulements sourds s'estompent. Quelle honte ! Que diraient les autres en la voyant ? Un nuage se bagarre avec un autre sur le ring de la nature et la voilà qui se bouche les oreilles, elle que l'orage a toujours fascinée. Quel âge avait-elle à son premier orage ? Sa mère disait : tu avais quatre ans.A chaque éclair, tu frappais dans tes mains". On le lui avait raconté. Elle ne se souvenait plus de rien, sauf cette boule sautant sur la peur d'abord, puis explosant dans l'excitation qui s'ensuivait. Et le contact rassurant de la fenêtre qui protègeait. Depuis, dès qu'un soupçon de tonnerre lui parvient, où qu'elle soit, il faut qu'elle regarde. "Tiens, il pleut", dit elle parfois le nez contre la vitre. Mais, au fond, elle espère toujours l'impétueux orage, le fort, celui qui la transporte et la fascine encore. Pourquoi ce matin, cette tempête l'a cueillie à froid ? Elle se réveillait. Il aurait juste fallu se couvrir un peu, enfiler ses clapettes et regarder par la fenêtre pour évaluer la force de l'engin, écouter rugir la bête et sentir la maison se faire gifler à tour de nuage. Pourquoi cette course folle ? Pieds nus jusqu'à la grande fenêtre du salon. Que craignait elle ? Elle a soif. Retraverser et avancer jusqu'au point d'eau. Ou jusqu'à la buanderie et son stock de bouteilles en tout genre. Sa peur est une jauge qui se vide. Bon Dieu ! Aurélie Bouchard t'en as déjà vu des orages ! Respire fort et fonce au moins jusqu'à la porte. Elle qui marche tous les jours des milliers de pas comme le lui a conseillé le Docteur Michel, n'arriverait pas jusqu'à la cuisine ? Elle se lève. Elle pince ses joues histoire de sentir une douleur. "A votre âge, Madame Bouchard, lui a dit dernièrement le docteur Michel, quand on souffre c'est qu'on est encore vivant !" Le docteur Michel est le spécialiste des boutades. Elle écoute son coeur. Il bat, moins fort mais il bat. Elle sent d'un coup, le froid sur ses pieds. Le velours dans sa main est moite. Sa main est sèche. Elle frissonne. Le velours est trop lourd pour marcher. Que dira le voisinage si elle s'écroule ? "La vieille a clamsé de trouille, diront les gosses du voisin en rigolant, un orage l'a emportée, bon débarras." S'ils m'avaient vu frapper des mains à mon premier orage ! La famille en était restée bouche bée. La petite grandissait et personne ne savait encore comment elle allait tourner. Une gaillarde ? Une peureuse ? Une battante ? Une soumise ? Allez savoir avec les pisseuses ! Son excitation, ce jour là, face aux éléments déchainés semblait augurer d'un tempérament. Lequel ? La famille l'avait remarquée. A cette époque là on ne remarquerait pas les enfants. Ils poussaient comme les mauvaises herbes, seuls souvent, mais en totale liberté. Que diraient ils aujourd'hui de la voir emmitouflée dans ses rideaux alors que le silence retombait doucement. Elle va ramasser sa peur comme elle ramasse les orties du jardin. Sous le bras, bien calés. Elle doit remettre son esprit bien droit comme ses jambes, jusqu'à la porte. Un pas, deux, elle accélère. La porte, l'escalier. Un éclair zèbre le couloir, un roulement dehors, roule au loin dans sa foulée.Une porte l'attend et lui offre le lavabo qui occupe déjà ses mains. L'eau goutte dans sa bouche. Le robinet devrait couler à flots. L'orage amène l'eau et ne la suspend pas. En principe. Mais ce matin les principes ne tiennent plus. On lui a souvent dit : "Toi, alors ! Avec tes principes ! Lâche toi un peu !" Ce matin elle s'est lâchée mais dans le sens inverse. Son plaisir d'enfant devant l'orage a tourné au vinaigre acide et amer. Pourquoi faut il aujourd'hui, qu'elle voit toujours le drame au moindre évènement ? La bourasque du monde qui lui parvient ne lui apporte que des drames. Pour trouver un semblant de sens au monde, il lui faut aller, de plus en plus souvent, devant ses radis, ses choux, ses poireaux. Un petit rayon de soleil sur le ver de terre qui ondule en voilà un théâtre du monde. Une coccinelle sur une feuille, son envol, quelle respiration du monde !Alors un orage, c'est naturel. Qu'est-ce qui t'arrive mon Aurélie, lui renvoie la glace qui la dévisage soudainement. Mets donc tes yeux droits, remonte tes sourcils comme quand tu te fais belle. Tu ne t'es jamais vraiment aimée, l'essentiel était que les autres t'aiment. T'aimeraient ils à cet instant, alors que ton visage n'est qu'un chiffon infâme ? Mets quelque chose sur ton dos, tu vas attraper la mort. Le couloir est sombre. Elle respire. La chambre est baignée d'une lumière grise. Elle attrape sa pelise usagée. Elle enfile ses clapettes qui l'attendent sagement sur la descente de lit poussiéreuse, comme elle. Elle tire le rideau. Des nuages froids combattent au loin, de gros nimbus blancs et propres. Elle entrouvre la fenêtre et passe son nez dans la mince ouverture. L'air entre dans sa gorge filtrant la peur à chaque inspiration. Une pensée l'effleure. Sa tasse de café. Sa préférée, celle qui lui remet ses genoux douloureux d'aplomb et qui lui dicte sa journée. Le café c'est le ciel de traîne après la tempête. Elle va se faire un bon café.

 

"Séance de relaxation" de Nadine CHEVALLIER


D'une voix douce, Francis, le coach, annonçait un moment de relaxation. « - Allongez-vous sur votre tapis, les bras le long du corps, détendus. Nous allons prendre conscience de notre respiration ... » Pauline avait obéi, ses longues jambes dépassaient de son tapis de sol, elle sentait sous ses talons nus le froid du carrelage. Çà commence bien, se dit-elle, je vais attraper un rhume. Elle s'obligea à lâcher cette pensée pour écouter les consignes. « -Prenez conscience de votre souffle, l'air qui entre dans votre corps, le ventre qui se gonfle » Elle sentit l'air frais entrer dans ses narines et descendre dans sa gorge. Son ventre se souleva, entraînant son esprit vers un ciel où passaient des choux fleurs de nuages. Il avait fait si beau cette semaine de vacances, les marches dans la forêt avec Pierre l'avaient revigorée. Il faudrait qu'elle pratique plus souvent cet exercice simple. Du reste, c'était recommandé . A son âge, il ne faut pas se laisser aller à l'inaction, encore quelques années avant la retraite, elle était mince et encore assez souple… Elle reprit conscience de la voix de Francis qui demandait : « - Faites descendre votre attention sur votre pied gauche, ressentez-le de l'intérieur... » Son talon gauche lui semblait un bloc de glace, elle remua les orteils pour se persuader que c'était encore vivant là-bas. Francis poursuivait : « - Sans bouger votre pied, prenez juste conscience de ce qui se passe à cet endroit particulier de votre corps, ne cherchez pas à modifier quoi que ce soit. » Pauline se sentit toute bête. Il a du voir bouger mes orteils, se dit-elle. Dans un effort de concentration, elle ressentit bien sa jambe gauche, son genou gauche, sa cuisse gauche. On arriva au pied droit. Son esprit s'égara. J'ai vraiment froid aux pieds, il me faut des chaussettes de laine la prochaine fois. Une vision du parking du centre commercial bondé lui fit frémir l'esprit. Et un ou deux pulls, quelle galère…  La voix de Francis la ramena au présent : « - Laissez aller votre cuisse droite, prenez maintenant conscience de votre bassin. » Le bassin ? Zut, j'ai loupé toute la jambe droite, me voilà unijambiste. Dis donc ma vieille, applique-toi un peu ! Elle suivit les indications sentant tour à tour son dos, son ventre, sa poitrine, son cœur qui battait, se permettant à cet instant un éclair étonnement, ça alors, il bat tout le temps et on n'y prend même pas garde. Puis on passa aux membres supérieurs, les doigts, les mains. La sensation des doigts fit affluer de nouveau des pensées parasites. Ne pas oublier le vernis à ongles pour ma belle-mère le mois prochain, ce n'est pas Pierre qui va s'en charger. Je n'aime pas ça ! C'est elle qui a donné ce goût à ma fille et maintenant à Lili-Rose, trois générations sur quatre de vernis à ongles dans la famille. Bon, je vais être obligée d'y aller au centre commercial, pas moyen d'y couper… Oh, je suis encore ailleurs...  Elle revint à la séance de relaxation. Pas très relaxée, se dit-elle. On en était au visage. J'en ai encore loupé, je ne suis pas dans le coup vraiment ! Francis imperturbablement poursuivait ce scan corporel : « -Ressentez-bien votre mâchoire, les joues, le nez... » Pauline se força à détendre sa mâchoire qu'elle sentait crispée,. Elle se vit sourire en pensant à son nez qu'elle trouvait trop gros, se demanda si on pouvait ressentir le bleu des yeux de l'intérieur ? Ceux qui ont les yeux verts les sentent-ils différemment ? Son front était front … froncé. Fronçait-elle les sourcils à cet instant ? Francis insistait : «  Ressentez tout votre visage de l'intérieur, relâchez les tensions dont notre front est souvent la victime » Puis il parvint à l'ensemble de la tête. Il fallait respirer avec le haut de son crâne. Pauline s'y appliqua au mieux et trouva l'exercice plaisant. On revint à la respiration, une main sur l'abdomen. On se remit à bouger doucement. Pauline découvrit qu'elle n'avait plus froid aux pieds et s'en félicita. On reprit tranquillement la position assise. Quand Francis proposa à chacun de donner son ressenti sur la séance, elle osa prendre la parole la première : « - J'ai eu beaucoup de mal à me concentrer lors de cet exercice, mon esprit s'en allait toujours ailleurs » Elle vit les autres participants qu'elle ne connaissait pas encore, hocher la tête en accord avec elle. Elle en fut réconfortée et Francis les rassura  tous : « - L'important était de prendre conscience de ce fait et de revenir chaque fois à l'exercice. » En quittant le gymnase où avaient lieu les ateliers, Pauline doutait de pouvoir un jour devenir un maître Zen, Pierre pourrait longtemps encore se moquer d'elle en l'appelant « Maître Yoda »

 

 

"Germaine" de Caroline DALMASSO

« Y a quéqu’chose qui pue ici! C’est pas vrai c’t’odeur, un clébard qu’a crevé qu’on dirait. Faut que j’t’ouvre c’te f’nêtre et pas plus tard qu’tout d’suite ou c’est tous qu’on y passe à respirer c’t’air là! » Germaine s’avance dans la cuisine et se dirige vers la f’nêtre en s’pinçant le nez. Lent’ment, comme d’habitude. C’est qu’elle est pas pressée Germaine, jamais. Faut dire qu’à son âge et avec tous les kilos qu’elle s’trimballe… Et puis y a ses rhumatismes aussi: « J’ai les charnières qui grincent qu’elle dit, c’est sûr qu’là d’dans c’est tout rouillé comme un vieux clou ». Pour sûr, jouer les lièvres c’est fini pour elle, c’est plutôt la tortue qu’elle taquine… Remarque la Germaine, ça a jamais été une rapide. Quand elle était p’tiote déjà, elle rêvassait tout l’temps. Et ça arrivait en retard à l’école, et ça arrivait en retard pour les vaches à traire, et ça arrivait en retard pour la soupe et même à confesse. Et que ça la gênait même pas. C’est M’sieur l’curé qui savait plus quoi faire. C’est qu’elle était pas mauvaise fille la Germaine, un peu simplette qu’on disait au village. Elle passait p’t’être ben un peu trop d’temps toute seule. A sentir les fleurs, à dormir dans les blés, à caresser les pierres et à parler au vent. Et quand elle pensait à rentrer à la ferme, c’était toute crottée qu’elle était, les pieds nus et les ch’veux en bataille, tout plein d’brins d’herbe qu’on aurait dit un épouvantail. Ah ça, elle s’en ai prises des raclées la Germaine. C’est vrai qu’son vieux c’était pas un tendre. Et puis ça l’énervait d’la voir débarquer d’nulle part avec son air heureux. Lui, c’était d’une besogneuse qu’il avait b’soin, pour les champs et les bêtes et la soupe aussi. Et puis, une rêveuse sauvageonne ça s’ra dur à marier qu’il disait. C’est qu’il pensait à quand il s’ra mort un jour et qui r’prendra la ferme. Germaine, c’était sa seule descendance et dans c’temps là, c’était surtout du tracas et d’la colère qu’elle lui causait. Et pourtant, Germaine, elle était belle. Pas belle comme une poupée parfaite avec des boucles bien sages, un p’tit nez pointu et une jolie robe bien lisse. Non. Germaine, elle était belle comme le jour et comme la nuit, comme une rivière qui coule, comme un oiseau qui chante. Belle comme un coucher d’soleil en hiver et une aurore au printemps. Avec ses yeux malicieux, ses joues roses et son rire espiègle, elle était belle mais p’t’être ben qu’elle le savait pas. « Ah Bou Diou, c’est l’camembert! C’est pas vrai! Mais qui qui l’a laissé couler comme ça sur l’buffet? C’est l’Mimile c’est sûr! A rien qui pense c’gros là, jamais! Si, s’remplir la panse et s’mette des godets dans l’cornet et pis cuver sa vinasse dans la crasse… Et qui qui fait tout ici? L’a qu’à cuver, moins que j’le vois, mieux que j’me porte. c’est y pas possible un bon à rien pareil. Ah j’te jure, c’est pas une vie… »

 

"Aleen" d'Ella KOZèS


Je vous ne vous ai pas parlé de mon amie Aleen. Pour vous la présenter, inutile de vous dire sa profession. Cela ne vous avancerait à rien. Vous la décrire comme blonde ou brune, grande ou petite, mince ou potelée, n’apporterait rien non plus. En vérité, Aleen est une joueuse de mots. Son âge ? Comment vous dire ? Elle n’en a pas. Parmi tous les avoirs que le temps nous attribue, elle a décidé de laisser de côté ce marqueur temporel qui change à chaque seconde. En effet, pourquoi s’encombrer d’une vérité qui ment comme elle respire ? D’abord, vous n’avez jamais l’âge que vous annoncez. Oui, oui… soyons précis, il vous manque des jours, des heures ou des secondes. Oh, loin de moi l’idée de dire que vous mentez ! Vous indiquez avoir tel âge ; et, hop, pas le temps de respirer, que déjà votre affirmation présente devient du passé. De quoi se fâcher par tous les temps. Ah ces conjugaisons qui doivent s’accorder comme un couple infernal ! Jamais l’un sans l’autre. Vous rendez-vous compte de leur enfer ? Ne pas se quitter revient à ne plus pouvoir être quittes. L’autre, le même, toujours face à soi. Cet autre qui vous renvoie aux temps qui vous ravagent ; à moins que ce ne soit autant qu’il vous ravage ! Pourtant, l’imparfait se connait bien ; il ne demande qu’à vivre seul pour ne pas pénaliser son complément obligé, le passé simple. Notez que ce dernier lui doit tout simplement son parcours existentiel. Sans imparfait, ou serait le passé simple d’aujourd’hui ? Ce sont les imparfaits qui mènent le monde présentement. La preuve : le parfait n’a pas de temps, ou n’est plus de mode. Et ce qui ne prend pas le temps d’être… ne peut exister. Etre ou ne pas être après avoir été, là est la question… Le parfait fut peut-être, mais à présent ne se rencontre plus. Dans les grandes lignes, on parle du parfait les jours d’enterrements d’un être cher. Ah ! comme il était beau, comme il était grand, combien il fut bon et intelligent ! Allez comprendre ! Il faut perdre un imparfait pour qu’il devienne parfait ! Il aura fallu qu’il disparaisse pour être vu dans son entièreté. Curieuse géométrie variable des sentiments durables ! N’allez pas croire qu’Aleen ne travaille pas. Il ne faut pas se fier à l’apparence des mots. Ces coquins sont trompeurs, sachez-le. Un mot en cache de nombreux ; qu’ils soient bons ou mauvais, tendres ou forts. Mon amie est comme ce joueur de flûte qui fit ses gammes avant de s’essayer à déchiffrer la portée de la vie. Arrivera-t-elle à en épuiser le parfum ? Notes de têtes fugaces, titillant tous les sens, pour laisser un sillage de mots persistants, comme une traînée d’encre après son passage. Notes de cœur tenaces que l’on veut croire solides, sur lesquelles on bâtit toute une vie. Eclats de rire, perlés de larmes brillantes dans lesquelles se reflète le temps passé. Au fait, ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi l’on parle des “lendemains qui chantent” ? A-t-on vu un jour chanter ? Un jour se lève, et le coq chante, ça oui. De là à dire que c’est le jour qui chante, il y a comme une erreur sur la 3ème personne. Singulier, n’est-ce pas ? Alors, comme il ne chante pas, on attend le lendemain pour voir si le petit nouveau va s’y mettre. On y passe sa vie, non ? Ensuite, on parle “du bon vieux temps” et l’on recompose le passé qui s’est décomposé au fil du temps passé. Simple ! C’est du sérieux ; jouer n’est pas un jeu. Vous ne le saviez pas ma Dame ? Jouer s’apprend. Le parcours est ponctué d’échecs. Impossible de faire cavalier seul. Mille fois tombée, mille et une fois relevée, cette passionaria des bouffons « vocablise » chaque jour. Elle s’exerce aux registres les plus risqués par de grandes envolées empruntées au lyrisme de ce foutu temps gâché. En effet, plus le temps passe, plus on l’estime précieux. Plus on se demande où il passe ce temps passé. Ne dit-on pas qu’il est de l’argent ? Que l’avenir appartient à celui qui se lève tôt ? Billevesées… Combien de pauvres vieilles se lèvent de bonne heure le jour de leur trépas ? Quel avenir dans leur cas si ce n’est celui d’une grammaire trépassée ? Ce passe-temps de passeur de mots l’accable parfois. Il la réveille de nuit. Ces mots sont insupportables ! Ils jaillissent n’importe quand. Avouez que pour une personne aimant l’ordre moral, il y a de quoi défaillir ! Rendez-vous compte : Ils la malmènent l’obligeant à se lever pour les noter sur une feuille volante. Le lendemain, elle les cherche partout. Parfois, elle ne les trouve pas. Ils sont masqués, ou bien croisent le fer en sainte terre d’écriture. Que se racontent les mots qui se croisent ? Vous ne le savez pas ? Je vous le donne en mille : ils se racontent des histoires ! Ben quoi, les mots sont là pour ça ; les “mots pour le dire” ça vous parle ? Sans mot, pas d’histoire. Sans histoire, qu’est-ce qu’on est tranquilles, non ? Voilà donc comment les mots embrouillent l’esprit d’Aleen quand elle les cherche. Il lui faut attendre le calme après la tempête pour les trouver épars sur des bouts de papiers posés ici ou là selon le vent de l’inspiration. Vous l’aurez compris : Le jeu des mots n’est pas de tout repos. Il se chiffre en heures de boulot et d’insomnies, par-dessus le marché. Chiffrer les mots n’est pourtant pas son rôle. Mais demandez-lui de faire marcher son clavier par petites touches, et la voilà partie pour démarrer le jeu. Ecrire toutes les combinaisons possibles occupe ses loisirs. Une seule chose l’indispose : le chronomètre n’est pas son maître. Le reste importe peu. Seuls quelques trésors comptent pour elle : son ordinateur, une tasse de thé et, hélas, ce qui vaut de l’or depuis la nuit des temps : le silence, pour écouter la petite musique des mots qui chambrent… surtout ceux qui lui prennent ou lui tiennent tête ; ceux qui veulent se montrer ou se cacher ; ceux qui se retiennent où se tiennent. Que les mots soient dociles ou durs, qu’ils avancent masqués ou dans leur étonnante nudité, qu’ils montent dans les tours ou s’étalent sur les murs, je peux vous dire qu’Aleen fait preuve de caractère pour les dompter. Tout compte fait, elle leur damne le pion. En un mot comme en cent, elle a, jusqu’à maintenant, eu, sur eux, le dernier mot.

 

"Mézigue" de Janine NOWAK


Bon… Voilà… Mon blaze à moi, enfin, mon sur-blaze, c’est Totor.
Ha ! J’vous attends au tournant, bande de navetons que vous êtes. Vous pensez tous que je m’appelle Victor ? Hein ? Hein ? Avouez !
Que nenni. Mes vioques, qui ne manquaient pas d’originalité et qui avaient de la culture, soit dit en passant, ont trouvé chic de m’appeler MENTOR. Hé oui, carrément.
Y’en a chez qui je vois plein de points d’interrogation dans les mirettes. Comment, qu’y s’disent… Mais mentor, c’est un nom commun !
Ben, oui et non. A l’origine, y’avait un mec qui s’appelait Mentor. C’était le précepteur de Télémaque, le fils d’Ulysse. C’est à la suite de ça, que les vieilles barbes de l’Académie Française, ont décidé d’en faire un nom commun, pour désigner un prof, un éducateur, quoi, tout comme le Préfet Poubelle, ou les pissotières de l’Empereur Vespasien. Vous pigez ?
Sinon, j’avais aussi une sœur qui s’appelait Hélène, et une autre, Cérès.
Pâris (avec un accent circonflexe, s’il vous plait), était le grand frangin ; et le cadet, je lui disais Polo (en douce, car les parents n’aimaient pas), mais c’était Apollon.
Je ne suis pas sorti de la cuisse de Jupiter… - là, vous devriez rigoler, vu ce que je viens de raconter – mais je ne suis pas non plus né dans le caniveau.
Mon Daron et ma Daronne étaient des agrégés ; un, d’Histoire, l’autre de Lettres Classiques.
C’étaient de distingués universitaires.
La turne familiale ? Y’avait pas besoin de tapisser les murs : couverts de bouquins qu’ils étaient. Du sol au plafond ; ça débordait de partout.
Ben moi, très vite, j’ai étouffé dans cette atmosphère. Asphyxié que j’étais, la gueule ouverte, comme un poisson que l’on tire de la flotte.
Et je gambergeais beaucoup. Ma prière du soir c’était : « Tout plutôt que de devenir comme eux ; me barrer vite fait avant que ça « soye » trop tard. Merci petit Jésus ».
J’ai tenu le coup un bon moment. J’étais plutôt intelligent, mais face à eux, j’étais fermé, hermétique. Je ne bronchais pas. Je me tenais à carreau, attendant le grand jour.
Personne n’a rien vu venir à la maison. Comme prévu, en Juin, j’ai passé mon bac (mention très bien). Mais le 2 Septembre suivant, le jour de mes 18 piges… aussi sec j’ai pris mon baluchon et j’ai mis les bouts. Salut la compagnie !
J’ai laissé une bafouille d’adieu. J’ai juste écrit : « J’ai rien à vous reprocher. Mais votre milieu n’est pas le mien. Je suis votre petit dernier. Fallait pas me faire naître. Votre seul tort est d’avoir joué une fois de trop, le jeu de la bête à deux dos. Je pars avant qu’il ne se passe des choses désagréables ici. Ne cherchez pas à me retrouver. Oubliez-moi. Adieu ». Et pour les faire braire, je n’ai pas signé MENTOR, mais TOTOR !
Et voilà, Totor était né.
J’étais à la rue. Sans fric. Sans métier. Sans rien. Juste quelques caleçons, chaussettes et tee-shirts dans mon sac à dos.
Oh, je ne me berlurais pas ; mon avenir pouvait ne pas s’annoncer tout rose ; cependant j’étais prêt à en baver des ronds de chapeau.
Mais alors, ce jour-là, mes poumons se sont dilatés. L’air de Paname était si pur ! J’avais des fourmis dans les guibolles, tellement je voulais m’éloigner à tout berzingue de mon quartier d’origine.
Mon prénom était peut-être calamiteux, mais côté physique, hé, hé, hé… c’était pas mal du tout. Je plaisais aux gonzesses. Ouais, j’le dis sans fausse modestie. A 18 berges, j’avais déjà eu pas mal d’expériences plus que satisfaisantes.
Bref, le fameux jour de ma carapate, je déambulais, nez au vent. Arrivé par hasard dans le quartier très chic de la rue du Faubourg Saint-Honoré, je constatais dans le reflet d’une vitrine, qu’une dame, passablement sur le retour, mais nippée façon princesse, semblait me reluquer. Je ralentis encore le pas, feignant de mater les montres Rolex d’une bijouterie. Et là… idée ! Pourquoi ne pas me faire entretenir ? D’accord, il faudra de temps à autre, trousser la vieille. Bof, chaque métier a ses inconvénients. Mais d’un autre côté : logé, nourri, blanchi, une bagnole et puis tiens, une Rolex, justement.
J’ai pas hésité longtemps. Ne faisant ni une ni deux, je fis comprendre à la rombière que j’étais disponible.
A l’époque, je ne causais pas populo comme aujourd’hui. Sortant d’un milieu très policé, très bourge, très intello. j’avais de bonnes manières, et outre, mon physique avantageux, je savais me tenir dans le monde, faisant honneur à la personne qui me sortait.
Ainsi donc, en une demi-journée, je passais de mon statut de fuyard S.D.F., sans pognon, à celui de « jeune coq en pâte ! ».
Et je me suis prélassé sous des lambris dorés, dans des lits à baldaquin, sur de grands paquebots de croisière, sur les bords de la Riviera Française ou Italienne, à Megève ou Gstaad, et, toujours sapé dernière mode.
Ah, heureuse époque, bénie des Dieux de l’Olympe !
Mais le temps passe vite et j’ai été gagné par la date de péremption. Ces vieilles tarderies raffolent de la chair fraîche. Et à 35 balais, je sentais déjà le rance à leurs yeux. Foutues femelles friquées !
Les belles occasions sont devenues plus rares. Doucettement j’ai été déclassé. Début de la déchéance. Oh, ce n’était toujours pas moi qui avançais la monnaie, mais fini les hôtels de luxe, les palaces, le Champagne Dom Pérignon et le canard à l’orange de la Tour d’Argent. Les mémères étaient de plus en plus tartes et de moins en moins à l’aise, côté pognon.
Mine de rien, la dégringolade s’est poursuivie. Et me voici, à 48 carats, à faire le mac.
Prosper, yop la boum, c’est moi.
C’est assez minable. Je porte encore beau, je peux faire illusion. Mais je suis lucide et pour noyer mes idées noires, je picole. Oh, je n’ai jamais les souliers à bascule, mais quand même, je biberonne un peu trop. C’est ce que me serine Yvonne, ma régulière. Son nom d’artiste, c’est Bettina, parce que, pour tapiner, quand on avance comme blaze Yvonne, ça fait fuir le micheton.
Contrairement à vous, les caves, mes occupations sont tardives. Dans notre milieu, celui du                                 « MILIEU », forcément, on va tard au pageot. Nous dirons donc, que ma journée commence en cours d’après-midi. Je me sape, essaie d’être à mon avantage, et je rejoins les aminches pour jouer aux brêmes. En début de soirée, je fais un tour de quartier, pour voir si mon cheptel est bien en place. En plus d’Yvonne, j’ai trois poupées plutôt girondes sur le macadam : Tatiana, une grande blonde, Éloa, une Sénégalaise et Koliane, une Cambodgienne. J’aime la variété et ne suis pas raciste. Ensuite, je repasse à ma carrée, un meublé assez miteux, histoire de me rafraîchir et d’élaborer le planning du soir. La dégoulinante de ma piaule, m’annonçant, 8 plombes et 30 broquilles, je redescends : c’est l’heure de s’en jeter un bien sec derrière la cravate avec les potes. L’apéro pris, je pars récupérer Yvonne qui arpente son carré de bitume. On va se taper la cloche dans un bouillon de première, où on a nos habitudes, car la tortore est à se lécher les badigoinces. Puis Yvonne retourne au turbin, tandis que moi, je bricole un brin… si vous voyez ce que je veux dire… histoire de me faire un peu d’argent de poche, en plus de ce que mes petites poulettes me rapportent.
Et voilà comment je fonctionne.

Et voilà ma vie. Pas triste. Pas gaie. Il y a 30 ans j’ai fait un choix. Je n’en suis pas forcément fier. Mais les regrets ne servent à rien. J’avance comme je peux, nom de Zeus. Allez, basta !

 

"Tendeurs et tendresse" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Elle a des envies,
Il est souvent d'accord,
Elle s'est présentée aujourd'hui peu soignée,
Il ne s'est aperçu de rien,
Elle a quelque chose à lui demander,
Il ne saura pas y répondre,
Elle se contentera de ne rien dire,
Il cherchera ses yeux,
Elle connait toute la puissance de son regard,
Il connait toute la puissance de son regard.

Son regard à elle est « opaline »,
Son regard à lui est bleu pétrole.

Elle avait commencé à l'aimer avec une incompressible folie,
Il eut apprécié ses longues nattes d'étudiantes que l'on remonte comme un chapelet, sa tête et Dieu aurait pu être pareils à cette époque,
Elle a pris le plus de risque pour se dévoiler, pour se déclarer, pour s'exposer, pour tout précipiter,
Il en a été ému. Séduit. Emporté. Englobé.
Elle bougeait ses lèvres comme personne à chaque passage de phrases susurrées,
Il a déplié ses oreilles comme on tend des filets pour capturer des ortolans, a fait bombance,
Elle transfigurait son maquillage,
Il s'est cru, pour commencer, devant une actrice qui entamait une méchante tournée,
Elle était comme une âme qui voulait déchirer son sac de peau
Il a apprécié sa sincérité, a tout de suite pensé à lui faire un cadeau, le lui a fait, sourire compris,
Elle s'était pourtant juré de ne plus approcher, sans y avoir réfléchi auparavant, les hommes, cet étrange bestiaire qui sort de sa litière,
Il a surtout été conquis par son air décidé, tout se passait comme si son cœur vivait un délicieux kidnapping, aucune rançon en vue !
Elle avait une jupe-tulipe ce jour-là, rouge écrevisse, sur laquelle écumaient quelques motifs blancs, pure guipure,
Il s'était borné à ne regarder que les deux crayons qui sortaient leur pot, son œil géomètre estimant très rapidement la longueur des deux petits siamois chéris en quête d'affection,
Elle maîtrisait son bougé-approché comme une panthère noire se déplace liquide dans les plis de son gigantesque garde-manger,
Il aimait l'aventure, les mystères, les repas de fin de safari et la nuit lourde et moite qui allait avec, et qui ne se défaisait jamais des corps,
Elle s'était interrogée un temps sur le pendentif total or qu'il arborait au cou, un cou que les coups de soleil avaient rendu chaussette,
Il se rappelle de sa première main dans la sienne, de l'impression de tatouage qui lui était resté,
Elle s'était interrogée un autre temps sur sa bague qui, après inspection, ressemblait davantage à un collier de tuyauterie pour bidet,
Il mit plusieurs minutes avant de pouvoir faire une phrase qui, syntaxicalement, se tienne,
Elle en fut émue, prit cela pour une forme de dignité, « savoir se taire » était la première qualité qu'elle attendait d'un homme accompli et disponible,
Il eut la sensation de déjà la connaître, était-elle une cliente de la jardinerie, une hôtesse de l'air, une guichetière en reconversion, une promeneuse de chien stupide, une anonyme qu'on ne cesse de croiser,
Elle eut voulu que ses mains ne soient toujours que pour elle, ce serait ses porte-bonheurs, un tremplin, deux marchepieds, la piste d'envol pour sa lymphe bouillonnante,
Il vit à l'intérieur de son front un nid d'oiseau,
Elle considéra chacune de ses pulsations comme un apport de sang, c'est un vertige que de se sentir devenir un delta monté en collectif, elle exulta,
Il s'était pris au jeu de lire ses pensées avec le risque d'être continuellement analphabète,
Elle le scrutait maladivement pour qu'elle emmagasine assez de bonheur jusqu'à leur prochaine rencontre,
Il crut qu'il n'aurait jamais, en lui, suffisamment de testostérone, allait-il s'inscrire instamment dans un club de rugby,
Elle trouva, tout bien considéré, qu'il avait des grands pieds, surtout le gauche,
Il lui cacha ses origines ouvrières,
Elle se savait expansive, incontrôlable, tels des radis défaits de leur botte,
Il se sentait riche, prospère, sécurisant,
Elle rit exagérément à l'idée de la confondre avec un Modigliani,
Il trouvait qu'avoir des poils dans le dos, c'était très moyen,
Elle n'eut pas de chagrin quand son chat mourut,
Il se servit encore un verre, pour chauffer sa langue,
Elle se dit que boire la même chose en même temps les rapprocheraient plus vite,
Il caressa avec sa permission ses cheveux de colza,
Elle se redressa comme un voilier,
Il humait sa peau comme on respire à pleines narines un succulent tajine,
Elle se laissait patiner par tous les réjouissements qu'elle vivait,
Il trouva dans ses épaules la fatigue d'une grande journée de travail,
Elle prit chacun des boutons de sa chemise pour des serrures de coffre-fort,
Il était, à cette occasion, faussement passif, plus que jamais présent, vivant, incarné, à bloc,
Elle comprit cette fois-ci que chacun avait en soi l'énergie de la Terre, cela lui plut, elle s'en rappellera toute sa vie,
Il était déjà père de trois enfants,
Elle avait jugé que lui poser cette question ne se justifiât pas,
Il prit peur face à ce rouleau-compresseur de simplicité qui avançait vers eux deux,
Elle s'enorgueillit d'avoir mis son parfum préféré, le gingembre et la giroflée étaient avec elle,
Il voulut mettre du piment en glissant un animal sauvage dans sa voix,
Elle prit cela pour un jeu amusant, excitée à l'idée que cela put être une maladresse,
Il n'aurait jamais fini d'évaluer sa puissance, « quand on se sent bien, tout galope de partout », il crut exploser de soulagement,
Elle perçut son teint devenu subitement incarnat, ça lui dénatta les vertèbres,
Il pria intérieurement pour que la Lune remplace le Soleil,
Elle tira les rideaux,
Il se dit qu'il pouvait désormais jeter à la benne tous ses livres adorés, oublia même qu'il eut pu avoir quelques vies antérieures,
Elle était inquiète sur une possible survenue du livreur de pizza, toute soirée réussie ne répondant qu'à une seule et unique loi, celle de se savoir toujours bien synchronisé avec le Monde, était-ce le cas ?

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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