SAMEDI 3 février 2018
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Les ingrédients d'une bonne histoire"

Animation : Régis MOULU

Thème :
Im
aginer des ressources inespérées

Le providentiel est toujours possible, souhaitable, souhaité, appelé, attendu. Un soutien, une aide, un mentor... un espoir prend alors forme et s'associe à nos désirs pour nous faire avancer ! L'aménagement et l'avènement de ce coup de pouce ont occupé notre présente séance.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : « À désirer l'impossible, on le produit ! » ou « Comment le rêve prend une tournure réelle quand on s'en gargarise ».
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support portant sur les Parques (et fées) a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Bien sûr elle les attendait" de Janine BURGAT

- "Ainsi soit-il" de Caroline DALMASSO

- "Guérison" de Nadine CHEVALLIER

- "Une idée qui prend corps" de Janine NOWAK

- "Sang d'étoile" de Régis MOULU

 

"Bien sûr elle les attendait" de Janine BURGAT


Bien sûr elle les attendait. Mais plus tard. Dans la soirée ou demain matin. Mais qui que ce soit qui tambourine à la porte, le temps de réfléxion pour Aurélie sera court, très court. - Bouge pas, j''y vais, crie Aurélie à Ana qui passe déjà la tête en haut de l'escalier. Aurélie longe le couloir légèrement tamisé par la lumière filtrant du vitrail coloré de la porte d'entrée. Une petite voix gratte à la porte. - Mamie Auli, Mamie Auli, c'est nous ! Le coeur d'Aurélie se répand d'un coup. C'est sa petite fée qui est venue. En personne. Ils lui ont amené sa petite fée, sa préférée. Ils ont mis la petite en première ligne pour la décider à partir. Décidément, ils la connaissent bien tous. Ils savent que cette petite fille sera l'argument suprème. Qu'Aurélie ne pourra résister à cette enfant. Cinq petits seront sa descendance. Elle les aime tous, bien entendu. Les aimer tous pareillement a toujours été sa devise. Mais l'une d'entre eux a su tisser des liens plus étroits avec sa Mamie. Mamie Li, d'abord c'était facile les deux premières années, puis Mamie Auli ensuite. Et le nom est resté. Au fur et à mesure que l'enfant grandissait le nom aurait pu se dissoudre. A l'adolescence souvent, les enfants prennent leur distace. Aurélie avait vu, parfois, le tutoiement spontané des petits faire place à un vouvoiement gêné, soudain, qui trahissait le passage à l'âge adulte. Mais aujourd'hui, toute la famille s'est approprié le nom. C'est Mamie Auli de la plus jeune au plus âgé. La petite fée c'est la dernière. Arrivée un peu plus tard que les autres. On ne l'attendait plus. Devant de vieilles photos d'Aurélie enfant, une certaine ressemblance apparaît. Elle est toute ronde, aussi bien de corps que de caractère. Toujours en mouvement, spontanée, directe et la seule, le soir au coucher quand elle la gardait, qui lui entourait la tête, toute petite, avec ses deux bras . Comme une vibration passait à cette seconde que la petite faisait durer. Une vibration qui tirait d'Aurélie, une émotion forte particulière, une légère envie de pleurer et enfin, une force, une incroyable force. A cet instant, Mamie Auli était invulnérable. Aurélie respire fort et tourne la poignée. Deux bras entourent sa taille.- Mamie Auli, t'as vu la rivière ? On est venu te chercher. Et voilà, tout est dit. Derrière elle, ses deux fils et les autres, deux pompiers, un gendarme et enfin le représentant du canton, le facteur. Une délégation de choc. Sa petite fille lui a pris la main. Affronter les éléments déchainés ne la faisait pas trembler. Mais affronter le regard de la petite et lui dire :"finalement, vis ta vie, moi je plonge". Alors là, c'est une autre histoire. Un défi insurmontable. Ils sont malins tous. Ils savaient bien que quitter sa maison serait un crève coeur dangereux. Alors ils ont mis la main de la petite dans la sienne pour franchir l'obstacle sans même se retourner. Ana arrive en chaussettes. - Ah ! mais vous êtes tous là ! Ils rentrent. Ils s'installent. Ils demandent ce qu'il faut emporter. Aurélie a perdu de sa superbe. La petite ne la quitte pas. Aurélie ne sait plus réfléchir. Elle se laisse choir dans un fauteuil hors d'âge. La petite grimpe sur ses genoux. - Faut s'activer Madame Bouchard, dit un des pompiers, les heures à venir seront décisives, on évacue toutes les habitations avant la tombée de la nuit entre le barrage et le lac. Par précaution, juste par précaution. Vous prenez le minimum, un sac et ça ira. Vous reviendrez, plus tard, chercher le reste. Le reste... Aurélie sent le gouffre s'ouvrir devant elle. - Mamie Auli, dit la petite fée, ce soir tu coucheras chez nous. Je te laisse mon lit et moi je coucherai par terre, sur un matelas. Papa l'a déjà mis. C'est super bien. Chaque fois que la petite ouvre la bouche, Aurélie sent qu'elle va pleurer. Ana remonte à l'étage fermer son sac. Aurélie, elle, ferme les yeux. La petite main qu'elle serre fort envahit tout l'espace vivant de son cerveau. Une petite main peut elle remplacer tout l'espace de sa maison ? Sa maison en feuille au creux d'une petite main ? La vie, ça peut donc tenir dans une main d'enfant ? Quand elle parlait de sa famille, elle les présentait en disant : - De mes deux gaillards, j'en ai eu cinq aujourd'hui. Comme les cinq doigts de la main. Une main à cet instant s'accroche à la sienne. - Allez, Mamie Auli, dit la petite, je sais où est ta valise. Je l'ai vue dans l'armoire de l'escalier à Noël. Allez viens. Aurélie a si souvent raconté des histoires de fées à ceux qui s'endormaient difficilement que le moment est venu d'y croire très très fort. Aux bonnes fées ou aux mauvaises. Avec les fées, on ne sait jamais. Aurélie se lève péniblement. La petite a déjà ouvert et l'armoire et la valise flambant neuve que le Père Noël lui a apportée l'an dernier. Décidément, comment lutter ? Même le Père Noël avait tout prévu !

 

"Ainsi soit-il" de Caroline DALMASSO


« Qu’est ce que t’as Emile? V’là qu’on dirait qu’t’es malade! Ou c’est nous qu’on pue p’t être? Tu manges plus, tu causes plus, t’es rien qu’tout seul dans ton coin. Et puis, dès que l’jour tombe, tu détales comme un voleur même qu’on t’voit plus rentrer t’pieuter. T’as une fille qu’tu cours après ou quoi? Ou qu’t’as p’t être ben déjà attrapée mon cochon! C’est ça hein? Qu’ça te r’tourne le bide et l’ciboulot? Et ben, t’as qu’à nous l’am’ner ta garce, qu’on vous f’ra d’belles fiançailles où qu’on pourra danser et boire un coup! Et après quoi, c’est ça la vie mon Mimile! Un jour faut bien qu’ça s’arrête d’butiner les filles qui passent. Un jour faut engrosser la bonne, faut la marier qu’elle te f’ra des marmots et t’préparera la soupe. » C’est ça qu’ils m’ont dit les gars et c’est là où qu’j’en suis. Mais la seule, c’est Germaine, ça je l’sais. Je l’sais d’puis toujours. Toutes les autres c’était comme ça, ça comptait pas. Même si des fois y en avait qu’les gars trouvaient belles et qu’ils disaient que j’savais causer aux filles. Mais le p’tiot qu’elle a dans son ventre, Germaine, c’est pas l’mien. A Germaine, j’ai jamais su causer, jamais même qu’j’ai pu. C’est qu’elle est pas comme les autres. C’est d’personne qu’elle a b’soin pour aller où qu’elle va, pour rire, pour chanter pour être heureuse, pour vivre. « Y a du monde dans sa tête » qu’ils disaient au village. « C’est pour ça qu’elle va dans la forêt causer aux animaux, y a plus d’place pour les gens! » Et après, tout l’monde qu’ça f’sait rire, alors moi, j’riais pareil qu’eux. C’est que j’voulais pas qu’on voit qu’moi, la Germaine, elle m’plaisait bien Ca oui, j’ai cherché. C’est que j’voulais comprendre, apprendre aussi, comment que j’dois faire pour qu’elle m’voit, un peu…. Partout où qu’elle passait, partout où qu’elle s’posait j’suis allé. Mais j’ai rien vu. Où qu’ils sont ceux à qui elle murmure, qu’elle voit et que j’vois pas. Aux animaux que ’j’ai d’mandé, sous les pierres que ’j’ai r’gardé, les fougères que ’j’ai soul’vé, même que ’j’ai plongé dans la rivière là où qu’elle fait le hérisson et qu’elle laisse flotter ses ch’veux. Et rien, rien qu’j’ai trouvé. Alors oui, p’t être bien qu’les fées, les elfes, les leprechauns aussi et tout le petit peuple de la forêt, p’t être bien qu’ils sont vraiment que dans sa tête. Alors, c’est jamais que j’pourrais lui parler, lui dire que moi, j’veux bien la marier même si l’p’tiot c’est c’ui d’un autre. Parce que la Germaine elle m’entendra pas, elle entend personne, que son monde à l’intérieur. Alors y a plus qu’à l’église que j’peux aller. Mettre une chandelle, faire briller les couleurs aux f’nêtres et puis, p’t être bien qu’si j’fais une ou deux prières, p’t être bien qu’il m’entendra, lui, là haut. Et p’t être bien qu’il peut causer aux fées qui sont dans sa tête à Germaine et leur dire que, même si j’ai rien, sauf couteau, j’suis un bon gars, travailleur, que j’bois pas et que j’l’aime aussi. Comme un fou que j’l’aime. Ou p’t être bien… P’t être bien qu’si j’vais trouver M’sieur l’curé, oui, il pourra lui dire lui, au vieux. Lui c’est sûr qu’il l’écout’ra.

 

"Guérison" de Nadine CHEVALLIER


« - Qu’est-ce que tu racontes, Maman ? Qui t'a aidée ? Que vient faire Pauline là dedans ? »
Pierre avait réagi violemment aux propos de sa mère, craignant qu'elle n'ait perdu la tête après son AVC.
Pauline au contraire se tenait immobile, comme sidérée par les mots de sa belle-mère. Ses yeux scrutaient ceux de Jacqueline qui lui souriait tendrement. Elles se tenaient toujours les mains et c'était Jacqueline qui serrait celles de Pauline maintenant.
Pierre, énervé par le silence des deux femmes poursuivait :
« - Mais Maman, réponds ! Qu'est-ce que tu as dit ? Pauline doit leur dire merci, mais à qui ? Pourquoi ? Maman ! Tu vas bien ? Vraiment ? »
Jacqueline enfin parut entendre son fils et se tourna vers lui.
« - Ne t'inquiète pas mon Pierre, oui je vais bien, je suis pas folle, je te dis que je suis guérie. Quant à savoir pourquoi Pauline y est pour quelque chose, je ne sais pas. Je sais seulement que je devais lui dire cela. Quel jour sommes-nous ? Suis-je ici depuis longtemps ?
- Ah Maman, tu vois bien que … Tu ne sais plus quel jour nous sommes ? s'inquiéta Pierre.
- Pas d’affolement, mon chéri, j'ai été malade une semaine je crois. Sommes-nous bien jeudi ? questionna Jacqueline.
- Oui, c'est bien jeudi aujourd'hui, c'est le jour où j'aurai dû aller à ma séance de méditation. Bon, je crois que je dois vous expliquer ce qui m'est arrivé. »
Pauline se lança et leur fit le récit de ses deux séances de relaxation aux cours desquelles son esprit était parti – peut-être sur la Lune ?- rencontrer des extra-terrestres d'une autre dimension. Au fur et à mesure qu'elle parlait lui apparaissait l'absurdité de cette aventure, il était impossible que quelqu'un la croit, elle-même ne doutait-elle pas ?
Mais les paroles de Jacqueline semblaient tellement en résonance avec son histoire ! Comment y voir seulement une coïncidence ?
A la fin de son récit, Pierre, les yeux agrandis de stupéfaction, ne sut quoi dire. Mais Jacqueline semblait émerveillée par ce qu'elle avait entendu et répétait :
« -C'est fantastique ! Fantastique ! Mais oui, ce sont eux qui m'ont guérie, j'en suis sure. J'étais endormie. Depuis une semaine je vivais dans une sorte de brume, mon corps me semblait de plomb. Et tout à l'heure oui, il y avait comme une lumière chaude dans mon esprit et on m'a dit de remercier Pauline. Je me suis réveillée guérie. Regarde Pierre, mes bras, mes jambes, tout fonctionne parfaitement. »
Elle agitait ses mains sous le nez de son fils, ses jambes soulevèrent le drap blanc.
« -Eh oui, c'est ça, on m'a dit aussi que tu allais manquer le rendez-vous Pauline ! Oui, c'est ça, parce que c'est jeudi aujourd'hui et que tu n'es pas au bon endroit ! »
Pauline vérifiant l'heure, constata en effet qu'elle ne pourrait pas arriver au gymnase à l'heure pour la séance de ce soir.
Pierre émergea de sa stupeur.
« -Mais Maman, tu y crois toi à tout ce que raconte Pauline ? Mais alors là, c'est pas vrai ! Toutes les deux vous imaginez que ...vous … c'est pas possible ! Des extra-terrestres … des accidents cosmiques... la Lune et tout et tout, vous y croyez ?
Et d'abord s'il faut être au gymnase pour le fameux rendez-vous lunaire, comment se fait-il que toi Maman tu aies pu avoir un contact ici, à Orléans, à plus de 100 kilomètres ? »
Pauline et Jacqueline se regardèrent, un peu hébétées de n'avoir pas réfléchi à cette contradiction. Puis Pauline eut un déclic :
« -Ce doit être la pierre bleue, dit-elle. »
Elle expliqua que la bague de Jacqueline portait la même pierre que le caillou trouvé sur la lune. Elle venait de le découvrir juste avant que Jacqueline se réveille.
Son caillou « à elle » était resté à la maison. Quand elle avait décidé d’accompagner Pierre, elle ne voulait plus avoir affaire avec cette histoire, elle avait rangé le caillou bleu dans le tiroir de sa table de nuit, enveloppé dans un mouchoir. Elle n'avait pas osé le jeter.
Et se souvint-elle, le jour de la deuxième rencontre, elle avait bien le caillou dans la poche de son pantalon, celui qu'elle mettait pour la méditation.
Pierre examina la bague de sa mère. Il connaissait bien ce bijou qui n'avait pas une grande valeur mais se transmettait dans la famille depuis plusieurs générations. Qu'avait ce caillou de si particulier ? Il n'aurait su le dire. Il restait très dubitatif sur toute cette histoire. Était-ce un conte à dormir debout ? Devait-il se fier à l'intuition des deux femmes de sa vie ?
Une soignante entra alors dans la chambre et prévint que l'heure des visites était passée. Jacqueline se sentait en pleine forme, excitée de plus par l’aventure de Pauline et la sienne, une guérison miraculeuse en somme !
Elle aurait voulu partir tout de suite
Son fils la gronda :
« - Non, Maman, j'exige que tu vois un médecin, un vrai homo sapiens sapiens bien terrestre ! On reviendra demain matin. Essaie de dormir un peu quand même ! »
Ils s'embrassèrent, Pierre prit Pauline par la main.
« - Allez viens ma cosmonaute, on va discuter de tout ça entre terriens.»
Pauline sourit. Quand Pierre parlait ainsi, c'était déjà presque gagné …
Mais gagné quoi ?

 

"Une idée qui prend corps" de Janine NOWAK


Le silence est impressionnant. Les robustes combattants, groupés face au rocher surélevé et plat, sur lequel est juché leur chef, sont comme statufiés.
Le Roi Adalbert serre dans son poing droit un large glaive. Dans sa main gauche, une hache ensanglantée jusqu’au manche, est comme le prolongement de son bras.
Le corps immobile, Adalbert regarde cette assemblée quasi monolithique. Une fois de plus, des pensées contradictoires se bousculent dans sa tête. Des pensées où se mêlent fierté et désespoir. Mais il ne laisse rien paraître. Quelle dignité ! Une dignité élevée à l’honneur le submerge. Et après tout, comment ne pourrait-il pas être fier de l’issue du combat ?
Avec une énergie admirable, il a conduit ses guerriers à la victoire. Mais une victoire chèrement acquise. Comme toujours, dans la violence, la haine, la douleur, l’horreur. Dans l’inhumain.
On compte de nombreuses pertes chez les siens.
L’ennemi, lui, a été anéanti en totalité.
On ne tolère pas les prisonniers. Après le carnage, les quelques rares survivants sont achevés à coups de masse.
Même les blessés de sa tribu, ceux qui sont trop lourdement atteints, subissent le même sort. Mais, en ce cas, c’est afin d’abréger leurs souffrances. C’est un pur acte de charité.
Telle est la dure loi.
Enfin le moment est venu d’honorer leur Dieu de la Guerre. Levant simultanément ses deux armes, haut vers le ciel, Adalbert, par trois fois, hurle le nom d’ODIN.
Une puissante clameur fait écho à cette invocation. Soudain défigés, les guerriers s’époumonent, sautent sur place en brandissant leurs armes. Cette effervescence dure un certain temps.
Le calme revenu, Adalbert prend la parole : « Mes chers compagnons, nous sommes sans aucun doute, les favoris des Dieux qui, une fois encore, ont soutenu nos bras. A présent, nous allons fêter dignement ce beau succès. Nous boirons à nos Divinités pour les remercier de nous avoir offert leurs protections et accordé un pouvoir surhumain. Nous trinquerons aussi à nos ancêtres. Tous nos valeureux anciens qui ont rejoint le WALHALA et qui ce soir, de leur côté, vont déguster leur hydromel dans les crânes de nos ennemis, ceci afin de nous transmettre de nouvelles forces pour de futurs combats. Allons, mes amis, marchons vivement vers le banquet préparé par nos femmes. Présentons-nous à table, comme le veut la coutume, tels que nous sommes à l’issue du combat : armés, sales, en sueur, nos habits déchirés et dégoûtant du sang de nos ennemis ou imprégnés du sang de nos propres blessures. Et buvons joyeusement de la bière au tonneau, jusqu’à l’oubli ».
Ainsi fut fait.

A l’aube, Adalbert est un des premiers à émerger de cette sorte de coma dans lequel tous ont sombré. Il est jeune et sa belle constitution lui permet de retrouver rapidement, malgré ses excès, sa force et sa vivacité d’esprit.
Sans hâte, il se dirige vers le bâtiment où sont alités les blessés, afin d’apporter un peu de réconfort à ces valeureux guerriers qui n’ont pu participer aux agapes de la veille, tant leur faiblesse était grande après le combat, même si leur vie n’est pas menacée.
Toutefois, Adalbert éprouve une certaine gêne. Certes, il va rendre visite à ces hommes amoindris pour leur offrir la bonne parole. Mais sa raison profonde, celle qui le pousse vers ce lieu – et c’est en cela qu’il se trouve un peu malhonnête - c’est l’attirance qu’il ressent pour ce drôle de petit homme qui officie dans la salle de soins.
Quelques mois plus tôt, un navire-marchand viking, avait mouillé dans la rade, apportant comme toutes les sept lunes, des denrées introuvables dans leurs contrées du grand nord. Un passager inhabituel, un homme de petite taille, mince, à la peau ambrée, aux yeux couleur de bois brûlé et aux cheveux noirs, courts et frisottés avait suscité l’étonnement de tous. Son langage était inconnu. Les marchands disaient l’avoir trouvé, à demi-mort, dans une barque, possédant en tout et pour tout, un sac contenant des herbes. Cet homme était tellement étrange, qu’au lieu de l’occire, ils l’avaient gardé, par curiosité. Or, ce personnage peu banal avait un don : celui de guérir. Une épidémie s’étant déclarée à bord du navire, il avait, grâce à ses mystérieuses plantes, sauvé la totalité de l’équipage.
Intéressé, Adalbert, souhaita faire l’acquisition du petit homme. Tout son stock de fourrure de loup y passa. Mais il n’eut pas à le regretter. Cet étrange individu faisait des miracles.
De plus, curieux, vif, intelligent, il commençait à bien s’exprimer dans la langue d’Adalbert. Et ce qu’il racontait sur son pays, sur l’endroit d’où il venait laissait Adalbert rêveur … 
Ah, est-ce possible des terres où il ne gèle jamais ? Est-ce possible de faire pousser des fruits, et des légumes à foison ? Est-ce possible de vivre continuellement habillé de vêtements légers ? Cet homme dit-il vrai ? Troublé, Adalbert a pourtant envie de le croire.
Il n’est pas de chez eux. Il est tellement différent d’eux, qu’il leur parait laid ; mais il inspire confiance. Et pourtant, sa confiance, Adalbert l’accorde rarement.
Pourrait-il envisager, lui, Adalbert, de trouver un endroit où la température soit toujours clémente ? Où la mer serait chaude au point de s’y baigner en permanence ?
Que dit-il encore, cet Abdallah – puisque tel est son nom – que chez lui, les maisons ne sont pas construites en bois, mais en pierre ! Que les fruits sont gorgés de jus et de sucre. Qu’un arbre, appelé olivier, donne une huile fruitée et douce ! Rien à voir avec l’huile de phoque.  Que l’on obtient, après pression et macération d’un fruit à petits grains, appelé raisin, un liquide si bon, si capiteux, si rouge, qu’il enchante le palais et chauffe doucement la gorge !
Adalbert en a l’eau à la bouche. Il n’a plus qu’une pensée, qui tourne à l’idée fixe : partir ! S’éloigner ! Abandonner ce monde ingrat où il ne s’est jamais senti chez lui. S’élancer au-delà des mers, là où la guerre ne semble pas exister.
Cette envie à présent le tenaille jour et nuit. Aussi c’est décidé : aujourd’hui, il va mettre – mais quel risque il court ! – le petit homme dans la confidence. A eux deux, ils vont organiser le grand voyage. Il sait qu’il aura le courage d’affronter la haute mer, de braver les éléments, le froid, le brouillard, les mauvais esprits, les tempêtes, les montagnes de glace, immenses et si dangereuses, à la dérive, afin d’aller vers des contrées inconnues et accueillantes.
Adalbert est excité, tout fiévreux, dominé par cette soif d’évasion. Incapable d’y résister.

Oui, il ira. Il ne renoncera pas. Il en fait serment !

 


"Sang d'étoile" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


César avait à bouffer une journée crue. Il souffrait, sa pensée n'était que nécroses et son corps de danseur s'agitait encore, parfois, comme une pieuvre au bout d'un harpon, la pique de sa désespérance, un peu trop coutumière de la saumure. Impossible pour lui, en effet, de sauver la grâce, ce sang d'étoile qui se plait à rosir les chairs bavardes et pataudes et à mettre un éclat diamantin dans l'œil gymnaste de l'humain naissant, de l'artiste actant. C'était à dépérir ! … au point de se croire homme-tronc qui vient de se faire larguer par sa sève, « nichoir, pas plus, pour vieilles pies » se sentait-il, place de l'Opéra, et les nuages pleins de rage s'emmêlaient dans cet épouvantail d'inquiétudes, réellement il crut devenir un tas de chiffons, tête de tortils, silhouette de tissu, yeux de bouton, patchwork informe, objet de souk. En chacun de nous prospèrent des pucerons d'ingéniosité, à désirer l'impossible, on le produit, cette colonie salutaire se devrait de tout restaurer sur son passage : le sourire se vêtit de nouveau avec ses lèvres, fut hardi et exubérant, ainsi l'éventualité de puiser des idées là où elles ne sommeillent que trop, les paresseuses, lui plut, lui réinventa une attitude, fut même pourvoyeur d'allure, tel un hongre à aigrette, il était l'apôtre du sabot-maître, la route allait défiler sous ses jeunes estampilles, la réhabilitation de la grâce serait belle et bien au bout du chemin, et même un peu derrière chaque porte où il tambourinerait, à la chamade d'un condamné bien décidé à s'échapper ! « Rien que bouger est salutaire » lui adressa une voix lointaine qui empruntait sa tonalité à la pintade, il battit le pavé. Le propre du cosmos étant qu'il n'en existe pas de plan fiable, le hasard se proposa en meilleur camarade qu'il accueillit ; ensemble, ils prièrent la girafe, souple telle l'oriflamme, de leur accorder audience afin de leur enseigner son art devenu simple usage ! Comme un mirage du désert, elle gondole, se faisant passer pour l'onde que la béatitude en braque produit. Tel spectacle est à ravir, l'artiste n'est-il pas celui qui, en s'adonnant à son œuvre, convertit quiconque à son art ? Et le grand camélopard avoua, entre deux broutages, gêné, que d'avoir à surveiller l'horizon lui laissait peu de temps pour rêver, seulement deux heures pour dormir debout, là était tout son secret, « qui dort peu et, de plus, ne se couche jamais a de quoi expérimenter toute sorte de saltations » ! Semblable au pongiste qui, par la répétition, sculpte le vide pour imprégner son geste de magie, l'ongulé se rassemble en groupe, dans l'ombre, pour parfaire ses suaves balancements, un sirocco dans le genre « érotique » vient comme leur administrer son interminable mise en pli ! Que les hommes, à partir de ce jour, puissent s'en inspirer, mais l'ésotérisme des savanes a des limites que l'orgueil n'ira sonder, ni même soupçonner. Autre sein où s'arrimer : les nuages cotonneux, en fait, ni plus ni moins le peignoir albâtre de Dieu ! Comment bénéficier de cette douceur que Dieu, lui-même, nomma d' « hypoallergénique » ?! Dans sa barbe, un premier nuage s'étouffa. Puis un stratus plut ces quelques mots : « qui, pour de bon, veut filer svelte coton doit se tenir pour liquide, tant on gagne toujours à ne pas être la matière que la nature nous donne », ainsi Dieu, pensant passer une robe de brumes ne fait que laver sa chair de soleil ! Les deux comparses disparurent de suite sous une nouvelle identité, comme dédiés à d'autres éléments, ce qui aurait fait leurs gloire et renommée pour peu qu'on s'eût aperçu de quelque chose !

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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