SAMEDI 30 MAI 2015
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Le conseil des Grandes Plumes"

Animation : Régis MOULU

Thème :

Prendre à contre-pied les idées des autres (Ionesco)

Eugène Ionesco a développé sa pensée, sa marque de fabrique créative, en écrivant ceci : « Je préfère parler de l'avant-garde en terme d'opposition et de rupture ». Il s'agit alors de transférer cette volonté à l'intérieur même du système conservateur qu'on veut critiquer (sorte de cheval de Troie). Ainsi, on a expérimenté, lors de cette séance, ce que peut être un écrit basé sur les renversements, les ruptures, les subversions aux normalités convenues, y compris éventuellement dans son expression même (déstructuration de phrases)!

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : exposer les vacances d'un couple qui vient de commettre un meurtre.


Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support portant sur les contrastes et les différents plans d'expression a été distribué en ouverture de session, quel plaisir !!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Trek – après-midi du premier jour" de Marie-Odile GUIGNON

- "Bluette agricole" de Murielle FLEURY

- "Un homme, une femme" d'Ella KOZèS

- "Où l’on voit Oscar le Nullard... transformé en œuvre d’Art !" de Janine NOWAK



"Trek – après-midi du premier jour" de Marie-Odile GUIGNON

Elle et lui marchent l'un derrière l'autre. Le sentier étroit monte à travers une végétation dense. Des bruits insolites se propagent par intermittence.

Elle -A rencontre importune, décision vive.
Lui – L'aventure c'est l'aventure.
Elle – Je regarde où je pose les pieds.
Lui – Je suis le premier ne craint rien.
Elle – Quand même, tu crois que c'était la bonne décision ?
Lui – Les réactions spontanées témoignent de la réalité des événements.
Elle – Elles aveuglent.
Lui – Les pulsions éclairent les subconscients.
Elle -  c'est un problème de sang-froid.
Lui – De sang chaud ! Qui monte à la tête et ex-orbite le regard.
Elle – Tu parle pour toi, il avait le sang froid.
Lui – Une corpulence hors norme, une présence redoutable.
Elle – Quand je l'ai scruté, mes yeux dans les siens, je me sentais étrangement fascinée.
Lui – La vigilance me pousse à l'héroïsme, contrôler mes actes devient surnaturel.
Elle – T'es sûr que tu suis le bon sentier ?
Lui – Nous n'avons pas croisé de croisement.
Elle – Cette nature paisible et luxuriante nous enferme dans son cocon hostile.
Lui – La marche à ses pièges.
Elle – Les herbes sauvages, les plantes aromatiques apportent du bien-être, je respire leurs arômes, leurs parfums m'enivrent. Les arbres géants me cinglent de leurs feuillages.
Lui – Le vent se lève les branches s'agitent.
Elle – Nous nous sommes égarés ?
Lui – Il n'y a pas de réseau ici, pas besoin de GPS, j'ai le sens de l'orientation infaillible.
Elle – Ça m'est égal d'être perdue, je marcherai des heures et des heures en cercles concentriques ayant pour point central une cabane isolée à mille et mille kilomètres d'âmes qui vivent à la fois loin et près.
Lui – Une semaine à passer. On a sa peau. C'est bon pour aujourd'hui.
Elle – Je me vêts d'émotions. Mes sentiments se bouleversent parce que ma destiné vient d'être perturbée par un geste, en somme, banal, qui me sauve la vie mais qui, par voie de conséquence, tend à me changer en zombie électrisée.
Lui – C'est la vraie vie...
Elle – Quelle coïncidence ! Une provision de quartz ! Juste au creux de la main, acérés transparents, éclatants, précieux, du dur sur le mou… Lui – Des rubis maintenant… Elle – J'ai soif.
Lui – J'ai le sentiment d'être épié…
Elle – A chaque branche sa lunette, chaque herbe son optique, chaque feuille sa pupille.
Lui- -Chut. Un froissement...
Elle – Regarde le sol ! Les rochers rougissent : la mousse alentour aussi.
Lui – C'est un phénomène de séduction par oxyde de fer, de l'animé par l'inerte.
Elle – Une libellule, des oiseaux qui chantent : il y a une source dans les parages.
Lui – Nous pique-niquerons bientôt. Passe devant moi.

Elle le double.

Elle – Habituellement la peur donne des ailes, les tiennes sont coupées courtes.
Lui – Le sac me pèse sur le dos, j'ai sa chair, sa peau.
Elle – Décidément, tous les moyens sont bon pour échapper au sentiment de culpabilité.
Lui – Question de survie dans les milieux hostiles.
Elle – Je me sens une chevrette blanche et innocente, vivante à chaque seconde qui s’égrène… ( en murmurant ) mais si anxieuse à l'intérieur.
Lui – Le désenchantement attaque l'insouciance. L'escalade charme notre énergie. Belle journée.
Elle – Et l'envoûtement ?
Lui – Réflexe inné de survivance. L'autre ou moi.
Elle – L'autre ou nous.
Lui – Retour aux origines, ainsi l'histoire se déroule autrement.

Ils escaladent quelques rochers sans rien dire.

Elle – J'ai vu comme une corde géante qui n'en finissait pas de glisser.
émergeant subitement de l'épaisse feuillure, avec une langue sifflante… effrayante… Lui - Un spectacle !
Elle – Subitement ce fut un déclenchement vif d'autodéfense ; arme à la main, des tirs à coups répétés… Après, un silence, ensuite, un corps filant et ondulant terrifiant … puis agité de soubresauts… Lui – Une tête lapidée… Une peau sublime sublimée… Elle - Il appartient à une espèce protégée ?
Lui – Sa mue ? Bien sûr que non...

Ils arrivent à un bivouac, le soleil descend lentement à l'horizon.

Lui – J'ai faim.
Elle – J'allume le feu, prépare les brochettes d'anaconda.

 

"Bluette agricole" de Murielle FLEURY

Elle : Que je suis contente ! Ca y est, j’ai fait place nette, il n’y a plus un seul brin d’herbe dans la pelouse, je les ai tous liquidés. J’adore le côté terre brûlée de tous ces brins jaunis. C’est très conceptuel. Maintenant, je vais remettre de l’engrais sur le gazon japonais.
Lui : Je croyais que tu l’avais acheté en Espagne.
Elle : Non, en Espagne, c’était le château, tu mélanges tout. Le gazon japonais, je l’ai acheté en Bretagne. Tu te rappelles bien. J’avais pris un mélange alpin.
Lui : Non, enfin oui, sans doute, jamais, demain peut-être. Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais. Je suis formel à 10% : tu m’avais dit que c’était un mélange unitaire.
Elle : Oui, c’est ça, elles sont rouges, un mélange des mêmes graines monochromes. Qui donnent des fleurs de toutes les couleurs.
Lui : Je n’y comprends rien.
Elle : Parce qu’il n’y a rien à comprendre. Nothing, nada. Lui : Et en japonais, ça donne quoi, madame la polyglotte ?
Elle : Reste poli. Je ne te demande pas de me montrer tes amygdales moi ! Pourquoi toujours t’échiner à vouloir analyser, peser, soupeser, bêcher, sarcler, désherber ? C’est malsain à la fin.
Lui : A qui tu veux montrer tes seins ? Si tu crois que je n’ai pas vu ton manège avec le voisin. Je vous ai surpris avec les jumelles.
Elle : Non, il n’a qu’un fils. Je lui ai donné du Roundup, il était fou de joie ! Il en a mis partout lui aussi, il voulait avoir le même rendu que celui de notre pelouse.
Lui : Je croyais que tu lui avais donné ?
Elle : Le Roundup, je lui ai donné, pour qu’il ait le même rendu. Mais je lui ai fait payer le fait de vouloir m’imiter pour le jardin, tu peux me croire.
Lui : Ah oui, et comment ? Elle : En lui donnant des semences stériles pour son potager. Lui : Ah, Lucien est son vieil ami ?
Elle : Mais qu’est-ce que j’en sais ?
Lui : Et qu’est-ce qu’il va faire avec des semences stériles ?
Elle : Et bien, les planter, pour ensuite récolter les légumes.
Lui : Mais comment c’est possible ?
Elle : Pardi, parce qu’elles sont en vente. Elles sont d’ailleurs bien plus chères que les semences traditionnelles. Tonmanto dit qu’elles donnent des rendements très supérieurs. C’est pour ça qu’ils commercialisent aussi le Roundup. Pour éliminer les excédents de la production obtenue avec leurs semences stériles. C’est parfaitement logique. Je ne vois pas ce qui te bloque.

Sigmund se précipite dans la maison. Les vacances lui réussissent au-delà de ses rêves les plus fous et difformes. Il est en pleine forme. Il avale ses 12 cachets, de toutes les couleurs. Les antibiotiques pour rester en vie. C’est son secret.

Elle : mais qu’est-ce que tu fais dans la maison ? Viens me rejoindre dehors. Tu veux bien m’aider à traiter aussi les taupes ?
Lui : Pourquoi, elles sont malades ?
Elle : Je vais leur administrer un taupicide, ça devrait régler le problème.
Lui : J’ai entendu parler d’une invasion. Il paraît qu’elles utiliseraient les canalisations des égouts pour éviter d’avoir à creuser elles-mêmes leurs galeries.
Elle : Ah, le voisin aussi t’a parlé de son exposition ?
Lui : il m’a invité au vernissage, oui. Je ne savais pas que tu étais au courant.
Elle : Mais non, c’est dans un village en Corse, il n’y a pas d’électricité dans la galerie où il expose, pas d’eau courante non plus. C’est extra, ça devrait nous éviter d’avoir à croiser beaucoup de taupes.
Lui : Pourtant, il m’a dit qu’il y aurait Laetitia Casta.
Elle : Il ne m’en a pas parlé. Mais je comprends maintenant. C’est sans doute pour ça que les voitures ne seront pas autorisées. Lui : Moi, ma bicyclette est rouge.
Elle : Tu crois que tu pourras pédaler quand même ? Moi je viendrai à dos d’âne.
Lui : C’est vrai que la direction de l’équipement est une vraie calamité en Corse.
Elle : c’est sûr que les routes donnent des envies de meurtre !
Lui : Quel que soit le sujet, ce sont les mêmes dosages ?
Elle : Taupicide, insecticide, pesticide, parricide, infanticide, c’est le même principe oui.
Lui : Tu me rassures. L’important, c’est que ma mère ne souffre pas. Je veux un procédé très sûr. J’ai besoin d’un maximum de garanties. Elle ne doit absolument pas en réchapper. C’est une question de principe. Et surtout d’éthique.
Elle : J’ai ce qu’il te faut. Je l’ai déjà testé sur notre fils. Ca a parfaitement réussi, j’en suis très satisfaite. Je te le recommande. Tu peux me faire confiance les yeux fermés.

Comme au ralenti, il voit la tête de Gorgone de sa femme ricaner d’un rire vert, pendant qu’il avale avec le voisin jardinier le bouillon bleu qu’elle leur sert à tous deux avec une cuillère géante, qui le fait loucher. Il a le temps de lire sur la casserole de cuivre étincelant et mat « Roundup and sleeping », écrit en idéogrammes chinois. Ou bien est-ce du japonais ? Le doute persiste. Il s’endort sans l’avoir levé.


"Un homme, une femme" d'Ella KOZèS


La scène se passe dans une magnifique chambre d’un hôtel miteux, à la campagne. Notre couple est au lit, entortillé dans des grands draps froissés d’un blanc immaculé et grisé.

Paul - Alors, ma chérie, comment te sens-tu ?
Valérie - Emue…
Paul - Heureuse ?
Valérie - Fière comme une petite fille honteuse
Paul - C’est toujours comme ça la première fois.
Valérie - Et pour toi ? C’était comment ? Je n’étais pas trop…, enfin pas assez…
Paul - Tu étais comme d’habitude, parfaite. Je dirais même mieux : ton innocence se renouvelle à chaque fois.
Valérie - Ah… s’il te plaît, ne me traite pas d’innocente !
Paul - L’innocence est la parure de ces délicieuses oies blanches dont j’ai toujours rêvé, chérie ! Je suis un homme heureux, possesseur d’une femme pure et courageuse.
Valérie se calant au creux de son épaule  - Tu te souviens ?
Paul - Qu’as-tu ressenti ? Raconte…
Valérie - Au début ? Rien.
Paul désappointé - Rien ?
Valérie - Rien ou tout, comme tu veux.
Paul - Là, ma chérie, entre rien et tout, il y a un tout… Tout se joue dans ce rien !
Il se tait puis reprend tel un docte philosophe devant le silence de sa compagne : Peut-être as-tu raison… Finalement, tout ou rien, c’est monotone. Il n’y a pas de différence, en réalité.
Pause Bon, mais après ce terrible moment plein de vide ?
Valérie - Juste la peur. La peur qui te vide de l’intérieur, celle que tu ne maîtrises pas, celle qui te donne des ailes et qui te cloue au sol.
Paul - Je vois.
Valérie - Arrête ! Circule ! Il n’y a rien à voir ! Tu sais bien que la peur se vit et que vu le contexte je n’allais pas l’afficher ! Non, vraiment Paul, crois-moi, c’est le dégoût ensuite que j’ai eu le plus de mal à rendre invisible.
Paul se redressant sur son céans - Le dégoût ?
Puis face au public : La fidèle traitresse !… Je serais prévenu !
Valérie - Un dégoût délicieux. Ah… ce dégoût que l’on déguste avec bonheur ! Celui qui te pousse à venir au plus près, étreindre mortellement l’autre tant il est délicatement répugnant.
Paul - Eh oui, jolie petite mort… puis fronçant les sourcils il te répugnait donc cet … autre ?
Valérie - Il me répugnait et me fascinait dans le même temps.
Elle se tourne vers lui, rêveuse… Son torse velu et doux m’attirait comme une mouche prête à se prendre dans une toile…
Paul s’inspectant en bombant le torse qu’elle caresse distraitemnt - J’aime à t’entendre parler ainsi, ma douce meurtrière.
Un silence s’installe quelques secondes pendant qu’ils revivent séparément cet intense moment habituel de leur vie de couple.
Paul joueur - Tu ne m’as pas tout dit, petite cachotière…
Valérie coquette - Un peu de patience… Il est toujours difficile pour une femme de se mettre à nu.
Paul - Oh… Mais tu es nue sous les draps, mon cœur…
Valérie - On est toujours nu sous ses vêtements ! Pourtant, se dévoiler est une affaire très intime, ne crois-tu pas ?
Nouveau silence
Paul - Tu es une femme accomplie maintenant.
Valérie - Merci du compliment. Tu me dis cela à chaque exploit et j’avoue que c’est très encourageant. Cela me donne la force de continuer, de me dépasser, d’aller toujours plus loin, plus haut, plus fort…
Paul - Ce sentiment t’honore, mais je l’avoue bien volontiers, tu as atteint un niveau rare…
Valérie riant - Vil flatteur ! Je sais bien où tu veux en venir ! Il est bientôt l’heure de se lever pour le petit déjeuner.
Paul en se redressant - Je ne bougerais pas tant que tu ne m’auras pas raconté la suite !
Valérie - La suite ? Mais tu la connais mieux que moi !
Paul - Le monde raconté par une femme est un véritable voyage d’homme d’affaires ! Et puis, j’ai toujours su que l’Homme était le passé de la femme… Dans la bible, c’est bien d’une des côtes d’Adam qu’Eve surgit. Cette antériorité montre son rapport au passé alors qu’elle… avec emphase … elle incarne la modernité…
Valérie - Dis donc, c’était autre chose qu’un bout de pomme coincé dans la gorge…
Paul surpris - Quoi ?
Valérie - Eh bien, mon pauvre Paul, imagines-tu une seconde que je sois cachée dans une de tes côtes ? Quelle souffrance !
Par devers soi et face au public : Nous avons bien fait de sortir de ce lieu insalubre !
Paul riant - Allez, le petit déjeuner très copieux nous attend sans doute dans une minuscule tasse. Raconte vite sans quoi, nous boirons notre café glacé ! Sans la fin de ton récit, je ne puis survivre une minute de plus dans cette sublime chambre miteuse !
Valérie -  Bon, eh bien je confesse… une grande satisfaction …
Paul - Oui… Oui…
Par devers lui : J’y étais…
Valérie - Quand j’ai senti ce corps majestueux et velu…
Paul - Encore… encore…
Par devers lui : J’y étais vraiment… c’est de moi qu’il s’agit….
Valérie -  … ce corps si étrange, si plein de vie, si gonflé… si… (soupir) exploser de … (soupir)… (sèchement) Enfin bref, craquer sous ma semelle.
Paul - Bien fait pour l’araignée ! On y va chérie ?

 

"Où l’on voit, Oscar le Nullard... transformé en œuvre d’Art !" de Janine NOWAK


Sur les routes de la Douce France, roule une riante et brinquebalante camionnette de couleur caca d’oie. Il fait beau. Une pluie incessante noie la chaussée depuis Paris, et un brouillard opaque masque le charmant paysage Morvandiaux. « Ah, roucoule Riquita, quel temps divin ! » « Tu as raison, répond Adolphe, pour la pèche aux escargots, rien de tel qu’une bonne rincée. Pourvu que cette embellie tienne toute la durée de notre séjour ». Et le véhicule continue joyeusement son chemin. Dans les virages, le chuintement grinçant des essieux rouillés se fait entendre. Cette tendre mélopée donne à Riquita l’envie de chanter. Et c’est d’une voix de mezzo-soprano, qu’elle entonne sa berceuse favorite : « Dans un amphithéâtre, y’avait un macchabée, macchabée, macchabée, tsoin, tsoin ! » Adolphe réagit illico : « Chut, tu vas peut-être le réveiller ! » Riquita le regarde, surprise : « Réveiller qui ? ». Adolphe : « Ben lui, le mort ». Riquita : « Enfin ! Voyons ! Pour être mort, il est bien mort. Sinon, pourquoi l’emporterions- nous dans notre propriété de Bourgogne ? Depuis le temps que j’attends mon lampadaire ! Dis-moi, tu as bien embarqué tout le nécessaire ? » Adolphe : « Oui, ne t’inquiète pas mon amour. Nous pourrons l’empailler et le transformer comme tu le désires. Es-tu heureuse ma beauté ? N’a-t-il pas bien travaillé pour toi ton Adolphe ? » Riquita : « Oh si, tu es adorable. Comme nous allons être heureux ! Dis-moi, sincèrement, ce que tu penses de l’abat-jour fleuri que j’ai acheté pour mettre à la place de sa tête ? ». Adolphe : « Tout à fait admirable. Tu as si bon goût ma chérie ! La délicatesse du tissu m’émerveille, et le motif de fleurettes champêtres, très frais, sera en totale harmonie avec le papier-peint du salon. Et puis, entre nous – Hi, hi, hi !- ce pauvre Oscar avait vraiment une sale gueule. Alors, ton abat-jour va réellement améliorer son look ! » Et le temps passe. Et la route déroule son long ruban bitumineux. Il fait presque nuit quand nos deux tourtereaux arrivent à destination. Vite, vite, ils ouvrent les volets pour aérer la chaumière, et nourrissent le grillon du foyer, qui se desséchait. Puis, ils lui font un gros câlin, car la solitude commençait à la rendre neurasthénique. Enfin, après avoir déchargé leurs bagages, c’est avec beaucoup de précautions qu’ils transportent Oscar dans le salon, pour un essai, juste pour voir, très impatients de faire un essai. Riquita pose son abat-jour sur les épaules du mort. « Mon Dieu, comme ce sera beau », murmure-t-elle, émerveillée. « Vraiment je suis comblée. Rangeons-le tout de suite dans l’atelier pour ne pas l’abimer. Puis allons vite nous coucher ; et demain, au travail de bonne heure. Il faut nous hâter, car il commence à sentir un peu ! ». Et le couple d’amoureux gagne sa chambre. La porte se ferme sur leur intimité. Chut ! Soyons discrets ! Huit heures du matin. La pluie radieuse obscurcit toujours le ciel. Notre charmant couple est déjà à pied d’œuvre. Pendant qu’Oscar trempe dans un liquide aromatique, Riquita et Adolphe se chamaillent. Adolphe souhaite, en souvenir de son passé militaire, vêtir Oscar en chasseur alpin. Riquita, quant-à-elle, préfèrerait une tenue plus exotique, qui cadrerait mieux avec l’environnement ; elle le verrait bien en Indien Iroquois, ou en derviche-tourneur. Finalement, afin de mettre fin à la querelle naissante, ils tombent d’accord sur un costume très approprié de berger des landes, perché sur des échasses. Ainsi donc, la lumière tombera de plus haut ; ce sera encore mieux. Pendant qu’Adolphe éviscère le mort, Riquita, intarissable bavarde, commente les conditions du décès d’Oscar, qui de son vivant, résidait à l’étage au dessus du leur. « Etait-il pénible, celui-là ! Sa radio. toujours mise à tue-tête ! Et ses douches à quatre heures du matin, avec le gargouillis de l’eau dans les canalisations ! Et tout le temps à nous déranger à l’heure des repas, car Monsieur manquait de sel, d’huile, de moutarde. Décidément, cette fête des voisins est une bénédiction. Lui qui ne buvait jamais d’alcool…Hi, hi … on a eu vite fait de le soûler en ajoutant de grosses rasades de Vodka dans son jus de tomate. Bourré qu’il était, Oscar ! D’ailleurs, on peut dire, qu’il est passé du stade de ivre-mort…à carrément mort ! Il ne sait même pas qu’il est occis, le pauvre ! Lui trancher la tête avec ta scie à métaux a été un jeu d’enfant. Et sa tête, à présent…A PLUS ! Ni vu ni connu, j’t’embrouille : hop, dans l’aquarium du Zoo où elle a régalé les piranhas. Hé, mais, c’est qu’il n’est pas mal bâti, Oscar ! Il a un peu de bide, mais la veste en mouton du costume arrivera bien à le cacher. Comme j’ai hâte que tout soit terminé et qu’Oscar trouve sa place à côté de Félicien ! Tu te souviens ? Trois ans déjà que nous l’avons transformé en bar. Avec la cage thoracique de pilier de rugby qu’il avait, c’eut été dommage de rater une telle occasion ! Tu te rends compte : nous pouvons y ranger douze bouteilles ! Dis, mon homme à moi, sais-tu que j’ai déjà une autre idée ? Tu vas pas te fâcher, hein ? Car mon choix ne va peut-être pas te plaire. Mais bon, allez, je me lance : tu sais, Alphonsine, ta cousine, la pas très maligne qui a des dents à rayer le plancher, hé bien, elle ferait un décapsuleur de première ! Et ce serait du vite fait : juste la tête à travailler. Et puis comme ça, elle resterait toujours dans la famille, cette pauvre fille toujours à geindre parce qu’elle supporte mal sa solitude. On l’accrocherait au mur, près du réfrigérateur. Envie d’une bière ? Et voilà, c’est ouvert ! Mais n’anticipons pas. Achevons vite notre ouvrage. Et dans huit jours, quand Oscar sera bien sec et tout pomponné, nous organiserons notre habituel grand raout, avec tous les notables de la région. C’est un régal de les voir chaque année, admirer et baver d’envie devant nos nouveaux « meubles ». Ils nous questionnent sournoisement, essaient de savoir où nous les achetons ! C’est trop drôle ! Mais…motus, c’est notre petit secret ! »

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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