SAMEDI 15 NOVEMBRE 2014
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Le conseil des Grandes Plumes"

Animation : Régis MOULU

Thème :

Trouver le murmure des mots (Ponge)

Etant obsédé par l'idée de Francis Ponge qui a dit précisément : «  Le murmure des mots est indispensable à la jouissance des choses », on portera, lors de notre rédaction, une attention particulière au chant des mots pour son universalité et son potentiel sensible.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), a été énoncé en début de séance un sujet au choix : "Attention fragile" ou "Révélations sur le radis"!
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "Radis-paradis ; diras-diras pas"
de Christiane FAURIE

- "Comme la flèche" d'Angeline LAUNAY

- "Radis égaré, radis pluriel" de Marie-Odile GUIGNON

- "Ma recette du bonheur" d'Ella KOZèS

- "Dix-huit jours" de Nadine CHEVALIER

- "Le fossile" de Janine NOWAK



"Radis-paradis ; diras-diras pas" de Christiane FAURIE (sujet "Révélations sur le radis")

Déambuler dans le potager de ma grand-mère m’a toujours procuré un plaisir indicible.
Chaque légume y tenait une place choisie tenant compte de ses besoins, de sa taille, de sa fréquence de consommation, de l’esthétique recherchée par ma grand-mère visant à épouser du regard tout son petit monde.
Les radis étaient en première ligne dans un carré étroit moins noble que celui des carottes au feuillage frémissant au moindre souffle.
Leurs feuilles courtes, rondes et charnues invitaient à la joie de l’abondance. Elles semblaient annoncer  un fruit généreux mais il n’en est rien.
Il vous suffit de tirer sur ses feuilles doucement et il en sort un petit radis rouge et rond comme une jeune fille soudain découverte derrière un feuillage nue alors qu’elle se croyait seule.
Toute rougissante, elle craque sous votre regard
Juste à côté, le même geste permet de découvrir un radis frêle hésitant entre le rose et le mauve. Il est si malingre qu’on voudrait le remettre en terre afin qu’il se nourrisse au sein maternel tel un prématuré.
Il y a aussi le gros balourd qui n’a pas eu l’élégance de se parer de couleurs mais qui fanfaronne devant ses condisciples. Son discours est creux. Il perd de sa superbe dès que la dent rencontre son tissu spongieux tel un visage parcheminé par les années. Son feuillage imposant ne peut faire oublier l’essentiel, la chirurgie esthétique n’a jamais leurré personne.
Il y a aussi le fuchsia au cœur rose. Celui-là m’émeut par dessus tout. Car il est aussi beau dehors que dedans, c’est un être d’exception.
On ne sait que choisir entre les rondeurs attendrissantes et l’élégance du filiforme.
Il se répand dans ce carré une anarchie de formes, gabarits, couleurs et saveurs et nul guide alentour pour nous aider à identifier les saveurs recherchées.
Au loin trône le prince noir. Il refuse la compagnie de ses demi-frères, se jugeant d’une autre lignée.
Bien trop susceptible, il lui faut de l’espace à Monsieur, de la nourriture choisie pour se développer !
Il ne s’offre pas à toutes les bouches et se pique de choisir son public. Mais tout nu, il est comme les autres, tout blanc de partout !
Certes, il nécessite une coupe en tranches avant dégustation et une préparation papillaire afin de résister à ses assauts. De plus, il s’enorgueillit de trôner en bonne place dans les pharmacies pour purger les foies engorgés par l’automne. Mais il se fait payer cher car il développe à cet instant précis une odeur nauséabonde que seuls quelques résignés persistent à approcher, tous les autres aillant battu en retraite en hoquetant de dégoût.
Mais revenons au petit rose encore emmailloté.
Il nous convie à un craquant noisette ou un fondant au beurre tenant la dragée haute au grand filandreux ou encore au revêche spongieux qui nous fait regretter de ne l’avoir mis en quarantaine, profitant de notre cœur magnanime.
Tout ce beau monde trône dans la cuisine en attendant le verdict.
Va t’on lui faire jouer la carte de l’anonymat en le mettant à nu par le truchement du couteau économe et ainsi permettre aux moins attirants de garder toutes leurs chances ou va t’on lui conserver sa robe pour le dévorer tout habillé et orné d’une corolle de beurre salé ?

Trop et pas de caractère nuit à un radis et le cantonne à coup sûr au fonds de la cuisine pour un traitement de la dernière chance mêlé aux pommes de terre pour confectionner un potage chaleureux.

Il faut reconnaître à un radis des qualités indéniables. Outre sa beauté naturelle en toute simplicité, il est le seul à offrir au jardiner inexpérimenté et aux jeunes enfants impatients une pousse en18 jours sous leurs yeux émerveillés.
Combien d’instituteurs ont remis aux enfants une coquille d’œuf emplie de coton laissant affleurer les pousses du dit radis ?

Le radis n’est jamais bon à rien.
Radis- paradis.
Diras, diras pas ce que le radis dit à celui qui irradie à la seule vue du radis.

 

"Comme la flèche" d'Angeline LAUNAY (sujet "Attention fragile")


       Je regardais ce vieillard assis à même le sol, à peine éclairé par le foyer central qui crépitait. L’homme s’était assoupi mais je savais qu’il était présent parmi les siens avec toute sa vie en arrière et que, tel un loup à la recherche d’un autre territoire, il ne pourrait s’en retourner d’où il était venu.
       Mes yeux s’ouvraient et se fermaient, s’ouvraient et se fermaient. Au travers de la fumée qui dansait, je me disais qu’un jour, je deviendrais comme son corps et comme son esprit mais je chassai bientôt ces considérations de ma tête. Mes paupières commençaient à s’alourdir, mes membres à s’engourdir et j’eus l’impression de trouver l’accès aux chemins de son existence.
       Je ne me demandais pas qui il était, je le savais. D’où me venait cette certitude ? C’est la question que j’aurais pu me poser mais je ne me la posai pas. Devant moi sommeillait Yellow Thunder dont l’histoire m’avait été contée la nuit précédente par sa petite fille, Mary Brave Bird. Qu’avais-je retenu de cette épopée… Que Yellow Thunder était la fierté de sa tribu, qu’il était un père aimant, qu’il avait tenu tête aux tuniques bleues et que ses raids étaient assimilés à de véritables coups de tonnerre, ce qui lui avait valu son nom.
       Aujourd’hui, dans son extrême faiblesse, je pouvais sentir toute la force passée. Dans son silence, je pouvais entendre les discours qui avaient insufflé la bravoure à ses guerriers. L’expérience l’avait conduit à incarner ce patriarche plein de sagesse mais pour en arriver là, par combien de folies avait-il dû passer ! Tandis que mes pensées divaguaient, mon cœur se remplissait de sentiments aussi vastes que la plaine qui s’étend entre la rivière Niobra et la lisière de la forêt.
       Yellow Thunder avait aimé traverser à cheval ce pays de ses ancêtres. Son regard s’était rassasié de l’observation de l’horizon et il n’avait pas oublié d’en remercier l’univers. Les couleurs du ciel, il les redéployait dans ses rêves. Quant aux morsures du froid, il s’en souvenait chaque fois qu’il passait près d’un feu. Il lui avait fallu de la constance, de la détermination voire de l’acharnement. Le plus difficile à conserver, c’était ce sentiment de paix à l’intérieur de lui-même, un moment de grand calme pendant lequel rien ni personne n’aurait pu le faire dévier de sa trajectoire. Il était alors comme la flèche qui vole, aérienne, rapide et précise parce qu’elle connaît sa cible.
       Cet instant suspendu hors du temps, il le retrouvait dans le silence des nuits, à peine troublé par le chant des insectes. Enfin délesté des chevauchées interminables, il laissait ses pensées s’élever comme la fumée des pipes de cérémonie. C’est ainsi qu’il se confiait à Wakan Tanka et lui soumettait ses questionnements sur le déroulement des évènements. Au fond, qu’avait-il espéré de cette vie terrestre sinon procurer aux enfants la joie, aux femmes la douceur des jours et aux hommes la confiance en l’avenir. Mais il savait bien que tout cela était souvent aussi difficile à obtenir que la tranquillité à laquelle il aspirait. Pourtant il était parvenu à cet endroit de la piste où la chimère qu’il avait poursuivie telle un gibier de choix se tenait enfin devant lui et semblait le considérer avec bienveillance.
       La nuit nous enveloppait de sa magie. Les années de Yellow Thunder n’avaient pas été comptées. Wakan Tanka a été généreux, il lui a laissé le temps. Il lui a permis d’atteindre les rives de l’horizon qu’il avait tant scruté. J’essayais de me couler dans ce mystère. Je faisais mon possible pour partager ce précieux butin tout en me rappelant que chez les peuples du vent, il n’y a pas de mot pour dire « au revoir ».




"Radis égaré, radis pluriel" de Marie-Odile GUIGNON (sujet "Révélations sur le radis")


Les commerçants ont disparu de la place du marché. Des cageots fatigués gisent en tas, accompagnés par quelques fruits et légumes blessés à l'étalage ou tombés sur le sol au cours des marchandages..
Sur un coussin de feuilles de choux un radis repose, comme une petite lumière dans un univers terre à terre.
La petite bille joufflue surmontée d'un toupet dentelé d'un vert fluorescent contraste avec l'environnement de son lit d'infortune. Elle s'expose solitaire au régal d'un passant, petit rongeur ou humain en quête d'aliment.
Dessous son habit en demi-lune colorée sa chair blanche croque sous les dents, une fraîcheur printanière se répand dans la bouche, un jus léger
  picote les papilles. Dans la sphère endommagée on distingue des nervures étiolées traversées par des lignes circulaires d'une finesse nacrée.
Il vient d'une petite graine brune minuscule, semée dans un limon sablonneux. Une douce tiédeur l'a réveillé, il a soulevé sa paupière brune, sorti un œil en poussant le sable, s'est abreuvé d'eau claire, a grandi rapidement en dessinant sa touffe de feuilles vertes au dessus d'une timide coupole de plus en plus ronde. Près de lui ses semblables poussaient, se bousculaient, chacun désirant sa place au soleil. Une main experte les a saisi. Comme ses compagnons, il a quitté son domicile laissant apparaître sur son assise blanche une fine racine effilochée.
Réunis en paquets, douchés, liés, placés dans des caissettes, ils firent connaissance avec leurs cousins, les légumes des territoires proches, au cours d'un voyage vers des lieux cacophoniques commerciaux...

Les radis se répartissent en plusieurs familles en fonctions de leurs structures originelles et de leurs volumes.

Les petits radis roses et blancs.
Ils se grignotent avec ou sans sel. Leurs feuilles fraîches peuvent se manger en salades ou en potages. Dans l'hôtellerie, sa calotte découpée en forme de pétales fleurit dans les plats d'entrée.

Les petits radis sphériques rouges.
On les découvre décapités équeutés puis entassés dans des sacs transparents sur les étals des supermarchés. Leur saveur impersonnelle s’amollit sous le palais.

Les radis noirs.
Ils croissent dans des terres meubles. Très fermes, quand ils atteignent un diamètre de plus ou moins 5cm avec une longueur de 20 à 25cm ils deviennent consommables. Une peau rugueuse très sombre et légèrement écailleuse leur donne un aspect animal. Parfois le cœur de sa chair se creuse et s'entoure d'un anneau laiteux, spongieux, son goût de poivre pique le nez... Ses grandes qualités nutritives se déguste en rondelles pelées ou en jus.

Les radis blancs.
Ils ressemblent par leur taille aux radis noirs. Une peau écrue, lisse, présente des radicelles éparses sur le pourtour de son cylindre à base conique. Pour les rendre attrayants ils conservent leurs feuilles allongées sur leur collet. Ils se consomment très frais.

Les radis chinois.
Ils s'apparentent aux radis roses et blancs taille XXL. D'une parfum de terroir ce sont des géants au corps parfois déformé. Ils se récoltent à la fin de l'été dans les jardins de campagne. Leur blancheur intérieure recèle parfois d'infimes filaments bruns.

Les radis s'accommodent de toutes les saisons dans des lieux d'accueil diversifiés : Pleine terre, châssis, serres, jardinières...

Le radis offre sa candeur crue avant même d'avoir pensé à sa descendance... La continuité de sa lignée est assurée par l'oubli de l'un des siens dans un coin du potager, à la bonne fortune du semeur à tout vent.

 


"Ma recette du bonheur" d'Ella KOZèS (mix des 2 sujets)

Lorsque c’est la saison, il fait bon entrer dans le potager, arrêter le temps, se mettre à l’écoute pour regarder les légumes pousser.
Humer les senteurs de la terre fumée en inspirant très fort à trois reprises. C’est un préalable obligatoire qui vide un peu le cerveau de toutes ces préoccupations funestes qui prennent souvent une importance démesurée dans votre quotidien.
S’agenouiller comme pour une prière dédiée à la nature. Il faut se sentir confortablement installé sur ses jambes pliées, vous comprenez. Sans quoi rien n’est possible. Il s’agit de se mettre en harmonie totale avec son environnement et de rendre un hommage muet à la terre nourricière. Elle vous entendra. Elle vous répondra même en fonction de l’intensité de votre silence intérieur.
Puis, sentir le contact du terreau légèrement humide, tout frais de cette nuit passée à la belle étoile. Imaginez le travail souterrain des lombrics qui inlassablement aèrent la surface supérieure de la croute terrestre. Ressentir à quel point la douceur est entrée dans votre âme.
Une fois bien campé, expirer longuement et réaliser combien le bonheur est aisé. Prendre conscience du lieu vous y aidera. Ouvrir les yeux pour profiter pleinement de l’instant et tenter de conserver en mémoire une image qui vous aidera dans les moments difficiles. La beauté est une ressource naturelle inépuisable qui n’a pas que des vertus superficielles.
La feuille est veloutée à l’œil, rêche au toucher pour se défendre de toute agression. Ne vous y trompez pas, la défense est destinée aux petits prédateurs qui tentent de les grignoter. Des trous trop importants  dans ce panache vert, voire la disparition de cette sorte de poumon, et c’en est fini du radis ! Laisser vos mains caresser le feuillage légèrement piquant. Réaliser alors le côté dérisoire de nos défenses face à l’univers. Un geste brusque et c’est la cassure de cette petite feuille dentelée pourtant si nécessaire à la croissance du tubercule. Un accident de la vie, un dommage collatéral en d’autres termes…
Maintenant, autoriser vos doigts à descendre le long de la tige drue pour arriver à sa naissance. Le radis affleure alors à la surface. Il y a là comme un mystère : la tige prend naissance à l’intérieur du corps. Elle en sort avec vigueur sans laisser pénétrer l’eau, ni le moindre élément. Vous n’y trouverez pas la moindre fissure, sauf si le radis est un peu vieux. C’est un des signes qui vous le feront mettre de côté et l’utiliser comme un navet.
Quelle que soit la taille du radis, sa tige puissante vous permettra de l’extraire de son lit. S’il advenait qu’elle vous reste entre les doigts, c’est que vous aurez rencontré un nouveau signe de mauvaise qualité du légume. Extrayez le alors directement pour l’inspecter. En fonction de son état vous pouvez peut-être lui faire rejoindre les malchanceux destinés à la cuisson.
Ne prenez que ce dont vous avez besoin en choisissant ceux qui sont à maturité. Mais, il est très important de récolter au bon moment et surtout régulièrement. L’âge le rend creux. Le radis est un être sensible qui se gonflera d’eau s’il est trop mouillé, et se remplira d’amertume s’il est oublié. Bien sûr, vous aurez pris soin de le semer dans un lieu approprié car il est fragile : trop de soleil lui ferait de l’ombre… et pas assez de lumière le rendrait neurasthénique et acerbe.
Une fois la récolte terminée, joliment posée dans un de ces paniers d’osier, quittez vos bottes à l’entrée et laissez vos pieds nus courir sur le sol. Mettez de l’eau dans une petite cuvette pour faire leur toilette. Rappelez-vous que le radis doit  être débarrassé rapidement de sa terre avant toute préparation. N’oubliez pas d’effectuer ce rinçage prestement pour éviter la reprise en humidité. Egouttez dès que possible dans une de ces passoires émaillées à larges trous. Admirez leur belle allure : ils en rosissent de plaisir et leur belle forme dodue fait naître le désir. Ne sont-ils pas à croquer ?
Pour leur préparation, un petit couteau suffit : couper une partie des fanes, et réserver les dans une bassine d’eau. Vous pourrez ainsi, après les avoir lavées, concocter une soupe savoureuse si vous leur additionnez une ou deux bonnes pommes de terre. Utilisez aussi les radis non présentables pour la consommation crue, car il convient de ne jeter que le strict minimum.
Gratter les deux petites pellicules qui se trouvent à la racine de la tige. Elles ne contiennent pas de qualité gustative et ne sont plus d’aucune utilité dans l’assiette. Séparez bien la radicelle du corps pour couper le cordon ; le radis est maintenant autonome.
Une belle présentation dans un plat adapté ne gâche rien. Pensez à servir tout de suite et ne mettez surtout pas au réfrigérateur : le radis gèle vite et perd le goût de vivre avec le temps.
Vous voilà prêt à passer à table… Prêt à croquer à pleines dents cette bille tendre, agrémentée d’un pain au levain, ou d’une baguette, et d’un peu de beurre doux ou salé. Plus vous mastiquez, plus le mélange d’ingrédients se mêlant à la salive libère ses parfums. C’est une explosion de saveurs que vous offrez à votre palais pour pas un radis… Si, d’aventure, vous y aviez additionné un tour de moulin à sel, vous sentirez les grains fondant progressivement se mêler ainsi à votre bonheur présent.
En fermant les yeux, si c’est un goût de noisette qui prédomine, vous saurez que c’est un véritable retour aux sources que vous venez de vivre.

 

"Dix-huit jours" de Nadine CHEVALIER (sujet "Révélations sur le radis")


Enfouies dans la terre brune et grumeleuse, mouillées par une douce pluie de printemps - par temps sec, penser à arroser - les graines semées se gonflent de vie. Dans le secret du sol, elles accouchent bientôt chacune d'une radicelle puis d'une fine tige qui force le passage parmi la foule de particules qui constituent la terre du jardin.
Au soir, le sol est nu, le lendemain matin, comme un brouillard  vert s'est levé sur la parcelle semée.
Les tiges si fragiles mais si fortes, ont émergé au grand jour.
Surtout ne les piétinez pas !
Rapidement apparaissent les cotylédons, au nombre de deux, car le radis appartient à cette branche de la classification botanique que l'on nomme dicotylédones.
Mais là, je m'explique mal, ce n'est pas parce que la botanique le classe ainsi que le radis a deux cotylédons. C'est parce que c'est comme ça, il ne sait pas faire autrement.
Cotylédons, un mot bien laid - d'où vient-il ? - pour ces petits cœurs vert pâle qui s'ouvrent sous la caresse du soleil et à peine nés, œuvrent déjà à fournir de l'énergie à la plante.
Encore quelques jours et des feuilles vraies sont là, un peu échevelées. Une légère pilosité recouvre leur surface vert émeraude, la rendant rugueuse et décourageant les limaces de la grignoter.
Si par curiosité à ce stade, vous arrachez la plantule, sa racine vous décevra, ce n'est encore qu'un filament blanc sans intérêt - pour vous.
La patience est donc recommandée. Quelques soins sont bienvenus. En effet le radis aime être arrosé régulièrement.
Trop de sécheresse et la racine se durcit, devient sèche et piquante comme une vieille fille aigrie.

Arrosage et chaleur ont fait leur effet, les feuilles sont maintenant épanouies, du sol commencent à émerger les racines rebondies et luisantes, rouges et blanches - le radis tel qu'on le connait.
Vient donc le moment de la cueillette. Je dis cueillette car pas besoin de binette, serpette ou autre sécateur. Vous saisissez de votre main la plus habile le bouquet de feuilles et tirez d'un geste souple. Vous aurez pris le peine de vous munir d'un panier ou autre récipient pour accueillir votre récolte.
A la cuisine, on coupe les feuilles, gardant un  centimètre de tiges, on lave les radis sans les faire tremper, pour retirer la terre dont ils gardent le souvenir.

Servir aussitôt. On peut accompagner le radis d'une pincée de sel ou d'une noisette de beure - ou les deux.
Le radis met des couleurs dans notre assiette, il est d'abord plaisir pour les yeux. Mais l'heure n'est plus à la patience.
Le radis est saisi entre les doigts, c'est la partie blanche qui se présente la première à nos lèvres gourmandes.
Entre nos dents, elle craque délicieusement la chair croquante du radis et pique un peu la langue.
Et l'on pense en l'écrasant dans notre bouche à la terre qui nous nourrit par l'entremise de ce petit bout de racine.

Une racine, oui, mais n'oubliez pas les feuilles qu'on nomme fanes.
Les fanes de radis quand elles sont encore fraîches, vous les utiliserez pour faire un potage avec quelques pommes de terre et ...

Mais ceci est une autre histoire.

 

"Le fossile" de Janine NOWAK (sujet "Attention fragile")

 

Ma petite binette à la main, je scrute attentivement le sol, longeant à pas menus, le bas des Falaises des Vaches Noires, à Houlgate.
Ma récolte de fossiles vieux de 130 Millions d’années est bonne : un plein panier d’ostrea dilatata (huitre dilatée), de toutes tailles : des grandes, des épaisses, des finement ourlées…
Le ciel gris-acier annonçant une pluie prochaine, je m’accorde encore un quart d’heure de fouille, avant de rentrer chez moi, au chaud.
Accroupie, je déterre un « truc » inhabituel. Ce n’est pas un galet qui aurait subi l’érosion des courants marins. Ce n’est pas non plus un coquillage.
Je vais le laver à l’eau de mer et gratte soigneusement la boue agglomérée autour, cette terre argileuse appelée « marne grise ».
Perplexe j’examine ma découverte.
Et brusquement, dans mon esprit, un déclic se fait : un œuf ! C’est un œuf. Incontestablement.
Malgré la fossilisation, la parfaite forme oblongue a été respectée.
Mais un œuf de quoi ? Bien trop gros pour être un œuf de poule. Bien trop petit, pour être un œuf de dinosaure.
Après tout, qu’importe ! Un œuf, reste un œuf ! Qu’il devienne à l’éclosion bête à plumes, reptile ou poisson, le processus suivi est toujours identique: l’œuf est un corps qui s’est transformé dans l’organisme d’une femelle ovipare et qui, fécondé par un gamète mâle, donnera naissance à un être nouveau.
C’est émouvant, et même un peu triste, finalement, de penser que ce petit animal n’a pas eu sa chance dans la vie, qu’il n’a pas eu le temps d’exister.
Mais bon : je ne vais pas pleurer sur le sort de cet œuf… « mort dans l’œuf »… si j’ose dire !
Et je suis là, songeuse, ma trouvaille à la main.
«  Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » interrogeait le poète romantique.
Pourquoi pas, après tout ?
Moi, j’aime bien voir les choses derrière les choses. Et cet œuf, voilà que je me mets à lui inventer une vie, à le déguiser, à le transformer, à le prendre comme point de départ de toute une série d’hypothèses.
Déjà, ce qui me semble miraculeux, c’est qu’une chose, apparemment si fragile, ait pu traverser le temps sans dommage.
Qu’est-ce qu’un œuf ?
Vu de l’extérieur, on voit une coquille calcaire, fine et légère.
Et de l’autre côté, donc à l’intérieur de ce délicat rempart, se trouve une membrane qui retient le blanc ou albumen, et le jaune.
Et c’est tout.
Si peu, en réalité.
Combien de fois ai-je acheté une boîte de 6 œufs et ai-je rouspété en trouvant l’un d’eux, cassé, tout visqueux, dans le coffret sensé le protéger !
Et puis, ironie du sort, le voici, lui, 130 Millions d’années plus tard, tout fiérot, intact, qui vient me narguer : «  Coucou, c’est moi ; je suis un œuf… et tralali… et tralalère… et tu n’es même pas capable de deviner qui étaient mes parents… et je suis tout beau… tout pimpant… tout ENTIER ! ».
« Hé bien toi », que je lui rétorque, « Tu as eu de la chance de vivre à une époque où l’homme n’existait pas. Car, aujourd’hui, ça ne ferait pas un pli ! Tu finirais cuit dur, ou brouillé, ou en omelette ( ou tortilla, si tu étais né en Espagne !), ou à la coque.
Ha ! A la coque ! Ce mot chaque fois me met en joie. Voici pourquoi : la Sainte Patronne du Sacré-Cœur sur la Butte Montmartre à Paris, porte le nom de Marguerite-Marie Alacoque. En un seul mot : A.L.A.C.O.Q.U.E. Officiel. Amusant, non?
Et l’œuf au plat ! Je vais te faire rire :  quand il y en a deux, je pense systématiquement à Sainte Agathe, jeune vierge du IIIème Siècle, toujours représentée dans les églises,  tenant un plateau avec ses deux seins coupés dedans. Ce fut le martyre de cette pauvrette qui a voulu défendre sa vertu.
Sinon, mon bel ami, tu vas pouvoir te rengorger encore. Sais-tu que le mot « œuf » est très employé dans le langage courant ?
Ne dit-on pas « marcher sur des œufs ? » quand on avance avec précaution ou que l’on doit se conduire avec une extrême circonspection.
« Mettre tous ses œufs dans le même panier », signifie placer tous ses fonds au même endroit.
Il y a aussi l’oeuf de Christophe Colomb, qui est une chose élémentaire, mais à laquelle il fallait songer.
«  L’œuf du Diable » est un champignon.
Chez les skieurs, la position de l’œuf est un grand classique.
Quand on dit d’une personne qu’elle tondrait un œuf, c’est que l’on a affaire à un avare qui cherche du profit.
Il existait un œuf en bois, utilisé autrefois pour raccommoder les chaussettes et les bas
Faire l’œuf, signifie faire l’idiot.
Envoyer quelqu’un se faire cuire un œuf, c’est l’éconduire d’une façon familière.
Etre plein comme un œuf, signifie qu’il ne reste guère de place, ou être ivre !
Plus gracieux, à Pâques, la tradition veut que l’on offre des œufs en chocolat.
Et puis, très couteux, un joaillier pour la Cour des Tzars de Russie, à la « Belle Epoque », avait réalisé ses fameux « Oeufs de Fabergé », chefs-d’oeuvre décoratifs, composés de métaux précieux et de pierreries fines.
Incontestablement, l’œuf, évoque la fragilité.
Mais, voyons le problème au second degré.
Dans ces conditions, tu es, en quelque sorte, la preuve du contraire !
Sous un aspect, certes, délicat, voilà une chose qui est à la base de tout, qui est à l’origine du monde, qui est la vie même, qui est entourée de légendes, qui offre à la langue française une grande richesse d’expressions ».

Perdue dans mes réflexions, je n’avais même pas conscience que la pluie s’était mise à tomber dru.
Je rentre chez moi au triple galop, toute heureuse, avec ma trouvaille que j’installe immédiatement à la place d’honneur, dans ma vitrine, au milieu de mes autres fossiles.
Ensuite pour me requinquer, craignant d’avoir pris froid, je me rends dans ma cuisine afin de me préparer une boisson chaude. Et, en attendant que l’eau bout, voulant calmer une fringale naissante, je gobe un œuf, sans me poser de question.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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