SAMEDI 7 avril 2007
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
" L'espérance des expériences "

Animation : Régis MOULU.

Thème :

Lettre à un jeune homme en pleurs

Sniff, sniff, sniff et re-sniff, re-sniff et re-re-sniff-sniff etc.

L'expérience de cette démarche est de gagner en subtilité relationnelle. Le travail du choix des mots et de la façon de s'exprimer devra respecter le conglomérat de facettes que présente une personne, ici le jeune homme en pleurs. Et un souci d'authenticité se doit de parachever le tout !

Ne voilà t-il pas une mission aussi utile que délicate ? Faut-il vraiment être compassionnel ? Et si je ne veux pas ! etc. … D'autant plus qu'écrire une lettre veut dire aussi "s'engager à dire", comme si écrire c'était graver une pierre…

Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support présentant quelques éléments formels et techniques (ex : les spécificités d'une écriture épistolaire avec un exemple de correpondance de Mme de Sévigné à sa fille chérie, l'énoncé des qualités que possède une personne rassurante et tout ce que peuvent recouvrir des pleurs)! Top génial, non ?

 

Mais que sait-on de ce jeune homme ?

Au démarrage de la séance d'écriture, des infos ont été transmises aux "participants écrivants", à savoir ceci :

Dans un café, vous vous êtes installé(e) à une table que venait de libérer un jeune homme en pleurs (situation présentée par la photo ci-dessous) … … Une fois assis(e), vous trouvez ce message écrit :

" A celui qui s'assoira là. Cher vous, Je pleure sans discontinuité. Parfois j'en suis même moi-même étonné, mais à peine cette pensée m'arrive que déjà je me remets à pleurer !!! C'est dingue ! Comme quoi j'ai l'impression qu'à ce stade, la seule chose qui puisse m'aider c'est d'être étranger à moi-même, mais comment faire ? Que faire ? Ah, si vous pouviez me laisser une lettre qui me guiderait et la confier au patron du bar ! J'y passe souvent, j'aime ce bar. Il me calme. Pardonnez-moi si je suis ennuyeux. Lire, vous lire, est bien la seule chose que je puisse encore avoir le courage de faire, vous comprendrez que je ne puis rencontrer personne.
Un jeune homme en pleurs. "



Ci-après quelques textes produits durant la
séance, notamment (dans l'ordre):

- "Lettre à un jeune homme en pleurs" d'ARGOPHILHEIN

- "Le journal froissé" de Janine BERNARD

- "Jean, ne pleure pas" d'Aurélie BOCCARA

- "Lacrimajardinadansa" de Marie-Odile GUIGNON

- "Une bonne soeur... sans cornette !!!" de Janine NOWAK

- "Un vieil homme en partance" de Rémi DANO

- "Lettre à un jeune homme en pleurs" de Céline CORNAYRE

- "Un bar pour pleurer" d'Angeline LAUNAY


"Lettre à un jeune homme en pleurs" d'ARGOPHILHEIN

Cher Jhep,

Je vous ai fugitivement croisé quand vous avez quitté la table que j'occupe maintenant dans ce café que vous aimez tant et où vous avez souffert il y a juste un instant.

Votre visage noyé de larmes m'a suggéré le nom que je vous donne : Jhep - jeune homme en pleurs -. Si vous êtes danois, il vous conviendra, un de mes amis vivant à Copenhague près de la Petite Sirène s'appelle Jeppé. Vous donner un nom me permet de penser que nous sommes proches et que vous m'êtes cher, que notre intimité relationnelle existe dès à présent, dès que j'ai lu votre message.

Je réponds à votre demande : vous pourrez me lire, mais pourrais-je vous aider ? Je ne sais même pas pourquoi vous pleurez. Et qui vous êtes. Mais en relisant votre billet, je vois que vous souhaitez devenir étranger à vous-même, il ne m'importe donc plus de vous connaître si je dois vous faire oublier votre vous et votre désarroi.

Mais comment faire, dites-vous ? Et comment dois-je faire moi-même pour y parvenir ? Nous sommes là tous deux bien désorientés, vous désespéré, moi dépité. Mais je ne capitule pas, votre douleur m'a plus qu'interpellé, elle m'a révolté comme une injustice, pour finir par m'envahir comme seule une grande tristesse peut le faire. Mais si, quand les émotions nous ravagent, nous sommes à leur merci, incapables de nous soustraire à leur pouvoir empirique, le vent de la vie qui veut se délivrer du joug des passions dévorantes nous pousse au large, vers l'océan immense de la sérénité, là où joie et plénitude se rejoignent pour nous faire apprécier la vie.

Imaginez un voilier, belle coque de bois avec de grandes voiles gonflés par le vent. Savez-vous naviguer ? Qu'importe, l'île attendue est devant vous et les alizés vous y portent avec une exquise douceur. Les derniers feux d'un merveilleux coucher de soleil austral emballent votre coeur, vous parvenez sur une plage où le sable volcanique mordoré est parsemé d'une poudre vierge de coquillages. Clapotis de l'eau puis roulement régulier des vagues qui s'accrochent chaque fois plus haut au rivage, c'est marée descendante qui remonte. Les battements de votre coeur se calment pour ne plus être perceptibles qu'à eux-mêmes, vous vous sentez parfaitement réjoui d'être là où vous êtes, lové dans un sable mouvant qui ne demande qu'à vous recevoir, vous épousez, vous protéger. Rien ni personne ne saurait vous surprendre, vous entraver, tout le bonheur du monde coule dans vos veines, vous êtes une douce puissance qui se sent vivre et aimer cette vie.

Pleurez-vous encore, Jhep ? Les larmes sont bénéfiques aux visages crispés de douleur ; elles nous pénètrent de la douceur de la vie en inondant notre visage de leur chaleur piquante, salée. Tant qu'elles viendront, laissez-les aller, ne les retenez pas, elles diminueront votre colère et votre tristesse. Sentez-vous comme elles vous reposent, calment vos tensions, empêchent votre désespérance d'envahir votre corps et de l'ensevelir comme une vieille arche prise dans le déluge ? Votre jeune vie se révolte et pleure et c'est un bien grand salut, c'est celui de la vie qui se veut libre et qui irruptionne comme elle peut, inondant d'une eau douce et régénérant les pentes asséchées de votre coeur volcanisé.

Après une détente sur le sable chauffé par le soleil du soir, un petit tour aux abords de l'île vous fait penser que même Robinson l'a désertée. Un léger vent de panique submerge votre zen, mais la curiosité l'emporte : où suis-je ? que vais-je faire ? que va-t-il m'arriver ? Comme vous vous sentez imprégné d'une nouvelle force calme, votre peur vous déserte, laissant place à une puissante confiance en vous et en l'avenir, et vous vous sentez prêt à affronter le monde des autres qui vous a tant meurtri et effrayé. Vous ne serez plus seul ? Tant mieux. Même une île déserte est peuplée d'une flore et d'une faune multicolores, bruissante, rampante, pépiante, hurlante, rugissante. La vie en nous est aussi autour de nous et cette interaction est constante, rebondissante. Laissez-vous emporter vers les horizons bariolés du zigzag de la vie et si vous voulez savoir la suite de votre histoire, écrivons-la à deux, comme une partition à deux mains. Demandez au patron du café quand vous repasserez si un nouveau message a été placé à votre intention dans une de ses bouteilles, je n'en serai pas surpris.

Bacchus.

 

"Le journal froissé" de Janine BERNARD

" A celui ou celle qui s'assoira là.

Cher vous,
Je pleure sans discontinuité. Parfois, j'en suis même moi-même étonné, mais à peine cette pensée m'arrive que déjà je me remets à pleurer !!! C'est dingue ! Comme quoi j'ai l'impression qu'à ce stade, la seule chose qui puisse m'aider c'est d'être étranger à moi-même, mais comment faire ? Que faire ? Ah, si vous pouviez me laisser une lettre qui me guiderait et la confier au patron du bar ! J'y passe souvent, j'aime ce bar. Il me calme. Pardonnez-moi si je suis ennuyeux. Lire, vous lire, est la seule chose que je puisse encore avoir le courage de faire, vous comprendrez que je ne puis rencontrer personne.

Un jeune homme en pleurs. "


Mon cher petit,

L'âge me permet ces deux adjectifs pour répondre à votre appel.

Mes bras de femme programmés pour les petits chagrins, en ont souvent consolés de plus vastes et de plus abruptes. Le vôtre ne doit pas échapper à la règle.

Lorsque je vous ai regardé quitter le velours grenat que j'occupe en cet instant, je n'ai vu que vos épaules lourdes, secouées de sanglots et le léger tremblement du journal rouler que vos doigts oppressaient. Vous étiez déjà proche de la porte et l'incongru de vous rattraper devant tous les piliers du bar, a retenu ma spontanéité. En vous lisant, de suite, j'ai regretté ma seconde de faiblesse. Et si bien même je m'étais élancée pour retenir le poignet de votre manche, vous seriez-vous retourné ? La main tendue d'une vieille femme est-elle seulement, à votre âge, digne d'un regard ?

Un chagrin ne frappe pas à la porte de notre âme sans raison.
Le vôtre a certainement les siennes, ardues, compliquées, ou simples. Peu importe. Laissons les de côté.
Savez-vous qu'elle fut ma première pensée en vous apercevant ?
" Enfin ! En voilà un qui pleure ! ".
Si les hommes qui dessinent notre monde depuis si longtemps pleuraient un peu plus souvent, celui-ci serait moins cabossé.
C'est la vieille femme qui parle. Dans notre monde de jeunots, on les méprise plutôt, il n'y a qu'Internet capable, souvent, de vous faire exister, mais Internet, ne sait-il donc pas aussi, consoler ?

Se donner le droit de pleurer, de se répandre, n'est-ce pas déjà s'exprimer ?
L'enfermement des émotions est une bombe à retardement.
Tant de pauvres êtres, souvent de sexe masculin, corsètent leur âme pour contenir le flot irrésistible qu'ils permettent à l'autre sexe. Quelle prétention ! Ce qui est permis aux unes, ne l'est pas aux autres ? Juste ciel ! Pourquoi ?
Les femmes ont droit aux pleurs, jeune homme, pas vous ! Et combien de ces oisillons se cachent sinon pour mourir mais simplement pour pleurer ?

Ma grand-mère vous aurait dit vertement (pardonnez la) ; " Pleure mon petit, tu pisseras moins ! " C'est ce qui en faisait son charme et mes souvenirs.
Mon fils, lui, vous dirait : " C'est la chaudasse que tu kiffais qui t'a fait un enfant dans le dos ? ".
Voyez comme mon discours hésite entre ces deux extrêmes !
Moi, si vous étiez devant moi, je vous dirai : " Pose ta tête sur mes genoux mon grand, et raconte moi ". L'accepteriez-vous ?
Alors, tout en caressant simplement la mèche de cheveux si lourde à votre front, vos paroles ou vos larmes se mêleraient au silence de mon écoute.
Dans le monde des femmes cette attitude est fréquente et c'est tout ce qui fait et leur complicité et vos sarcasmes.
Leur cerveau est ainsi fait, mais est-ce leur cerveau, leur âme, leur cœur ? Peu importe. Elles sont ainsi faites.

Elles le savent toutes, d'instinct. Poser le chagrin dans la moulinette des mots, le fait s'émietter. D'un bloc dur et compact, il devient pyramide de misères en poussières sur laquelle elles marchent quelques enjambées et qui les porte un peu plus loin, juste quelques pas devant. La douleur alors s'éloigne, la pensée devient plus claire et les soucis en s'expliquant paraissent tellement plus légers. Si solution il y a, elle devient visible, palpable, certaine.
Et pendant que l'une mouline, que fait l'autre ? Rien. Elle a écouté, elle écoute, elle écoutera jusqu'à ce que la moulinette des mots soit épuisée.
Raconter, mon cher petit, c'est déjà comprendre, et comprendre, c'est accepter. A condition de raconter dans une oreille, une vraie, pas sur un blog.
La parole d'abord, le dépit ensuite, et enfin les larmes. Permettez moi une image pâtissière.
La farine, le beurre et l'eau. Malaxez le tout et vous ferez une nouvelle pâte. Brisée, peut-être, mais bonne. Votre nouvelle voie, votre nouvel avenir, si vous le pétrissez bien et l'arrosez de larmes, la vie se chargera de vous les cuire. A point. Et délicieuse à croquer sera votre nouvelle voie. Des larmes, il en faut. Juste la dose, sans elles votre pâte de vie ne lèvera pas.
Mais pas trop n'en faut, sinon manqueront farine et beurre et tout sera à refaire. Tout est question de dosage et d'écoute. Une écoute sincère, attentive, une écoute de femme. Ponctuée de petits mots, d'un soupir, pour vous prouver que l'oreille est bien là, toute à vous.
Avez-vous déjà vu ou entendu un homme écouter ? Il évite vos yeux, rejoignant ce qui court dans ses pensées. Aucune ponctuation, seulement le silence, la ligne droite, au final le vide.
Aujourd'hui la machine Internet vous explique aussi bien la composition des larmes, leur rôle que les recettes de cuisine, fussent elles les plus fameuses. Mais aucun site, aucune wi-fi des cybercafés que vous fréquentez (votre allure me l'a fait supposer) ne vous apportera la douceur d'une main attentive sur votre front. Trouvez, mon cher petit, l'épaule pour pleurer, les genoux pour votre tête trop pleine et une oreille attentive pour vos mots.

L'homme qui pleurait, de mon temps, avait disait-on " un cœur d'artichaut ". Et s'il pleurait, il n'était pas digne de ce nom. Pauvre légume, pâlot et molasson ! Juste bon à posséder un cœur si tendre qu'on se régale à le dévorer.
Pleurez, mon cher enfant, pleurez. Lorsque la source vive de votre peine sera tarie, vous referez surface.
Il faut toucher le fond, le plus bas possible pour qu'un coup de talon vous permette de remonter. La force de ce coup de talon, une femme peut vous l'insufflez en vous écoutant. C'est toute la magie des mots partagés car écoutés. Les mots des femmes leur donnent peut-être la force que les hommes leur envient.
Laissez venir votre moi féminin. Laissez le vous envahir, vous submerger, demandez vous seulement où puis je pleurer. En secret ? Caché dans vos toilettes, derrière le rideau de votre chambre ou sous votre oreiller ? En pleine lumière, en pleine rue, en plein café, en plein cyber-café ? Chiche ?
Imaginez la scène. Vous, écroulé sur le clavier, avec les images sur l'écran, floues à travers le rideau de vos larmes, et les autres ? Hilares, pouffant de suffisance :
" Une pétasse de perdue et dix dans la foulée ! ", " Va pleurer chez ta mère, eh ! bouffon ! ".

Ai-je écrit " le " mot qui vous décidera ? Venez demain, à la même heure, pleurer sur mes genoux, chiche ?
Le ridicule ne tue pas, la pudeur non plus. La salle est dans la pénombre à cette heure de la journée. Je suis une habituée des lieux, même si je n'ai plus le souvenir de vous avoir croisé auparavant. Mais ma mémoire vacille, c'est le privilège de l'âge.

Et que des larmes de joie ponctuent votre déluge de chagrin, c'est le seul mal que je vous souhaite pendant notre rencontre. Je vous attendrai. Libre à vous d'être là. Que vous veniez ou non, je comprendrai.
Le lustre en demi-teinte me fait un clin d'œil. Il se fait tard. L'Alzheimer me guette, ma condition m'appelle.
J'embrasse vos cils refermés sur le chapelet de vos rêves. Votre appel m'en a redonné un.

 

"Jean, ne pleure pas" d'Aurélie BOCCARA

Cher jeune homme,

Je vais vous appeler Jean, car c'est un prénom que j'aime (c'est le prénom de mon grand-père maternel, que je n'ai malheureusement jamais connu, car mort très jeune, et également c'est une partie du prénom de mon frère aîné, Jean-David, vous me suivez ?) ; j'espère que vous l'aimerez aussi. C'est très important qu'il vous plaise et que nous soyons comme on dit aujourd'hui " en adéquation ". Il faut donc partir sur de bonnes bases pour que cessent vos pleurs et votre tristesse. J'ai confiance en NOUS !!!!

Vous avez votre destin en main et j'ai bonne confiance que tous ces pleurs, ces moments de solitude, de noirceur, d'amertume, de doutes, de déplaisir, de dégoût… , sources de tous ou parties de vos maux vont partir du moins je l'espère s'atténuer.

Quand on pleure en général, ce n'est pas pour rien.
Cher Jean, tu es malheureux, c'est certain :
- une histoire de cœur
- une histoire de femmes, d'hommes (tu sais je suis très ouverte, tu peux tout me dire ; rien ne me choque surtout à notre époque)
- une histoire de tripes, d'actions, de jeux : " heureux au jeu, malheureux en amour ", mais là je m'égare.

Cher Jean,
Tu pleures, tu pleures, tu pleures et comme dirait César dans la trilogie de Marcel Pagnol " Marius, Fanny et César ", tu me fends le cœur.

Et je pense que toute personne ayant un cœur qui batte un minimum aurait la même réaction que moi ! Pourquoi pleures-tu mon amour ou cher enfant, je ne sais plus ? Pour une fille, ou un mec, ça passe et ça n'en vaut pas la peine et un ou une de perdu(e), 10 de retrouver : elle est pas magique cette phrase !

Moi, je ne voudrais pas remettre à ton copain le barman une lettre (censée te faire du bien), mais j'aimerais plutôt te prendre dans les bras, te consoler, te câliner, te donner de doux baisers, comme on le fait à un enfant. Et tu n'es qu'un enfant, sage, doux, exemplaire, qui tel un oiseau immense ne demande qu'à se déployer et à découvrir le monde.
Prends ton sac à dos et viens avec moi (comme dirait la chanson) traverser les dunes et les montagnes, les vallées, les forêts, les lacs, les monts… tout ce qui fait le monde, tout ce qui fait l'origine du monde, donc la VIE. On y vient : enfin !!!!

Je peux me tromper mais je crois que tu as peur de découvrir, d'affronter le monde et la vie en général. Tu te cantonnes donc à te lamenter (excuse-moi pour ce jugement, pour cette prise de position), en pleurant sur ton sort continuellement dans ce bar sordide. Il te plaît tant que ça, t'as un " ticket " avec le patron ou quoi ? Enfin, tu fais ce que tu veux de ta vie, qui a l'air super géniale apparemment, c'est à dire, telle que je la perçois.

Allez Jean, debout ! Haut les cœurs ! La vie s'offre à toi ! On se tutoie non ? Depuis le temps ! Ecoute, tout le monde, à part les animaux peut-être et encore (tu n'es pas un animal que je sache) a des sentiments, des hauts, des bas, des coups de blues, de super blues, mais pas le blues de Johnny Hallyday, le Blues avec un grand B, qui nous prend au corps et aux tripes, qui nous met par terre, à terre comme un boxeur qui est mis KO, OK ?
Ca c'est terrible, tour être humain (tout du moins je l'espère) a éprouvé au moins une fois dans sa vie du Blues….
Oh, tu me fatigues, tu vas me dire (en toi-même, avec ce blues, moi c'est plus profond, ce sont des torrents de larmes et des rivières de larmes). Eh bien, pleure puisque tu en as tellement envie et besoin !

Tu veux que je te laisse une lettre qui donc te " guiderait " et la confier au patron du bar. Alors donc, comme ça tu fais confiance et tu prends pour argent comptant les dires et sans doute les foutaises du premier " pecnot " passant par là.

Autre chose (référence au mot laissé par le jeune homme en pleurs), tu n'es pas ennuyeux et ne t'excuse pas, ou plutôt arrête de t'excuser (on me le dit aussi, alors j'essaie de faire écho).

Je comprend que lire une lettre te fasse du bien et soit la seule chose que tu puisses encore avoir le courage de faire, mais ce que je ne comprend pas, c'est que tu ne veuilles rencontrer personne. Tu t'enfermes dans une solitude qui est néfaste, pour toi et pour ton entourage. Sans le savoir, et sans le vouloir j'espère, tu te fais du mal. C'est bien beau de lire des lettres, mais cela avance à quoi ? Ce premier pas que tu fais est louable, mais il faut aller plus loin, vers des personnes proprement dites, physiques, humaines, qui ont des bras, des jambes, un cœur, des poumons qui battent, qui vivent pour ressentir des émotions.
N'aimerais-tu pas avec les autres ressentir des émotions ? (peut-être pas fortes au départ mais qui seraient motrices de nouvelles actions ….)

Tu te définis au bas de ta lettre comme :
" Un jeune homme en pleurs ". On dirait presque (peut-être que je me trompe) que cela t'amuse ce petit jeu auquel tu t'adonnes. C'est un concours, il y a un prix à gagner ?…..
Il ne faut pas jouer avec les sentiments des gens, nul doute que tu ne le fais pas, mais tout de même c'est étrange de présenter comme cela aux autres.

Autre chose : que pourrait-on dire d'intelligent à un jeune homme en pleurs, qui passe son temps à se lamenter sur son sort ?
Quels sont les raisons de cet état physique et forcément aussi mental ? Bref, pourquoi est-il malheureux ? Et qu'aimerait-il lire qui le rendrait heureux ou du moins moins malheureux ?
- que c'est une personne exceptionnelle physiquement et moralement
- que c'est quelqu'un d'intéressant, et même de très intéressant, sinon pourquoi lui répondrait-on en lui écrivant ?
- que sa vie vaut d'être vécue parce qu'elle est belle, qu'elle s'offre à lui et inversement et donc qu'il n'y a que de bonnes et belles choses à prévoir !!!

Je sais que tout ce que je vous ai dit ne transformera pas votre vie, mais j'espère qu'au moins cela aura ouvert une fenêtre. Et de nos jours, il y a des fenêtres de très grande taille même dans de tout petits appartements ou chambres de bonnes du cœur de Paris.

Aurélie BOCCARA

 

"Lacrimajardinadansa" de Marie-Odile GUIGNON

Pour vous, le jeune homme en pleurs,

C'est un grand bonheur de savoir que la seule chose que vous puissiez avoir le courage de faire, c'est de lire, de me lire… Cette lettre sera donc comme le miroir qui, je l'espère, vous permettra d'atteindre ce qui vous tenaille, la seule chose qui puisse vous aider, celle d'être étranger à vous-même.

Sur votre visage une larme, une seule, vient de glisser dans le creux de votre main, elle s'y réfugie suivie par votre regard…. C'est une perle rare si transparente… si limpide… si étonnante… si ronde … Que voyez-vous maintenant ?

N'est-ce pas une boule de cristal…Qui grandit et s'irise ?

Scrutez donc ses reflets, voyez-vous cette personne étrange à l'intérieur qui vous invite à la suivre ? Elle vous convie à la découverte de son monde intérieur…Elle vous fait signe. Laissez-vous glisser dans le pays mystérieux de : " LACRIMALISINE. "

Il était une fois un royaume où tous les habitants vivaient heureux en cultivant leurs jardins intérieurs. Tous ces jardins, même celui du Roi et de la Reine, se dessinaient le longs de ruisseaux aux nombreuses méandres. Ces petites rivières modelaient un paysage vallonné aux pentes douces verdoyantes et veloutées que chacun pouvait caresser des yeux en y ajoutant ça et là les couleurs de l'arc en ciel, car chaque habitant du royaume, selon son cœur, avait le pouvoir de faire apparaître les plus belles fleurs de ses pensées et de ses désirs.
Selon les humeurs de la journée les nuances changeaient.
Lorsque que l'esprit de la population s'adonnait au rêve, les bleus dominaient et certaines parties du paysage se confondaient avec le ciel tandis que d'autres sombraient dans les bleu-nuits les plus profonds… Dans ces moments là, l'eau coulait sans bruit dans un débit continu… Souvent dès l'aurore, les initiatives des optimistes inondaient l'atmosphère translucide de la rosée matinale et vaporeuse, une douce humidité déposait ses roses oranges rouges de-ci et de-là… Alors les petites rivières sanglotaient joyeusement en s'ébrouant sur les cailloux blancs… Si les réflexions dorées du ROI irradiaient de jaune soleil, le paysage se parait des verts et des violets créés par l'imagination de tous ses sujets, provoquant des cascades et des torrents qui jaillissaient en clapotis mousseux à la limite du débordement !!! Si l'excitation montait, c'était risquer l'inondation d'un flot désordonné et tumultueux !… Et c'est ce qui se produisit, UN JOUR. Tous les souhaits les plus fous, toutes les idées les plus saugrenues tous les vagabondages cérébraux les plus impossibles, se manifestèrent en même temps !
L'arc en ciel ne savait plus où donner de la courbe, les couleurs pâlissaient de crainte et se mirent à déprimer, l'eau se métamorphosait en fleuve qui ne se contenait plus, sanglotait hors de ses lits, noyait les pentes douces des vallons et se gonflait des hoquets les plus hystériques du ciel qui l'écrasait de ses trombes !
Dans ce chaos le royaume disparu dans un flot SANS DISCONTINUITÉ, sombre, noir.
Dans ce néant, dans ce rien, un frémissement surgit subitement. La REINE palpait son collier de nostalgies : Ses pensées légères, ses désirs gracieux : c'était le Mouvement (avec un grand M ) les arabesques, les petits pas, les sauts les pirouettes les envolées en un mot La DANSE !
Evoluer sur la musique cristalline de la harpe, sauter et virevolter, valser au rythme des instruments de l'orchestre, se laisser envoûter par les violons d'un tango argentin, rebondir en transe au son des tam-tams et laisser ses sensations divaguer dans tous les muscles de son corps ou suivre ses émotions sur les fibres de sa peau… Et le miracle s'accomplit !!!
Le royaume reprit sa place et retrouva ses couleurs parce que les habitants entendirent l'impulsion de la Reine. Plutôt que de se laisser aller à leurs débordements anarchiques, ils se mirent à les canaliser par la Danse et les rythmes musicaux… Ainsi leurs énergies réinvesties élargirent les champs de leurs possibles et leurs jardins intérieurs s'enrichirent de ces nouveaux modes d'expression.
Le royaume avait atteint une autre dimension…

Maintenant que vous avez pénétré dans le miroir de l'étranger issu de vous-même, puis-je vous proposer ces réflexions ?
Voltaire l'a écrit : " Cultivez votre jardin* "
Et j'ajouterais : comme le suggère Jean de la Fontaine :
" Vous pleuriez ? Eh bien, dansez aussi maintenant* ! "

Peut-être à bientôt ?
Dans le nouveau pays de " LACRIMAJARDINADANSA "

*Citations adaptées pour le texte : D'un conte de François-Marie Voltaire - Candide (1759) : Dernière phrase "… Il faut cultiver notre jardin " D'une fable de Jean de la Fontaine - La cigale et la fourmi (1668) : morale finale "… Vous chantiez ? j'en suis fort aise. Eh bien, dansez maintenant"


"Une bonne soeur... sans cornette !!!" de Janine NOWAK

Jeune homme, Evidemment, avec ma chance, il fallait que ça tombe sur moi. J'ai 58 ans et j'ai passé ma vie à consoler les autres. Alors … une fois de plus ou de moins … D'ailleurs, j'ai un cousin qui a pris l'habitude - par affectueuse moquerie - de m'appeler " la bonne sœur sans cornette ! ". Hélas, mon espérance de vie diminuant d'année en année, l'humanité souffrante verra un net ralentissement de mes activités de soutien moral d'ici une à deux décennies. Mais aujourd'hui, au mieux de ma forme, je suis en état de m'intéresser à ton cas. Et comme tu as l'âge d'être mon fils, je prends la liberté de te tutoyer. Ce sera plus confortable et plus amical.
Curieusement, avant d'entrer dans ce bar - où, en fait, je n'avais nullement l'intention de pénétrer - je t'avais, par hasard, repéré depuis la rue, puis observé un bon moment. Je voyais les larmes couler sur ton beau visage. Et tu avais dans le regard un je ne sais quoi d'éperdu, si émouvant … A un moment, tu as semblé te calmer et tu as même ébauché une esquisse de sourire. Tu t'es levé, approché du patron du café, et tu es revenu muni d'une feuille et d'un crayon. Sans hésiter, sans réfléchir, tu as tracé les quelques lignes que je viens de découvrir. Ensuite, menton tremblotant, nouveaux pleurs au bord des cils, tu t'es brusquement dressé, laissant l'argent de ta consommation et ce feuillet, sur le guéridon. Puis tu es sorti très vite, comme si tu voulais fuir ce lieu. Je n'allais pas te suivre. Mais la curiosité me poussant, je suis entrée et me suis rapidement faufilée pour m'approprier ce billet.
Que vais-je pouvoir te conseiller ?
Je ne connais rien de ton chagrin, de ce qui le motive …
On prétend, que d'habitude, je suis très douée pour décoder les sentiments d'autrui, que je suis capable de suivre les pensées sur un visage. Mais pour cela, il faut certains éléments qui, ici, me font défaut … Je ne peux que faire des suppositions, envisager des hypothèses.
Serait-ce un chagrin d'amour ? Une peine de cœur ? Une rupture ? A ton âge, c'est ce qui vient en premier à l'esprit. La seule chose que je puisse te dire, si tel est le cas (outre le fameux et pesant : " une de perdue, dix de retrouvées "), c'est que quand on tient vraiment à quelqu'un, on accepte énormément de choses de lui. Donc si elle (ou il, bref, ton " âme sœur ") est parti(e), ne t'enlise pas trop dans les regrets ; cette personne n'était pas la bonne.
Est-ce un deuil ? Je le sais par expérience : le pire dans un décès, c'est le moment où l'on réalise que, quel que soit le nombre d'individus qui pleurent le cher défunt (parents, proches, amis …), on ne trouve pas deux quidams qui ressentent sa disparition de la même manière. Ainsi donc, on a toujours l'impression de passer le cap tout seul, d'être le plus malheureux des humains. Toutefois, nous bénéficions de cette grâce : le temps aide à la guérison.
Est-ce une culpabilité de naissance ou d'éducation ? Lorsque j'avais ton âge, ma devise préférée était : " Le sort fait les parents. Le choix fait les amis " (Ainsi parlait Zarathoustra - Nietzsche -). Ces blessures qui jamais ne se referment, que l'on refoule - en vain - dans l'inconscient, ces déchirements intimes qui nous laissent toujours aux prises avec nos tourments, ces anciens démons que l'on affronte encore des années plus tard, ces vieilles rancunes qui plongent leurs racines dans le passé, sont les pires qui soient.
La vie est comme un tour de manège : un instant de griserie, et puis la réalité - si âpre - nous rattrape toujours. Nous sommes aussi vulnérables que des papillons épinglés vivants qui se débattent jusqu'à épuisement. Le télescopage constant du passé et du présent provoque des étincelles. Le plus difficile est de bien gérer cet afflux d'images et de souvenirs, de faire face à ces silences et ces non - dits, qui pèsent si lourds.
Aussi, je te demande, bien humblement, de lire puis d'essayer d'appliquer mes " dix commandements " :
- sans relâche, il faut toujours, oui toujours, recommencer à faire naître l'amour
- il faut chercher et trouver l'apaisement
- il ne faut pas se dire que le téléphone qui sonne ne saurait annoncer qu'une mauvaise nouvelle
- il faut, lorsqu'un homme est à terre, ne pas discuter avec lui, mais rapidement lui tendre la main, l'aider à se relever
- il faut laisser les choses se décanter doucement, au lieu de tout éventer
- il faut savoir faire de " pieux mensonges " (certains mensonges sont pardonnables s'ils évitent de faire de la peine)
- il faut, parfois, faire craquer la carapace de convenances et sortir de son espace bien balisé, psychorigide et puritain, afin de vivre enfin, et de respirer à pleins poumons. La vie est belle, que diable !
- il faut prendre du recul, s'éloigner, partir, aller partout où la beauté des lieux élève l'âme au dessus d'elle-même
- il faut éviter les outrances de vocabulaire qui ne font qu'aggraver fâcheusement les situations tendues
- enfin, sache qu'il ne saurait y avoir culpabilité sans intention délictueuse.

Par ailleurs, dis-toi, que bien des gens sont accueillants et sans préjugés ; que tu dois toujours essayer de sortir victorieux des épreuves, et que seule TA volonté te conduira au succès escompté.
Si un jour, un heureux hasard me permet de te regarder une nouvelle fois en cachette, j'apprécierais de voir une petite lueur d'espoir illuminer ton visage.
Quel bonheur si je pouvais avoir un peu d'ascendant sur toi, s'il m'était permis de t'aider à retrouver bon moral ! Est-ce trop demander ?
Aurais-je l'espoir d'une réponse ?
Je ne te connais pas, mais je t'aime déjà.
Conformément à ton souhait, je remets ma lettre au patron.

Avec toute ma sympathie,

Tata Janine



"Un vieil homme en partance" de Rémi DANO

A celui qui s'est assis.

Cher vous,

Pourquoi s'assoire ici ?
Pourquoi écrire ?
Pourquoi pleurer ?
J'aurais aimé le savoir. Cela m'aurait simplifié la tâche.
Je retrouve votre lettre sur la table. Elle m'est clairement destinée et j'en suis ravi. Ce n'est, en effet, pas tous les jours qu'un jeune homme en pleurs nous laisse une lettre ; je veux dire "ça" lettre.
Réjouissez-vous car c'est à moi que vous parlez. Je ne viens pas boire un café, ici. Je ne viens pas lire mon journal ni tuer le temps, non plus. Non, je suis venu ici lire votre lettre et depuis des mois que je vous suis, je l'attendais. Enfin, je vous tiens entre mes mains. Enfin, je vous lis. Mais que ma tâche est délicate !...
Qui suis-je, pensez-vous, en lisant ces quelques lignes. Pour répondre à votre curiosité légitime, je dirais que je suis votre autre vous-même, peut-être la partie de vous dont vous vous sentez étranger, parfois.
Je fais parti de ceux qui descendent. Avec les miens, nous sommes partout : dans les bars, dans les jardins publics, dans les bureaux… Partout ! Nous observons, nous repérons, nous suivons les hommes. Nous guettons la moindre larme, l'œil rouge, les paupières humides. Le moindre reniflement est pour nous. Car c'est la seule chose que nous attendons : vous voir pleurer. Lorsque nous vous avons découverts, nous patientons, tournons, piétinons. Nous espérons, en fait, que vous nous laissiez cette lettre anonyme, cette confession, car elle est l'unique moyen pour nous de savoir et surtout d'entrer en contact avec vous et votre tristesse. Ma patience a été récompensée, enfin. Car c'est ici, entre ces néons vacillants et sur ce bois patiné que vous vous livrez à moi, que vous nous donner à tous les deux une chance… Mais peu importe qui je suis, en vérité, car ce qui compte c'est plutôt ce que je fais et pourquoi.
Mon but est de partager cet instant avec vous. Je suis venu de là-bas pour vous soulager de vos chagrins, vous les prendre si l'on peut dire. Avant, je tentais de voler leurs tristesses aux jeunes hommes en pleurs mais cela ne marchait pas. Maintenant, je préfère qu'ils me les donnent. Mais aurez-vous le courage de me céder les vôtres ?
Qu'en ferai-je, me demanderez-vous ?
Rien, je n'en ai pas besoin. Si je vous les prends c'est avant tout pour que vous ne les gardiez pas. Et je vais vous dire pourquoi :
Ne vous êtes vous jamais étonné de ne voir que les femmes pleurer ? Et les hommes ? Vous me direz : ce n'est pas très masculin. Certes non, mais c'est humain. Vous insisterez et vous me direz que les hommes ne pleurent pas. Sur quoi je vous répondrai : séchez vos larmes… Alors je vais vous livrer un secret, un de ceux qui ne sont pas dans les livres, ni dans les enseignements et qui ne devra jamais effleurer la conscience des femmes. Voilà : les hommes pleurent et ils pleurent au moins autant que les femmes. Vous en avez fait l'expérience. Alors pourquoi les voit-on pleurer si peu ? Eh bien parce que nous descendons parmi eux, les miens et moi-même, pour les conseiller et les consoler. Il ne faut pas que les hommes pleurent avec ostentation : cela ferait voler l'ordre du monde, cela fragiliserait l'humanité.
Et pourquoi ne pas consoler les femmes, alors ? Eh bien parce qu'elles sont bien trop fortes et que se sont elles, le plus souvent, qui nous consolent. Mais un jour que les hommes auront trop pleurés, elles ne pourront plus contenir l'humanité et pleureront peut-être à leur tour, et tous pleureront pour l'éternité. C'est pour cela qu'il vous faut sécher vos larmes.
Je pourrais vous en dire plus, vous savez, mais le temps presse et je n'ai qu'une seule chance : cette lettre. Et puis je me suis livré à vous et je crois vous avoir convaincu.
Je vous ai dit les choses, en quelque sorte, pour que vous sachiez. Il fallait que je gagne votre confiance. Maintenant que je ne suis plus un inconnu pour vous, laissez-moi vous parler, laissez-moi vous décharger et laissez-moi vous construire des cocottes en papier.
Ce ne va pourtant pas être évident, pour moi. La difficulté, c'est que les hommes en pleurs n'expliquent jamais pourquoi ils pleurent dans leur lettre. Vous-même, vous ne me l'avez pas vraiment dit. Comment vous guérir de votre chagrin, alors, si je n'en connais pas les raisons ? Vous comprenez le délicat de la situation, n'est-ce pas ? Mais, je dois trouver les mots. Eh bien tenez ! J'en ai un pour vous : " deux ". Voilà qui est un bon mot : rassurant et apaisant. C'est un " mot-éponge " : il avale vos larmes et s'en gonfle. " Deux "… C'est que nous sommes deux, en effet, mon jeune ami. Je ne sais pas vos peines mais je suis là, relié à vous par ce bout de papier et ses quelques lignes. Et " deux au moins ", devrais-je même dire, car qui sait encore qui pense à vous là où vous n'êtes pas.
Ah et, tenez, en voilà un autre : " chemin ". Ouf ! Vous l'attendiez celui-ci, n'est-ce pas ? Eh bien je vous le donne ; il est à vous. Ca y est, vous venez de sortir de ce bar qui était une étape sur votre chemin. Vous y laisserez votre chagrin. Maintenant que vous vous êtes levé, maintenant que vous êtes parti, peu importe les larmes versées, vous préparez déjà les joies futures. Rien n'est éternel, pas même le malheur.
Enfin, un troisième mot que je vous trouve : " être ", parce que vous existez. C'est exaltant, n'est-ce pas ? Voire vertigineux ! Mais que c'est beau ! Oui, c'est sûr, c'est beau et ça se suffit à soi-même. Il ne faudrait pas avoir besoin d'autre chose pour être heureux.
J'ai avec moi la preuve de votre existence, d'ailleurs : cette lettre que vous m'avez écrite. Et vous détenez la preuve de la mienne, aussi, même si personne ne me verra jamais ici-bas : ma réponse. Nous ne sommes bien que ce que nous faisons, en fait. Mais, ne nous égarons pas… Ma lettre touche à sa fin, mon jeune ami, et j'espère que j'aurai réussi dans ma mission. J'espère que vous ne pleurez déjà plus.
Malgré tout, je dois vous avouer que ma mission se limite à vous garder de pleurer, pas à vous empêcher d'être triste. Non, la tâche serait bien trop grande sinon. Mais je sais que, dorénavant, vous ne laisserez plus échapper visiblement ces larmes indociles, comme les hommes qui ont croisé nos lettres orphelines jusque là, comme ceux à venir, comme tous les hommes.
Ne croyez pas, enfin, que je retire quoique ce soit de réjouissant de mon activité. C'est difficile pour moi, sachez-le bien. A trop lire de lettres tristes, on le devient un peu. Mais dans mon malheur j'ai de la chance car je sais par expérience, depuis longtemps maintenant, qu'être homme et connaître le chagrin, c'est dur aussi.
J'emporte votre lettre avec moi parce qu'après tout elle m'était destinée. Mais aussi parce que je ne tiens pas à laisser traces de mon passage parmi vous. Vous détruirez ma réponse, j'en suis sûr : notre correspondance restera secrète, pour le bien de l'humanité.
Je vous souhaite bonne chance dans vos tristesses futures. Et je vous souhaite de la joie, par-dessus tout, sans quoi la vie ne serait pas vie.
Voilà. Je dois vous laisser, maintenant, car j'entends renifler à côté de moi…

Bien à vous et aux autres à venir.

Un vieil homme en partance…


"Lettre à un jeune homme en pleurs" de Céline CORNAYRE

Cher Vous,

Pourquoi vous répondre ? pour le jeu, pour l'intrigue ou tout simplement parce que vos mots me touchent, peut être plus que je ne l'aurais d'abord cru moi-même ? Tout à la fois sans doute.

Pourquoi un jeune homme qui n'est plus en âge de pleurer pleure t-il ? Peut être parce que ces larmes ne vous ressemblent pas, elles vous surprennent et vous inondent, tel un raz de marée aux conséquences les plus sombres selon vous. Cela est faux ! Au contraire, vider les larmes de son cœur demande du courage, et ce courage là est mixte ! il n'est pas réservé aux faibles femmes que nous sommes !!

"Pourquoi pleurez-vous" est naturellement la question que je me suis initialement posée. Perte d'un ami, perte d'un amour, perte d'un parent, ou encore perte d'une partie de soi même ou de sa santé, que sais je !! Je peux tout imaginer mais je ne peux rien figer car je ne sais pas. J'insiste sur cet aspect, je me sens à votre égard responsable et impuissante.
Quelle qu'en soit la ou les causes, il vous faut songer à l'avenir, à l'après. Cet appel au secours que vous m'avez lancé n'est pas anodin, loin s'en faut. Il m'a interpellée comme il vous interpelle vous-même. J'aimerais que ma lettre soit votre fil d'Ariane, mais j'avance moi-même à l'aveugle. Peu importe au final, puisque j'avance.

Pourquoi ne pas avancer ensemble ? Vous dîtes ne pouvoir rencontrer personne, mais vous m'avez rencontrée moi. Ce n'est pas un hasard, ce n'est pas un mirage, c'est comme cela, il nous faut l'accepter.

Alors à présent, pourquoi ne passer à l'action ? finit les tergiversations, finit les questionnements, finit les angoisses ! un seul maître mot : AGIR.

Oui, mais comment ? Comment faire cesser un tel torrent de larmes ? Juste un conseil : tournez vous ! regardez en arrière, tout le chemin de votre vie parcourut ! Cette vie vous appartient, avec ses joies, avec ses peines, elle est à vous, elle est derrière vous, puis sur vous, tel le mouvement incessant des vagues océanes.

Prenez le temps de vous poser, de vous apaiser….
Vous savez le faire, vous le faites déjà ; si ce bar agit sur vous comme un psychotrope, et bien, pourquoi pas !! Avec modération toutefois, sinon l'accoutumance pourrait bien vous rattraper !

Mettez vos qualités au service de vous-même ! votre sensibilité est un atout, non une entrave.
Vos pleurs ne demandent qu'à se transformer en idées, pourquoi vous en priver ?

Mais comment oublier me direz vous ?
Alors que partout le travail de mémoire est de plus en plus revendiqué, célébré, formaté… D'Auschwitz au génocide arménien, il est question au plus haut de pleurer et de surpleurer les victimes et de leur rendre hommage. C'est un devoir encore plus qu'un travail.
Mais n'oubliez pas que celui qui ne peut rien oublier voit sa raison sacrifiée….

Suis-je en train d'exiger de vous l'oubli ? un oubli définitif, froid et tranchant comme une lame ?
Non, naturellement non, mais il n'appartient qu'à vous de savoir ce qu'il est nécessaire et utile de garder ou pas. Vous avez ce pouvoir là, utilisez-le !!

Mais vous savez déjà tout cela, n'est ce pas ? Je suis sûre que cette lettre et les pleurs qu'elle contient font déjà partie de la solution.

Bien à vous.

Ariane


"Un bar pour pleurer" d'Angeline LAUNAY

A l'inconnu de ce bar,

Comme j'aime aussi ce bar, nous avons déjà quelque chose en commun… Et donc, je ne peux pas laisser votre lettre sans réponse. Ainsi, il y a ce bar et il y a " vous ", l'inconnu… l'inconnu de ce bar… Si j'avais envie de parler à quelqu'un, ce serait à un inconnu dans un bar ! - Nous porterions en nous toutes les chances, tous les mystères…
J'apprends que vous avez cette chance et ce mystère… de pleurer… la chance d'être sensible, le mystère de pouvoir verser des pleurs qui prennent leur source au plus profond de la terre.
Dans votre lettre si brève, vous dites être étranger à vous-même ; je dois vous avouer que j'éprouve aussi cette impression d'être étrangère à moi-même… Vous avez sans doute raison de penser que c'est la seule chose qui puisse vous aider. Je crois aussi que tout ce qui est extérieur à nous nous aide… Vous l'avez pressenti… Je m'efforce souvent d'expérimenter ces sorties de moi-même, et c'est comme si je tentais d'apprivoiser des animaux sauvages… J'en tire une peur qui me rassure… Au-dedans de moi, sévit une inquiétude… au-dehors, il faut s'aventurer coûte que coûte sur les routes hasardeuses.
Vous pouvez pleurer sans discontinuité, je vous y encourage. Parfois, les choses sont l'inverse de ce qu'elles paraissent. Rappelez-vous les paroles légendaires de la mère de Boabdil sur le chemin de l'exil : " tu pleures comme une femme ce que tu n'as pas su défendre comme un homme ". Etait-ce la remarque d'une mère aimante ?... Une mère aimante comprendrait qu'on ne garde rien en ce bas monde, encore moins un royaume et que, dans une telle déroute, seules les larmes sont éloquentes.
Mais, si j'étais votre mère, je vous dirais au bout de cinq minutes : - cela fait cinq minutes que tu pleures… c'est suffisant pour aujourd'hui. Maintenant, il est temps d'essuyer ton visage. Viens avec moi, nous avons fort à faire… Délaisse tes larmes d'aujourd'hui pour celles de demain, donne-moi la main, n'amassons pas de denrées périssables, et oublions pendant quelques instants que nous traversons une vallée de larmes…
Il sera bien temps de nous souvenir à nouveau. Alors, oublions à nouveau… C'est comme un ressac. Face aux rumeurs de l'océan, régénérons-nous aux vents furtifs et aux pensées délétères. Pleurons, ainsi que le dit le poète, pour " laver les hautes tables de mémoire ", pleurons pour nettoyer " la face triste des vivants ".
Partons ! Sans savoir où ni comment… Souvenons-nous de celui qui a dit à Lazare " Lève-toi et marche " et à Pierre " Viens et suis-moi "... Lui aussi pleura… C'était au jardin de Gethsémani, et tous s'endormirent autour de lui.
Plutôt plus de pleurs que de peurs… Et autant de fleurs que de pleurs… si possible… Serons-nous capables de rire entre les pleurs, de danser parmi les fleurs ? - Pleurer ou rire, faut-il choisir ? Rire à en pleurer. Pleurer à en crever. Vivre pour pleurer. Mourir de rire… " Eternelle qu'on prie, repassez donc demain ", implore celui qui rêve d'éternité.
" A celle qui s'est assise là "… Me voilà près de vous, d'ailleurs absent… Je vous écris avec ce crayon qui dérape sur les aquarelles de mes propres larmes. Vous me dites : " vous comprenez ", et je ne comprends pas… " vous comprenez que je ne puis rencontrer personne "… Comment vous expliquer que vous m'avez rencontrée sans m'avoir vue, que je me trouve ici sans que vous le sachiez… bien que vous l'ayez souhaité… que nous nous sommes retrouvés même si nous ne nous parlerons probablement jamais… Vous absent, moi présente mais vous présent à moi cependant… Je ne sais qui vous êtes… Qu'importe ! Je n'entends pas votre voix… Dommage ! Mais bientôt, vous parcourrez ces lignes… Une inconnue vous répond… Les phrases s'impriment sur le velours blanc de la page, et je ressens la douceur d'une soirée qui s'étire. J'imagine sans peine le jeune homme qui vient souvent s'asseoir dans ce bar, la tête enfouie dans ses mains pour pleurer… Maintenant je saurai qu'il n'y a pas meilleur endroit qu'un bar pour pleurer, pour confier aux mouchoirs en papier des messages d'espoir, de désespoir… les contraires qui se rejoignent… " pleurer des rivières " sur un standard de jazz qui s'insinuait par là.
Votre dernière phrase m'obsède… " Je ne puis rencontrer personne ". Evidemment… l'eau sous les pieds… tout glisse sur la pelisse… détrempé tel un animal de compagnie abandonné par temps d'orage… Non, je ne puis croire que cette silhouette qui se découpe au fond d'une impasse, ce soit vous ! Non, vous ne vous êtes pas égaré dans la rue du Massacre ! - Vous vous êtes assis dans ce café calme qui vous calme. Vous connaissez la bonne adresse et vous avez, sans le savoir, laissé votre lettre à bonne adresse.
Un jour, j'ai lu la longue correspondance que s'étaient adressés Sabine et Griffon sans se connaître. Sabine dessinait des timbres pour les pays lointains. Griffon parcourait le monde à la recherche de Sabine. Il arrivait toujours trop tard… mais elle avait laissé une lettre à laquelle il répondait pour lui donner rendez-vous dans un autre lieu… Et les destinations n'en finissaient pas de changer… Et ces retrouvailles incertaines les remplissaient d'espoir… parfois, des larmes de joie s'en mêlaient… Elle dessinait si bien, avec ardeur et minutie. Lui, savait prendre patience et aller de l'avant.
Je ne sais plus s'ils ont fini par se rencontrer… comme je ne me rappelle jamais la fin des films… Ce qui reste, c'est l'émotion, ce sont les larmes.
Vous dites que vous pleurez " sans discontinuité ". Cela me touche infiniment… que vous ne soyez pas discontinu. Je vous découvre fiable, persistant, et c'est pourquoi je pleure dans ce bar… Vous m'avez passé le relais. Les larmes tombent dans mon verre. Boirai-je à la coupe de ces pleurs ou la viderai-je dans les fleurs ?
Lorsque vous reviendrez vous asseoir à cette place où ni vous ni moi ne savons qui a ri ou pleuré, vous sourirez peut-être à la lecture des ces mots qui se bousculent dans le désordre de mes sentiments à votre égard… Car je vous aime comme le frère que je n'ai pas eu, avec qui je n'ai pu rire et pleurer, et parler, et m'asseoir au bar pour étancher les soifs… Alors je vous ai écrit afin de partager avec vous ce verre de larmes à la grenadine.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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