SAMEDI 1er Février 2014
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"J'écris comme d'autres peignent"

Animation : Régis MOULU

Thème : Lutter contre les obligations (Modigliani)

Au cours de cette séance, il s'agit d'opérer du mieux possible une simplification de ses écrits (forme d' "archaïsme") afin de dynamiser son style.

Ceci est une bonne occasion pour investir une formidable liberté qui fait fi de toute obligation. De plus, le résultat produit s'enrichit d'une identité propre, car on a trouvé une manière personnel de "frapper fort" ! 

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), ce sujet a été énoncé en début de séance : exposer, pour une personne inventée, en quoi sa rencontre avec une âme sœur a déclenché le roman de sa vie.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support a été distribué en début de séance !

 

 

 

 

 

 

 


Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Voies impénétrables" d
'Ella KOZèS

- "Un=deux" de Marie-Odile GUIGNON

- "Les champignons" de Janine NOWAK


"Voies impénétrables" d'Ella KOZèS

Quoique tu puisses faire en ce moment, tu ne saurais jamais dire ce qui va se passer dans une minute. Tu ne peux parler que du passé. Et encore… pour un même moment vécu ensemble, combien de souvenirs différents ?
Fais comme moi ; arrête-toi un instant. Attends. Ne t’attends à rien. Respire. Ne pense pas. Emplis-toi de vide. Le néant est plein d’imprévus. Reste à l’écoute d’indices porteurs d’évènements potentiels. Libre à toi de leur donner la résonnance choisie.
Lorsque Ciara a rencontré Jeremy, c’était par téléphone, pour un cours d’anglais. Il avait quitté Montréal quelques années plus tôt pour se rapprocher des mers chaudes. Il appelait du bout du monde. Un océan les séparait. Le bout du monde est une petite île où il avait posé son sac. Jeremy est un homme pragmatique. Il déteste le superflu. Posséder revient à perdre son âme. Travailleur en dilettante, il habite une petite maison sur la plage. Un ordinateur, des livres, un hamac, une planche à voile sont ses seules possessions. Ce passant est un fin gastronome et passionné de cuisine. Vivre se conjugue uniquement au présent.
Curieux hasard de la vie : le papa de Ciara avait pris sa retraite sur l’île en question. Un océan plus grand encore les séparait. La houle de la haine de Zeus se faisait sentir jusque sur les rivages d’Europe. Le tout puissant déchu poursuivait Ciara de sa colère inextinguible. Il avait déjà renié ses deux ainées. Voici que la dernière prenait la relève. Chaque femme croisée sur son chemin, lui permettait de tout effacer pour tout recommencer. Pour casser les liens, il avait bâti des murailles entre ses différentes vies. Ciara ne connaissait pas ses sœurs. En réalité, pour lui, chaque épouse est devenue une prison. Elles ne le comprenaient pas. On ne peut comprendre le génie. Il en souffrait humblement par devers lui. Sans douter d’avoir raison, il continuait de creuser toujours le même sillon. Voilà qu’à des milliers de kilomètres de distance, il n’arrivait plus à oublier ses trois filles. Miné de l’intérieur, livide, alité depuis plus deux ans, le patriarche tout puissant se cachait pour en finir. Mourir se conjugue impérativement au futur.
Lorsque je te dis que tu ne sais rien de la vie à venir, fais-moi confiance. Lorsque tu crois que rien de bien ne peut plus arriver, va te reposer.  Lorsque tu ne vois pas d’issue, n’attends rien et laisse faire la vie.
Le temps coule. La vie ne passe pas. A l’heure où je te raconte cette histoire, des évènements sont en route pour croiser ton chemin. N’essaie pas de deviner lesquels. Là maintenant, tu crois que Ciara et Jeremy vont se rencontrer ? Je te l’ai dit ; notre imagination est bien pauvre comparée à la créativité de la vie. Peut-être se rencontreront-ils un jour ? Rien n’est écrit.
Je suis comme toi. Mon temps passe doucement entre le travail et les loisirs. Je suis un peu contrariée : Angelica ne peut plus assurer sa prestation. J’ai dû annuler avec elle pour changer d’intervenant. Rien de notable jusqu’au moment où mon nouveau correspondant d’anglais me demande si je n’ai pas une sœur prénommée Ciara.
Auparavant, il s’était présenté comme Canadien résidant sur cette fameuse île. Impossible de ne pas lui parler du Zeus tout puissant qui s’y était réfugié. Peut-être l’avait-il rencontré ? Il m’assure que non. Je sens un flottement dans notre conversation. La communication est coupée à plusieurs reprises. Jeremy, me rappelle. J’entends alors une voix de jeune fille prononcer mon prénom. De passant gourmet, Jeremy est devenu passeur de vie : Souffles courts emmêlés. Sourires au bord des larmes. Incroyable rencontre qui nous laisse sans voix. Tout en moi reconnaît Ciara sans jamais l’avoir tenue dans mes bras. Tout en nous célèbre la magie de la vie qui s’est jouée des forteresses paternelles avec tant de finesse !
Je ne crois plus au hasard depuis cet instant précis.



"Un=deux" de Marie-Odile GUIGNON


Il habitait une petite maison étroite, au bout d'une impasse étranglée par des immeubles. Son horizon rétréci étouffait à la verticale des murs.
L'odeur de l'ennui parfumait sa vie.
La solitude éteint les flammes du cœur.
Un cœur sans feu se transforme en bloc de glace.
La monotonie organisée de ses journées s'écoulait comme la bile d'un foie encombré de graisses. Pourtant,sa beauté et son élégance rivalisaient avec l'agonie de sa conscience d'exister.
Le désespoir pénètre la peau comme le cancer détruit les tissus vivants.
Une pollution s'insinuait dans sa gorge étouffant son libre arbitre. Ses paupières glissaient imperceptiblement sur la transparence de ses iris.
Les prisons de proximité se multiplient dans les villes. Les verrous de l'urbanisation développent des codes complexes en se mariant avec les vidéo-surveillances.

Ce jour là...
La porte fracturée de son domicile violé déchira les pans conformistes de sa routine...

Subitement, il s'enfuit à perdre haleine, tournant le dos au nid de son quotidien.
La peur déclenche des dynamismes inimaginables !
Alors, le souffle court, il quitte UN MONDE vers le destin D'AUTRES MONDES, incertains-proches-lointains ?
Les distances s'expriment par la mesure relative des perceptions temporelles.
Un désert de sable dort sous ses pas.
Le rythme de la marche pousse sous ses pieds.
Une musique se glisse le long de son épiderme.
Une douce caresse se propage dans ses chairs.
Le poids de soi s'envole comme une plume dans l'atmosphère de la liberté.
Son ombre sombre se métamorphose, elle vibre et pointille comme des milliers d'étoiles.
Les diamants noirs rayonnent de feux authentiques.
La sérénité gonfle sous ses vêtements.
L'assurance de la détermination le pénètre.
L'oxygène l'étourdie de sa fraîcheur.
Il lave ses poumons.
Il les peint en rose souple.
Une vapeur légère le précède, elle glisse sur son visage ambré.
Des émeraudes se posent dans ses yeux.
Il distingue enfin l'effleurement d'ébène qui descend le long de son échine, elle le dessine et l'épouse sans cesse...
Son espace intérieur s'ouvre.
Son cœur rougit de bien-être, trépide régulièrement... Boum... Boum...
Boum...Boum...

Paisible, une silhouette accompagnée s'affirme dans les prémices d'une aube naissante.
L'homme et son ombre s'élancent enlacés pour la vie, compagnons de voyage indissolubles.

  Désormais, même quand le soleil ne brillera pas, même quand la nuit noire les cernera, sa mouvance lui collera à la peau, le frôlera, l'accompagnera et l'entourera de son silence existentiel.

Tendre solitude partagée pour la Vie.
A être unique, ombre unique.

 

"Les champignons" de Janine NOWAK

C’était par une belle journée d’automne, quand les feuilles des arbres s’embrasent.
Je m’étais depuis peu - et définitivement, semblait-il, pour cause de finances hélas très en baisse ! - installé dans la maison de mon enfance, maison qui était mon unique bien.
Parisien dans l’âme, mais cependant amateur de nature, je passais mes journées, histoire de tuer le temps, à la redécouverte de la région.
J’arpentais cette fois là, le bois de la Fenouillère, à la recherche de champignons, m’aventurant sous les frondaisons, respirant à pleins poumons cette odeur d’humus si particulière, si forte, presque enivrante.
Les gros cèpes étaient nombreux et plus je progressais, plus j’en dénichais. C’était « un bon coin », une vraie mine d’or.
J’avais l’impression d’être seul au monde. Je cheminais, m’éloignant du sentier balisé, prenant le risque de m’égarer.
Mais les champignon - si nombreux !- « me faisaient de l’œil », m’attiraient, et j’avançais toujours plus loin…j’avançais…j’avançais…
La forêt devint un peu moins touffue ; je débouchais dans une petite clairière.
A l’opposé de ce terrain nu, une construction de pierres grises était érigée. C’était une sorte de mausolée.
Je tournais la poignée d’une porte : elle n’était pas fermée. Je pénétrais et me trouvais devant un bloc de marbre blanc, une espèce de sarcophage, surmonté d’un gisant.
Je dis « gisant » par habitude ; or celui-ci avait une particularité : il n’était pas allongé dans la position traditionnelle. L’homme représenté, reposait le buste soulevé, adossé à un épais coussin. Ses mains, tenaient un livre ouvert.
Toutefois, ce qui me frappait le plus, c’était son visage. Je m’immobilisais, pétrifié, fasciné.
Cet homme…c’était moi !
Cette statue me représentait.
Mêmes cheveux bouclés.
Mêmes pommettes hautes, un peu saillantes.
Mêmes yeux en amandes.
Même bouche charnue au sourire un brin ironique.
Même menton volontaire.
Même port de tête aristocratique.
Décontenancé, je restais les yeux agrandis, fixés sur lui.
Curieusement, lui aussi semblait m’examiner.
Nous nous dévisagions. Oui, je n’exagère pas : nous nous dévisagions, malgré son regard aveugle.
Il paraissait me dire : « Enfin, tu m’as trouvé ! Depuis quatre siècle que je t’attends. »
Surmontant ma stupeur, je me secouais, me penchais pour lire les inscriptions gravées sur le socle : Pierre BEAUDIMENT de VENDEUIL – Poète.
Mon nom…c’était mon nom et mon prénom.
Je rêve, me disais-je. Je vais me réveiller.
J’avais beau me pincer…ouille !...je ne dormais pas.
Alors, je me suis planté face à lui, et comme Don Juan – ce pauvre fou – qui défia la statue du Commandeur, j’adressais la parole à mon double :

- Que fais-tu ici, l’attaquais-je ?

- Tu le sais très bien, me répondit-il. Ce coin de France que tu as longtemps évité – voire méprisé – est celui de tes ancêtres.

- Je ne l’ignore pas. On m’a assez critiqué de délaisser cette terre. Mais pour moi, seul Paris comptait.

- Et qu’as-tu fait de si remarquable, dans ton Paris tant aimé ?

- Oh, non, tu ne vas pas te mettre toi aussi, à me faire des reproches !

- Reproches mérités !

- Oui, j’en conviens, je suis lucide. Mais j’ai tout de même écrit un livre ! Et un livre qui a rudement bien marché !

- Hum, hum. Il a marché ; c’est un fait. Et quoi de neuf, depuis…quinze ans ?

- Hé bien, quelques petites nouvelles. Et un feuilleton-télé.

- Ha ! parlons-en ! Feuilleton-télé interrompu après trois épisodes.

- Tu es cruel ; je sais tout cela..

- Alors que tu as du talent !

- Exact. Mais les autres semblent l’ignorer

- A qui la faute ? Tu as voulu «faire facile», faire de l’argent, très vite et par conséquent, très mal. Tu t’es vendu au plus offrant jusqu’à devenir un vulgaire scribouillard, alors que dans ce métier il faut de la rigueur.

- Tu as raison. Je suis bien puni aujourd’hui, méprisé par mes pairs.

- Et te revoici à la case départ : plus un sou et oublié de tous.

- Oh, arrête !

- Non, je continue. Si mes remontrances pouvaient être utiles…

- Je me fais les mêmes tous les jours, figure-toi.

- Ta -ta -ta- ta- ta. Tu le fais mollement, sans conviction. Et pourquoi n’obtiens-tu rien ? Tu n’as plus confiance en toi.

- Tu es dans le vrai. Comment peux-tu si bien me connaître ?

- J’ai vécu ce que tu as vécu, voici quatre-cents ans. Nous, les gens de plume, sommes des êtres fragiles, influençables, et il ne nous est pas permis de réagir comme le commun des mortels.

- Intéressant. Et comment t’en es-tu sorti ?

- J’ai fait preuve d’audace.

- Ah oui, air connu : de l’audace, toujours de l’audace, encore de l’audace !

- Voilà, ça c’est une formule !

- Hélas, elle n’est pas de moi.

Revenons à mon expérience. Pendant un an, j’ai poursuivi mon but. J’ai été très exigent avec moi-même. Je me suis privé de tout, vivotant chichement, ne me nourrissant qu’une fois par jour. Et je travaillais, travaillais, travaillais à mon recueil comme un forcené.

- Bon, j’ai compris : tu travaillais avec acharnement, sacrifiant tout à ton art. Bravo. Mais encore ?

- Tu connais le dicton ? Qui va doucement, va sûrement ? Et cet autre : Il vaut mieux s’adresser au Bon Dieu qu’à ses Saints ?

- Oui, ils sont encore d’actualité.

- Alors, une fois mon ouvrage terminé, au lieu de prendre le risque de passer par de vagues intermédiaires, j’ai visé plus haut

- Comment ça, plus haut ?

- Plus haut. Tout en haut.

- Oui, mais encore ?

- Ben, le Roi de France ! Carrément !

- Mon pauvre Pierre, nous n’avons plus de Roi !

- Aucune importance. Roi…Président…même combat. Ce qu’il faut, c’est toucher au but. Tu connais Eugène DECASSAGNE ?

- Euh oui, c’est le grand chef-cuisinier de la région qui est passé maître queux au Palais de l’Elysée, il y a 6 mois.

- Bien répondu. Quelle est sa spécialité à Eugène DECASSAGNE ?

- La Poularde de Bresse aux cèpes.

- Voilà.

- Hé bien quoi, voilà ?

- Tu as dit le mot : cèpes.

- Cèpes ?

- Oui, cèpes ! Réfléchis un peu. Grâce à quoi es-tu arrivé jusqu’à moi ?

- Euh…le sentier, le sous-bois.

- Et ?

- Et ?... Ah oui, la cueillette des cèpes. Et alors ?

- Alors ? Alors, ton plus proche voisin, Sébastien CASTILLON, est l’ami intime d’Eugène DECASSAGNE. Tu vas aller chez lui, tu lui donneras ta récolte de cèpes pour qu’il les fasse parvenir à l’Elysée.

- Ca, c’est facile. Mais pour ce qui est de la suite…Je ne vois pas…

- Une fois, négligemment, tu laisseras un exemplaire de ton livre dans le panier, avec les champignons. Le grand-chef, homme très cultivé, féru de belle littérature, ne manquera pas de dévorer ton ouvrage. Et c’est ainsi qu’un jour, le Ministre de la Culture, l’aura entre les mains. Et voilà.

- Ben voyons ! Tu crois que c’est aussi simple que ça, toi ?

- Puisque je te le dis ! J’ai agi de même, il y a 407 ans exactement, et ça a marché ! Et déjà avec des cèpes pour Henri IV qui en était très friand. Allez, homme de peu de foi, retourne vite à tes champignons et à tes écritures.

Et quand tu auras une minute, viens me rendre une petite visite.

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Ainsi donc, Mesdames et Messieurs les membres de l’Académie Française, voici comment une simple promenade en forêt par un beau jour d’automne, a modifié le cours de mon existence et a guidé mes pas jusqu’à vous.


Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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