SAMEDI 29 Mai 2021
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Vives incitations - année 3"

Animation : Régis MOULU

Thème : Être pris d'une extrême incandescence

Alors là, quand c'est de notre état que dépendent nos agissements, le vecteur passionnel peut s'emballer. Quel plaisir, par conséquent, de se focaliser sur son personnage afin de lui faire vivre un grand moment d'exaltation et d'en tirer pour son texte les fruits... que savoureront vos auditeurs. D'ailleurs, nous mêmes, en écrivant, pouvons nous mettre dans un état favorisant cette tension émotionnelle, comme par contagion. Aussi, gageons que cette séance ne manquera pas de vitalité !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : Écrire un texte où le personnage central va vivre un bonheur intense et frénétique au travers d'une activité, cette dernière lui permettant de transgresser quelque chose qu'il s'interdisait jusque là.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support contenant notamment les techniques pour rendre son récit hypersensible a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Les élans du corps" de Blandine DELGADO

- "Je suis un jeu de cartes sans cesse rebattu" de Régis Moulu

 


"Les élans du corps" de Blandine DELGADO


Il est face à son couloir, les pieds calés, le regard fixe, sec ; tout son corps est bandé, son esprit rassemblé vers le but ultime, incertain. L’état de concentration intense dans lequel il est entré pour parvenir à maîtriser la moindre once d’énergie le plonge dans un monde parallèle, que seuls ces moments de compétition peuvent lui procurer. Comme un toxicomane, plus rien ne compte que la mécanique implacable de l’action de l'adrénaline sur son esprit et son corps. Il sait que le shoot du tir de départ lui procurera plus de plaisir que n’importe quoi d’autre au monde et que la première poussée sera comme un orgasme qui le catapultera dans son couloir, lui bouillant le sans propulsé du cœur en un jet puissant.

Ses yeux humides sont rivés sur le moniteur. Les pieds calés, ses chairs sont tendues ; tout en elle est douloureux, attentif, concentré vers le but ultime, certain. Ces sens en éveil transcendent ce corps prêt à vivre l’expérience extrême de l'expulsion d’un être hors d’un autre être. Mais l’état d'excitation et de désarroi dans lequel elle est entrée depuis quelques heures, l’empêche de profiter pleinement de l’intensité du moment qu’elle est en train de vivre. Elle voudrait exulter, rire, pleurer de joie, d’extase face au bonheur qui l’attend ; avoir peur, hurler son angoisse de devoir affronter l’inconnu, mais elle ne peut pas : le souffle court de sa respiration, les hoquets qui la soulèvent, les battements galopants de son cœur, ne sont pas le reflet de ce qui se prépare dans ses entrailles, mais celui de la colère sourde qui lui serre la poitrine. Il l’a laissée seule, seule, seule, seule… Elle pourrait le tuer ! Il l’a abandonnée pour aller prendre son plaisir, sa dose, alors qu’elle va enfanter dans la peur.

La détonation est fulgurante et l’impulsion l’a propulsé dans son couloir. La première goulée d’air insuffle à ses muscles l’élan nécessaire aux enjambées puissantes dont il va avoir besoin pour mener sa course jusqu’au bout. Il maîtrise son souffle, rapide et régulier, il se sent invincible et survole la piste, étonné des ailes qui le poussent face au vent.
Son champ de vision est soudain brouillé par la sueur et brusquement, un afflux de sang inonde son cerveau et s’insinue comme un rhizome rougeoyant au sein de son œil droit. Une demi seconde à essayer de comprendre ce qui lui arrive suffit à le décaler de quelques centimètres dans son couloir. Le temps d’entrevoir la silhouette pressée de son adversaire, passé devant lui. C’est fini…

La douleur est fulgurante et le besoin de pousser pour expulser cet enfant hors de son corps est incontrôlable. Ses tempes cognent, elle sent les pulsations de son cœur dans tous les vaisseaux qui la traversent. Le chagrin, la colère, le mépris l’ont quittée pour faire place à toute son animalité, toute la bestialité dont son corps et son esprit sont capables  pour l’aider dans la dernière ligne droite. La sueur coule sur ses joues, à moins que ce ne soient des larmes… Elle hurle à chaque poussée, encouragée, félicitée par la sage-femme. Son souffle est rauque, chaud et dans un râle final, identique à tous ceux des mères depuis la nuit des temps, elle expulse son enfant, impitoyable vainqueur de la course effrénée vers la vie. La sérotonine a envahi son cerveau ; exténuée, étonnée face à l’exploit qu’elle vient d'accomplir, elle se dit que pour cette fois au moins, elle a bien mérité la première place sur le podium. Rien d’autre n’a plus d’importance.

Tombé à genoux, brisé, la rage le maintient à terre. Son humiliation est profonde, sa honte est miséreuse. Il pense à elle dans une seconde d’éveil et, alors que les bravos saluent le gagnant, réalise qu’elle a sûrement mis au monde leur enfant, et que contrairement à lui, dont la chute est immense et la solitude incommensurable, elle, ne sera plus jamais seule.

 

 

"Je suis un jeu de cartes sans cesse rebattu" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


J'aurais voulu être un danseur.
Au lieu des mots, faire des mouvements qui me vident.
Ne plus rien avoir en soi, inlassablement.
Demain, c'est la fête de la bière.
Je vais y aller et danser sur la table.
La plus large.
Ne plus y réfléchir, pour ne pas se rétracter.
Désirer ce moment au point d'exploser dès maintenant, et surtout demain.
La réputation, ça n'existe pas.
La honte, c'est ma conscience qui se déballonne.
L'homme nouveau, ça se joue à chaque seconde.
Je hais ma famille.
On est demain.
Je suis au milieu des cris alcoolisés.
La Guinness irrigue la place.
En jetant un coup d'œil au ciel, je vois les branches des platanes se transformer en poumons, sans doute les miens.
Je me lance comme une oie sans tête.
Deux levers de jambes permettent d'être, hop, sur le banc, hop, sur la table de bois,
vaste plancher,
rampe de lancement vers mon désir le plus cher,
celui qui me fait mal aux tripous.
Je hais ma voisine, elle n'est qu'un tas d'yeux amoncelés comme une décharge municipale.
Au sommet de mon crâne, une pelleteuse me tient,
je suis son fil de plomb,
mes cheveux me font comme une bouée instable,
une capuche de K-way qui réagit toujours avec un léger différé.
Petit massage.
Un rituel inconnu s'empare de mes jambes, avec la frénésie d'une envie de pisser.
Autour de moi, les soiffards sont surpris par mon happening : leur stupéfaction les a enfermés dans une image à l'arrêt.
En somme un poster où personne, mais personne, n'est à son avantage.
Je me dis qu'il n'y a pas meilleur moyen pour voir et violer leurs âmes.
Je hais les personnalités construites dans un physique qui ne leur appartient pas.
C'est le printemps, dans mon corps, le sang circule beaucoup plus vite que d'habitude,
est-ce pour cela que je crie,
est-ce de la joie,
est-ce un reliquat de peur que je tente d'exterminer ?
Je vrille telle une essoreuse à salade,
les bocks volent en laissant échapper leurs traînées de météores dorés,
la beauté est jaillissante,
la grâce cherche à conquérir tous les cœurs engraissés,
ma chemise bouffante s'ouvre
comme pour se sacrifier face à ma vitesse d'exécution,
comme pour la souligner et la célébrer,
j'ai le cerveau qui refuse d'être plus longtemps dans sa cuvette,
l'œil télescopique me pousse,
je n'ai plus des mains mais des raquettes.
J'ai dû me blesser le pied,
mais je vais continuer tant que je suis chaud.
Une des rares femmes présentes, bien que profilée comme un homme, me dit que je suis un ange attardé.
Un chien moche aboie. Que ferait-il s'il était beau ?
Je comprends ce qu'est la parade du pigeon, je suis pigeon.
J'accède aux intimidations du gorille au plus profond de mes pectoraux.
Ma chair n'est que chou-fleur hypervascularisé
et le légume est en train de frire sous son ardeur déstabilisante.
Le clébard compte bien clabauder jusqu'à sa mort, peu importe, je suis danseur inspiré.
Il y a comme une sève régénérante qui me traverse.
La sensation de ne sentir aucune douleur me transforme, je suis invincible, puissant,
éternel comme semble l'être l'eau claire et chantante d'une fontaine en circuit fermé dont le jet est remarqué, ce qui nécessite d'être vu.
Pureté qui me lave.
Mon jean serré est devenu souple, son tissu se targue d'avoir déjà un très beau vécu.
Sa teinte bleu-gris se dilue dans la sorgue
qui rentre progressivement dans son bain d'encre de Chine.
Un gars un peu plus rigidifié que les autres, sans doute le patron de la cantine festive, se détache de par sa densité.
Sa gueule confite, ce qui le rétribue en faisant de lui « le portrait d'un con » sans son encadrement doré, rougeoie.
J'aurais dû laisser ma ceinture plus lâche, j'ai l'impression fugace d'être des pieds-paquets lors de mes mouvements les plus arrondis,
c'est comme si je ne pouvais pas aller plus loin dans mes plongeons,
comme si un élastique retenait l'escrimeur expressif que j'étais.
Bat sous mes côtes un rythme qui ne le lâche plus.
Je suis envoûté.
En chocs successifs donc continus.
La calligraphie de mes gestes et déplacements fournit le solo mélodique à cette batterie de fortune.
Il y a de moins de moins de parasitage dû aux frottements de mes vêtements.
Finalement, danser, c'est peut-être aussi et surtout se dilater,
devenir lampion allumé dans la nuit des humains.
À ce stade, mes pieds se lèvent tout seuls.
Le big-bang commence à s'emparer du trou noir
que je devais être, sans le savoir.
La boule de pain à pétrir contenait de la levure active.
Donc je travaille.
Je n'ai plus la notion du temps
puisque l'espace ne me résiste plus.
La table est devenue dramatiquement minuscule,
l'espace vierge m'appelle, me tape.
Un homme ivre comme une flamme m'applaudit et vomit.
Il me semble que jamais plus je ne dormirai.
L'intensité qui m'anime fait de moi le couteau le plus aiguisé au monde, je fends l'air.
Une nappe de vivats me sort de ma folie et m'y remet encore plus fortement.
Je comprends surtout qu'un nouveau métier vient de m'accueillir dans sa corporation libellée en « les danseurs sans limite et capables de s'autodétruire ».
Et comment que j'ai déjà signé !
Je hais la concierge, complice de langues avec la voisine.
Complice de langues avec tout le monde, y compris moi.
J'aimerais également me haïr,
et m'y emploierai volontiers si je ne l'avais pas suffisamment cultivé.
Ça fait deux jours que je ne mange plus : j'ai tout donné pour ce présent instant de remise à zéro.
Ce qu'il faudrait que je réussisse maintenant, c'est d'être un peu plus en l'air
comme si toucher le sol se raréfiait.
Je veux qu'on dise de moi que je suis un cosmonaute  sans sa combinaison,
un akène magique,
la fiancée du vent.
Je caresse l'oxygène qui s'embrase d'ultraviolets…
à moins que ce ne soit ma sueur de porc,
mes chagrins qui partent en vapeur âcres.
Je suis un jeu de cartes sans cesse rebattu.
Je viens de heurter le câble de la guirlande lumineuse, façon guinguette,
toutes ses ampoules multicolores tanguent,
épaississent puis désépaississent les ombres rassemblées en ce lieu.
La patron beugle, finit en grosse vache collante.
Une personne âgée m'épouille de son regard.
Je sens une extrême tendresse sortir de ce vieux fromage
au faciès de cire.
Comme un amour qui le rend cierge allumé.
Comme s'il se réjouissait lui-même d'enclencher sa disparition.
J'en pleure des diamants,
égouttures furtives telles des souris qui se coursent
parmi les vallons arborés qu'offrent mon visage, mon cou, mon torse concave.
Au cœur de mon propre méchoui,
je suis bien cette viande dont la cuisson rappelle qu'il n'y a jamais eu sur terre de retours en arrière,
j'avance, je fonce, je me consume.
Cuivrée, écarlate et asséchée est ma figure
échappée d'un dessin d'Egon Schiele.
Il faut souffrir pour être essentiel,
et perdre tout son fourniment.
Je tourbillonne de mieux en mieux.
La douleur de mon pied n'est rien à côté de la joie du surpassement que je suis en train de récolter.
Je ne sais plus si je me cogne aux obstacles, tout fera partie du spectacle.
Sans doute, ne voit-on plus de mon corps que ses muscles en action,
je goûte à la réputation surévaluée dont bénéficie tout pompier,
peut-être apporté-je même du réconfort aux désespérés voyeurs,
voire un transfert d'énergie aux plus déprimés.
Je me dis que ça devrait être ça, le rôle d'un artiste.
La chaise a ripé, mon gadin ne m'a pas tant surpris
puisque je le considère déjà comme une chance d'aller plus loin et plus fort,
tout est désormais bon pour distancer ma raison.
Je saigne.
Mais même sans plaie, on saigne.
Des motifs étranges et grossissants constellent  mes vêtements,
ce vaste assemblage de toiles de peintre repliées et cousues
dont je me défais, l'art s'expose ou meurt,
l'art s'expose et meurt en son renouveau.
Martre frénétique.
J'ai une chair qui a déjà vécu 2000 ans.
Je ne suis dissous pendant quelques secondes dans des flashs mythologiques.
C'est sûr que depuis le début de mon impromptu, j'ai des cornes
qui devraient ressembler à un croissant de lune échoué sur mon front.
Je me dois alors d'être déterminé et généreux comme jamais,
et c'est ce que je fais au travers d'acrobaties au sol, parmi la foule des chaises et des tabourets,
modestes quilles que je déménage.
Dans mon arène improvisée, la poussière se soulève,
le gérant du débit de boissons tient un long couteau,
veut entrer dans la danse,
il faut que je l'embrasse,
mais avant ça, je ris, transporté par un hoquet régulier.
Il est surpris,
un gars à la chemise terne le retient,
le ceinture,
l'assomme de son hurlement animal :
un gros lion benêt.
Il ne faudrait pas cependant qu'on haïsse le petit commerçant.
J'espère ne pas être sorti de ma cérémonie,
je me vois « cheval courageux et imperturbable », et c'est reparti.
J'invente des gestes, réalise des enchaînements aussi magiques qu'inespérés,
d'être un peu trop une centrifugeuse, parfois, m'étourdit,
je goûte au bonheur de me sentir pantin dans les mains de l'inspiration,
cet ogre à la peau d'horizon.
Je ne veux pas d'applaudissements ni d'honneurs,
je souhaite seulement qu'on croie que, sur Terre, tout est or potentiel,
et j'aimerais aussi que ce soit les topazes de tous les regards de ce soir qui me le disent,
amis ce n'est pas ce qu'il se passe.
Le modérateur a été tué par son ceinturé.
Je hais les assassins.
Demain, je reviendrai pour les réhabiliter.
L'ombre de moi-même coule jusqu'au bosquet le plus proche,
là où reprendre un peu de jus de chaos 100 % naturel
me fera le plus grand bien.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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