SAMEDI 14 Mai 2022
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Se doter d'une inspiration extralarge"

Animation : Régis MOULU

Thème : Occasionner un miracle

La magie existe... du moins dans les fictions et grâce aux effets que nous tendent les arts. C'est pourquoi, sous un subtil conditionnement, telle une hypnose rampante, nous allons tenter de préparer notre auditoire à être impressionné. Ainsi, tout est bon : costume marquant, contexte particulier, éléments fragilisants, usage d'un objet magique, formulation mystérieuse voire abracadabrante, etc. Il y a, là, de quoi faire un parallèle avec les artifices des spectacles et la croyance absolue du comédien en ce qu'il fait. Aussi, nos écrits se sont accaparés toutes ces richesses !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance, à savoir : Une modeste ou banale personne, dont la vie devient de plus en plus dure, va être comme appelée par la « pierre des fièvres ». Et, après que son « clavier cérébral » a été bouleversé, elle va être séduite par cette pierre/ce phénomène au point de se consacrer à une mission qu'elle pense constructive.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support contenant tous les ressorts créant du fabuleux a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Casse la roche, c'est dans la poche" de Nadine CHEVALLIER

 

 

"Casse la roche, c’est dans la poche" de Nadine CHEVALLIER, texte écrit hors séance, dans les mêmes conditions


Condamné à trois ans de bagne !
Sur le navire qui l’emporte vers ce qu’il pense l’enfer, Léon se repasse en boucle toute l’aventure qui l’a mené là. Il ne voit pas comment il aurait pu échapper à son destin.
Qu’importe, à présent, il est prêt à faire face. Il cassera des cailloux pendant trois ans puis reviendra. Ce n’est que retarder un peu son Grand Projet.  

Huit heures par jour, à lourds coups de pioche, Léon casse des roches.
Après six mois de labeur acharné où la construction de la route a bien avancé, le chantier ralentit sans qu’on sache pourquoi. Il s’éternise sur une portion montante, on n’en voit pas le bout. A croire que le travail fait le jour se défait pendant la nuit, on n’avance plus.

Jour après jour, les bras de Léon lèvent la pioche et la projette sur un rocher qu’il faut dégager de la piste. Le roc se fend parfois du premier coup, parfois non et il doit recommencer.
Ce matin là, il en est presque sûr : ce rocher, il l’a déjà vu hier ! Il lui avait fallu toute la matinée avant la pause du déjeuner pour en venir à bout … Les autres n’ont rien remarqué.
Dans ce paysage désolé où tout est pareil de quelque côté qu’on se tourne, comment pourrait-il vraiment reconnaître un rocher d’un autre, rigolent ses camarades de misère. Le soleil lui a tapé sur la tête !
Il identifie pourtant bien la tache plus sombre du côté soleil et cette fente en zigzag côté ombre, aucun doute !
Mais ce n’est pas possible évidemment. Comment un rocher pourrait-il se reconstruire pendant la nuit ?
Il fait torride ce matin là, le soleil martèle durement les crânes exposés. Il doit se faire des idées.
Léon, perplexe mais fataliste, se remet à l’ouvrage.

Le ciel devient soudain noir de nuées d’orage, de longues traînées lumineuses les zèbrent d’un horizon à l’autre, un roulement continu et sourd les accompagne. Les bagnards lèvent la tête, s’interrogeant sur les abris possibles en ce désert caillouteux sans végétation.
Les soldats, fusil au poing, leur ordonnent de se rassembler.
Léon donne un dernier coup de pioche et un éclat de roche rebondit devant lui. Sans réfléchir, il l’empoche.
Et aussitôt, le monde change.
Un fracassant coup de foudre fend la colline qui s’ouvre devant les hommes rassemblés. Plusieurs sont emportés dans l’abîme ainsi créé. Ils tombent à grand cris, bras et jambes désarticulés, tournoyant dans le gouffre sans fond. Le rocher que fendait Léon bascule lui aussi, colossal, avec lenteur, comme hésitant devant le trou béant.
Les pieds à ras du précipice, Léon a échappé à la chute mortelle, avec quelques autres qui s’enfuient loin du désastre.
Les soldats ont disparu. Il est seul sous l’orage qui maintenant fait rage. Des éclairs flashent et la batterie du tonnerre se déchaîne. Des trombes liquides noient le paysage.
Trempé, lui reste là. Il réfléchit.
Le rocher reconstitué, l’éclat dans sa poche.
Il le sort et le regarde. Un rayon de soleil subit s’y accroche, le faisant briller tel une pépite d’or de vingt-quatre carats.
Il le range, le rayon de soleil disparaît. Il le sort, le rayon de soleil reparaît.
Léon se sent comme enivré, il ne sent plus la pluie, il court et danse de tous côtés en criant au miracle.

Après plusieurs heures de marche, exténué, il arrive devant le campement dont il est, était, prisonnier depuis plus de six mois. Tout est détruit, il ne reste rien des baraquements qui servaient de dortoirs et de cantine. Le bâtiment administratif s’est effondré sur lui-même comme un château de cartes. Il n’y a personne.
Léon a faim, il sort sa pierre.
Une plainte miaulée perce alors le silence. Il cherche dans les ruines de la cuisine, repère un chat demi mort, écrasé sous un meuble. Pauvre bête, se dit-il en l’achevant d’un coup sur la tête.
Il découvre des boites de conserve intactes. De quoi tenir un moment.

Plusieurs jours passent qu’il met à profit pour fouiller les décombres. Il s’est préparé un sac avec ce qu’il a pu trouver, des vêtements civils, quelques affaires de toilette et de l’argent ! Suffisamment pour retourner dans son pays et poursuivre son Œuvre, plus redoutable maintenant grâce à sa pierre.

Tout d’abord, il est prêt à se lancer dans le difficile trajet, une marche jusqu’à la côte et un port. Il sort son éclat de roche et le tend vers le ciel comme pour saluer une dernière fois ce lieu du miracle.
Et voilà qu’un bourdonnement se fait entendre.
Léon s’alarme un instant mais ne peut s’enfuir. C’est un hélicoptère qui tourne autour du site puis se pose comme une libellule malhabile juste devant lui. Des soldats en surgissent et tout s’agite autour de lui.
On le fête comme un héros, seul rescapé d’un naufrage.
Lui remercie sa pierre, il n’aura pas besoin de faire tout le chemin à pied. On l’entoure de soins, on l’emporte comme une pierre précieuse. S’ils savaient ! se dit Léon.

Au vu de son épreuve et de son bon comportement lors de sa détention, il est amnistié. Il est libre.

Sa pierre dans la poche, le voilà parti sur les routes, mais pas pour y casser des cailloux …
Il va enfin reprendre son Grand Projet : sauver le monde des charlatans, voyants et autres faux prophètes.
C’est en cambriolant la maison de l’un d’eux qu’il s’était fait alpaguer.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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