Ci-après
quelques textes produits durant la séance,
notamment (dans l'ordre):
- "Le passager à l'heure clandestine"
de Régis MOULU
- "Ted, Tesse, Ness, Nick, Max, Paul, Ella"
d'Angeline LAUNAY
- "Antipodes" de Janine NOWAK
- sans titre, Marie-Odile GUIGNON
- "Oh la vache" de Janine BERNARD
- "Le réveillon de Flagadus" par Céline
CORNAYRE
"Le
passager à l'heure clandestine" de Régis MOULU, animateur
Force est d'en parler,
nécessité est de se confier,
toute hésitation cessante,
priorité à la joie,
cap sur l'agrément,
il y va de notre vitalité, bon là c'est parti,
pour qui la jouissance choit,
quand le marché de la vie s'éteint,
au moment du plaisir qui s'émousse.
Première étape,
choisir un jardin
ou un tapis,
ou un coin de poésie,
question d'avoir rendez-vous
quelque part dans notre monde,
là où le vide convole avec nos organes,
au milieu de nos pensées virevoltantes…
Se tenir sur un pied
de cigogne,
la jambe raide
et infinie
et le corps ramassé
comme un pin parasol,
(là est la deuxième étape,
mais on se fout vraiment de toutes les recettes)
Et quoi faire ?
Rien faire ?
Tout faire ?
Finir ?
Démarrer ?
- Non, continuer
pour l'espace de l'espérance,
pour la ferveur de son feu
ou pour tout l'inouï d'un épanouissement,
le nôtre,
un tien,
chacun on l'aura.
Ouvrir les yeux,
oublier de les fermer
en tout cas associer le monde de chacun de nos yeux pour ne s'en faire
qu'
une vision,
une armoire à idées,
une boîte à couture.
Est-ce se sentir porté comme lorsqu'on court vers la mer ?
Se sentir amusé, trouver sa conscience bien sympathique ?
Ou se savoir libre comme une bande de chimpanzés aquatiques ?
Quoi qu'il en soit,
il faut travailler son émoi,
battre sa facilité
et monter en neige sa joie,
tout cela dans l'aéroport
de sa tête,
c'est notre sang sensuel
qui nous frôle,
qui nous frotte,
qui nous forme,
qui nous ravigote
la marmotte
qui plante ses carottes…
Déployer ses branches,
respirer avec ses doigts,
fleurir des poumons,
c'est l'étape 3.
Se recoiffer avec son rire intérieur,
faire briller son œil d'un coup d'hormone,
regonfler sa peau au désir de l'envie, - ah, le désir de l'envie et
la passion de l'exaltation !!
C'est qu'on est finalement tous à louer,
car l'effervescence se transmet
et l'excitation gagne.
La gravité, c'est toujours le volume,
sans naïveté, il n'y aurait pas de gène,
l'esthétique meurt d'un trop plein de compréhension,
bon alors
pourquoi tant de lois,
si peu de territoires,
le déficit de nos curiosités ?
Poser le deuxième pied par terre,
avancer l'autre jambe,
bref, marcher sans rien expliquer comme l'on boit un verre d'eau
et l'étape 4 est terminée.
Pour aller où ?
Arrêter alors ses questions
et se rappeler faussement qu'on a des buts
pour aller
là où l'on ne le pensait pas,
là où je vous attendrai,
là où l'on ne peut pas se rater, on s'aime, se sentir beau ne suffit
pas.
Je veux pour vous de l'estime de joie,
du bonheur invendu
et de l'harmonie originale,
une douceur à l'air,
une assurance-rire,
un humour enflammé et flamboyant,
une ferveur de restaurant,
une stupéfaction policée,
une extase exfoliante,
une force mature,
une volonté à tout faire,
un dynamisme explosif,
la la la la la la,
la la la la la la,
la la la la la la.
[Avec sobriété et gravité, en gardant le rythme qui précède]
Et après avoir
marché
comme l'on boit un verre d'eau,
nous voilà à la porte de notre jardin,
chez soi et à la porte,
saisir alors la poignée
et rêver à ce que ce soit une poignée de mains,
saisir la poignée… et être saisi donc
par tout ce monde qui bascule,
qui s'ouvre devant nous,
je veux dire la porte,
on n'a jamais fait arbre plus plat,
ouvrir en grand,
sortir de ses gonds, se gondoler en sorte,
mais ouvrir quand même,
décloisonner,
faire de son jardin un espace vert ouvert,
une banquette sur l'éternité
et accueillir l'étranger de passage,
le passager à l'heure clandestine,
le mystère qui tape à sa porte,
le souffle qui nous suffit
pour savoir que nous sommes frères,
à ma porte,
chaque année,
j'accueille le père Noël qui a fini son CDD (contrat à durée déterminée).
"Ted,
Tess, Ness, Nick, Max, Paul, Ella" d'Angeline LAUNAY
" Chacun avait le droit de choisir un jour dans sa vie pour le répéter
à sa guise bien que cette coutume ne fût pas très populaire. "
Ted choisit le jour où il se perdit dans la forêt. Il n'en éprouva aucune
peur mais un sentiment d'intense émerveillement. Ce fut pour lui l'occasion
de mettre ses pas dans ceux de Jeremiah Johnson, héros auquel il cherchait
à s'identifier. Il avait voulu suivre la berge de la rivière Niobrara,
et maintenant il avançait parmi les arbres aux chevelures exubérantes.
Il parvint à une petite clairière et l'idée qu'une bête sauvage pourrait
en vouloir à sa nature humaine lui effleura l'esprit. Mais il n'hésita
pas à s'étendre sur l'herbe fluorescente, réalisant qu'il était en train
de vivre le moment le plus significatif de son existence. Tout pouvait
commencer ou finir à cet instant, au cœur de ce territoire sauvage,
à l'insu du monde.
Moi, Ted, chasseur d'ours devant l'éternel, je me déclare plein de reconnaissance
pour le jour qui m'a vu naître.
Tess désira revivre cet évènement inattendu… Elle se voyait en train
de pousser une brouette remplie de terre lorsque le fils du châtelain
vint à sa rencontre pour lui proposer de l'aider. Une folle espérance
traversa son cœur. Lui avait-on jamais manifesté une telle sollicitude…
La vie lui avait réservé un rôle bien ingrat, celui de servante de ferme.
Et voilà qu'en ce jour béni, les rôles s'inversaient : le maître se
substituait au valet ! Enfin, Tess était regardée pour ce qu'elle était…
une jeune femme dont la persévérance venait souvent à bout de l'effort
et de la souffrance.
D'un pas mal assuré, elle chemina jusqu'à l'étable au côté de l'homme.
Là, il la prit par les épaules et la fit asseoir sur la margelle du
puits. En riant, il renversa le contenu de la brouette puis revint vers
elle, lui saisit la main… et les voilà partis en silence pour une longue
promenade autour de l'étang. Tard dans la nuit, ils évoqueraient l'extatique
empathie que la lune exerçait sur leur âme…
Ness pour sa part, revint sur le jour où un homme poussa la porte de
son bureau… un être fier à la sexualité épanouie. Ness devina tout de
suite le motif de son excitation : une histoire de femme bien sûr !
Il s'agissait même de sa propre femme…
Le détective eut pour mission de surveiller les abords d'un salon de
coiffure car le mari soupçonnait une liaison entre sa femme et un styliste
de la chevelure, paré de toutes les habiletés, c'était dire…
Ce travail de routine se révéla pourtant captivant car la femme en question
devint l'objet d'une telle fascination qu'aujourd'hui encore, Ness se
surprenait à chercher toutes sortes de prétextes libératoires pour la
chasser de ses rêves.
Comment une femme quasi inconnue - et de surcroît en situation illicite
- avait-elle pu à ce point éveiller le désir d'un professionnel de sa
trempe ! N'empêche qu'il en frémissait encore d'éprouver cette stupéfaction
stimulante, ce transport de tout son être devant le spectacle de la
beauté sensuelle à laquelle s'ajoutait un petit quelque chose de si
touchant dans le regard.
Ses activités de taupe prenaient un tour exaltant et, depuis ce jour,
il avait gagné en souplesse et en enthousiasme car les apparitions de
la femme adultère avaient rendu tout sens à son existence…
Nick était le collaborateur immédiat de Ness. Lui aussi trempait dans
des affaires qui le plongeaient dans une sorte de désenchantement quotidien.
Il explora le fond de sa mémoire afin de faire remonter une journée
qui en vaille la peine, une journée au cours de laquelle il aurait pu
être congratulé ou même… se sentir beau… ne serait-ce que rassuré… Il
faut croire que les satisfactions ne se bousculaient guère au portillon
de son existence monotone.
Malgré tout, il se souvint vaguement s'être réjoui de la présence d'un
chien, un soir de réveillon, un de ces petits toutous ébouriffés dont
on distingue à peine les yeux et qui se mettent à frétiller dès qu'on
leur prête la moindre attention.
Oui, c'était là son plus heureux jour. Et il le choisit.
Chaque jour, Max voyait défiler toutes sortes de personnes et il se
faisait l'effet d'un véritable thermomètre humain. Il savait exactement
à quel degré de réchauffement ou de refroidissement allait se désaltérer
le client qui tirait une chaise à lui… Le content, le curieux, l'ébahi,
l'insouciant et d'autres, plus ou moins agréables, n'avaient pour lui
pas de masque. C'est tout juste s'il ne devinait pas la commande à la
tête du client.
Contrairement à Nick, il lui aurait été facile de choisir un jour heureux
parce qu'il vivait de l'air du temps et ne se préoccupait pas de ce
qui l'ennuyait. Côté copains et petites amies, il était plutôt comblé,
ne comptant plus les soirées pleines de surprises qui amélioraient son
ordinaire.
Pourtant, il sentait bien que quelque chose lui manquait… " la part
manquante "… et il était en train de réaliser que c'était justement
de cela qu'il était privé, d'une journée pendant laquelle il éprouverait
un tel vide que son être s'en trouverait peut-être délivré…
Paul se souviendrait toute sa vie de ce jour où il était tombé de cheval.
Les douleurs physiques mises à part, une paix profonde proche de l'extase,
l'avait envahi.
Avant cet incident, avait-il jamais réfléchi aux choses, à lui-même…
Pour la première fois, ces choses et lui-même semblaient réconciliés.
Il gisait à terre sans pouvoir bouger mais jamais son esprit ne s'était
trouvé plus léger, protégé, régénéré… Il se sentait transporté de joie.
C'était comme si les nourritures spirituelles lui arrivaient à profusion.
Et il comprit qu'à partir de cette démarcation, plus rien ne serait
comme avant.
Se soigner. Se reposer. Se recharger. Se mobiliser à… Tout fut à reconstruire
à partir de ce jour. Et il le choisit sans hésiter.
Ella ne vivait que pour chanter. Il lui semblait qu'elle avait toujours
chanté. Son destin s'apparentait à une journée continue en chansons.
Elle savait qu'elle ne s'était pas trompée de passion et cette certitude
ne cessait de l'étonner elle-même. Elle pensait que, tant qu'elle continuerait
à s'étonner, il lui serait donné selon ses espérances. Sa conviction
ne pouvait ou ne devait flancher.
Bien que fouillant au plus profond de ses souvenirs, elle ne parvint
pas à identifier le jour où était née sa vocation parce qu'elle aurait
bien voulu le choisir mais il était resté enfoui quelque part, là où
elle n'avait aucune chance de le retrouver. Elle prit alors conscience
qu'il valait mieux ne pas insister et s'inquiéter. C'était simplement
un jour qu'elle ne pourrait revivre.
"Antipodes"
de Janine NOWAK
Une coupe de champagne à la main, Gaspard se lève et prend la parole
:
" Mes Chers Amis, il est bientôt trois heures du matin. Succombant à
l'appel du cholestérol, nous avons dîné royalement ; nous avons copieusement
arrosé l'année nouvelle ; les bavardages sont allés bon train ; nous
avons dansé jusqu'à plus soif.
Vos paupières commencent à s'alourdir - me semble-t-il - et déjà, quelques
anges passent parmi nous.
L' heure H est arrivée.
Pour notre propre plaisir, et afin de mieux informer Nathalie et Pierre,
nouvellement intronisés dans notre cercle amical, je vais - si vous
le permettez - faire un petit historique de nos précédents réveillons
à thèmes.
L'idée d'inventer des " traditions à usage unique " (la formule est
osée !) m'est venue un jour où je regardais d'un œil distrait, à 13
heures, le Journal Télévisé de Jean-Pierre Pernaut, sur " La Une ".
Ce fut comme un déclic. La France profonde ! Bon sang, mais c'est bien
sûr ! Voilà qui nous remue tous. Les Provinces, fortement imprégnées
de coutumes, nous touchent viscéralement. C'est à la fois si drôle et
si émouvant…
Mon projet parut séduire nos amis. A l'origine, nous n'étions que huit
(soit, quatre couples), inséparables, tous Parisiens, mais habitués
à fêter la Saint Sylvestre ensemble, nous invitant à tour de rôle dans
nos respectives maisons familiales de l'hexagone.
Nous devions festoyer quelques jours plus tard chez nos amis Vincent
et Magali de Saint-Rémy-de-Provence ; nous avons immédiatement décidé
d'inaugurer la " Première tradition ". Disposant de trop peu de temps
pour mener à terme une entreprise ambitieuse, nous nous sommes contentés
d'un " concours de cracher de noyaux d'olives ". Cet humour potache,
nous a permis de savourer un joyeux moment.
L'année suivante, à Plougastel Daoulas, Yvon et Gwenaëlle avaient concocté
quelque chose d'un peu plus sophistiqué. Il s'est agit de danser une
gavotte endiablée, en costume traditionnel Breton (chapeau rond pour
les Messieurs, coiffe de Bigoudène - genre tuyau de poêle - pour les
Dames). La particularité était que chacun d'entre nous avait, suspendus
aux oreilles, des grelots tintinnabulants. Ce fut très gai.
En Alsace, nous avons vécu une expérience hors du commun. Désireux d'éprouver
ce que donnerait au sens propre, l'expression " pédaler dans la choucroute
", nous avons mis en pratique cet exercice à Ribeauvilé, chez Albert
et Maria Mühler. Hé bien je peux vous assurer que " pédaler dans la
choucroute " relève de l'exploit sportif ; c'est un vrai défi, très
physique …et épuisant… surtout après un copieux dîner !
Revenant à des réjouissances plus simples, notre quatrième édition ne
fut pourtant pas morose non plus. Chez Sophie et Adriano, à Menton,
nous avons remis au goût du jour, le jeu de " Je te tiens par la barbichette
". Le grand vainqueur de ces enfantillages fut, incontestablement, Albert,
notre Alsacien bien aimé. Lui retirer son mérite n'est pas mon but ;
cependant, je pense que ses fonctions d'ordonnateur de Pompes Funèbres
l'ont quelque peu aidé à garder une mine de circonstances.
Enfin, l'an passé, la soirée se déroula chez nos imprévisibles amis
du Pays Basque, Ramuntcho et Michaëlla. Ils sont, de profession, fileurs
et vendeurs de laine des Pyrénées. L'enseigne de leur boutique " Onze
pelotes pour pas cher ", dénote chez eux - s'il était encore besoin
de le prouver - un humour gaulois de bon aloi. Nous avons ainsi vécu,
dans leur charmant village d'Espelette, des heures inoubliables, ne
manquant pas de piment (si je peux m'exprimer ainsi !). Le jeu inventé
par nos facétieux camarades s'intitulait " Pelote Basque…sans chistera…à
mains nues…sur ses voisins…". Ceux qui ont participé… se souviennent
… Les autres imagineront sans peine… Passons… Passons… Hum !
Aujourd'hui, c'est à mon épouse Juliette et à moi-même, de vous faire
les honneurs de notre belle cité de Sarlat.
Comme à l'accoutumée, nous irons jusqu'au bout de la nuit.
Le moment est venu de planter le décor. Nous débuterons par une sorte
de cérémonial. Juliette va peu à peu réduire les lumières, créant de
grandes zones ombreuses. Ne resteront que les flammes de l'âtre et de
quelques rares bougies éparses. Loin d'escamoter la vision, la pénombre
permet de ressentir différemment ce qui nous entoure.
L'obscurité pénètrera dans votre être, s'immiscera peu à peu en vous
et favorisera ainsi votre concentration.
La diffusion de délicats parfums, à base d'essence de plantes sauvages,
apportera détente et évasion. Vous sombrerez benoîtement dans une atmosphère
capiteuse. Protégés du monde extérieur, douillettement installés dans
ces confortables fauteuils, vous vous laisserez gagner par un bienheureux
alanguissement.
Le cadre qui nous entoure semblera se vider de toute substance. Vous
serez comme plongés au cœur d'un univers dans lequel vous n'aurez plus
de repères, où vous perdrez insensiblement la notion du temps. Vous
allez embarquer pour un voyage sensoriel… Vos rêves de sérénité et de
béatitude deviendront enfin réalité lorsque pour clore ce rituel, vous
aurez le privilège de glisser vos pieds nus dans ce que j'ai appelé
un " nid ".
Justement, les voici, ces nids. Déchaussez- vous et mettez vite vos
" petits petons " à l'intérieur de ce cocon. Vous y êtes ? Ressentez-vous,
sur la face plantaire de vos pieds, une douceur satinée et duveteuse
? Oui, mes amis, cette pantoufle géante, qui héberge vos dix orteils
en même temps est plus suave et plus moelleuse que des charentaises,
car sa doublure est en plumes d'oie ; plus précisément, en duvet d'oie,
si léger, si caressant.
Vous avez tout à l'heure savouré le foie gras. A présent, sachez apprécier
la délicatesse du plumage. Un dicton précise que " dans le cochon, tout
est bon ". Il semblerait que cette maxime puisse aussi s'appliquer à
l'oie !
N'êtes-vous pas divinement installés ? Découvrez-vous des sensations
nouvelles ? Le temps ne semble-t-il pas suspendu ?
Je lis sur vos visages, que votre bien-être est à la hauteur de vos
espérances. Relaxez- vous. Profitez pleinement de cette volupté nouvelle.
Notre Saint Sylvestre a débuté par le traditionnel banquet où les arts
de la table, pour les Epicuriens que nous sommes, confinent au mysticisme.
L'idée, ce soir, est de poursuivre sur cette lancée : après les plaisirs
gastronomiques, voici ceux de l'esprit. Je vous invite à une soirée
de contes…que j'ai intitulée " Chaud aux pieds…froid dans le dos " !
Je vois des fronts se plisser. Certains, parmi vous, se disent : " chaud
aux pieds ; bon, nous avons compris. Mais que signifie, froid dans le
dos ? "
J'y arrive. Je suis persuadé que l'être humain, n'a jamais son content
de rêves…ou de cauchemars. Les hommes, pour matérialistes qu'ils soient,
n'en aiment pas moins les légendes troublantes. Je ne me suis jamais
expliqué comment s'exerce cet attrait pour le morbide.
Aussi, mes Amis, ai-je beaucoup prospecté dans la région, glanant ici
et là, des histoires crépusculaires en diable. J'ai écumé archives et
bibliothèques départementales, mettant ainsi la main sur de captivants
récits, où réel et imaginaire se juxtaposent.
Cette nuit, je vous fais subir une sorte de test. Du corps ou de l'esprit,
qui sortira vainqueur ? Votre bienfaisante torpeur saura-t-elle vous
isoler et veiller sur vous, en mère protectrice ? Ou bien, vos neurones
excités, toujours en quête de nouveauté, vous laisseront-ils pantelants,
comme sortant tout étourdis d'un mauvais rêve ? Ces légendes d'ectoplasmes,
de réincarnation, de sorcellerie, d'esprits maléfiques, vous feront
frissonner et éprouver de pénibles sentiments. Vous connaîtrez l'angoisse
de la claustration, avec des histoires (réelles !) de personnes enterrées
vivantes. Ces thèmes, obsédants, vous causeront un malaise profond…
ou vous laisseront insensibles. C'est là que la vraie nature de chacun
se révèlera : il y aura ceux qui ne penseront qu'au bien-être de leurs
pieds… et les autres, qui, malgré la douceur qui les entoure, claqueront
des dents.
Etes-vous prêts à affronter cette épreuve, à avoir…" froid dans le dos
" ?
Je commence.
Il était une fois … "
Sans
titre - Marie-Odile GUIGNON
Il
était une fois : quatre petits mots captivants éveillent la force émotionnelle
de l'enchantement.
Il
était " deux fois " : un mot change. Un " deux " métamorphose l'exaltation
naissante et réveille l'étonnement.
Il
était " trois " fois...
Et
si je continue... Ainsi de suite...Je peux ouvrir la porte de la symbolique
des chiffres ! Alors j'ai combiné ces numéros suprêmes à l'heure charnière
fatidique du passage imminent du nouvel an. Je les ai pulvérisés dans
l'espace!!!...
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En
allumant mon ordinateur, dans une publicité de voyage, j'ai lu la proposition
suivante : " Une manière originale de vous fondre dans le cosmos la
nuit de la Saint Sylvestre. Grâce à une numération, vous voyagerez dans
les lieux insolites des rites, coutumes, traditions ayant eu cours depuis
l'existence de notre planète ".
.................................................................................................................................
Je suis dans la forêt la plus sombre qui puisse exister...
Mille lieux me séparent de mes espaces connus. Je suis vêtue d'un capuchon
rouge et j'ai un panier à la main. Au loin, une petite lueur brille.
Rassurée, l'espoir au coeur, j'avance et les feuilles mortes crissent
sous mes pas. Soudain, une masse noire surgit devant moi et me fusille
de deux éclats de feux. Je chute inconsciente dans un fourré...
... Lorsque
je me réveille et ouvre les yeux, sept paires de bonnets pointus composent
mon ciel de lit, des visages poupins en émoi me contemplent émerveillés.
Je dois avoir les cheveux bruns, la peau laiteuse, les joues de pêches,
les lèvres de fraises...
J'éprouve
alors une gratitude pour les auteurs de mon enfance. J'esquisse un sourire
et un clin d'oeil !
L'extase
s'achève....
... L'errance
reprend dans un sentier escarpé bordé d'arbres terrifiants, leurs branches
tentaculaires m'épouvantent, à tous moments elles pourraient me saisir
! De leurs troncs ça et là, des yeux ourlés s'ouvrent ou se ferment...
J'éprouve une stupéfaction paralysante, mais il faut que j'avance coûte
que coûte... Sans bruit une chouette se pose sur mon épaule...
... Alors,
je me retrouve dans une forêt de feuillus, la lune dessine son portrait
à travers les branchées roses, j'habite un tableau symboliste maintenant
! ...
... Un
roulement et des galopades de ( on dirait bien ? ) me font tourner la
tête vers l'arrière : la forêt s'est assombrie et l'épaisseur des feuillages
masque le sentier. Je me cache dans le fossés : une diligence menée
par deux chevaux que fouette le cocher s'élance à toute allure... Je
n'ai même pas le temps de me relever qu'une horde de brigands passe,
ce sont sans doute des hommes impatients d'intercepter le chargement...
... Lorsque
je me relève, je porte une robe blanche, j'ai une corbeille que je transporte
sur la tête, autour de moi d'autres personnes ainsi vêtues avancent
en récitant des incantations. Au début du cortège un Druide dirige la
cérémonie. Quelle harmonie ! Dans la pénombre je distingue les troncs
disséminés des chênes, leurs branches majestueuses accrochent des boules
de gui " Au gui l'an neuf ! " mon esprit s'évapore ébahi !...
... Quelques
feuilles brunes frissonnent et moi aussi. Enveloppées dans mes fourrures
polaires, les raquettes aux pieds je progresse en crissant, la lumière
naît de la réverbération de la neige qui jonche le relief et recouvre
de son manteau les résineux frileux. Une béatitude esthétique exalte
l'atmosphère étroite d'un ciel cobalt percé de points lumineux. La fascination
me conduit par le bout du nez gelé. Le vent me transporte dans ses chants
cinglants. J'atteins enfin ma cabane et je m' endors...
... La
douceur d'une fourrure me caresse avec insistance. Le lapin blanc s'agite
:
" Tu vas être en retard, tu vas être en retard ! "
J'émerge
du lierre et de la mousse, quelques branches de houx aux jolies graines
rouges m'égratignent par séduction, je m'assois à l'orée d'une clairière
au milieu des bois, un brouillard vaporeux déploie son écharpe d'arc-en-ciel
au dessus d'un étang.
" Chut pas un bruit, vite, vite... " Répète le lapin blanc.
Lentement
je me lève en silence, c'est un décor fantastique qui m'entoure : l'aurore
pointe ses premières rayures blondes, une douce et imperceptible mélodie
enchante mes oreilles. Le lapin blanc met sa patte avant gauche sur
son museau ,d'un signe avec sa patte avant droite il oriente mon regard
: Dans l'éblouissement de l'aube l'émerveillement m'assaille... Au loin
les vapeurs de la brume s'esquivent, et, l'esquisse d'une Licorne Blanche
trace ses formes mythiques...
... Le
douzième coup de minuit retentit...
Iletaitunefois@yakarewe.com
"Oh
la vache" de Janine BERNARD
OH ! LA VACHE !!! Elle a posé sa cuillère en bois. Elle
s'essuie les mains sur le ventre de son tablier de cuisine et elle écoute.
Les images défilent. S'ils le disent à la télé, alors…
Depuis quelques temps, qu'est-ce qui pourrait la stupéfier ? Rien. Pas
même ce jeunot au sourire tiré à quatre épingles et qui bavasse à califourchon
sur la croupe d'une grosse charolaise acajou.
Mais tout de même… ce qu'elle entend lui fait tirer un tabouret et s'asseoir.
"Au terme de cette année nouvelle, 20 % des citadins circuleront
en vache. Vaches bâchées les jours de pluie, vaches aux sabots tunning-chromés
selon l'âge de l'heureux propriétaire. La vache ne sera plus le lait,
la vache sera route et transport ou la vache ne sera plus."
Péremptoire le jeunot. Il reprend.
"Les coutumes et traditions se modifient pour mieux s'adapter à l'environnement
nouveau. Notre société jettera bientôt, par dessus l'asphalte, veaux,
laits et cochons ; l'avenir de la vache transformera notre quotidien.
Déjà de nombreux heureux propriétaires ont installé, ascenseurs compris,
une étable automatique accessoirisée sur leur balcon.
Un nouvel aliment synthético-biovinique sera proposé matin, midi et
soir aux différents points BOV-LIB accessibles à tous les bovins sur
les parcours fléchés ; aliment qui améliorera la performance et la vitesse,
la rumination et le ralenti aux croisements, des oreilles plus vives,
une vision performante et mieux maîtrisées. Une sécurité de qualité,
un confort retrouvé.
Déjà 5 % du parc automobile a été remplacé par le parc animalier. Des
débuts plus que prometteurs. Les éleveurs de bovins du centre de notre
pays se frottent déjà les mains…"
Et voilà le jeune qui flatte amoureusement la croupe acajou. La charolaise
se retourne avec un clin d'œil à la caméra et une voix suavement synthétique
:
" Aujourd'hui la vache ne rigole plus. De joie, elle vous transporte
".
La ménagère en reste les yeux écarquillés.
Elle qui adore les vaches… Toucher une grosse truffe humide a toujours
été son rêve. Rêve inaccessible. Les vaches n'apprécient pas trop ces
marques de faveur trop humaine. Alors, une truffe. Elle n'a jamais osé
en caresser une, craintive d'un coup de tête surpris donc dangereux.
Ils vont transformer une vache ? La tradition des quatre roues va se
transformer en celle des quatre pattes ? Et le lait ? Et pourquoi pas
des chevaux ? Tant qu'à faire de redécouvrir le Moyen Age, depuis quelques
décennies tout le monde a compris. Mais pourquoi la vache ? Et pas le
bœuf, l'âne, ou le lama ? Non, faut qu'ils s'attaquent à celles qu'elle
aime tant…
Sur l'écran un tract apparaît :
V, Validez la
A , Adoptez la,
C, Cherchez la,
H, Honorez la.
E, Elle vous dépannera !
Non, votre VACHE ne sera pas un pis-aller, mais un aller en pis !"
La vache !
Elle avait tout avalé, tout essayé de comprendre, mais de là à grimper
sur une Vache à Grande Vitesse pour aller voir ses petits enfants !
Elle imagine déjà les relais - étables, les queues au feu rouge, et
les bouses partout. Faudra qu'ils prévoient des seaux. Un métier du
nouvel environnement : garde des seaux ! Et les selles ? en peau de
vache aussi ?
Les vaches. Sa tradition à elle.
Elle les avait gardées quand elle était petite. La préhistoire d'une
vie bien trop longue.
L'œil doux, les cils recourbés de ces grosses demoiselles. Leur démarche
un peu branlante comme un gros meuble, mal taillé, un peu branlant et
qui peut perdre l'équilibre sur une pierre à tout bout de champ. Leur
queue toujours en moulinet et qui ratait les mouches sangsues à tous
les coups. Elles n'avaient pas de pudeur les demoiselles, faisant leurs
besoins au vu de tous, alors qu'à elle, petite fille, on le lui interdisait.
Parfois, elles se retournaient et la regardaient avec une grosse langue
noire pour lessiver leur dos. Comme des complices. " Baisse l'échine,
môme, comme nous, et tout ira bien. Suis ton chemin, t'arrêtes pas aux
coups de bâtons. Va à ton rythme, profite du temps qui passe, prends
le temps de ruminer, regarde nous !".
Et puis, son doigt de petite fille dans le seau encore tiède qu'elle
trempait et léchait à l'heure de la traite. A la ferme, grand-mère disait
: "C'est l'heure, je vous laisse pour aller aux vaches, restez tranquille,
je reviens".
Et dès la porte refermée, c'était l'hallali, le quart d'heure de folie
pour elle et sa cousine. Un moment "défouloir", sans adulte, surtout
les soirs d'hiver. Elles attrapaient les chaises en fer et sur le sol
de pierre de la grande salle de séjour déjà sombre, elles poussaient
les chaises en hurlant. C'est qu'il fallait rester tranquilles, l'hiver,
à regarder les cartes postales de grand-mère pendant un après-midi.
Parfois, en cachette, elles y dessinaient des bonhommes avec un nombril
aussi gros que le ventre et des jambes toutes maigres. Un peu comme
celles des vaches.
L'épisode télévisuel est clôt. La télé "re-vaque" à son monotone et
habituel ronronnement.
Elle replonge au dessus de sa cuisinière. La cuillère en bois tourne
lentement, sûrement, à vitesse régulière. Elle attrape le verre de lait
et vide amoureusement le liquide blanc dans la farine.
Encore une béchamel qu'ils n'auront pas…
"Le
réveillon de Flagadus" par Céline CORNAYRE
Vous connaissez bien sûr les ingrédients d'une Saint Sylvestre
réussie ; mais n'avez-vous jamais songé, rêvé, aspiré de tout votre
corps et de toute votre âme à quelque chose de tout simplement, différent…
Bien sûr, l'ère de l'interchangeable, de l'immédiat et du proprement
jetable dans lequel nous vivons aujourd'hui n'autorise guère la rêverie
et l'imaginaire. La positive attitude oui, mais pas question de sombrer
dans la béatitude naïve et improductive, même un 31 décembre s'il en
est.
Je m'appelle Flagadus et bien sûr, vous ne me connaissez pas. Vous ne
m'avez jamais vu et paradoxalement, vous croyez tout deviner de moi
au premier regard. Je tente plus ou moins vainement tous les ans d'exporter
un nouveau modèle anthropo-sociologique du nouvel an. Et tous les ans,
bien sûr, cela se termine par un échec retentissant.
Bien sûr, je ne vous propose pas Disneyland aux bras de Carla. Bien
sûr, je ne vous promets pas non plus la hausse du pouvoir d'achat grâce
à la baisse des prix liée aux soldes d'hiver à venir. Bien sûr, je ne
m'appelle pas Nicolas, mais Flagadus.
Je sais par cœur pourquoi ce modèle n'a aucune chance ici de devenir
coutume. Je ne renonce pas pour autant à vous le présenter. Alors bien
sûr, fermez les yeux et laissez Flagada, mon amie de toujours, vous
enchanter les oreilles, et peut être aussi, l'esprit.
Ce nouvel an naît d'un concept ultra simpliste : le temps. Comme pour
un réveillon classique, chaque instant revêt son importance et tout
est fiévreusement organisé. Mais ici, le but est de surprendre les uns,
les autres, par le temps justement. Flagadus n'est là que pour vous
y aider et il sait le faire avec patience et majesté. Mélanger les idées,
les genres et les passés, vous verrez, c'est son jeu préféré. Féliciter
l'écoute, l'empathie et la tolérance, c'est sa raison de vivre. Multipliez
les sourires mais pas les ronds de jambe, c'est sa façon d'être.
Et puis, faites comme s'il s'appelait John et, suivez sa chanson.
Le premier couplet consiste à vouloir étonner son voisin, sa voisine,
connu ou inconnu… Le conseil de Flagadus : prenez le temps de vous poser
ces questions : quelle est son histoire ? quels sont ses besoins ? quelles
sont ses attentes ? quels sont ses rêves ? comment le faire sortir de
l'ordinaire, de son ordinaire ?
Le second couplet met en pratique les idées du premier. Le conseil de
Flagadus : ne pas perdre son objectif de vue et pour se faire, s'ouvrir,
s'intéresser, s'illuminer à l'autre. Par exemple, si vous choisissez
de lui conter une histoire drôle alors que vous êtes un banquier pas
gai du tout, soyez à la fois imaginatif et sincère ; c'est le décalage
entre vous-même et cette histoire qui fera rire…
Le refrain invite chacun à raconter une tradition qu'il a vue ou même
vécue. Le conseil de Flagadus : prendre le temps de se poser, de respirer
et d'utiliser chaque mot comme la touche d'un tableau magique. Un nouvel
an aborigène par exemple, ne se décrit pas ; il se vit, il se ressent.
Pourquoi ? parce que les couleurs vous inondent, les chants vous transpercent,
le feu vous rassure, les danses vous ensorcèlent.
Vous suivez toujours ?
Allons y pour le dernier couplet…
Le troisième fait alors appel à l'enfant que nous étions, et à l'adulescent
que nous sommes. Il s'agit ici d'être à la fois ludique et novateur.
Le conseil de Flagadus : toutes les formes de jeu sont autorisées dans
le respect des intimités personnelles évidemment. De chaque règle découle
des valeurs essentielles : respect de l'autre, esprit d'équipe et solidarité,
don de soi à l'autre.
Quand Flagadus part, les douze coups de minuit ont depuis douze mois
retentit, vous l'avez compris, ce rêve n'est pas une rupture programmée
dans la vie moderne de l'homme moderne, mais la naissance d'une société
intemporelle…
qui prend le temps...