SAMEDI 13 JUIN 2015
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Le conseil des Grandes Plumes"

Animation : Régis MOULU

Thème :

Etre remarquable par tout ce qu'on ne gardera pas (Mallarmé)

Adepte de l'art pour l'art, Etienne (dit Stéphane) Mallarmé est en quête d'une beauté pure que seul permet l'art, d'où sa citation : « un grand écrivain se remarque au nombre de pages qu'il ne publie pas », ou bien « le monde est fait pour aboutir à un beau livre ». De la même manière mais à notre façon, lors de cette nouvelle séance, nous avons fait preuve d'une exigence particulièrement sélective dans notre écriture (biffons ! biffons !), comme happés par de grands élans !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : Les fenêtres (pour toutes les apparitions qu'elles permettent).
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support contenant des conseils de réécriture restant dans l'esprit Mallarmé a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


-
"Fenêtres en trois volets" de Marie-Odile GUIGNON

- "Fenêtres" de Christiane FAURIE

- "Lune sur le plat" de Régis MOULU

- "Vue sur (sa) cour (essai)" d'Ella KOZèS

- "Fenêtres au fil du temps" de Nadine CHEVALIER

 


"Fenêtres en trois volets" de Marie-Odile GUIGNON

- 1 -
Les paupières closes, la maison dort.
Les pênes serrées des fermetures
Scellent les rêves du sommeil,
Elles veillent dans l'obscurité interne.
La nuit arbore ses pupilles scintillantes A l'affût de quelques secrets vacants.
Parfois un clin d’œil assouvit sa quête :
Entre des interstices, un rayon se glisse.
L'aube naissante le chasse.
La Bâtisse se dévoile,
Bonjour le jour !

Par la fenêtre ouverte,
Il court, le courant d'air.
Une tornade de parfums déferle,
L'irrigation insaisissable s'insinue
Dans l'intérieur de l'espace.
La béance cadre l'instant d'un paysage :
Un jardin de roses épanouies revit
Avant que le printemps s'éclipse…

- 2 -
La déflagration de l'instant
Zèbre l'ouverture dévastée.
Le sol tremble, hoquette, divague,
Vague de destruction en éclats.
La transparence gît aux alentours.
L'immense baie vitrée
Se pare de verre acéré,
Il scie le panorama,
Le découpe en parts inégales.
Quelques traits rouges glissent.
Les gouttes issues du déchirement des chairs Écrivent l'immuable fait divers...

Le noble habitacle avili
N'en finit pas de gémir…
L'atmosphère s'habille des silences
Des bribes de voix assourdies.

L'encadrement tire ses droites,
Il noue horizontales et verticales.

- 3 -
Il guette derrière le rideau
En arrière des petits carreaux
Et de l'appui-fenêtre en dentelles.

Ils marchent, furtifs, hâtifs, en ribambelles, S'agitent, s'arrêtent, s'éparpillent, Disparaissent, reviennent, Flux et reflux de la rue...

Le temps s'écoule le sépare du flot.
Il scrute les croisements,
Il pronostique allègrement.
Il baille, cligne des yeux, semble s'assoupir.
Il sombre dans l'euphorie d'un instant.
Soudain...
Derrière le mouvement intermittent,
Une lueur s'élargit.
Un reflet l'éblouit, il le saisit.
Un cil tombe dans le ciel de sa vie
Pour descendre le long de sa joue,
La virgule se pose l'instant d'un mot…
La narration organise les phrases...
Sur la fenêtre de son cahier blanc
S'inscrivent régulièrement
Les boucles indélébiles
  De son noir stylo bille.


"Fenêtres" de Christiane FAURIE


Engoncé dans ce corps, carapace trop étroite, l'esprit débridé en quête de sens, il divague et réinvente le mouvement source de vie.
Tout ondule en lui comme un fleuve en crue, gronde et tente d'atteindre le diapason.
Il marche, il court à perdre haleine mais toujours cette fenêtre qui referme ses grands bras, lui interdisant de happer les embruns salvateurs.
La main, telle une voile, balance les doigts qui prennent la pose en un éventail redistribuant le souffle puisé entre les fentes de I'espagnolette puis se cambrant en un vibrant flamenco, la robe rouge sang tournoyant.
Tantôt il se hisse, pesant sur ses pattes gigantesques capables de briser la vitre d'un revers expert.
Tel un paresseux aux ongles inversés, il chemine lentement au rythme des battements du tambour caché derrière ses côtes alignées en ordre de bataille.
Il lève I'ancre, le trois mâts est amarré et s'impatiente. Le moteur crache, gronde, une épaisse fumée s'accroche au moucharabieh saturé d'effluves de cèdre enivrant.
Nulle frontière, nul orage ne contraignent le voyageur si ce n'est ce silence intérieur.
Toute fenêtre ouwant sur cours, il recherche le vasistas suspendu, le fenestrou incrusté dans la pierre, la lucarne en haut du toit, porteuse d'étoiles et de prometteur infini.
Quand l'atteindra t'il ? il épie le signal. I1 espère depüs la nuit des temps, replié sur lui-même
Tel l'oiseau amorçant son vol.
Il s'est entraîné depuis si longtemps, rien ni personne ne pourra le retenir. Il est seul maître à bord. I1 exècre cette charité chrétienne, la morale, l'éthique.
Il veut prendre son envol, dévaler les pentes, atteindre les chemins escarpés la où I'aigle royal se pose majestueux.
Ses yeux gavés de tant de soleil il réfléchit, les poches emplies de tant de trésors volés aux corsaires rencontrés ça et là au détour d'une histoire.
Il a déposé, jour après jour, les graines au coin de la baie vénitienne, repoussant les voilages prétentieux obscurcissant l'horizon.
Ses pupilles, telles des pépites, fixent inlassablement I'horizon, accrochées aux grilles sculptées en arabesques Maures vêtues de bleu céladon.
Le jour du grand voyage approche. A mesure qu'il réduit l'écart,les gonds résistent en un gémissement douloureux telle une accusation pour la responsabilité qu'elle se doit d'endosser.
Elle se libère enfin, ouvrant grands ses paupières sur le vol des goélands turbulents.
Il s'élance, telle une plume qui vole, vole vers la liberté.
Elle le regarde, battants des ailes jusqu'à se briser.
Il est déjà loin, au delà des mers, au delà du temps.

Elle reste là, béante à jamais.


"Lune sur le plat" de Régis MOULU


Face à ma fenêtre,
je demeure
des heures et des heures
juste pour traverser le verre
et fêter les apparitions
qui dansent en son derrière,
voilà un être qui passe,
filandres de chair qui se meuvent,
coiffées de leur joie d'aller ailleurs,
ailleurs c'est toujours exquis,
avec une affirmation bottée
qui chante ses airs de marteau pour commissaires priseurs,
la rue est pavée
et moi, je suis devant mon carreau,
cette façon de vitrail dégénéré,
et toi, tu t'installes dans mon rêve
que nous allons forger,
viscérale comme cette envie de s'échapper nous appartient,
nous lie,
nous oblige maintenant à viser le bonheur,
plus je te mire, plus je voyage,
mes pieds twistent,
mes mollets expient leur pas de tir,
sol carrelé,
royaume du balai,
transit aux poussières enchantées,
oui, j'aimerais courir
comme l'on se mettrait à boire tout l'azur,
notre cathédrale-mère,
ou à dévorer un paysage,
hormis ses chiens vagabonds
qui sont des os,
des lieux de résistance,
des simulacres de loups,
des idées rétives,
et le match de volley poursuivait son office entre nous,
je te donne la balle
ou je fais semblant de te l'envoyer,
je te jette autre chose
mais compassionnels comme nous sommes,
nous recevrons tout,
commerce parfois invisible
car nous sommes des vases vides,
outres vacantes,
sacs de peau que le désir n'a pas fini d'équarrir de l'intérieur,
c'est simple,
plus je te crée, et plus tu te forces à me réanimer,
nous nous sommes toujours réveillés ensemble, sais-tu,
ce matin mon pyjama est dans le brouillard,
montre-moi plein d'arbres qu'étirent à l'infini les envolées d'oiseaux,
myopie diagnostiquée ne fait que meilleurs bras à l'ouvrage,
envie de te toucher,
je meurs si j'échoue,
je parviens donc à ton corps d'argile,
ta silhouette de sablier qui se sauve déjà dans une poésie d'atomes,
une fermeture-ouverture de paupières après,
transpercent de cette purée de poix ton visage et ta volonté démaquillés,
les gouttes sur la vitre te rendent dodue par endroit,
j'aime ne pas avoir à t'imaginer,
râles de plaisir qui échappent de ma conscience,
or tu cries, tu chaloupes, tu digères un dinosaure
qui te donne sa forme et sa démarche,
je crois qu'un café te tuerait,
bras en liane bien qu'emmanchés sur ventre de pomme golden
te suffisent pour te déplacer,
telle la lune qui escalade les poteaux électriques
juste pour faire le funambule sur son fil,
sa chute est programmée :
elle fera œuf sur le plat d'une flaque,
suée de nuage gonflé comme chignon de mariage, tout est si solennel,
je me sens si faible,
mon estomac se transforme en pendule qui se met à sonner,
en somnambule m'assied,
mais table en formica, modeste tapis volant, suffit pour te retrouver,
plus tu disparais, et plus j'apprécie de te débusquer, te découvrir, te compléter, folie faisant,
nous formons un puzzle deux pièces
que la peur grossit,
que la nuit défait,
que le sourie colore,
auquel je n'échappe plus,
ce matin, il n'y a pas tous les animaux en moi,
manque de grâce
et yeux peu gymnastes
opacifient la cadre de mes rêves,
l'œil-vigie de ma maison,
tu es devenue arrête de poisson,
squelettique sapin que les écoliers ignorent,
que mes espoirs décorent d'un voile argenté,
puisse le vent mous rapprocher,
à la place un soleil sévère lance toute sa javel
sur cette photo endormie,
indécente vérité qui se goinfre de réel,
toute la vie revient, réapparait,
range ses désordres
parmi lesquels figurent parfois
débris de fées,
souvent chiffonnades de fantômes
ou carpaccio de spectres,
et toujours et à l'infini rillettes d'amante.

Ce jour-là,
au bureau,
je fis plein d'erreurs dans mon dossier-client,
ainsi se manifestent à nouveau
de tenaces réapparitions.


"Vue sur (sa) cour (essai)" d'Ella KOZèS

 

Ouverte, ou bien fermée, je la franchirais.
L’âme nue, affranchie de tout passé, j’irais
Alourdie par les ans vides, je marcherais.
Au soleil disparu, mon cœur réchaufferais.

Où es-tu maintenant ?
Sur qui se pose ton perçant regard aimant ?
Sur quel minois charmant ?
Quelle beauté accompagne tes tremblements ?

Cinquantenaire rugissant, mes vingt printemps
à ton fusil… te baptisaient grand conquérant.
Le monde, aux pieds de ma jeunesse, rayonnait,
sifflant ses fausses promesses d’éternité.

Où dors-tu chaque soir ?
Qui s’allonge tout près, masquant ton désespoir ?
Quel cœur fatigué se brule dans l’encensoir ?
Quelle tristesse déguisée dans ce mouroir ?

De nous, tu connaissais l’avenir au passé.
Par l’ineffable présent, toujours m’adorer
sur la mort de tes bisaïeux, tu abjurais.
Dans tes bras, protégée, mal ne peut m’arriver.

Ressens-tu l’absence ?
Rester le dernier souvenir à tes yeux clos…
A jamais jeune et beau…
Par alliance, perdue la belle innocence !


"Fenêtres au fil du temps" de Nadine CHEVALIER

Dans la caverne pas de fenêtres
Dedans dehors, rien à cacher
Rien à montrer
Ils vivent nus sous peaux de bêtes
Autour d'un feu tous ensemble
Le soleil rythme la vie

De fer de pierre le château fort
Au dedans l'obscurité, nos possessions et nos armures
Au dehors le loup
Par la fenêtre, fente étroite et meurtrière surgit la mort pour l'ennemi
Au soir s'allument des flambeaux, chassent la nuit, rassurent  les hommes.

Siècle des lumières, galerie des glaces
Passent des courtisans perruqués
Devant des fenêtres vitrées
Qui se montrent pour exister
Le soir lustres et chandeliers éclairent l'immensité.

Quelques étages de béton
Pour des immeubles de banlieue
Fenêtres ouvertes tissent des liens
On interpelle ses voisins
Les enfants jouent sur le trottoir
On les appelle pour le goûter
Un panier descend au bout d'une corde
"Robert, prends-moi du lait chez l'épicier"

Puis la télé est arrivée
"Fenêtre ouverte sur le monde" a dit quelqu'un
Alors les fenêtres se sont fermées.

Immense tour d'acier de verre
Où est le mur, où la fenêtre ?
Reflet du ciel sur la façade
Y voguent des nuages au gré des vents
A l'envers y passent des voitures.
Fenêtre qu'on ne peut plus ouvrir que caches-tu ?
Où sont les hommes ?
Devant, derrière des écrans noirs
Qui montrent ... tout ?

 

Où êtes-vous les hommes ?
Quittez ces fenêtres-prisons
Ouvrez les yeux
Ouvrez vos fenêtres

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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