SAMEDI 4 Février 2006
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
" L'imagination n'est qu'une formalité "

Animation : Régis MOULU.

Auteur invité : confirmation en cours.

Thème : Les phrases définitives

Une "phrase définitive" est une phrase qui suscite après son énoncé le silence, tant elle est indiscutable ou absolue, voire irrémédiable ! Cette séance consistera à écrire un "dialogue définitif", c'est-à-dire constitué de "phrases définitives" et en rapport avec le thème de la fascination ou de la peur entre plusieurs personnes.

Pour stimuler et renforcer l'écriture de chacun, un support sur les coups de théâtre a été distribué !

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):

- "Ainsi va la vie" de Janine NOWAK

- "Dedans dehors" d'Angeline LAUNAY


"Ainsi va la vie" de Janine NOWAK


Un verre de scotch à la main, légèrement éméché, Mortimer Mac Milan, seul, debout dans la galerie de portraits de son manoir qui se délabre de jour en jour, est songeur. Un sourire amer crispe son visage.
Où trouver de l'argent ? pense-t-il. Ses ancêtres ont, au fil des siècles, dilapidé une fortune qui pourtant, était - à l'origine - colossale. Son père, mort quelques jours auparavant en galante compagnie, ne lui laisse que des dettes et cette bâtisse qui menace de tomber en ruine. Que faire ?


Une voix : Il faut prendre votre vie en main !

Mortimer sursaute. Qui vient de parler ? Il ne voit personne !

La voix reprend : Ayez foi en votre bonne étoile.

Mortimer se pince. A-t-il trop abusé de la bouteille ou devient-t-il fou ? Il entend des voix, à présent ! (pense-t-il tout haut).

La voix : Non, pas des voix. Une voix qui vous dit et répète : sachez garder la tête froide !
Mortimer (les mains sur les tempes) : C'est le commencement de la fin !
La voix : Un peu de silence, s'il vous plait !
Mortimer : Au secours !
La voix : Mortimer, de grâce ! Faites preuve de dignité. Calmez-vous !
Mortimer (de plus en plus affolé) : Qui aura un peu de compassion pour moi ?
La voix : Mortimer, je vous en conjure : Ressaisissez-vous !
Mortimer (dans un râle) : C'est à vous glacer les sangs !
La voix : Il ne faut pas être esclave des ses émotions, Mortimer.

Mortimer, effaré, retient son souffle. Il respire profondément, essaie de se calmer. Puis il se dit qu'après tout, cette voix n'a rien de menaçant. Au point où il en est, autant laisser les événements suivre leur cours.

Mortimer : Je vous écoute (parvient-t-il à murmurer, la voix cassée).
La voix : Je suis l'esprit de Lord Charles Mac Milan, votre ancêtre mort en 1385 à la suite d'un accident de chasse. Depuis, j'erre, silencieux et invisible, dans ces vieux murs. J'ai assisté, impuissant, à la lente dégradation de notre famille. Et j'ai fait ce constat : l'excès en tout est un défaut.
Mortimer (dont l'humeur badine reprend le dessus) : Freud à déclaré : " L'excès fait partie de la nature même de la fête ".
Lord Charles : La fête est une magie éphémère.
Mortimer : Il faut croquer la vie à pleines dents !
Lord Charles : Des enfantillages !
Mortimer : C'est la dualité éternelle du bien et du mal.
Lord Charles : Allons, Mortimer ; un peu de sérieux, je vous prie. Il est l'heure de dresser le bilan.
Mortimer : Je rends gloire au dérisoire et à l'inutile.
Lord Charles : C'est ce qu'on appelle : parler pour ne rien dire !
Mortimer : Ah quel bonheur si, pour une fois, l'insupportable vertu ne triomphait pas !
Lord Charles : Profitez-en bien, mon Cher : ce sont les derniers feux de joie avant l'austérité.
Mortimer : Tout ceci est peut-être un peu mélodramatique, non ?
Lords Charles : La famine menace.
Mortimer : Un monde qui s'éteint, renaît à l'aube.
Lord Charles : Je vois ; votre cas est désespéré. Il reste à implorer la clémence de Dieu.
Mortimer : C'est cela ; à la grâce de Dieu !
Lord Charles : Il faut commencer par être exigeant avec vous-même, mon ami.
Mortimer : Mais le monde devient si âpre !
Lord Charles : Comme pour tout, il faut faire ses gammes.
Mortimer : La routine me pèse. Ma devise est : " Rien de prévu ; tout à l'instinct ! "
Lord Charles : Il faut savoir être léger sans être frivole.
Mortimer : Waouh !!! Quelle envolée ! Quel style !
Lord Charles : Il suffit de si peu pour se faire plaisir.
Mortimer : C'est un mensonge abject !
Lord Charles : Qu'est-ce qui est vital ? Voilà l'unique question.
Mortimer : La quête d'amour est la raison d'être de l'humanité.
Lord Charles : Enfin un peu de rêve, de poésie !!!
Mortimer : Je suis pétri de contradictions.
Lord Charles : Avec vous, il faut savoir démêler le vrai du faux.
Mortimer : J'aime bien cultiver le paradoxe.
Lord Charles : Nous vivons une époque où l'échelle des valeurs perd ses barreaux.
Mortimer : Je suis au dessus du " qu'en dira-t-on ".
Lord Charles : C'est une opinion toute faite.
Mortimer : Il ne faut pas sacrifier ses idées, ses désirs, ses convictions à l'air du temps.
Lord Charles : Oui, il faut être fidèle à soi-même.
Mortimer : J'aimerais parfois, bousculer les interdits.
Lord Charles : A quoi bon poursuivre des chimères ?
Mortimer : Je souhaiterais mettre davantage de piment dans ma vie.
Lord Charles : Quelle folie ! Le risque zéro n'existe pas.
Mortimer : Dire " non ! " est une conquête d'autonomie
Lord Charles : C'est parfois un pavé dans la mare !
Mortimer : C'est parfois un enjeu énorme !
Lord Charles : Votre vie est une fuite en avant.
Mortimer : Qui m'aime me suive !
Lord Charles : Souvent, la défaite est amère.
Mortimer : Après moi, le déluge !
Lord Charles : Attention : le pire reste à venir.
Mortimer : J'aime toucher du bois pour conjurer le mauvais sort.
Lord Charles : On est toujours rattrapé par son destin.
Mortimer : Je crois aux signes.
Lord Charles : C'est de la superstition ! C'est un pêché !
Mortimer : Pfffut !!!
Lord Charles : Ne le prenez pas de si haut, mon jeune ami !
Mortimer : Chateaubriand a dit : " Il faut être économe de son mépris, en raison du grand nombre de nécessiteux ".
Lord Charles : En assistant à votre désespoir, j'étais venu en ami, pour essayer de vous aider. Mais votre nature profonde est mauvaise. Je n'aime pas les entreprises désespérées. Votre esprit est confus. Votre cœur sec. Nous n'avons fait que tourner en rond. Aussi, après ces joutes oratoires, vais-je vous abandonner à votre triste sort. Qui sème le vent, récolte la tempête. Adieu !

La pièce est plongée dans le plus profond silence. Mortimer lève le nez, regarde la grosse poutre au plafond. Calmement, il se rend à l'office, revient avec une corde, tire la table, installe une chaise dessus, grimpe, passe la corde en travers de la poutre, fait un nœud coulant, l'ajuste autour de son cou, fredonne - par dérision - quelques mesures d'une vieille chanson : " Je tire ma révérence … " , puis, d'un geste sec et déterminé, fait basculer la chaise.



"Dedans dehors" d'Angeline LAUNAY

Personnages :
L'assistance
Eva
Guibert
Frankie


DEDANS

- C'est quoi cette histoire ?
- C'est Denis…
- Quoi, Denis ?
- Eh ben, il a invité la prof' d'Histoire !
- Il l'a invitée pour la draguer oui…
- Quoi ! Denis !
- Mais tu dis tout le temps " Quoi, Denis " !
- Ben, je voulais dire : " Denis, il sort avec Viviane… "
- Peut-être, mais il a l'intention de casser avec Viviane ! L'ennui, c'est qu'elle a sa gourmette et qu'il voudrait bien la récupérer.
- Cette idée aussi de s'échanger les gourmettes !...
- " Echanger " ne veut pas dire " donner "…
- Et " reprendre ", c'est " voler " !
- Quelle mentalité !
- La soirée promet… Tu sais qui vient ce soir ?
- Oui, la clique de Jérôme.
- Pas seulement ! On a invité le clan des culs terreux.
- Non… Ils peuvent pas s'encadrer !
- Ca va saigner !
- " Faut qu'ça saigne… ", comme dirait Boris Vian.
- Tu lis du Boris Vian maintenant…
- Et alors, Vercoquin, ça mange pas de plancton !
- Si justement !... T'as rien compris…
- Oh moi, tu sais, le plancton… Je préfère " le sandwich qui vole dans l'atmosphère en sifflant comme un merle ".
- Toujours tes blagues de potache !
- Potache au vert missel !
- Ha ha !
- Tiens, voilà Denis ! Mais qu'est-ce qu'il fait avec Guibert ?
- Ils ont vraiment pas la même dégaine… le Casanova et l'intello barbu…
- Tu sais que Guibert en pince pour Eva ?
- Eva ?... Mais elle sort avec Frankie !
- Comment tu sais ça ?
- Je le sais, c'est tout !
- J'arrive pas à le croire…
- Eh ben, crois ce que tu veux… Y'en a deux qui en pincent pour la même.
- Chaud la soirée !
- Regarde Denis et Viviane en train de siroter leur slow…
- Il fait tout ce qu'il peut pour qu'elle lui rende sa gourmette… En plus, c'est sa mère qui la lui a offerte pour son anniversaire !
- En plus ou en moins, qu'est-ce qu'on s'en fout !
- Ca y est ! Il a fini par lui dire qu'il la larguait !
- A quoi tu vois ça ? - Tu vois pas qu'elle pleure !...
- Elle pleure d'accord mais elle a toujours la gourmette !
- Elle s'en va en courant… Je vais la rattraper !
- De quoi tu te mêles…
- Attends, c'est mon amie !
- N'empêche que Viviane est partie juste à temps… Voilà la prof' d'histoire !
- Elle est gonflée…
- Ca fait tout drôle de la voir ici…
- Elle a l'air quand même un peu gênée…
- Regarde Denis qui se précipite !
- Il manque pas d'air.
- En v'la du slow, en vl'a…
- On peut dire qu'il a la pêche…
- Tu veux dire " quelle pêche " !
- Le gros poisson a mordu à l'hameçon…
- Tu veux dire " la grosse poissonne "…
- Attention… " Tel est pris qui croyait prendre " !
- Ah, mais c'est que ça pense quand ça veut !
- Tu trouves pas qu'il la serre d'un peu près ?
- Et en plus, ça marche.
- En plus ou en moins, qu'est-ce qu'on s'en fout !
- J'ai déjà entendu ça !
- Ah, il ne manquait plus qu'eux… Entrée en scène : " les culs terreux " !
- Ils ont l'air remontés !
- C'est stratégique, ils commencent par s'attaquer au buffet…
- Qu'ils s'empiffrent ! Et qu'ils en crèvent !
- C'est ça, on ira à l'enterrement.
- L'éternité et un jour…
- Je vois que ça t'inspire…
- Un rien m'inspire.
- Même le pire ?
- Surtout le pire !
- Espèce de cynique !
- Je suis un chien.
- Dis plutôt que la philo t'a perverti l'esprit !
- L'allusion me va droit au cœur.
- Tu as vu, Eva est arrivée.
- Oui, et Guibert est déjà sur son dos.
- Autant profiter de l'absence de Frankie…
- Pas mal vu…
- Mais… Où vont-ils ? Ah d'accord, ils sortent…

DEHORS

Eva - Guibert, je ne savais pas que tu étais invité…
Guibert - Tu ne sais pas tout…
Eva - Excuse-moi, comme c'est la soirée des clans ennemis, j'ai pensé que ça t'aurait fait fuir...
Guibert - Tu vois, je fais face, comme toi ! Mais je ne suis pas venu pour ces crétins.
Eva - Ah…
Guibert - C'est toi que je voulais voir… (Un silence) … La situation est insupportable.
Eva - Quelle situation ?
Guibert - Je m'attendais à ce que tu réagisses ainsi… Les non-dits me pourrissent la vie. Tout est suggéré et rien n'est avoué, et je suis là comme un idiot, à te raccompagner tous les soirs chez toi en compagnie de Frankie. Notre amitié mutuelle n'a plus rien d'innocent. Certaines choses m'échappent : qui sait quoi… qui ignore quoi… Tu vois bien que je ne peux plus continuer à espérer que tu te décides à choisir !
Eva - Mais je me suis décidée…
Guibert - Alors là, je l'apprends !
Eva - Guibert, nous sommes amis…
Guibert - Jamais !
Eva - Je ne te savais pas si… définitif !
Guibert - J'ai la mort dans l'âme.
Eva - Comment, toi, le philosophe… tu vires au romancier !
Guibert - Tu m'achèves…
Eva - Je suis terrifiée.
Guibert - Je ne voulais pas cela… Je n'en voulais pas…
Eva - Que voulais-tu ?
Guibert - Pourquoi l'as-tu choisi, lui ?
Eva - C'est difficile à dire… peut-être parce qu'il me fait un peu peur…
Guibert - Tu cherches à avoir peur ?
Eva - Non, enfin, c'est la situation qui me fait peur.
Guibert - Laquelle ?
Eva - Eh bien, celle que nous vivons…
Guibert - Eva, tu avais accepté mes poèmes…
Eva - Ils ne m'étaient pas destinés, que je sache.
Guibert - Bien sûr, mais quand je t'ai vu les lire avec tout cet intérêt, j'en ai éprouvé une grande émotion.
Eva - Ce que tu as écrit à propos de l'aède vagabond m'a transportée.
Guibert - Je suis cet aède vagabond.
Eva - Non, tu es toi.
Guibert - Que sais-tu de moi ?
Eva - Je ne te connais pas beaucoup mais je connais mieux tes pensées. Chaque soir, nous passons ensemble ces moments qui sont pour moi proches de l'extase.
Guibert - Tu exagères toujours.
Eva - C'est mon péché méchant…
Guibert - Quand tu t'y mets, tu es très dure.
Eva - C'est que je ne m'en rends parfois pas compte.
Guibert - Plus que parfois…
Eva - Et si tout ça n'existait pas…
Guibert - Les hommes ne sont pas des pantins.
Eva - Ni les femmes des pantines…
Guibert - Si seulement j'arrivais à en rire…
Eva - On ne va pas dramatiser !
Guibert - Tu sais ce dont j'ai envie…
Eva - Non.
Guibert - De me foutre en l'air.
Eva - Tu n'es pas sérieux !
Guibert - Je ne l'ai jamais autant été.
Eva - Ca ne fait pas un peu " réplique de cinéma " ?
Guibert - Je n'ai pas trouvé mieux.
Eva - Guibert, arrête ce jeu de massacre !
Guibert - Frankie est un type bien.
Eva - Qu'est-ce que tu es en train de me dire… qu'il faudrait que l'un de nous trois s'efface ? - Mais il y a de la place pour tout le monde sur cette planète !
Guibert - Ce n'est pas ça… C'est moi qui suis en trop.
Eva - Mais enlève cette folie de la tête ! C'est quoi ?... Du chantage ?...
Guibert - Du désespoir ! " Je suis le paria de la fête humaine "… C'est du Laforgue.
Eva - Donc, ce n'est pas du " Guibert ". Arrête avec ça !
Guibert - Tu me demandes d'arrêter mais je ne peux même pas freiner ! La vitesse est enclenchée…Mon cœur bat à cent à l'heure.
Eva - Tu n'as pas ton permis.
Guibert - Moque-toi !
Eva - Mais non… Tiens, Frankie arrive.
Frankie - Bonjour les amis !
Eva - Hello ! (à Guibert) Ce n'est peut-être pas la peine de retourner dans la fosse aux lions…
Frankie - (à Eva) Vous hésitez, Blandine ?
Eva - Je ne suis pas sûre d'avoir l'étoffe du martyr… (à Frankie) Toujours une allumette entre les dents !
Frankie - C'est pour mieux la croquer, mon enfant… (s'adressant à Eva et à Guibert) Bon, eh ben, on va pas faire de vieux os ici ! - De quoi parliez-vous ?
Guibert - De la mort, justement.
Frankie - Ouf, je suis arrivé à temps ! (A Eva) Tu ne veux vraiment pas y retourner ?
Eva - Non, c'est l'enfer là-dedans !
Frankie - Les arènes, le cimetière, l'enfer… Vous n'avez pas mieux comme programme ? - Tenez, si on allait finir la soirée à la Taverne…
Guibert - Allez-y sans moi.
Eva et Frankie - On n'ira pas sans toi !
Guibert - D'accord, mais c'est la dernière fois.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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