SAMEDI 3 décembre 2022
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Se doter d'une inspiration extralarge, année 2"

Animation : Régis MOULU

Thème : Être le moins abstrait possible pour que l'universel triomphe

Remettre inlassablement tout dans le concret témoigne d'une recherche pointue de la vérité, ce qui définirait le mieux notre réalité, notre univers, notre donne collective. Ainsi, tout faire converger, abstrait y compris, vers une capacité à saisir le vraisemblable permet d'être plus probant, plus manifeste, plus éloquent. Et, en roi de cette instance, le contemporain "ici et maintenant" corrobore ce parti pris que nous allons explorer. D'ailleurs, pour un écrit produit par l'esprit, être doté d'une matérialité forte est un excellent et indispensable enrichissement !

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance :

Écrire une histoire directement inspirée de l'image présentée ci-après. Le récit produit devra être le plus concret possible (toute pensée même abstraite trouvera ainsi un écho concret) et tendra à tutoyer de plus en plus des notions universelles et atemporelles, ou même l'universel lui-même !



Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support développant notamment les thèmes qui se rapportent le mieux à l'universel a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Adieu" de Nadine CHEVALLIER

- "Un gros oeil triste" de Régis MOULU

 

"Adieu" de Nadine CHEVALLIER, texte écrit hors séance mais dans les mêmes conditions


Le monde se déployait sous ses yeux. Cette terre qu’il avait toujours connue. Le fleuve paresseux comme un serpent se prélassant au soleil. Les prairies jaunies de la fin d’été, les bosquets frémissant sous le souffle léger de la brise, les collines dans la brume du lointain. Et la tour du château, doigt pointé vers le ciel comme celui de son père, impératif et menaçant.
L’air était immobile, des nuées s’amoncelaient dans un ciel gris bleu.Tout semblait attendre.
Il était arrivé là bien avant l’heure. Tourmenté et exalté, il avait gravi la colline foulant le sentier caillouteux à grandes enjambées, écrasant les tiges de lierre, fouettant les fougères à grands coups de chapeau.
Il s’était assis sur le vieux banc qui avait connu tant de rencontres, de retrouvailles et de séparations, tant d’espoirs et de déceptions. Si vieux qu’on ne savait plus qui l’avait posé là.
Sur ces planches toujours solides dans la nudité de leur bois brut, combien de fesses s’étaient posées avant les siennes ? Cette pensée le rendait mélancolique.
Son dos calé contre le tronc rugueux et crevassé de l’arbre, la tête penchée, le menton dans la main, il avait regardé ce pays qu’il aimait et qu’il allait pourtant quitter.
Assis sur ce banc, il songeait à l’avenir. Devait-il obéir à son père, renoncer à son amour pour le renom de la famille ?
Pétries de contradiction, ses pensées tournaient sans réponse. Hésitation, décision, revirement, colère, tout se mêlait. Sueurs et larmes se confondaient sur son visage. Mille fois il faillit partir, quitter lâchement ce banc pour n’y plus revenir. Car tout au fond de lui, il savait que son destin ne faisait aucun doute. N’était-il pas séduit malgré tout par cet avenir riche de promesses encore insoupçonnées ? Et dans son désespoir, il se maudissait mais il savait qu’il obéirait.

Alors, il attendait Mathilde, imaginait son arrivée.
Comme à l’accoutumée, elle viendra par le chemin du bourg, montera avec prudence le sentier, évitant les pierres, tenant des deux mains le tissu de sa robe dont le bas se couvrira de poussière. Il admirait les femmes de supporter ces atours compliqués et si peu pratiques.
Parce qu’une femme bien ne sort pas sans chapeau, elle aura caché ses longs cheveux sous un bonnet léger, celui au ruban bleu, son préféré. Peut-être aura-t-elle mis un châle de dentelle sur ses épaules pour se protéger de la fraîcheur du sous bois.
Elle arrivera derrière lui, touchera le tronc du poirier. Lui l’aura entendue depuis longtemps mais fera semblant d’être surpris quand elle surgira en riant.
Et son cœur sera chaviré par sa beauté joyeuse.

Ses larmes ont séché, il est assis là depuis si longtemps. Il lui semble que le long de son dos, le vieux poirier retient son souffle. Le banc est dur sous ses cuisses.
Il y a comme un frémissement des branches, les feuilles bruissent d’un léger chuchotement, « elle arrive » annonce l’arbre.
Comment va-t-il annoncer son départ ?



"Un gros oeil triste" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Mylène s'approcha de son arbre préféré,
derrière Silvère réfléchissait.
Juste le regarder,
le regarder disparaître dans ses pensées,
comme sucé de l'intérieur
jusqu'à en être une noisette rutilante.
Elle souffrait de le voir souffrir,
c'est-à-dire de devenir un humain accompli.

Dans le bec de l'entonnoir de ses préoccupations,
l'homme se battait avec les parts manquantes de sa vie.
En effet, son cœur s'écorchait
à l'idée que sa famille lui sembla incomplète.
Appartenant à une fratrie de cinq personnes,
il déplorait amèrement l'absence de Martine,
la plus jeune.
Aussi, il n'avait de cesse de la convoquer,
au gré d'une rêverie qui, comme un pur-sang sauvage,
ne faisait au final que fuguer,
se dissoudre dans un lointain bien mystérieux.
Brouillard de lait.
Pouvait-il encore pleurer ? la camion-benne de sa peine
ne se déversait plus.
Son psychisme rechignait à se recaler sur l'universel.

Des grands philosophes jardinaient dans sa tête.
Le cerveau est un potager
qui nécessite soin, entretiens et paysagistes experts.
Et on était rendu à croire
que cette parcelle était nouvellement acquise,
vierge de tout
puisqu'on venait de tout y arracher.
L'homme était perdu, comme mort.
L'homme était mort de par son inertie criante, désespérée, suppliante.
En déroute.

Pas même un élan de sexualité ne subsistait en lui
alors même qu'en temps normal,
cette souveraineté fixe.

Un meurtre rend humain
tant il remettrait quiconque au cœur de la société,
pas même cette piste ne l'effleura.
Désert de sable et de boue,
sables émouvants
où son poids d'insignifiance massive
l'engageait sur la voie de sa disparition progressive.

Quand une personne nous manque,
le ciel n'est plus qu'un gros œil triste.

Le fond de l'air était humide.
Et chaud
puisque le soleil ne sait être pour nous
que « grosse nourrice ».
Mais loin de Silvère cette acceptation.
Une sœur qui se dissout,
c'est un verre de vin oublié.
Une personne qu'on aime
et qu'on ne localise plus,
c'est se résoudre au fait qu'il n'y aura plus jamais de bal,
ce concept tombe aux oubliettes.
Sommes-nous des marionnettes ?
Un verre d'alcool, et hop, toute image peut réapparaître.
La nostalgie est un serpent
qui tarde à se défaire de notre jambe bleue.
Mais c'est aussi un contact, une affection, un soin.
Combien de fois « avait-il rené » sous une caresse ?
D'ailleurs tout est caresse
à condition que celui qui les prodigue « se sait caressant »,
c'est-à-dire donne tout de lui
comme s'il n'était plus là.
Jeu de vases communicants
où le mort forgera toujours l'âme du vivant.
L' « école de la compréhension de l'universel » en somme,
où le professeur est déjà cette voiture
qui part au loin.
Mylène était enceinte.
Enceinte d'un enfant qui n'existerait pas
si rien ne changeait présentement.
C'est pourquoi elle exerça une pression très forte
sur l'aulne.
On eût dit qu'elle ouvrait un livre
de Christian Bobin.
Les muscles de son cœur étaient des larmes.
Elle défaillait.
Arche de feuilles ne la rendait que plus belle,
tel l'enfant sans son berceau.
Avec trois oiseaux en plus,
trois étoiles se seraient mises à chanter
et le sourire de la modeste créature
aurait arraché à son dessein une anémone du Japon
qui s'ouvre comme papillon s'envole.
L'illimité de nouveau devant soi,
mais seulement via le chemin de la splendeur,
cette baguette magique qui ne cesse de frétiller sous notre nez
comme si être vivant
revenait à accepter d'être de la sorte nargué.

Silvère de moins en moins incarné.

Un jour, chaque humain se posera quelque part
en arbre
ou autre.
Le monde compte aujourd'hui quantités de belles forêts.
Silvère dans sa tête.
Silvère étant même devenu le cheval
que monte sa folle imagination.
Léger comme une musique aboutie,
un air qui part vers le ciel,
pensant que tout interstice ne se débusque qu'au zénith,
une chaîne de notes qui se surprend à former
une farandole joyeuse
qu'un instrument de hasard coincera
le temps d'un concert qui ne sera « concert »
que par une addition d'oreilles de spectateurs convergents.

Difficile à expliquer, possible illusion,
Silvère écrasa une araignée
qui partageait le même banc.
Le crime d'avoir ôter un peu de notre monde à notre monde
le hanta.
Silvère s'appelait Christophe, Mylène Catherine, Martine Gisèle.
Quelle est notre part réelle d'authenticité ?
Est-on toujours ce qu'on n'arrive jamais à être, pas plus ?
Le mal de vivre nous vient de la préhistoire.
Tout comme le fantastique, son frère jumeau.
Christophe s'appelait Olivier, Catherine Cécile et Gisèle Jean-Paul.
Le banc faisait face à une vallée sans limite.
Un boa de fleuve y brillait,
à force d'y être immobile,
serein et rassembleur.
Qui un bain, qui un décrassage de linge, qui une pêche miraculeuse, qui une vocation d'étreindre la poésie,
ce monstre subaquatique.
Plus loin la ville, cette pieuvre lasse qui digère,
faute à sa voracité.
Olivier adorait son frère.
Pour son étrangeté sans doute.
Et pour la douleur qu'il lui procurait,
leurs échanges ayant toujours été vifs
comme si le mot offert
ne pouvait être ressenti, volontairement,
que comme un coup de bec.

L'amour n'est, en somme, qu'un pacte
fait avec la lucidité.
Jean-Paul était avocat dédié à la fidélité,
en quelque sorte, la conscience qui tourne aisément au procès à charges,
voire « la meilleure façon d'avancer »
s'il devait être résumé au titre d'une comptine.

Olivier s'appelait l'ours, Cécile la belette et Jean-Paul le lapin.
Des animalités brassaient les végétaux du coin.
Comme l'on bat un jeu de cartes.
Rivière inespérée de symboles mouvants
où l'humour démissionne de son poste
d'animateur de centre aéré.

Plus rien ici n'était perceptible,
vaste toboggan
où seuls les enfants jouent abusivement.
À la place de leurs cordes vocales,
il y a une voile de navire.
Leur océan, c'est la distraction.
Et Silvère espionnait tout cela.
La fuite du temps n'est en somme qu'une capuche
qu'il s'agit de ne jamais rabattre
sur sa petite caboche.
Il comprenait que la vie
pouvait prendre l'image d'un bâton de relais,
un témoin qui s'use tragiquement.

Le bruit de la ville,
par tentacules successifs,
préemptaient l'autel des réflexions
où notre individu officiait à tous crins.
Les mondes de notre monde ne cessent en effet
de se redimensionner,
poussé par l'envie d'étendre leur hégémonie.
L'humain est alors cette maison
qui est constamment repeinte,
cet élément du décor doté d'une fierté
qui lui permettra, un temps,
de se croire invincible mobil home.

D'autres « rêves-menaces » le transpercèrent.
Une parole unipersonnelle et puissante
prit le sentier escarpé et montant
de sa moelle épinière.
C'était le fantôme du travail,
un ancien dieu.
Toujours épris de révolte,
il loua le courage. Regain de sang.

Mylène n'en perdait pas une miette,
sans doute parce qu'au bout de toute épreuve vue ou vécue,
on se sent plus joli,
comme libéré du poids des ancêtres
pour ce qui est de leur dimension « cannibale ».
Martine avait fini par apparaître,
comme pour matérialiser les tourments du jeune homme.
Une « femme quatre saisons »
irradiait de toute son image
le lieu.

Appel à la découverte,
on remet une pièce dans le juke-box.
Ou comment l'exaltation mue par la tristesse
invite à la métamorphose.

Une cloche.

Un trafic d'écureuil.

Un nuage en forme d'épuisette à crevettes.

La chute d'une feuille
gorgée de vieux soleil.

L'horizon qui se défait de son bas mauve.

L' « odeur sanglier » de la terre.

La sensualité qui recrute inconditionnellement.

L'exil à soi-même.

Le sport, encore du sport incontournable.

L'ouverture qui impose ses vacances.

Le vivant qui traduit la mort
en célébration.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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