SAMEDI 17 Mai 2014
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"J'écris comme d'autres peignent"

Animation : Régis MOULU

Thème : Avoir la révélation (Monet)

Au cours de cette séance, il s'agit de savoir relayer toute la féérie que contient notre environnement à l'état naturel.

Il faut, par ailleurs, sur le plan formel, utiliser un "langage de syncope", le but étant de livrer des impressions en juxtaposant des mots forts et expressifs, absolus, ou avec identité marquée, soit par déclinaison soit lors d'énumérations ou de listages. Arriver donc à une écriture fragmentée importe. Pour y arriver, penser que le langage du corps est supérieur.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet "s'inspirer du tableau [ci-après]" a été lancé en début de séance.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support a été distribué en début de séance... La vie n'est-elle pas pleine de cadeau ?!

 

 

 

 

 


"Impression, Soleil levant" (1872) Oscar-Claude MONET


Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):

- "Impressions, port couchant" de Marie-Odile GUIGNON

- "Instantané" d'Ella KOZèS

- "Dernier voyage" de Christiane FAURIE

- "Seul maître à bord après Dieu !" de Janine NOWAK

 


"Impressions, port couchant" de Marie-Odile GUIGNON

Ambiance mortifère du soleil absent. Ou se cache la lune ?
La solitude s'habille du crépuscule.
Son corps cherche un reflet.
Miroir de l'ombre.
Pénombre de sérénité.

Les arbres des mâts noircis
S'accompagnent de clapotis
Les méandres de l'atmosphère.

Les bleus mouvants s'émoussent.
Échanges de constituants
Symbiose des taches.
Ciel, mer, le même camouflage
Dissimulations des mélanges.

Mouette muette de l'univers portuaire
Le ciel ne t'appartient plus...

Les voiles de la nuit se hissent,
Faunes squelettiques repliés
Gardiens des coques estompées.

Balayage des feux...
Des yeux coule un charbon noir.
Mais, l'éclat de la lumière concentrée
S'allonge et zigzague.
Ça bouge dans les surfaces, ça scintille, ça frétille.
Se frayer un chemin, glisser entre les masses...

Froissement silencieux d'ailes
Guidage ultrason en quête d'insectes en perdition, Chauve-souris des rivages, régalade en débandade A l'heure de ta sortie de nuit dans ce paysage fantasque.

Chauve qui peut... Plouf !
Métamorphose.

L'horizon se resserre.
Cœur des peurs nocturnes.
Quelques traînées de sang dégoulinent en s'élargissant.
Des remous s'affolent,
Les lueurs tremblent.

Remugle des vapeurs du port
Parfums des poissons éventrés
Bruns des algues déchiquetées.
Le vent brasse les pistes.

L'image s'enfonce lentement
Vaisseau fantôme d'un havre perdu.
L'envers du décors dans les abysses se mure, Il s'introduit profondément.
Un corps s'abîme lentement
Des bulles rouges bouillonnent
Les volutes étincellent sous un plafond en décomposition.

Retourner la situation.
D'un quart.
L'avenir s'éclaircit.
En arrière l'enfer se noie.
Les clartés se déploient,
Dessinent des chemins striés,
S'envolent en perles du lointain...
Navigation vers.
Les rayonnements s'échappent des récifs.

Devenir sirène des océans
Âme éternellement à la recherche
D'une escale, d'un mystère.
Les marins à terre se taisent.
L'appel du large infini.
La masse d'eau dormante garde quelques miroitements d'or.
Les voiliers assoupis s'assemblent dans le giron d'azur marine.

La houle berce les rêves avant de les briser.
Beauté des illusions, le charme des rétines.

Voyeurs, voyageurs, écumeurs,
L'horizon, là-bas...
Qui va là ?
La trajectoire de l'oiseau blanc absent.
Elle serpente en orbe.
Évocation des astres.

Le corps de l'oubli sombre dans l'insomnie du port A l'heure du sommeil de la nuit.

 

"Instantané" d'Ella KOZèS

Un hublot fixe sur la porte battante. Je sors. Arrêt dans ce silence à l’écoute religieuse. Le port est une cathédrale païenne. Au firmament, les feux de position se signalent aux étoiles. Je fais corps avec ce mythique lieu de rencontre de deux éléments opposés. Je suis lui. Dans un élan d’empathie métaphysique, je contiens l’univers tout entier.

Au fond, des personnages bougent à peine. Ses yeux d’un bleu étincelant regardent le jeune homme. Lui, vêtu d’un pull marin, pose doucement ses doigts sur ce visage aimé. Je m’assieds, seule sur un banc de bois, dans la tiédeur de l’air quasi palpable. Ils sont loin de moi. Ils sont seuls au monde. Il découvre les traits si chers à son cœur. Elle fond sous la douceur d’un toucher si sensuel. Les fronts se touchent. Je n’existe plus. Peau contre peau, deux âmes se reconnaissent. Les souffles sacrés se mélangent. Je retiens ma respiration. Un reflet lunaire les protège. Leur amour caché brille de mille feux. Mon cœur chavire.
Je ferme les yeux pour mieux voir son merveilleux sourire. La tendresse m’envahit brutalement. Ses yeux sombres éclatent d’un bonheur retenu. A mon tour de dessiner ses petites rides de joie sur la fascination de son visage. Son regard étonné m’explore. Tel un chercheur d’épaves, il plonge en moi. Il sonde mes trésors. Je le vois délicieusement surpris. Il lutte contre le doux abandon. Il n’en croit pas son cœur. Je pose ma tête contre lui. Il ose alors promener délicatement ses doigts sur ma nuque en émoi. Immobile, je fais naufrage.

Son murmure suspend le temps. Sa voix est d’une suavité grave. Sa tonalité harmonieuse caresse mes tympans. Je n’écoute pas les mots. Son timbre me berce à l’image des flots. Les drisses et les écoutes chantent mille sons. C’est un orchestre de nuances qui joue cet air céleste. L’harmonie emplit mon être et tout redevient beau.

La brise du soir s’est tu. Un frisson me parcourt. Ses yeux noirs m’enveloppent. D’où tire-t-il cette douceur qui réchauffe ma vie ? Je me perds corps et biens en lui. Petite mort divine.
Les haubans ne tintent plus. Seuls les bruits des vagues léchant les étraves balancent le son des pare-battages qui cognent contre des quais. Mon cœur bat follement à leur rythme syncopé. Il me serre dans ses bras et attrape mon visage à pleines mains. Il veut me contempler comme pour graver le souvenir de cet instant si fou.

Le clocher sonne minuit. Je sursaute. J’ouvre les yeux, et balaye fiévreusement du regard l’immensité vide du port. Ils ont disparu. Il est parti. Je me relève hagarde, nostalgique déjà d’un heureux souvenir. Ils ne sont plus… et pourtant accompagnent mes pas jusqu’à cette lueur blafarde qui éclaire les rues, dans lesquelles je me noie.

La vie me rattrape et pourtant, je suis morte. Cet homme d’un autre âge est mon plus bel amour.

 

"Dernier voyage" de Christiane FAURIE

Oeil délavé de tant de soleil réverbéré, lèvres blanchies de tant de sel déposé, biceps jaillissant de tant d’efforts déployés par gros temps, démarche peu assurée chaloupant à terre de tant de mers affrontées, jambes enserrés du pantalon raidi de tant de dépôt de limon charrié par les flots.
 Alors quoi, c’est fini ce flot de larmes jusqu’à l’infini ? Clapotis, ressac,  naufrages après l’orage?
Ombres effrayantes déplaçant leurs grandes ailes pour mieux nous capturer ou nous éblouir de son encre purpurine nappant jusqu’à nos viscères et laissant notre cœur noir.

Au loin, le chant plaintif des sirènes résonne comme un acouphène irrémédiablement incrusté au fond de l’enclume vestibulaire.
Au creux du ventre ce vide tentaculaire qui séquestre l’estomac en une boule gigantesque et douloureuse.
L’air du large semble capter toute l’oxygène du port, nous laissant asphyxiés à la recherche d’une ruelle fraîche coulant vers une artère généreuse crachant son sang rouge, nous vidant peu à peu du goût âcre au fond de nos gorges,  laissant espérer la douceur d’un baiser.

Les mouettes errent et pleurent leur mère disparue. Les chinchards frétillent en bans présomptueux, leur nombre forçant l’audace.

Je m’engouffre dans le port endormi, glacé malgré mon caban au col haut, mon bonnet de laine tiré jusqu’au lobes afin d’atténuer l’appel du large. Celui qui emporte tout sur son passage, qui fait oublier mère, femme et enfants.
Plus rien ne compte sinon servir cette géante au grand cœur qui s’étend de part et d’autre des continents.
Seules les années passées à son service disent l’usure qui s’empare peu à peu de nos corps, re sculpte nos visages, dissolvent nos regards nous rendant tous frères muets de tant de solitude.
Nul besoin de miroir sinon le reflet des vagues nous renvoyant le rougeoiement des astres ou l’obscurité du crépuscule sans lune.

Elle seule compte, elle nous berce sur ses flancs alors que nous naviguons sans relâche les mains posées sur la barre, le regard fixe.

Je me suis cru explorateur, pirate, grand loup de mer, mais je n’étais que valet de pied à son service.
Elle m’a expulsée du pont comme un excrément, indifférente, et je suis là, vacillant, incapable de tenir droit comme un nouveau né à peine sorti des entrailles.
Je la supplie de me redonner la force d’un nouveau voyage, sentir mon corps se fondre dans ses eaux amniotiques revitalisantes me laissant espérer une renaissance des corps.
Ce soir, elle me nargue. Déjà elle m’oublie pour d’autres marins vigoureux à la dent blanche et au corps souple, prêts à en découdre avec les lames de fonds, le coeur libre de lui consacrer tout leur amour dont elle est insatiable.

Elle n’a qu’à se servir sur ces coques frêles, exerçant son droit de vie et de mort telle une mante religieuse.
Les bâtisses du port la saluent chaque soir d’un clin d’œil illuminé, le rimmel au bord des cils.
Elle s’en moque, le regard tourné vers l’infini.

Je balance  ma lampe tempête de ci de là essayant de la tirer de son silence dédaigneux glaçant jusqu’au tréfonds de mon être.
Le sang coule t’il encore le long de mes veines ou son sel en a t’il dévoré la substance ?
Aucun mât ne se rue au dehors !
J’ai soif. Je voudrais la boire jusqu’à m’en soûler et vomir en jet pour éteindre son dernier quartier de lune et noyer le chagrin qui détrempe mes hardes jusqu’à les réduire en une toile informe sculptant mon corps en un spectre hurlant.

« Garde –moi ! laisse-moi te caresser encore, me glisser entre tes vagues, crier de plaisir au fond de tes abymes, juste une fois !
Fais-moi un signe, regarde, je suis au bord.
C’est mon dernier voyage, tu le sais ?
Ne te montre pas si cruelle, je suis désarmé, je n’ai que mes larmes à t’offrir.

Je viens vers toi, étreins-moi à jamais..

 

"Seul Maître à bord après Dieu !" de Janine NOWAK

Me voici seul à bord.
Je suis accoudé au bastingage.
J’entends le clapotis de l’eau contre la coque.
Un vent léger fait osciller le navire.
La ville n’ayant plus de secrets pour moi, je ne suis pas descendu, préférant fuguer sur les chemins de l’imaginaire. Le rêve est ma soupape de sûreté, mon seul refuge.
De par ma profession, je suis un homme de voyage ; mais je suis aussi un être de déplacement intérieur.
J’aime cette heure tardive. J’admire le port. Je me repais du jeu magistral des lumières se reflétant sur l’eau. C’est au creux de la nuit, que l’endroit révèle le mieux sa magie.
Mystère quasi religieux.
Je ne sais plus distinguer la frontière entre le réel et l’imaginaire.
On ne perçoit plus que des suggestions, des émotions.
La phosphorescence de la lune évoque le monde enchanté des contes.
Où finit le ciel ? Où commence la mer ? Tout s’enchevêtre
Il fait sombre, mais il ne fait pas noir.
Sur les hauteurs, le phare jaune de Sainte-Adresse tourne inlassablement.
La balise rouge du chenal de bâbord, telle une rose carmin, symbolise pour moi, l’amour.
La verte, celle du chenal de tribord, représente l’espérance.
L’eau, est l’image de l’éternité.
Tout est parlant. Tout est source d’inspiration.
Ce milieu marin est un vrai paradoxe. A cette heure tardive, il parait solitaire, inerte et dénué d’action. Cependant, moi, qui suis initié, je sais qu’il est riche d’une vie secrète, peuplée et grouillante, mais invisible à l’œil nu.
Et je lui ressemble à ce milieu.
Je suis pétri de contradictions.
J’ai une poigne de fer.
Je suis fabriqué d’une rude étoffe.
On dit qu’il est difficile de percer ma dureté de façade. C’est un fait : je n’aime pas me livrer. Je préfère vaporiser du brouillard sur ma vie.
Je semble toujours regarder le néant. Pourtant, mon cerveau est tout le temps en ébullition. Je me pose des questions, continuellement des tas de questions.
Je m’interroge. Beaucoup.
Pourquoi, suis-je souvent d’humeur sombre ? Avoir le cœur gai rend la vie plus simple. Alors, pourquoi ai-je toujours l’impression d’avancer dans un marécage ?
Pourquoi suis-je éternellement à la poursuite d’un Graal inaccessible ?
Pourquoi l’être humain a-t-il cette peur ancestrale de la fin du monde ?
Pourquoi, pour se rassurer, l’homme s’accroche-t-il à un fétichisme de bas étage ?
Pourquoi ne peut-on éviter les petites lâchetés du quotidien ?
Pourquoi… pourquoi… pourquoi ?
On ne peut pas dire que l’existence soit chose simple.
On souffre souvent.
On a du mal à trouver des solutions.
On ne connait guère la paix.
On a beau avancer en âge, y penser, le prévoir, on n’est jamais prêt à devenir orphelin.
On redoute souvent d’être châtié pour un acte que l’on n’a pas commis.
On ne sait pas profiter pleinement et simplement du moment présent.
Mais non, je m’emballe encore ; en fait, tout n’est pas aussi noir. La vie offre quand même bien des plaisirs.
La lecture, par exemple. J’aime les mots. Je trouve que certains ont autant de saveur, de douceur qu’un beau fruit bien juteux.
Et fort heureusement, l’homme est malin, débrouillard. La nécessité le rend ingénieux. Du coup, il a la force de faire face, de réagir et de retrouver ainsi, une certaine sérénité.
Cependant, connaît-on vraiment les êtres ? Enfant, je ne pleurais pas. Jamais. On me l’a souvent dit et redit. Pour certains, c’était la preuve que j’étais un gamin sans cœur. Pour d’autres, c’était de ma part un grand acte de courage. Qui était dans le vrai ?
L’homme n’est pas éternel. Mais, oh vanité, avant de rendre l’âme, chacun espère laisser un petit témoignage de son passage sur terre : une pensée, un objet d’art, une poésie, un petit rien, des lettres, ou tout bêtement, une photographie de soi…

La sortie en mer de ces derniers jours a été rude. L’Ange de la Mort est venu nous frôler de très près. Nous avons dû batailler ferme. Aussi, le simple fait d’être rentré sain et sauf à bon port, a été ressenti par tous comme une bouffée d’air pur.
Voilà pourquoi, tous les hommes d’équipage se sont précipités à terre, en bordée, pressés de se jeter dans le tourbillon des plaisirs, afin d’avoir la confirmation qu’ils étaient bien vivants.
Ils ne vont pas tarder à revenir, les uns après les autres, de façon kaléïdoscopique. Certains, fiers de leurs exploits et de leurs conquêtes féminines, qu’ils évoqueront dans un langage dru, avec forces détails. D’autres, qui pourtant ont le pied marin, arriveront en tanguant, en chaloupant joyeusement, parce qu’ils auront un peu trop caressé la bouteille. Et d’autres encore, toujours les mêmes, les plus durs d’apparence, mais les plus fragiles, bien évidemment, se présenteront dans un état de stupeur alcoolique.
Mais ils seront tous là, à l’heure. On dit qu’il y a un Dieu pour les ivrognes !
Je les aime bien, tous ces braves gars, même si je ne le leur montre pas.

Et moi, toujours accoudé au bastingage, je profite de ces derniers instants de calme et de solitude. Je savoure encore un peu cette source inépuisable de bonheur que m’offre le Port du Havre, à l’atmosphère vaporeuse, chargée de vibrations colorées.


Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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