SAMEDI 2 MARS 2013
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"J'écris comme d'autres peignent"

Animation : Régis MOULU

Thème :
Essayer de toujours faire ce qu’on ne sait pas faire (Picasso)

Au cours de cette séance, il s'agit de faire ce qu'on ne sait pas faire, mais de le faire bien ! Car c'est en cherchant absolument à exprimer une idée qui ne va pas de soi qu'on crée un genre nouveau, une identité forte, une impression de concept originel !

Et Picasso ajouterait : "J'ai mis toute ma vie à savoir dessiner comme un enfant". Il y a donc eu de quoi fouler des terres vierges comme on noircirait des pages blanches avec des idées vivaces.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : "sur les traces de la bête".
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support portant sur comment rendre un écrit innovant été distribué... It's so cool, isn't it ?!

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


-
"Le taureau de Shiva" d'Angeline LAUNAY

- "Il est trop laid... c'est horrible !" de Jean-Pierre HUBERT

- "Au bout de la piste" de Nadine CHEVALLIER

- "Serpibor-tuoica-pillonso" de Marie-Odile GUIGNON

- "Relooking" de Christiane FAURIE

- "Eternélitude" d'Ella KOZèS

- "Le forgeur d'étoiles" de Régis MOULU

- "In vino veritas" de Janine NOWAK



"Le taureau de Shiva" d'Angeline LAUNAY

J’ai parcouru des milliers de kilomètres, risqué ma peau, calciné la plante de mes pieds… tout ça pour me retrouver au milieu d’une foule de dévots, adorateurs de Nandi ! Son temple s’élève à l’entrée d’une immense enceinte rectangulaire. Tout à l’heure, Lord Shiva en personne est venu parmi ses fidèles. Des colonnes à n’en plus finir. Un sanctuaire obscur au fond duquel se tapit le dieu destructeur. Et nous, debout dans la fosse aux croyants, les yeux écarquillés, le cœur éclaté, en train de répéter des mots clamés par des hommes à demi nus, supérieurs, méprisants, imbus de leur magie.

Pourquoi me trouvais-je là ? Si je le savais ! L’énorme bête noire domine la place. Le ciel m’est témoin : je n’avais aucune idée de l’existence de cet animal, de la fascination qu’il exerce sur les humains. Nandi est couché sur son socle de pierre, impassible, à la fois terrible et familier. J’ai fait tout ce chemin pour m’asseoir à même le sol, écrasée de fatigue, les pieds gonflés par la chaleur. La bête est un taureau, un dieu hiératique et ténébreux que les hommes, les femmes et les enfants viennent vénérer chaque soir avant le coucher du soleil.

Quel temps est-il ? Quel jour fait-il ? Dans l’univers, les étoiles scintillent et s’en moquent pas mal. Nandi, le taureau de Shiva attend de se faire doucher. Autour de lui, de gros récipients remplis de liquides divers s’accumulent. Les Brahmanes lui ont passé autour du cou des colliers de fleurs multicolores. Au pied du monument, tout le monde patiente. Soudain, un prêtre empoigne un bassin et le vide sur l’animal. Du lait se répand sur cette masse monolithique, puis un flot jaune, puis de l’eau qui lave et purifie en même temps, puis de l’orange, du blanc encore. Les liquides se mélangent et dégoulinent le long des parois du monument tandis que des femmes et des hommes s’approchent et recueillent dans leurs mains le précieux jus dont ils s’enduisent le visage, la poitrine, les bras ou les cheveux. « Nandi, ô Nandi, épargne-moi les malheurs au cours de cette vie ! »

J’évite de marcher sur une grande fleur dessinée à la craie blanche sur les dalles du sol. Je me recule pour éviter les éclaboussures. N’aurais-je rien compris ? Ce ne serait pas étonnant car je ne suis rien. Pour les religieux, ceux qui ont la peau claire n’existent pas. Ce n’est plus du mépris, c’est du déni. Qu’en pense Nandi ? « Qu’en penses-tu Nandi ? » - L’image du veau d’or me traverse l’esprit mais l’idole appartient à un trop lointain passé. Je suis ici et je suis maintenant. Et un taureau me met au défi d’en penser quelque chose. Ce n’est pas si simple une opinion lorsqu’on se trouve dans un monde différent du sien. Et ce n’est pas si intéressant d’ailleurs. Parce que, ce qu’il se passe… alors là, on patauge, on s’égare… - Je ne sais plus où je suis, ni où j’en suis. Parce que c’est important ça ? Qu’est-ce qui est important ? – Peut-être que Lord Shiva descende sur cette terre au milieu de ses fidèles et que son taureau Nandi dispense ses largesses dans l’âme des désespérés…
       Des centaines d’yeux me dévisagent. Je répète les mantras sans les comprendre tandis que des sourires bienveillants m’encouragent à partager ces instants. Je suis bien « ici » et je suis bien « maintenant ». J’espère que Nandi est content. Nandi qui sommeille en moi. Nandi qui sommeille en toi. Je m’assieds à l’écart sur un muret. Les couleurs des saris s’estompent dans le soir qui s’installe. Le ciel m’est tombé sur la tête. Je ne parviens plus à bouger. La bête m’a hypnotisée. Une phrase prononcée par Muthuraman me revient : « Tu es comme les femmes indiennes ». Dans cette vie ? Dans une autre vie ? Serais-je une de ces touches de couleur qui s’en viennent, avant la fin du jour, implorer l’animal sacré ?
       -« Vous n’êtes que des humains. Je suis le taureau de Shiva et, si vous me le demandez, je verrai ce que je peux faire pour vous. Mais je suis aussi une partie de vous… votre Dieu intérieur. Vous ne le savez peut-être pas mais ma force est la vôtre, ma puissance… Lavez vos tables de mémoire. Passez-moi autour du cou vos colliers de rires et de pleurs. Vous n’imaginez pas ce que je peux vous offrir en retour… des parfums de fleurs, des mosaïques de couleurs… »

Une petite fille en robe bleue sautille devant nous. Les derniers rayons du soleil l’enveloppent de douceur. Une inscription s’allume au fronton du temple de Nandi. Où sont passés les Brahmanes à moitié nus ? Des silhouettes s’attardent. Je me sens comme une plume de paon. Nandi doit dormir. Il fait moins chaud. A l’abri de leur niche, des milliers de statues s’évanouissent dans l’ombre. Les paniers en osier débordent d’offrandes. Les clochettes et les tambours se sont tus. Nous avons soif. De quoi au juste ? – Repartir ? Pour où ? Et pourquoi ? Et pourquoi pas ? Je reste assise dans la nuit sous le ciel qui a disparu. Je n’aurais pas dû tant marcher aujourd’hui. Je le sais maintenant : un taureau veille en nous. Je viens de l’expérimenter ici…


"Il est trop laid... c'est horrible !" de Jean-Pierre HUBERT


Il faudrait le détruire ce paysage immonde... le passer au bulldozer ou me crever les yeux pour ne plus voir çà ! Mérite-t-il d'être là... face à moi !
Ma vision à moi: si vraie, si juste, si réaliste face à la laideur de ce qui m'offre à moi. Comment peut-on être aussi obscène ? Un arbre en fleurs, un ruisseau qui coule dans la campagne, des oiseaux qui gazouillent... STOP !
Les fables écolo-poético-p'tits-ziozios m'exaspèrent !
Sortons les poubelles, vidons-les dans les rivières. Etalons nos gravats dans les champs. Vidangeons nos moteurs dans les terriers des lapins. Il n'est jamais trop tard, ce scandale n'a que trop duré !

Je n'ai pas mérité ça. Ce cauchemar environnemental que l'on me fait subir est une insulte à la dignité humaine ! Et j'ai fait quoi pour ça ? Quelques millions de mètres-cube de béton étalés ça et là... du mazout répandu sur les plages, soit mais harmonieusement... quelques becquerels qu'en plus personne n'a jamais vu!
Bilan: condamné à dix de réclusion au milieu des champs de pâquerettes au fin fond des Cévennes. La justice es t cruelle, bravo les jurys populaires!
Cette vision cauchemardesque que l'on m'offre, c'est quoi? Le début du monde avant la civilisation? Je ne pensais même pas que des endroits comme ça existaient encore... quelle honte!
Y'en a qui ont du bol: enfermés à quatre dans des cellules de 15 m2, prisons insalubres, murs rongés par l'humidité, des barreaux à des fenêtres si petites qu'on devine à peine le ciel gris dans des banlieues bien polluées... le rêve quoi !
Seulement ça, c'est pour les faucheurs d'O.G.M., les anti-aéroports, ceux qui bloquent les trains chargés de déchets nucléaires. Toujours tout pour les mêmes!
Ah... l'homme est un loup pour l'homme !
Les loups, parlons-en. Il paraîtrait qu'ils sont réintroduits dans la région. Décidemment, rien ne me sera épargné!
Déjà les longues promenades (parfois presque une journée) dans les forêts me sont un calvaire. J'ai demandé à mon avocat qu'on me fournisse un 4X4 diesel mais je n'y crois pas trop!
"Le vert m'exaspère, le gris m'éblouit". J'ai gravé ça discrètement sur un tronc d'arbre... j'espère qu'il en mourra!
"Je rêvais d'un autre monde" chantait un groupe rock dans les années 80. Oui c'est vrai j'y ai cru. Tout petit déjà je grabouillais mes coloriages en gris en faisant exprès de déborder. Mon père était fier de moi lui-même déjà bétonneur... tradition familiale ! Le pauvre est mort coulé dans un barrage. C'était sa destinée !
Maman aussi a tout fait pour mon bonheur: jamais de légumes frais, que des conserves. Sodas sucrés et viandes congelées. Il nous arrivait même de manger des lasagnes ! Et le linge toujours lavé avec les lessives les plus phosphatées. Ah... l'insouciance de l'enfance qui a forgée mon destin!
Ces briseurs de rêves ont fait de moi un paria, un incompris et me voilà maintenant face à ce paysage dont la vue m'est insupportable. Et ce soleil aujourd'hui comme pour me faire souffrir davantage. Et cette douce brise qui rafraîchit l'air de cette fin d'été !
Bientôt l'automne et les feuilles qui tombent me réchaufferont le cœur. Mais hélas la nature est mal faite et les arbres rebourgeonneront au printemps.
A leur insu, je me construis une petite cellule avec du béton que j'ai troqué contre quelques plants de maïs transgénique. J'y mettrai le temps qu'il faut mais un jour j'espère bien fuir l'enfer de cet environnement d'air pur et de ces montagnes si humiliants.
Est ce ainsi que les hommes veulent vivre ?



"Au bout de la piste" de Nadine CHEVALLIER

 

Les traces commencent au bout du pont-levis. Bien visibles dans la boue, des empreintes larges, profondes, à cinq doigts écartés.
Ses doigts dans des gants de cuir, ses pieds chaussés de hautes bottes noires, il avance, tenant son cheval par la bride. Sortant du pont-levis, il voit les traces.
Derrière lui, une forme sombre s'élève vers le donjon.
La piste dans la boue se poursuit vers la forêt.
Quel géant aux pieds nus a marché ici ? Quel dragon ? Quel King-Kong venu du futur ?
Suivre cette piste ! Savoir ce qui se trouve au bout...

Du haut du donjon, l'ombre observe le chevalier qui entre dans le bois.

Il marche. Branches cassées, herbes couchées, la piste est facile à suivre. Elle s'arrête au bord de l'étang.

La poule d'eau s'est cachée dans les roseaux quand cette ombre massive a traversé l'étang. Et maintenant, voilà ce chevalier ! Il y a foule ce matin !

Il monte sur son cheval pour contourner l'étang. Il retrouve la piste, inondée de lentilles d'eau. A l'orée du bois, les arbres s'écartent pour le laisser passer. 

« On rentre déjà ? » pense le cheval, dommage...

Du haut du donjon, une ombre observe le chevalier qui sort du bois.

Il galope à travers la prairie, la piste est facile dans les hautes herbes couchées.
Il  descend de cheval à quelques pas de la muraille.

La piste brusquement s'y arrête.
Saperlipopette ! Où est passée cette bête ?
- « Regarde en l'air, p'tite tête » dit la muraille.
- « Tu m'embêtes avec tes conseils... Une si grosse bête peut-elle voler ? »
- « Bien sûr, beau chevalier. Tout est possible, ne cherche pas, trouve ! »
Il a fermé les yeux et une grande force l'a transporté en haut du donjon.

Du haut du donjon, il observe... une forme sombre qui sort du pont-levis.

Sortant du pont-levis, elle voit des traces dans la boue. Deux empreintes oblongues et quatre traces en demi-cercles. La piste se poursuit vers la forêt.
Quel insecte géant a marché ici ? Quel monstre hexapode ?
Suivre cette piste, savoir ce qui se trouve au bout...

Du haut du donjon, le chevalier voit l'ombre entrer dans le bois.

Elle marche lourdement, laissant des empreintes larges, profondes, à cinq doigts écartés.
Elle suit la piste facilement.

Pas possible d'être tranquille aujourd'hui, pense la poule d'eau.
L'ombre ne contourne pas l'étang, elle le traverse tout droit, laissant derrière elle une traînée humide de lentilles d'eau.

Arrivée à la muraille du château, l'ombre sombre n'a pas cherché, elle s'est envolée en haut du donjon.

Mais le chevalier est déjà sur le pont-levis. Il voit les traces...
Il marche, il traverse le bois, arrive à l'étang.

« Oh la ! Chevalier ! Ton manège, c'est pas fini ? Nous les poules d'eau, ça nous ennuie ! T'as toujours pas compris ? Ne cherche pas ! Trouve ! »

Le chevalier s'est arrêté. Il a fermé les yeux. Il a dégainé son épée. Il a attendu au bord de l'étang...
L'ombre sombre est arrivée...

« A l'abri tout le monde ! » a crié la poule d'eau. Le cheval a détalé.

Au soir tombé, un chevalier fourbu, crotté, couvert de lentilles d'eau, est arrivé au château.

Il y avait comme une ombre dans son regard.



"Serpibor-tuoica-pillonso" de Marie-Odile GUIGNON



La bellissime monstrité de chair noire navigue dans les ténèbres inconstants.

Suivre ses traces.
Courir pas à pas pour se nourrir de ses composants.
Humer ses odeurs.
Se noyer dans ses effluves.
Goûter le fumet de ses sueurs.

Suivre ses traces
L'apercevoir sert la certitude.
La bête se donne, furtive, pour la vérité de sa vivacité.
Ses contorsions lascives lacèrent la vision des sens.

Suivre ses traces
La bête vole la substance de ceux qu'elle entraîne dans son sillage.
Se hâter dans les dédales de son ombre transforme en acrobate.
Les méandres de sa route étourdissent les pensées.
Le labyrinthe de ses passions enchaîne la folie délicieuse de ses forces.

Suivre ses traces
Errer sans faute dans les horizons perturbés par ses simulationnements.
Ouïr le moindre bruissement de ses gémissements.
Aller, guidé par la boussole de l'illusion.
Oublier d'être soi dans les similitudes des formes.
Décomposer sa nature pour l'atteindre sans failles.

Suivre ses traces
Enthousiasmée par l'insolence de ses audaces, la bête dérobe l'ordinaire.
La bête avance, consciente de ses destructions imperceptibles.
S'engager dans son itinéraire volumérique développe la perspicacité pédestre.
Cueillir les loques de ses investitures nouvelles.
Recueillir la préciosité de ses déjections pour ensevelir sa descendance.

Suivre ses traces
Parce que, glisser dans les méandres d'un guide fantasmagorique aiguise les plumes.
Parce que, la certitude itinérante développe la virtuosité intellectuelle des poursuites.
Parce que la formule mythologismatique embrase le feu des images.
Parce que toute brûlure réchauffe le corps et le cœur.

Toucher les traces
Traquer l'objet du désir, atteindre la félicitude de l'acte.
Réussir à se perdre pour enfin retrouver les possibles combustions de son existence.
Atteindre l'imprudence d'une rencontre.

Stopper les traces
Décomposer leur nature pour les transmuter.
Dessiner une carapace fissurée.
Modeler une structure mystique.
Insuffler la légèreté de l'azur.

Se fondre avec la bellissime merveille d'esprit dans la lumière vivante.



"Relooking" de Christiane FAURIE

 

Je me présente, Gaspard, fox terrier, 5 ans, bon flair bon œil.
5 ans à rêvasser tranquillement, à courir ça et là, nez au vent. La belle vie !
Depuis que Madame à entamé une cure de jeunisme, tout va à vau l’eau ! Finies les siestes douillettes et les sorties au parc.
C’est infernal, son horloge biologique s’est déréglée ! A remonter le temps, je manque d’entraînement !
Lever 7heures, petit déjeuner bâclé !
De son côté Madame « Ah, ce chien, c’est ma croix ! Il m’handicape. Je dois dépoussiérer tout ça et vite ! »
Et ces vieux meubles, regardez-moi ça ! Une vraie brocante ! »
Moi, je ne trouve pas, ils sont sympas et on rigole bien ensemble !
Et elle de dire : « La commode Louis XVI, elle va passer au relooking. Tiens, en noir avec les tiroirs rouges ? C’est plus gai et tellement tendance ! »
Bof, une idée comme une autre !
Et elle de poursuivre « Ce miroir, avec son cadre ciselé ! RI-DI-CU-LE ! J’enlève le cadre et tout est joué. Revenir à l’essentiel…
La commode, de son côté : Non mais, elle ne peut pas demander mon avis ? J’ai des références moi, j’étouffe avec cette peinture atroce malodorante. On dirait un meuble de la rue Pigalle, je fais mauvais genre ! ET ce pauvre miroir, il a pris 20 ans sans sa coiffe !
Quelle honte à son âge ! Lui qui a vu 4 générations se mirer devant lui !
Et son chien ? Il est bon pour la crise cardiaque, footing tous les jours ! C’est inanimain !
Gaspard, il m’a dit qu’il avait vu une émission à la télé où des vieilles que l’on appelle couguars regardaient de près des jeunes hommes et s’habillaient avec des déguisements de jeunes.  C’est donc ça ?
Il l’a entendu dire à son ami :
« Je veux vivre au jour le jour-plaisirs immédiats-effervescence- vivre comme je pense »..
Elle oublie peut-être que nous aussi, nous pensons ! On fait partie du tableau quand même !
Combien de fois, moi Gaspard, je lui ai sauvé la mise en léchant les doigts d’une main d’Homme à portée de langue jusqu’à ce qu’il accepte de lui porter ses courses jusqu’au 5ème étage !
Ah, l’ingrate ! Elle me traite de ringard. Mais c’est elle qui me déguise en setter Irlandais. Elle m’impose un régime strict. Résultat, je suis neurasthénique ! Je vais lui apprendre la chientitude !, Ruer dans les brancards ! Ou jouer du pinceau pour transformer le tableau surréaliste !
Et personne pour me remonter le moral !
La commode broie du noir. Je lui dis de jouer tout sur le rouge mais une commode, ça ne comprend pas l’humour.
Le miroir, lui ; fait grise mine. Du coup, madame se fout double ration de rose aux joues. On dirait une poupée de porcelaine mais avec le cou et les joues en gelée Dès qu’elle court, ça bloblote ! Je ne vous dis pas le tableau !
Heureusement, moi, je ne distingue pas toutes les couleurs, mais côté perspective, tout est chamboulé. Du coup, je ne marche pas droit.
Le miroir a raison, un intérieur digne de Picasso. Tout y est mais dans le désordre !
Je ne sais pas qui est ce Picassiette mais l’idée est bonne. ! On voit que ce miroir a fréquenté du beau monde !
Alors je résume ; une vieille qui se prend pour une décoratrice new âge, un chien qui suit un entrainement d’astronaute pour le futur vol spatial, une nourriture macrobiotique (rien que le nom te donne des tics !)
Hier, un copain décorateur est venu lui donner des conseils. Je me suis discrètement esquivé des fois qu’il lui prendrait l’idée de me raser ou me faire porter un de ces gilets ridicules !
Il a pointé son doigt vengeur vers tout ce qui devait disparaître dans le grand carton.
Résultat, cette nuit, dîné d’adieu dans le garage.
On va bien s’amuser. Le grille-pain n’a pas son pareil en musique baroque. Les vieilles assiettes bien sûr jouerons des castagnettes et moi, je danserai le fox trop tandis que la commode battra la mesure.
Ils n’ont pas l’air inquiet, dans le bon coin, tout trouve preneur !
Madame, pendant ce temps là, elle pérore sur l’alliance du bois et du plexi ! Matière créatrice, dit-elle- permettant toutes les perspectives – réceptacle de lumière – propice à l’inspiration… Je vous en passe et des meilleures…
Tu parles ; le plexi, tu poses une demi patte et c’est le drame ; une trace indélébile !
Moi, le moderne, ce n’est pas mon style ! Je préfère les valeurs sûres !
Mais je la comprends, c’est sa dernière ligne droite, il faut bien qu’elle s’éclate ! Ce n’est pas dans dix ans qu’elle la créera son œuvre d’art ! Elle sucrera les fraises et moi, je baverai dans mon coussin toute la journée !

Alors allons-y pour le relooking ! Mais pas en roux. Je déteste les setters irlandais !

 


"Eternélitude" d'Ella KOZèS

Depuis que tu t’es abattu sur moi, je n’existe plus. Tu as tout englouti : mes rires anxieux, ma  réflexion idiote, ma savante ignorance, ma joie de mourir chaque jour un peu plus.
Pourtant, je t’ai vu venir.
Tout petit. Si petit. Jamais très longtemps. D’abord par respect. Puis, pour un ami qui nous quitte. Pas plus d’une minute à la fois. Monsieur est pressé ? Monsieur prend un air comprimé. Monsieur est compassé.
Dire que je t’ai attendu. Dire que je t’ai souhaité !
Tour à tour séduisant, méprisant, léger, pesant. Ah, on m’avait pourtant vanté tes mérites ! Suis-le, écoute-le ! Essaie un peu… tu verras. Je t’ai ouvert les portes de mon univers. Glacial, tu l’as balayé. Stérile, voilà ce que je suis devenue. Peut-être l’étais-je déjà. Et si c’est le cas, avais-tu besoin de me le faire savoir si tôt ?
 Eternel, plein de sous-entendus, tu soupires. Eloquent, tu parles ! Je n’ai que faire de l’or dont on t’affuble. Seuls, ceux qui n’ont rien à dire t’honorent en prenant des airs supérieurs. En vérité, ton excès est la signature du vide. Sans compter que parfois, on t’achète… Qu’as-tu à répondre à cela ? Tu te fais lourd de menaces… je m’en doutais. Je connais chacun de tes recoins. Je sais chacune de tes ruses.
Tu devais m’apporter la paix, et je n’entends qu’un tumulte de contradictions.
J’en ai assez ! Tu ne comprends rien. Tu t’éternises pour seule réponse. Tu m’étouffes. Tu me réduis, me condamnes. Tu veux m’appliquer ta terrible loi. Tu m’emmures.
Mais, moi je vis, tu entends ! Et tu as beau entrecouper mon flot incessant de paroles, tu ne me feras pas taire. Sans un bruit, je communique. Sans un son, je parle. Solitaire très entourée, je n’ai pas froid aux yeux. On ne dompte pas un volcan.

La plume me sauve de ton obstination. C’est une arme légère et fatale. Elle est douce et ferme. Elle chatoie. Le vent la fait vibrer et l’élève. L’élève en voit de toutes les couleurs. Fille du mythique grand oiseau-lyre, elle accompagne mon délire et trace ces mots à lire. Mais elle est encore plus que cela : elle contribue à la séduction par son claquement qui rythme mes vocalises. Elle crisse avec délice sur les parchemins. Acerbe, elle brise le vœu ; elle t’emplit ; elle participe à ta négation. Alors, je sors de toi.
Avec elle, le contrat est clair : chaque acte sera pesé à son aune. Lorsque tu m’auras gagnée, ces lettres resteront dans un tiroir de la mémoire du lecteur. Ce tiroir est une chambre d’écho. La symphonie que je t’autorise à ponctuer, retentira un jour chez chacun d’entre eux. Ils se souviendront de mon chant. Ils sortiront de leur léthargie. Ils cesseront d’écouter. Ils réfléchiront ; alors, ils ne voudront plus suivre. La résistance s’organisera. A leur tour, ils te chasseront. Ils se mettront à parler en croyant ne rien dire…
…De leur verbe renaîtra la Vie.

 

"Le forgeur d'étoiles" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Prenez l'acte créatif,
une création en lui-même !

Quand crée-t-on ?
Crée-t-on à l'envi ?
Qu'est-ce que créer ?

Le homard danse, avec ses pinces, il coupe l'eau, sectionne l'air, fragmente le temps.

Suspension.

 

Il y a de l'immortalité dans l'art.

L'art, c'est la beauté qui rencontre l'éternité.

C'est l'éphémère qui flambe les esprits,
qui fait du miel avec les âmes.

C'est une comète au bout d'un pinceau,
un tableau inachevable qui brûle d'incandescence,
c'est une torche que l'on verrait bien partout.

Un festival de couleurs envahit le ciel d'une palette.

Le modèle était partie en vacances, sur son tabouret.

On aurait dit un décapode,
tout bouge tout le temps,
c'est d'autant plus vrai avec l'immobilité
qui pousse les yeux
à se lancer dans un marathon.

Chair de volcan en activité,
par son regard de lave,
elle exprimait un monde.

Il y avait donc là un dedans de tête
qui valait pour tout un quartier,
un véritable extrait de civilisation.

Radiante,
elle produisait comme des spaghettis invisibles.
Dans le dictionnaire,
ce plat imaginaire
correspond au mot "charme".

C'est qu'elle était submergée
par nombre de pensées et de bontés.

Sons sens de l'accueil la rendait jolie.

On aurait même dit
que tout à chacun
aurait pu s'asseoir dans ses poumons,
à volonté.

Et elle cultivait la disponibilité
jusque dans ses cheveux
qui avaient volé leur brillance
aux miroirs.

Elle s'offrait comme un plateau de fromages :
au premier prétexte,
le terroir, toute son identité,
pouvait sauter en bouche,
la tienne, la mienne,
tous les autres pronoms possessifs
y compris.

Car la création, c'est une rencontre,
une fusion,
deux émotions qui emménagent
dans le même fût,
le fût du sublime
situé dans la cave
des secrets bien gardés.

La visite guidée a commencé.

Le modèle est toujours dans le peintre,
et le peintre sort toujours de son modèle,
une drôle d'histoire
qui a affaire avec le désir.

Flash.

Éblouissement comme une tranche de parmesan qui passe subitement devant ses yeux.

 

Aucun calcul permis.

Rien ne vient de nulle part, jamais,
tout est précipité,
éclair,
jaillissement
ou raz de marée dévastateur
comme le cri premier
d'un bébé rhinocéros :

le démon de la création vient de naître
alors que les sages-femmes
n'ont pas encore été inventées,
idée en puissance,
il cherche un appartement,
il habitera en chacun de nous
comme un champignon
avec un chapeau cerveau blanc chou-fleur,
un pied moelle épinière
et des racines réseau de nerfs
qui nous tiennent tout entier
dans sa pulsation.

Agitation.

Amour de mayonnaise.

L'art grandit, nous déchire,
rend obligatoire
notre dialogue avec la pluie.

On ne s'en détachera plus.

Le goût pour l'inséparable nous traverse,
nous bouleverse,
érige une porte.

Et toujours cette impression d'éclater
qui nous a choisis,
toujours cette même scène qui nous met
au cœur d'un nuage de sang.

Soleil dans le brouillard.

Une dévotion pour le sacrifice se lève en nous.

C'est la sauvagerie qui mange sa proie.

Ouvrir sa bouche
comme on sauterait d'un plongeoir
ne nous lâchera plus.

Jet de couleurs sur la toile.

Coup de couteau dans la baleine,
– invention du sac de voyage –,
un nouvel univers se détrousse,
un nouveau monde
où les mots sont à la traîne
apparaît.

C'est pile le moment
avant qu'on ait l'intuition
de pleurer utile,
c'est là où le bonheur et le désespoir
font un étrange commerce,

pour sûr, il y a une bête qui nous investit,
pour de vrai, elle nous sculpte
et finira par nous donnernotre forme…

Un lâcher de carottes sans leurs fanes tombe du ciel.

 

On en reste baba,

on n'aura plus jamais
une explication pour chaque chose,

la pauvreté commence
à nous éplucher,
sans doute parce que la radicalité
vient d'avoir notre peau.

Corps de sable, têtes de microbe rieur,
nous sommes devenus !

 

Tout change d'échelle,

l'agrandissement général est de mise
et fonctionne de manière continue,

c'est l'accordéon du désir qui s'ouvre
sur un air inconnu,
il y a toujours une chanson sans paroles
qui réside en toute chose,
l'instinct du vorace niche, de fait, partout,

cette incompressible envie
de s'engouffrer quelque part
nous habite,
nous poursuit,
nous fait sortir de nous-mêmes,
nous fait créer.

Il avait des yeux de fraise,
des mains déterminées comme des truelles.

Il avait une volonté d'arbre vertical.

 

Tout restait à construire,
le mouton ne voulait pas être tondu.

À celui qui est tout petit
est réservée la capacité
de faire de grands projets,
sauce gribiche.

Chaque jour,
l'artichaut cherchait
à perdre une feuille.

Aller au fond des sujets l'obsédait,

mais, pour son malheur,
on ne rentre jamais assez
dans le sol.

Et il aurait voulu que ses pieds soient des foreuses,
et que ses yeux soient comme des pieds.

Sa peinture serait un prolongement d'un magma.

Sans le savoir,
il prenait de plus en plus des attitudes de forgeron,

son seul but : faire des étoiles,
des étoiles pour têtes de lit,
ou comme boucles de souliers,
ou à mettre au bout d'une baguette,
pour faire des fourchettes,
ou même plus radical :

deux étoiles que chacun
devrait s'enfiler
à la place de ses yeux de verre
afin que la magie pour tous
puisse à jamais
perdurer !

 

Ce qui nous touche ne peut être qu'évidence.

Notre corps est la seule ardoise
auquel l'autre pourra accéder, notre seul moyen d'expression.

Tendre la main se limite à notre mental,
la vérité exige qu'on puisse être pénétré.

Celui qui ne s'atomise jamais
ne sera jamais celui
qui sera un jour quelqu'un.

Quand je sens qu'il y a une bête
qui gratte à l'intérieur de moi,
je sais que je suis tout proche
d'accoucher de ma conscience, je revis,

alors je me mets à courir
comme un fou,

comme une âme sans corps !

 

"In vino veritas" de Janine NOWAK

Hé bien oui, là : mes excès, je les revendique, et avec gourmandise encore !
J’ai soif d’alcool et d’absolu !
Mais attention : n’allez pas croire que je sois un rustre : tout ce que je fais, je le fais avec délicatesse.
Oh, pas seulement parce que j’ai été bien éduqué. Non : par sensualité.
La grande astuce consiste à ne rien brusquer: ni la bouteille, ni les femmes, car pour moi, l’attente est déjà la moitié du plaisir.
Comme tout un chacun, il m’arrive parfois de m’ennuyer ou d’être contrarié. En pareils cas, je réagis  toujours avec grâce. J’évite d’arborer un visage grincheux, je n’ai jamais de brusques gestes d’impatience ou de paroles trop vives.
La paresse et les plaisirs sont, chez moi, un art de vivre. Les philosophes ont un mot pour qualifier cette attitude : l’hédonisme.
Je constate avec regret que la génération actuelle affiche un débraillé honteux dans le comportement.
Pour ma part, je reste élégant, même – et surtout ! -  lorsqu’au milieu de la nuit, j’essaie de regagner mon domicile sur mes chaussures à bascule !
De nos jours, les gens font des embarras pour des riens. Ils ronchonnent, passent leur temps à regretter ceci ou cela.
J’ai fait mienne la devise de ce bon Bussy Rabutin : «  Quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a ».
C’est pareil pour moi : les jours où je suis en fonds, je m’offre une bonne bouteille de Bourgogne. En période de bourse plate, ce ne sera qu’un seul verre, mais toujours de qualité.
Je ne suis pas snob. Je suis raffiné. Nuance.
C’est cela la classe. Contrairement aux idées reçues, la distinction n’est pas nécessairement associée à une particule accolée à son nom ou à un compte en banque bien garni. C’est une qualité qui se peaufine au fil du temps et c’est un long travail sur soi, qui peut prendre des décennies.
Mon Ange Gardien, niché dans le lobe droit de mon cerveau, est parfois content de moi, surtout les jours où je suis désargenté, donc sobre par force. Il me dit alors, avec une voix empreinte de gravité mystique : « Mon Cher Edouard, te voilà sur le bon chemin. N’apprécies-tu pas les effets vivifiants d’une vie saine et simple ? Encore un effort et la rédemption est assurée pour toi ».
Je n’ai même pas le temps de formuler une réponse, que déboule déjà Diablotin, mon petit Démon Personnel, autre locataire de mon cerveau, mais à l’opposé, côté lobe gauche.
Ah, celui-là, il faut que je vous en parle. C’est un cas. Il est pétillant comme du Champagne. Il             a un culot monstre, un bagout ! Et quel talent, aussi : il est capable de lire les hommes à livre ouvert.
Et le voici qui asticote mon Séraphin, selon sa chère habitude.
«  Hou là – qu’il attaque – tu penses vraiment ce que tu dis ? Avec ton air de tout comprendre, en fait, tu ne vois rien de ce qui se passe dans la réalité. Ne crois-tu pas que ce brave Edouard, même lorsqu’il a trop bu et qu’il est incapable de mettre de l’ordre dans le chaos de ses pensées, mérite le Paradis dix fois plus que les grenouilles de bénitier que tu chéries tant, ces vieilles filles qui se veulent vertueuses mais qui ont autant de cœur qu’un bloc de granit ?
Ne préfères-tu pas cet être ruisselant d’optimisme et de gentillesse, à ces perfides créatures dotées d’une cervelle d’un poids limité et à l’éducation rudimentaire ?
Lui aspire la vie pas tous ses pores. Il n’est en rien esclave de son confort ou de son goût du pouvoir et de l’argent.
Chez lui, rien de tapageur : il remplace l’opulence par la joliesse, par des petites touches de beauté, par des attentions charmantes, délicates. Rien de lourd, de bestial, de mesquin, de vulgaire, de commun, d’ordinaire.
Il est franc, sincère, ne maquille pas ses défauts comme une voiture volée.
Son fond est bon. C’est indéniable. Ce qu’il déteste le plus ? Des gens assis autour d’une table, qui discutent au lieu d’agir. Il est généreux, il offre et partage volontiers. Et si – par malheur – il devait faire un jour partie d’un peloton d’exécution, il serait celui qui espère sincèrement tirer la balle à blanc.
Tu désapprouves la vie qu’il mène dans une atmosphère de paresseux laisser-aller. Mais, tu veux que je te dise, mon Angelo ? Cet homme là est un artiste. C’est un imaginatif, un créatif et il ne faut surtout pas le brider. Ce serait briser son enthousiasme et son talent. Et il n’y a rien de pire et de plus triste qu’un feu sacré qui s’éteint.
Comprends un peu : les petites coquineries qu’il se permet, c’est comme le poivre dans une sauce : c’est bon, ça relève le goût et c’est sans danger.
Alors, de grâce, Seraphino : Fous-lui la paix !
Pourquoi ne pas essayer de le laisser  vivre, respirer et boire un bon coup de temps à autre ! Il ne fait de tort à personne, même pas à lui-même.
Ce que tu peux être psychorigide, toi, le sois disant champion de la bienveillance »

Fin de l’algarade. Ouf ! C’est qu’ils finissent par me flanquer la migraine ces deux là, avec tout le tapage qu’ils font dans mon pauvre crâne.
Pas de tout repos d’héberger des phénomènes de cet acabit ! Mais je les aime bien et sans eux, je me sentirais tout nu, tout vide : ils s’occupent de moi, me défendent, me dorlotent, me protègent, mine de rien. De vrais amis, quoi, toujours présents. Merci les p’tits gars !

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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