SAMEDI 4 FEVRIER 2012
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Le monologue du plaisantin 2"

Animation : Régis MOULU

Comédienne présente :
Sophie PEAULT

Thème :

Quiproquos à qui mieux mieux

Les quiproquos et autres malentendus créent toujours le trouble ou le désordre. Il s'agira donc dans notre texte de tout baser sur une incompréhension

Et plus elle portera sur un sujet grave, et plus la drôlerie et la révélation de la vérité seront décapantes. Ne serait-on pas toujours l'idiot d'une situation ?

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet "la personne qui parle est indignée, voire très en colère : elle s'insurge contre quelque chose d'inadmissible, mais cette chose étant le fruit de son incompréhension, elle passera pour un crétin" a été énoncé en début de séance.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support portant sur la technique de mise en place d'un quiproquo avec de nombreux exemples scénaristiques a été distribué... en sus du "syllabus" pour les nouveaux arrivants, bien sûr, trop cool, non ?!


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):

- "Médecine parallèle" d'Angeline LAUNAY

- "Quel cinéma !" de Janine NOWAK



Sophie PEAULT interprétant un texte tout chaud (coll. J. NOWAK)


"Médecine parallèle" d'Angeline LAUNAY

- Allo, bonjour monsieur, est-ce que je peux parler au Docteur Garde ?
- Non madame, le Docteur Garde n'est pas là aujourd'hui.
- Alors, pourrais-je parler au docteur de garde ?
- Madame, je ne suis ni le Docteur Garde, ni le docteur de garde. Le Docteur Garde sera là demain matin. Si vous voulez rappeler…
- Mais serait-il possible d'avoir un docteur de garde ?
- Je vous l'ai dit, madame, je ne suis pas le docteur de garde !
- Monsieur, si vous n'êtes ni le Docteur Garde, ni le docteur de garde, qu'est-ce qui vous empêche de m'indiquer un docteur de garde ?
- Si vous permettez, je m'en garderai.
- Et de quel droit, je vous prie ?
- Ca me regarde.
- Ah parce que ça ne me regarde pas, moi ! Je suis bien à un cabinet médical… Il se trouve que le Docteur Garde est mon médecin de famille. Que je l'appelle par mégarde est un fait incontestable mais que vous refusiez de baisser la garde, ça dépasse l'entendement ! Puis-je savoir au moins qui vous êtes ?
- Je suis le gardien.
- Ah, vous gardez le cabinet ?
- Pas seulement…
- Et qu'est-ce que vous gardez d'autre, si ce n'est pas indiscret ?
- Avec vous, madame, j'essaie de garder notamment… mon sang froid.
- Voilà la meilleure ! Non seulement vous ne pouvez accéder à aucune de mes requêtes, mais en plus vous avez du mal à garder votre calme ! Pour un gardien…
- Vous permettez… je garde ce qu'il me plaît de garder. Pour qui m'avez-vous pris ?
- Je vous ai pris pour le Docteur Garde.
- Oui je sais, et aussi pour le docteur de garde.
- Etant donné que vous n'êtes manifestement ni l'un ni l'autre, il serait souhaitable que vous vous substituiez à l'un ou à l'autre…
- Vous plaisantez j'espère, madame.
- Pas du tout ! Vous ne pensez quand même pas que j'appelle pour rien… Je ne me sens pas bien du tout !
- Je ne vois pas ce que je peux faire, sinon vous mettre en garde.
- Contre qui ? Contre vous ?
- Si ça vous est égal que je ne sois ni le Docteur Garde ni le docteur de garde, c'est votre problème !
- Bien sûr que j'ai un problème ! Je crois même que ma fièvre est montée depuis que je suis en ligne avec vous.
- En ligne peut-être… mais pas sur la même longueur d'ondes… si vous voyez ce que je veux dire…
- Et comment dois-je prendre cette remarque ?
- Je crains que les choses ne finissent par tourner au burn out.
- Vous parlez de ma fièvre ?
- Entre autres choses…
- Au fait, vous n'auriez pas une petite idée sur ce que je couve ?
- Ah ça - j'allais dire, ma poulette - excusez cette analogie… Non, je n'en ai aucune idée.
- Mais vous travaillez bien dans un cabinet médical… Vous êtes le garant de ce qui s'y passe…
- On peut dire ça comme ça.
- Alors, je brûle ou je ne brûle pas ?
- Ah ça, pour brûler…
- Vous voyez que vous êtes capable d'un diagnostic !
- Je suis capable de bien d'autres choses…
- Que voulez-vous dire par là ?
- Je ne me contente pas de gardienner. Je peux en effet diagnostiquer mais aussi domestiquer, polémiquer… Que croyez-vous que je fais, là ?
- Vous répondez au téléphone.
- Exactement. Tout ce que je peux dire, madame, c'est que vous n'avez, de fait, pas l'air d'aller très bien.
- Vous voulez dire… mentalement ?
- Vous me l'enlevez de la bouche.
- Sur quoi vous basez-vous pour un tel diagnostic ?
- C'est simple, il suffit de s'attaquer à la cause et pas seulement aux effets.
- Pour un gardien, vous êtes surprenant.
- J'ai suggéré que le gardiennage n'était pas mon unique finalité.
- Mais le Docteur Garde ne m'a jamais tenu de tels propos…
- Le Docteur Garde n'est pas gardien.
- Et l'origine de la cause… pour vous, ce serait quoi ?
- Je vous sens… un peu confuse…
- Pourtant, je ne perds jamais le nord.
- Autrement dit, vous savez où vous voulez aller mais vous ne savez pas trop comment…
- Ca alors, c'est bien la première fois qu'on me dit ça !
- C'est bien la première fois qu'on me le demande !
- Je crois que ma fièvre s'atténue.
- Une fièvre, ça ne disparaît pas comme ça.
- Là, vous m'inquiétez.
- C'est vous qui m'inquiétez.
- Il faudrait que je vienne vous voir - c'est drôle - j'allais dire " vous consulter ".
- A part que le cabinet est fermé aujourd'hui.
- Vous ne pourriez pas faire une exception pour moi ?
- Ca ne dépend pas de moi, madame.
- Ca dépend de qui ?
- Du Docteur Garde.
- Celui-là, il nous empêche de tourner en rond.
- Vous disiez tout à l'heure que vous vouliez le voir, lui et personne d'autre.
- Je n'ai pas dit " lui et personne d'autre " !
- Mais vous l'avez pensé.
- Qu'en savez-vous ?
- C'est le ton sur lequel vous avez dit : " est-ce que je peux parler au Docteur Garde… "
- Je ne m'en étais pas aperçu.
- Moi si.
- Après ce que vous m'avez dit, je me demande si le Docteur Garde peut encore quelque chose pour moi…
- C'est lui le médecin, pas moi.
- Mais vous m'avez fait remarquer qu'en fait, il ne s'attaque qu'aux effets… Vos méthodes semblent plus efficaces… gardiennage, diagnostiquage, domestiquage, polémiquage…
- Vous retenez bien les leçons.
- N'en croyez rien ! J'étais un cancre à l'école.
- Moi aussi.
- S'attaquer à la cause...
- Et pas seulement aux effets… Si ça avait été le cas, qui sait si nous ne serions pas devenus moins cancres…
- Moins cancres… Sans rire, ma fièvre a vraiment baissé. Je crois même qu'elle a disparu.
- Moi ça me fait rire…
- Quoi donc ?
- Votre fièvre… Qu'elle ait disparu…
- Un rien vous amuse, vous.
- Un rien.

 

"Quel cinéma !" de Janine NOWAK

Enfin, te voilà ! Je vais pouvoir te raconter !  Ca me soulagera, j’en ai besoin ; j’en suis encore toute remuée. Oh ! Je suis outrée, scandalisée !
Figure toi que j’étais là, tranquille, prenant un instant de repas à la terrasse de ce petit café, t’attendant sagement.
J’écoutais, charmée, le chant des cigales provenant du pin parasol et le clapotis de l’eau de la fontaine.
Un chien, offrant son ventre aux rayons du soleil, rêvait en gémissant.
A part moi : personne.
Le patron du troquet, un brave grand-père, fuyant la chaleur, était retourné dans son antre.
Bref : le paradis terrestre. La béatitude.
C’est alors, que débouchant de la ruelle que tu vois sur la gauche, arrive une décapotable avec un type au volant. Tu me connais, je ne suis pas vulgaire et en temps ordinaire, je n’aurais jamais parlé d’un monsieur en disant  « un type ».
Mais là… là… après ce qu’il m’a fait !!!
Il passe donc devant la terrasse, me jette un regard, puis pile net. Il coupe le moteur de son bolide, en sort, s’avance résolument vers moi, en me fixant avec des yeux hors de la tête.
Je suis sur mes gardes, tu t’en doutes. Je n’aime pas être abordée par des inconnus, et surtout d’une façon aussi cavalière.
Il se plante devant moi, me scrute encore un petit moment en silence, et là, tu sais ce qu’il me dit ? Je te le donne en cent, en mille ! Ni bonjour, ni rien. Il me dit, tout à trac : «  Fantastique, vous êtes la prostituée de mes rêves ! »
Non mais tu imagines ??? Je suis là, modestement assise dans un coin désert, sage comme une image, n’embêtant personne. Et un sale type - oui, je maintiens le terme - un sale type me traite de pute !
Quoi ? Non, il n’a pas dit pute. Il a dit textuellement : « La prostituée de mes rêves ». Mais bon, le résultat est identique, tu ne trouves pas ?
Je refuse de nourrir les fantasmes des détraqués !
Enfin ! Quand même ! Je suis issue d’une famille très honorable. J’ai fait des études littéraires poussées. Afin de mieux apprécier les beaux textes, j’ai pris des cours d’Art Dramatique. Et c’est là que le déclic a eu lieu. Le théâtre ! La magie du théâtre ! Un monde, un univers merveilleux s’ouvrait à moi. Après, tout s’enchaîne ; le Conservatoire où je rafle les premiers prix à l’unanimité.
Et enfin, consécration suprême : la Comédie Française ; depuis trois ans je baigne dans les grands classiques. Un régal. Oh, je ne suis pas encore une tête d’affiche, mais je commence à faire mon trou.
Et puis voilà : je prends huit jours de repos bien mérité dans le Midi, j’essaie de reprendre des forces pour la saison prochaine, de me détendre, de me ressourcer, de ne faire qu’une avec la nature … et patatras. Ce gros balourd passe et m’insulte.
Je suis pétrifiée, effondrée. J’exagère, dis-tu ? Peut-être, mais tu sais comme je suis fine, délicate, hypersensible - c’est notre lot à nous autres, artistes, la sensibilité -. Je ne supporte pas la médiocrité, la petitesse, la bassesse. Voilà.
J’admets que je suis restée timide, un peu fragile et sans doute trop fleur bleue.
Aussi, je ressens les écarts de langage comme de la brutalité, de la bestialité.
Alors, que ce triste individu ose me prendre pour ce que je ne suis pas… me révulse et m’anéantit.
Cette façon de me foncer dessus tel un animal sauvage… c’était horrible, ignoble ! Je me suis sentie agressée. Oui, véritablement agressée.
Hein ? Comment il est, cet homme ? Est-ce que je sais, moi ?
Est-ce qu’on le détaille, un dégénéré pareil ?
Bon, si tu y tiens : on peut dire qu’il n’est pas très grand et assez rondouillard.
Non, mais, ça t’avance à quoi la description de ce malotru ?
Tu insistes ? Enfin… si ça t’amuse !
Ses cheveux ? Blancs, tout blancs.
Plus très jeune, la cinquantaine bien entamée. Le type Méditerranéen, quelque chose comme Catalan, Espagnol, quoi. Et un accent du genre ibérique.
Mais qu’est-ce que c’est ce papier que tu tritures depuis un moment ? Ah, tu l’as trouvé sur la table ?
Oui, je me souviens, c’est cet homme qui l’a posé en s’en allant.
Sans doute son numéro de téléphone à cet ignoble !
Hum ? Que dis-tu ? Que je ferais bien de le regarder de plus près, ce bristol ? Et pourquoi, s’il te plait ? Tu imagines peut-être que je vais aller lui vendre mon corps, à cet excité ?
Bon, bon, je me calme et je t’écoute.
Pedro ALMODOVAR... Comment ça Pedro ALMODOVAR ?
Le… le… le… carton… porte le nom de…  Pedro AL-AL-MO-DO-DO-VAR ?
Pas croyable !!!  Ce serait lui ?
Mais alors, j’ai tout faux !
La prostituée… ce serait pour un rôle !
Et qui sait…  LE  rôle principal ?
Il avait vraiment des yeux de fou en me voyant. C’est donc ça…
Serais-je  « SON »  futur personnage ?
Moi, détrôner  Penelope CRUZ !
Mais ce serait la consécration totale, absolue, brutale et inespérée !
Mon Dieu, mon Dieu… Vite, mon téléphone.

Allo… Monsieur ALMODOVAR ? Bonjour Monsieur. Excusez-moi de vous déranger. Je suis la jeune femme de la terrasse du café et je m’empresse de…

 

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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