SAMEDI 12 janvier 2019
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Vives incitations"

Animation : Régis MOULU

Thème : S'en remettre éperdument à l'imaginaire

Et si, comme le déclare Gaston Bachelard, la valeur d'une image se mesure à l'étendue de son auréole imaginaire, on aura de quoi être stimulé pour sonder l'insondable et en ramener mille et deux trésors ignorés ! Mais au fait, la présence du réel, est-elle encore souhaitée, comme par contraste ou tremplin au rêve ? C'est ce que nous avons éprouvé au cours de cette nouvelle séance, riche en esprit et en tentatives multiples. Surréalistes bienvenus.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : écrire une description honnête et sensible d’un animal inventé, qui, avec le temps deviendra mythologique.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support qui développe les 7 techniques pour inséminer de l'imaginaire à son écrit a été distribué en ouverture de session, c'est la joie !

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Naissance du cochalican" de Christiane FAURIE

- "Réhabilitation" de Janine NOWAK

 

 

"Naissance du cochalican" de Christiane FAURIE


Sidonie avait délaissé depuis si longtemps la société des Hommes ! Que lui avaient-ils offert ? Des moqueries sur sa petite taille ? Des regards lubriques sur son postérieur trop rebondi ? Des moues dégoûtées lorsqu’elle déployait ses bras trop longs, tels des ailes de pélican dépourvues de plumes, excroissance improbable qui rendait malhabile le travail aux champs. ?
Son visage était constamment défiguré par de méchantes ronces qu’elle ne pouvait franchir du fait de sa petite taille.
Alors elle est partie. Il y a longtemps, très longtemps, si longtemps que personne ne s’en souvient.
Les jours ont passé, les mois puis les années. Les sous-bois l’ont accueillie, les passereaux n’ont plus frémi à sa vue.
Elle s’est nourrie de racines, de baies, de musaraignes, de carcasses délaissées ça et là.
Ses membres arachnéens se sont peu à peu développés au point de ressembler aux oiseaux fantômes à la proue des navires les nuits de pleine lune.
A ne plus converser avec les humains, son langage est devenu grognements ou cris perçants.
Son postérieur, longtemps décrié, lui servait d’assise confortable sur le sol rugueux.
Chaque animal du règne des struthéoniformes, des optéryformes, des casuariiformes et autres tinamiformes s’accordait à dire qu’elle appartenait sans conteste à leur race.
De leur côté, les mammifères défendaient la thèse de l’appartenance à leur clan.
Il fallait bien se rendre à l’évidence, Sidonie était unique.
Alors à l’issue d’un grand conciliabule au cœur de la forêt, ils décidèrent d’un commun accord, de la nommer COCHALICAN.
Chacun savait que son intelligence surpassait celle du pélican et du cochon réunis, elle était la synthèse parfaite du règne animal.
Elle serait désormais le premier COCHALICAN de l’univers et chacun était fier de la côtoyer.
Elle pris le statut du sage et siégeât chaque jour sous son chêne qui lui donnait ses glands en offrande.
Les bons accords qu’elle trouvait étaient récompensés par de longues embrassades entre ses grandes ailes-bras.
Pour signifier son mécontentement ou sermonner un mécréant, elle dandinait son postérieur et creusait un trou avec son nez transformé au fil du temps en groin démesuré.
Elle y installait les coupables et leur infligeait une diète plus ou moins stricte selon le verdict.
Ses facultés de COCHALICAN lui avaient donné la capacité de voler quand bon lui semblait. Son corps faisait preuve d’une grande légèreté et elle goûtait avec bonheur ces rencontres au delà des océans au gré des sollicitations. Sa réputation avait traversé tous les continents.
Chacun la respectait. Elle pouvait se mêler à tous les groupes, partager la nourriture de chacun en diffusant son message de paix au delà des frontières.
Sa différence était devenue une force, un pouvoir, une reconnaissance.
La divination du COCHALICAN était née. Sa légende circulait de bec en bec, de cri en cri.
Elle parvint même parmi les humains qui voulaient la capturer comme un trophée.
Mais ses frères veillaient. Elle ne finirait pas ses jours dans une cage au fonds d’un musée poussiéreux.
Sa vie était paisible mais aucun être ne pouvait partager sa couche.
Elle choisit d’adopter tous les petits livrés à eux-mêmes après que leur mère ait été abattue ou dévorée par des prédateurs.
Sa famille devint incommensurable. Elle usait de tous ses pouvoirs pour sauver les infortunés, tantôt traversant les mers de ses grandes ailes déployées, tantôt courant à l’aide de ses pattes arrières musclées.
La légende du COCHALICAN s’inscrivit ainsi par delà les siècles, rapportée de nid en nid, de tanière en tanière, de branche en branche avant que chaque petit n’aille parcourir le monde.
« Ne craignez que vos semblables » bruissaient les feuilles des arbres. Acceptez les différences qui vous enrichissent.

Allez à la rencontre du COCHALICAN, il vous protègera.

 

"Réhabilitation" de Janine NOWAK                            


Une improbable neige recouvre la vallée et les monts, interdisant tout déplacement et tout travail. Les hameaux sur les hauteurs se trouvent isolés du monde. Ces malheureux villageois doivent se sentir comme en état de siège. Ils n’ont pas d’autres ressources que de se restreindre au maximum tout en se morfondant.
Plus grave : quelle inquiétude aussi pour les bergers qui ne sont pas rentrés de transhumance ! On espère qu’en se nourrissant du lait de leurs brebis, ils pourront survivre dans les abris des collines, les bories, ces modestes cabanes qui ne sont pas conçues pour les grands froids. Mais les moutons, même si leurs besoins sont modestes, doivent manquer de fourrage…
Les voyageurs de passage sont contraints de demeurer à l’auberge de notre petite ville, car les routes sont absolument impraticables.
En somme, toutes les vies sont bouleversées, car la neige se moque bien du sort des humains et de leur bétail.
Les maisons sont quasiment ensevelies dans une blancheur immaculée qui nivèle tout. Seul le noir clocher de l’église surgit de cette immensité virginale.
Tout est transformé. Et une clarté ambiante a l’étonnant pouvoir d’illuminer la nuit.
La petite rivière, si vive en temps ordinaire, est totalement gelée. Pour obtenir de l’eau, on doit faire fondre de la neige dans la marmite de l’âtre.
Heureusement, les granges et les greniers regorgent de réserves. Toutefois, les cultures qui n’avaient pas été rentrées sont devenues inaccessibles et seront irrémédiablement perdues.
La neige. Elle était totalement inconnue dans notre chaude région provençale. Bien sûr, nous savions que ce bizarre phénomène climatique existait, car les anciens en parlaient. Cette information venait de leurs ancêtres, qui eux-mêmes la tenaient des générations d’avant. Il faut croire que jadis, un héroïque voyageur s’était aventuré vers de lointaines contrées et avait, à son retour, évoqué son périple et ses découvertes. Mais à nos yeux d’ignorants, cette neige avait la valeur d’une légende.
Or, voici qu’un matin, nous nous étions éveillés en grelottant. Déjà, la veille, la température avait brusquement et anormalement chuté. Mais quelle ne fut pas notre stupéfaction quand, après avoir ouvert les volets (avec la plus grande difficulté, en forçant beaucoup, car ils étaient coincés), nous avons retrouvé notre lieu de vie… sans le reconnaître !
Cette situation persiste depuis plus d’une semaine. Pour l’instant, nous pouvons faire face. Mais l’inquiétude gagne petit à petit la population qui se demande si cette calamité va durer encore longtemps.
En ma qualité de Chef de la bourgade, je tiens scrupuleusement les comptes et réorganise notre vie avec rigueur, distribuant les denrées avec parcimonie. Je ne le montre pas, mais notre isolement me tourmente.
C’est bientôt l’aube, et je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Je cherche à comprendre. Qu’avons-nous fait pour mériter un tel sort ? Une malédiction s’est-elle abattue sur la région ? Voici des heures que je réfléchis, et je n’ai pas de solution à proposer.
Quel est ce bruit ? Quels sont ces cris ?
Incroyable ! Les bergers et leurs troupeaux qui reviennent de la montagne ! Ils sont sains et saufs. Et derrière eux, en farandole, tous les habitants des hameaux lointains qui les escortent joyeusement !
Mais par quel miracle ?
J’ai du mal à reprendre mes esprits. Le récit que je viens d’entendre me parait tellement inimaginable. Et pourtant, pourtant, les faits sont là : le retour inespéré des pâtres et de leur cheptel, est une preuve irréfutable.
Voici le déroulement des faits tel qu’il m’a été conté : une bête inconnue, une sorte de démon cornu terrifiant, aux yeux rouges, à la lourde carapace recouverte d’écailles, et à la longue
queue terminée par un dard, les aurait sauvés d’une mort certaine. L’étrange créature venue on ne sait d’où, a surgi juste au moment où, à bout de forces, en manque de tout, et transis de froid, les bergers étaient sur le point de succomber. Ce monstre, au faciès repoussant, s’est doucement approché d’eux et a soufflé délicatement dans leur direction, apportant un bien-être subit à ces agonisants. Ce fut également une renaissance pour le bétail, recroquevillé, engourdi par le gel.
Pendant que tous s’ébrouaient et revenaient peu à peu à la vie, l’être fantastique, dirigeant à présent son souffle vers le sol, a commencé à tracer un chemin vers la vallée, puis d’un signe, les a invités à le suivre.
Le sentier était bien dégagé, sec, sans embûches. Les moutons ont docilement obéi. Les hommes régénérés, sereins, ont emprunté la même voie. A l’approche des villages isolés, l’animal soufflant plus fort, débarrassait brusquement les logis de leur gangue de glace.
Les habitants, émerveillés, ont spontanément rejoint le cortège. Ils ont avancé ainsi, à travers la montagne, d’un bourg à l’autre, pendant toute la nuit. La troupe grossissait à chaque étape. Ils se sont retrouvés au petit matin, aux abords de notre ville.
Arrivé là, leur sauveur s’est arrêté et, aspirant largement, a alors expulsé un souffle si puissant qu’il a fait fondre d’un coup toute la neige amassée sur nos maisons.
Alors, se tournant vers le groupe silencieux, la colossale créature, se dressant sur ses pattes arrière, les a longuement regardés. Enfin, parlant pour la première fois, elle a déclaré : « Je suis le descendant de la Tarasque, qui au Ier Siècle après Jésus Christ a, comme vous le savez, terrorisé vos lointains aînés en les dévorant, jusqu’au jour, où, la petite Sainte-Marthe, l’a miraculeusement domptée. Mais les hommes, criant vengeance, la mirent à mort.
Or, elle avait de la descendance. Depuis ce triste épisode, toutes les générations successives de cette malheureuse famille sont demeurées loin des humains, soigneusement dissimulées.
J’ai voulu, aujourd’hui par mes actes, et grâce à mes pouvoirs, faire un peu oublier les méfaits de ce dragon maléfique.
Je vous ai sauvés. Je vais retourner me cacher. Vous ne me reverrez jamais. Mais vous savez que vous n’aurez désormais rien à craindre de moi ni de ma descendance. Ne m’oubliez pas. Adieu ».

Ainsi s’achève le récit de mon aïeul, Chef de Tarascon en l’an de Grâce 823.
Quel dommage que ce manuscrit n’ait pas surgi plus tôt. Car depuis deux millénaires Tarascon garde le souvenir de l’ignoble Tarasque. Et cependant, sept siècles plus tard, un descendant du monstre a généreusement sauvé toute une population d’une mort certaine.

Que sont devenus les enfants de cet être étrange ? Quel bonheur s’ils pouvaient ressurgir un jour ! Il serait légitime qu’on prouve notre gratitude à ces créatures de l’ombre qui depuis si longtemps vivent dans les ténèbres et que la mémoire de l’un d’eux soit enfin honorée.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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