SAMEDI 13 janvier 2018
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Les ingrédients d'une bonne histoire"

Animation : Régis MOULU

Thème : Refuser, comme pour agrémenter le drame

Le coup de théâtre nous guette. En effet, au cours de cette séance nous allons explorer le refus. Quelqu'un qui résiste à un appel, ou qui s'oppose, ou qui doute au point de devenir sec constitue un contrepoint dramatique. Ainsi une tension règne et le suspense grandit, et ce d'autant plus qu'elle émerge comme une surprise! Parfois même, une petite névrose contrarie un grand destin (survenue du comique)!...

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : « Il se trouva soudainement comme écrasé par sa condition et se sentit totalement désarmé pour réaliser ce qui lui tenait le plus à cœur » : tel est ce que va vivre votre personnage principal [et donc ce qu'il va vous va falloir développer !]
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support portant notammetn sur les "croyances limitantes" a été distribué en ouverture de session.

 

 

 

 

 

 

 

 



 

 

 

 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "La renaissance" de Christiane FAURIE

- "Guérison" de Nadine CHEVALLIER

- "C'est finalement dans le cocon" de Janine BURGAT

- "Insomnie" de Caroline DALMASSO

- "Au petit matin" de Janine NOWAK

- "Là où le soleil fait de la mer une confiture de lait" de Régis MOULU

 

 

"La renaissance" de Christiane FAURIE

J’étais désormais seule. Mon divorce m’avait laissée chancelante et la fin de vie commune avec Charles mon compagnon me donnait le vertige. Mon ex mari avait eu l’élégance de déménager tout le mobilier et les objets accumulés depuis toutes ces années de vie commune. J’avais du me battre pour survivre et je me faisais sermon de ne plus jamais me laisser dominer pour un homme quel qu’il soit. Je reprenais ma vie en main. Je m’adonnais alors à une frénésie d’aventures sans lendemain qui avaient l’avantage de ne pas m’aliéner et de ne pas me faire courir le risque de me tromper en m’engageant. Je changeais aussi d’employeur comme bon me semblait. Je collectionnais les rencontres et accumulais les expériences qui allaient nourrir mon grand projet de vie. C’était sûr, j’étais maîtresse de mes choix. Je fuyais ma famille trop ancrée dans la misère de peur d’y plonger. Je voulais réussir. Mais seule, cela me semblait inatteignable. Ma mère ne dirigeait son regard que sur son moi dévasté alors que j’aiguisais le mien prêt à saisir toutes les opportunités. Mais quels projets pouvais je réaliser ? Collectionner les amants ne pouvait être une fin en soi. Ma vie était sans surprises : la semaine, vendeuse de chaussures et le week-end, je le passais en boîte avec les copines. Ma vie était rassurante de régularité mais si monotone. Pourtant, on recherchait ma présence. J’aimais m’amuser et entraîner les autres dans une ambiance festive. Les copines jouaient les marieuses en me présentant tous les hommes des environs qu’elles avaient à connaître de près ou de loin. C’était assez cocasse. J’étais devenue l’essayeuse d’hommes qu’elles convoitaient en secret. Je leur offrais du rêve, peu avare de détails croustillants qui les faisaient rire aux éclats. Devenue l’attraction du groupe, je me perdais petit à petit dans cette course sans fin mais j’étais si seule. Un soir, un homme entra dans la boîte et je l’observais amusée. Ses lunettes de myope déformaient ses globes oculaires et me faisaient penser à Eli Semoun débitant ses sketches sur les blondes à forte poitrine. Ses cheveux noirs crépus dessinaient une auréole informe au dessus de sa tête. Et pour couronner le tout il portait une barbe fine en collier, caricature du pervers. Il était affublé d’une chemise ceintrée recouverte d’un tricot sans manche du plus bel effet. J’entendais les copines glousser dans mon dos quand elles le virent s’approcher de moi discrètement. Il m’invita à danser et j’acceptais en pensant que ce serait l’attraction de la soirée. Il s’avéra être un bon danseur, c’était déjà ça ! Il engagea la conversation et je gardais le visage fermé. Et puis quoi encore ? Bienheureux d’avoir obtenu cette danse avec moi que s’imagine t’il ? Se croirait-il à la hauteur de mes ambitions ? Les copines le connaissaient. Il travaillait au sein de l’EDF. Et alors ??? Je l’éconduisis vertement à la seconde sollicitation dès les premières notes d’un tango langoureux. Le lendemain, en ouvrant le magasin, il était là avec un bouquet de fleurs. Je le remerciais poliment en manifestant mon peu de disponibilité, je dois accueillir la clientèle. Le soir, à la fermeture, je l’aperçus. Je sortis discrètement par l’arrière, ma patronne encore présente dans la boutique. Tous les jours suivants il se présenta devant la grille l’air éploré. Après quelques jours de cet étrange manège, il proposa de prendre un verre et de poursuivre la conversation autour d’une pizza. Sans projet le soir et mon fils en internat de semaine, j’acceptais. Le dîner se passe bien mais au moment de régler l’addition, il proposa de partager les frais. Je me levais d’un bond, laissant la monnaie et lui annonçant qu’il ne sera plus nécessaire de venir me voir car je déteste les pingres, et je tourne le dos. Le lendemain, il m’attendait en suppliant de lui pardonner. Il proposa que je choisisse moi même le restaurant de mon choix qu’il m’offrait avec plaisir. Je choisis l’étoilé le plus cher de Clermont. Cette mise à l’épreuve serait déterminante. Il ne broncha pas à la vue de l’addition un peu lourde et proposa même d’aller boire un verre chez lui. Il s’effaça élégamment devant moi pour me laisser pénétrer dans sa demeure. Et là, je réprime un cri d’horreur. Je m’imagine chez mes parents avec leur décoration de laborieux, sans esthétique. Mon passé me saute brutalement au visage et je recule sous le choc. Je pars en courant sans pouvoir prononcer un mot. J’étais en proie à une panique effrayante. Non, je ne pouvais me laisser à nouveau happer dans cette direction. J’avais gravi unes à une les marches de la reconnaissance, ce n’était pas pour faire marche arrière maintenant. Il m’adressa alors des courriers plus émouvants les uns que les autres auxquels je ne répondais pas. Pourtant je ne pouvais nier que pour la première fois de ma vie quelqu’un prenait soin de moi. Ses mots étaient attentifs, tendres, bienveillants, amoureux. Je me pris à le regarder sans jugement définitif. Il était prêt à tout pour me conquérir. Je le revis. Je lui annonçais tout de gob toutes les épreuves qu’il aurait à subir pour me plaire. Il me donna carte blanche afin de changer toute la décoration de sa maison et d’effacer toute trace de son ancienne compagne. Il devait aussi revoir sa manière de se vêtir, se coiffer, vivre… Il accepta avec joie. J’envisageais la vie à ses côtés paisiblement. Ce compagnon me redonnait le goût de l’aventure et des grands projets enfouis. Il saurait m’aider à les atteindre.

 

"Guérison" de Nadine CHEVALLIER


Pierre restait très inquiet. Sa mère se remettait difficilement de son AVC. Il passait les après-midis près d'elle. Il avait loué une chambre d'hôte en bord de Loire à Orléans pour éviter les longs trajets quotidiens. Pauline décida de l'y rejoindre quelques jours. Sa présence n'étant pas indispensable au bureau en ce début de mois, elle obtint une semaine de congé. Elle n'avait pas encore parlé à Pierre de son « expérience lunaire », ainsi nommait-elle ce qu'elle avait vécu par deux fois lors des séances de méditation. Elle prit prétexte d'apporter son soutien à son mari sachant au fond d'elle même que c'était pour fuir. Être à Orléans, mettre tous ces kilomètres entre elle et le gymnase, quelle meilleure excuse pour manquer la prochaine séance. Elle en aurait remercié Jacqueline d'être malade - si elle n'avait eu aussi honte de cette pensée. Au chevet de sa belle-mère qui dormait, Pauline se tourmentait, la tempête se déchaînait de nouveau dans sa tête comme si souvent depuis une semaine. Quelle lâche je suis. Je n'ai qu'à dire que je ne veux plus y aller, j'arrête le méditation. Pourquoi chercher des raisons extérieures ? Avoue le, ma fille, tu meurs de trouille ! Eh bien oui, je le reconnais, j'ai la trouille. Y'a pas de quoi peut-être? Avoir l'esprit envahi par des puissances extraterrestres qui te parlent de l’intérieur et connaissent toutes tes pensées avant toi, même les plus secrètes, ça n'fout pas la trouille peut-être ? Et se demander si c'est vrai ou si tu débloques à fond les manettes, ça n'fout pas la trouille ? Bon d'accord, je reste consciente, je me questionne donc je ne dois pas être si folle. Les fous savent-ils qu'il sont fous ? Et des extraterrestres ! Où serais-je aller chercher ça ? Je ne lis jamais de science fiction … Et des cailloux comme carburant ! Mais c'est débile ! Oui mais qu'est-ce que j'en sais ? On aurait dit à Christophe Colomb qu'on pourrait voir l'Amérique dans une petite fenêtre qui tient dans une poche, qu'est-ce qu'il aurait dit ? Comme moi avec mes cailloux ! Mais pourquoi ça me tombe dessus cette histoire ? Un esprit vagabond, il a dit, l'autre E.T , c'est bien ma veine… Non, non , je n'y retourne pas … Même si c'est vrai et qu'ils sont en détresse là haut dans leur vaisseau extramachintruc, ils sauront bien trouver quelqu'un d'autre pour les sauver. Je ne suis pas le seul esprit vagabond au monde – ou alors je serais vraiment exceptionnelle, ça se saurait … Mais si tout ça, c'est mon imagination, pourquoi ça ne m'arrive que dans ce gymnase ? Et pendant la relaxation ? La première séance aussi j'ai vagabondé et il ne s'est rien passé … Peut-être que les E.T n'étaient pas encore tombé en panne il y a trois semaines ? C'est quand même insensé que ce soit pile pour moi, je devrais jouer au loto ! Il faut que j'en parle à Pierre, lui, c'est un cartésien, il saura me dire comment faire … ou se moquer de moi, oui ! Il va me dire « que la force des cailloux soit avec toi, Maître Yoda ». Il ira même me chercher des cailloux si ça se trouve ! Cette dernière pensée amena un sourire sur le visage de Pauline qui revint à la chambre d'hôpital. Assise près du lit, elle tenait dans la sienne la main frêle de Jacqueline. On lui avait retiré son vernis à ongles. Mais Pierre avait tenu à lui remettre sa bague préférée, un anneau doré orné d'une pierre ronde bleutée. Pauline frémit en la regardant. A cet instant, Jacqueline ouvrit les yeux. Voyant sa belle-fille, puis son fils assis dans le fauteuil au bout du lit, elle soupira et dit d'une voix douce, un peu enrouée : « Ah, vous êtes là. Je me sens bien à présent, je crois que je suis guérie. Pauline, tu leur diras bien merci pour moi, ils m'ont vraiment aidée tu sais. »

 

"C'est finalement dans le cocon" de Janine BURGAT


C'est finalement dans le cocon poussiéreux de son salon qu'Aurélie installe Ana. La regarder retirer ses bottes, ouvrir son vieux sac boueux assise sur un fauteuil verdâtre lui fend le coeur. On dirait la petite sirène perdant ses écailles d'argent au pays d'Alice et ses merveilles. Aurélie est presque plus inquiète pour son amie que pour la situation de ce jour nouveau. Pourtant, que feront-elles si la furieuse monte encore ? Elle sent un gouffre s'ouvrir dans son estomac. Penser à Ana referme le gouffre instantanément. Des nouvelles sont arrivées par la petite radio qu'Aurélie alimente de quelques piles quand le besoin d'écouter le monde devient envahissant. Le barrage régional très en amont s'est fissuré largement. Pas de ville importante sur le trajet de la rivière, quelques villas d'été, des guitounes de pêcheurs ou des cabanes de jardin plus ou moins aménagées à la belle saison. Aucune victime à déplorer à cette heure, disait le communiqué. Mais qu'un orage se redessine à l'horizon et il faudrait évacuer toute âme qui vive dans la plaine. De l'eau en abondance venant du ciel viendrait grossir la plaie déjà béante au coeur du barrage. S'il cédait, alors la furieuse s'étalerait de toute sa force sur la nature ombragée, sur les champs fleuris des deux bords ; la furieuse avalerait tout et se referait un lit de terres biens fournies pour y loger l'eau de ses artères. La plaine disparaitrait. Et la maison ? Voir disparaître sa maison en feuilles ? Tout s'ébranlait dans les veines d'Aurélie à cette simple pensée. Où iraient elles les deux vieilles ? Grossir les rangs des pauvres gens d'abord et après ? Ana, elle n'y perdrait pas trop au change, mais elle, Aurélie Bouchard, laisserait ses petits pas trottinant sur le perron, dans les allées du jardinet, et pour trottiner de nouveau, mais où ? Derrière quels murs ? Quelle misère ? En bravache, elle se dit qu'elle tendra Ana en premier dans les bras des jeunes sauveteurs venus les chercher. Elle, Aurélie, fermera alors et ses oreilles et sa porte d'entrée sur les crisde son amie. Elle se barricadera avec ordre de la laisser, de rebrousser chemin sans se retourner. Et elle s'imagine. Je monterais au premier, comme sur le pont d'un navire, et accoudée à ma fenêtre bastingage je profiterais du dantesque, du grandiose spectacle avant de sombrer. Sombre-t-on vite dans cette situation ? Sûrement pas, lui dit une toute petite voix à peine audible. Oui, mais quelle fin ! Tu serais engloutie; Se laisse-ton engloutir sans crier, sans bouger, sans se rebeller ? C'est bien beau, ma belle dit la petite voix, mais tu n'es sûrement pas assez courageuse pour sombrer sans réagir. Tu ne sais même pas nager ! Suffit juste de choisir et de décider. Le reste... Ana lui en voudrait, sûrement, mais quelle fin de reine ! On voit ça dans les histoires, les épopées, les scénarios mais pas dans la vraie vie. Pas dans la sienne. Que diraient les siens ? "Notre mère avait quand même un sacré tempérament !" diraient les plus orgueilleux. "Quelle égoïste !" diraient les plus doux. "Une maison n'est la vie ! " Et bien si. Sa maison était sa vie, sa maison est sa vie. Et si les éléments lui en laissent encore le temps, elle prendra le temps d'y réfléchir et de choisir. Choisir c'est renoncer. Choisir quoi ? Pour renoncer à quoi ? Qui pèsera le pour et le contre sinon elle, rien qu'elle ? A chaque décision importante Aurélie a déroulé une feuille blanche. Un trait au centre. Le positif de la dite décision d'un côté, de l'autre côté le négatif. Une vie, une colonne. Une autre vie, l'autre colonne. Et derrière chaque argument soulevé, derrière les mots sur la feuille, tout le reste, des faits, des actes, de nouvelles rencontres, tout ce qui dessinera une nouvelle vie, encore floue, mais nouvelle vie tout de même. Que la colonne la plus fournie d'arguments gagne ! ou perde ! La balance peut pencher d'un côté ou de l'autre, selon celle qui est la plus lourde ou la plus légère en conséquences. Et souvent elle s'y tenait. Souvent. Ana ne doit rien savoir de toutes ces cogitations. Il suffit de surveiller le ciel. Le communiqué a aussi évoqué le lac, tout en aval, annonçant qu'un surplus d'eau brutal entrant dans le lac ferait surgir une énorme vague, un choc, un tsunami quasiment à hauteur du hameau et de la maison. La vague d'amont embrassant la vague d'aval dans une énorme gerbe d'eau mousseuse. Comme un énorme baiser de géants. Voir ça, se laisser engloutir et disparaître, ça aurait de la gueule ! Ana a quitté ses bottes et trotte en chaussettes jusqu'à la cuisine. - J'ai comme une petite faim. Aurélie ramasse ses fantasmes d'apocalypse. - On va se faire une omelette dit-elle en ouvrant le placard attenant à sa cuisinière, un torchon sur l'épaule. "Après le repas tu montes au premier. Je te donne les jumelles et sur la gauche, surtout, tu scrutes le ciel, c'est par la gauche que les orages se forment d'habitude. Le moindre nuage, le moindre bruit. Tu fais le guet. - Et toi, tu feras quoi ? demande Ana. - Je vais réfléchir, dit Aurélie pensive. Réfléchir. - Y a pas à réfléchir, dit Ana, faudra partir c'est tout. Si ça se gâte, moi je crois que je suis prête. Je ferais ma vie ailleurs, tu sais.Pour le temps qui me reste... Près de l'eau sûrement, mais ailleurs. Ca serait l'occasion. J'y ai souvent pensé certains jours. Ma bicoque certains soirs elle me sort par les yeux. Aurélie ne répond pas. Si l'eau du robinet coulait normalement et non pas ce mince filet ridicule très anormal, si le soleil enfin libéré se montrait pour réchauffer son esprit de plus en plus inquiet, alors ce repas pris toutes les deux, sur le pouce, bien au chaud, serait un moment de grâce. Là, ensembles, devant leur omelette et leur quignon de pain déjà humide. Mais le choix secret d'Aurélie lui laisse un goût amer qu'elle n'aime pas et son omelette pourtant réputée reste insipide au fond de sa gorge. Ana a mangé de bon appétit. Elle repousse sa chaise et se dirige vers le salon. Aurélie reste soudée à sa chaise. Quelle décision prendre à ce tournant de la vie ? Réaliser sa prouesse en se jetant dans le chaos ? Ou se réfugier dans les bras de ceux qui lui demanderont de vivre encore un peu ? De vivre comme ils le voudraient ! Pas comme elle voudrait ! Ana la tire de sa torpeur. - Je trouve pas les jumelles ! - J'arrive dit Aurélie. Des coups pesants à la porte font résonner toute la maison.

 

"Insomnie" de Caroline DALMASSO


C’soir là, la pleine lune qu’c’était. La lumière, elle rentrait si fort par l’carreau sale d’ma p’tite chambre, qu’on dirait qu’c’était fait exprès pour que j’dorme pas. Ca f’sait comme un grand champ blanc sur l’mur, un champ qu’avait pas d’sillon, où qu’on pouvait pas s’mer. Alors ça pouvait pas pousser. Ca f’sait comme un champ vide, un champ qui sert à rien, un champ qu’est mort. Et ma paillasse, au milieu qu’elle était, avec moi d’ssus, avec la lumière d’la lune dans la poire. Alors je m’tourne puis j’me r’tourne et puis j’me r’tourne encore et puis j’ferme les yeux. Et même les yeux fermés l’était toujours là c’fichu champ, bien planté. Dans l’milieu d’ma tête qu’il était et tout blanc. Blanc comme le linceul d’la Blanche, y a longtemps mais je m’souviens même que j’étais p’tiot. « Alors me v’là dans un champ où qu’y a rien qui pousse! » que j’me dis. Ben tiens, c’est qu’j’ai rien moi, rien qu’est à moi. Si, mes godillots, mon pantalon et ma ch’mise et mon chapeau. Et mon couteau aussi. C’ui là j’y tiens, c’est qu’il est beau, avec le manche tout sculpté, en corne qu’il est. Mais après? C’est vrai qu’c’est plus facile, avec rien, d’aller où qu’y a d’l’ouvrage. Avec l’ouvrage, y a la paillasse, la soupe et quelques pièces pour la s’maine. Et puis la compagnie aussi. Quand la fatigue elle t’envoie pas d’pieuter trop vite, on cause près d’la ch’minée ou on va faire un tour avec une fille. D’avoir rien ça m’a jamais embêté. Une chance même que j’trouvais qu’c’était. « J’peux aller où que j’veux! » que je m’disais, « libre que j’suis comme un oiseau! Et quand j’suis qué’qu’part, j’peux rester ou partir si ça m’chante! » D’la besogne partout y en a et des bras, toujours qu’y en aura b’soin. Mais j’suis jamais parti bien loin. Faut croire qu’j’étais bien, là où qu’j’étais, même avec rien. Mais l’vieux à la Germaine c’est pas qu’un garçon d’ferme qu’il veut pour prendre sa terre. Un gars qu’a rien, un gars qu’est rien, un gars qu’a juste des étoiles dans les yeux rien qu’à la voir de loin, avec ses ch’veux qui dansent dans l’vent et les fleurs d’ l’été. Un gars qu’a des papillons dans l’bide quand il r’connait dans l’air c’parfum qu’elle laisse flotter là où quelle est passée. C’t’odeur des champs après la moisson quand l’ciel nous a rincée la terre. C’t’odeur ou y a d’la vie où y a d’l’envie… C’est pas un gars comme ça qu’il veut l’vieux. Parc’que c’ui qu’aura la Germaine, il aura la terre aussi. Et ça pour l’vieux, ça compte p’t être même plus qu’sa fille. Moi, la terre, j’m’en fous, même pas qu’j’en veux. Moi j’peux être heureux avec rien. Et Germaine… Mais Germaine, est ce qu’elle peut être heureuse avec un gars comme moi? Un gars qu’a juste un couteau? Et puis elle belle, trop belle pour moi.

 

"Au petit matin" de Janine NOWAK


Déjà, le ciel n’était plus aussi sombre. L’aurore n’allait pas tarder à laisser glisser ses pâles et roses lueurs sur la contrée. Une aurore d’un jour décisif, à coup sûr. Mais aurore d’un jour de gloire ou de défaite ?
Adalbert ne s’était pas couché. Il avait passé la nuit à réfléchir.
La veille, les oracles interrogés comme de coutume, s’étaient prononcés. Mais leurs réponses étaient troublantes. Les sacrifices faits aux divinités ne semblaient pas avoir apporté les habituels encouragements. Aussi, après toutes ces heures de méditation, Adalbert n’arrivait pas à prendre position et il était tourmenté.
Il s’approcha de la couche où reposait paisiblement Edwina, son épouse.
Elle venait de lui donner un fils, Alrik.
Un sourire très tendre illumina le visage du guerrier. Il aimait sincèrement et passionnément cette jeune femme, sa femme. Le teint d’Edwina était lumineux et ses beaux traits reflétaient une vitalité et une intelligence hors du commun.
De fait, Edwina était courageuse, pleine de bon sens et Adalbert ne faisait pas fi des conseils avisés qu’elle lui donnait souvent. Très souvent.
Réfléchie, attentive, posée, elle prenait le temps d’analyser les situations les plus critiques, puis tranchait sans hésiter et choisissait la solution qui s’avérait toujours être la bonne.
Allait-il encore devoir faire appel à elle ? Il était le Roi et l’heure était venue de diriger, une fois de plus, tout un groupe de féroces combattants. Ces hommes rugueux le suivaient aveuglément et étaient prêts à se faire mettre en pièce pour lui.
Ah s’ils avaient su ! S’ils avaient su que la plupart du temps ils obéissaient à des ordres émanant d’une frêle jeune femme ! Quel mépris aurait été le leur ! Même Ditmar et Egmont, les fidèles et loyaux lieutenants d’Adalbert, n’étaient pas dans la confidence. Ils auraient été scandalisés d’apprendre que leur puissant chef, ce colosse qui semblait si sûr de lui, avait en réalité, souvent l’impression d’avancer dans un marécage. Plus Adalbert cogitait, et plus il pataugeait, s’embourbait, se perdait dans des méandres sans fin. Heureusement qu’Edwina l’épaulait !
La guerre. Toujours la guerre. Les combats incessants. La haine. La peur. La férocité. Le sang. La douleur. La barbarie. La mort.
Quel peuple de sauvages était le sien !
Etre fils de chef n’est pas une sinécure. Mais c’était ainsi. On ne choisit pas sa destinée. Il était l’aîné. Il régnait à son tour.
Son père, Gustav, un farouche et vaillant guerrier, était mort au combat, l’arme au poing, en invoquant le nom d’ODIN. Il avait eu de glorieuses funérailles, dignes de lui, le rite ayant été scrupuleusement respecté. Par une belle nuit étoilée, son corps, revêtu de sa tenue de combattant avait été allongé sur un drakkar, ses armes (glaive, bouclier et arc) installées à côté de lui. Puis le feu avait été allumé et le navire, envahi par les flammes, fut poussé sur la mer, vers le large.
Un beau moment d’émotion.
Adalbert avait respecté, admiré et vénéré ce père si courageux. C’était pour lui un modèle qu’il aurait aimé suivre. Comme il souhaiterait lui ressembler !  Mais il ne possédait pas la frénésie destructrice de son géniteur. Ce n’était pas dans son tempérament. Ses aspirations étaient tout autres. Il en était d’ailleurs un peu gêné. Aussi, n’en avait-il jamais parlé à quiconque. Car lui, ceux qu’il enviait, c’étaient les cultivateurs et leurs petites vies. Ou les bergers. Ah, être berger ! Aux beaux jours, conduire le troupeau loin de tout, loin du monde. Loin des cris et de cette violence. Quelles nuits paisibles, sous la voûte des cieux il passerait ! Et pendant les périodes de grands froids, il ne quitterait pas la bergerie qu’il aurait construite lui-même. Il ferait son fromage. Et à ses moments de loisirs, il sculpterait de petits personnages dans du bois tendre ou jouerait de la flûte. Car il appréciait grandement la musique. Il avait fabriqué de ses propres mains un rudimentaire pipeau en roseau. Et parfois, exceptionnellement, car il n’en avait guère le loisir et que l’occasion de se trouver seul était rare, il s’enfuyait dans les bois et composait de jolies mélodies. Même Edwina ignorait tout de ce passe-temps. Il n’en avait pas honte, tant son plaisir était grand dans ces précieux moments de détente. Mais personne n’aurait pu comprendre que lui, cette force de la nature à la voix tonitruante, avait un cœur de scalde !
Et sa vie continuait. Une vie qu’il n’appréciait pas. Une vie qu’il haïssait même, où le désespoir se mêlait à la colère.
Et cependant, puisqu’il était le chef, il devait toujours montrer l’exemple, avancer avec ardeur et enthousiasme, une arme à la main, au milieu des cris et des râles des mourants, interrompre des vies au fil de son épée, les vies de leurs ennemis. Mais ces ennemis, que cherchaient-ils ? La même chose qu’eux : ils voulaient agrandir leur territoire, posséder ce qui appartenait à d’autres.
Comme tout cela lui semblait vain. Pourquoi toujours massacrer ses semblables pour gagner quelques arpents de terre, souvent incultivables ? Ou voler quelques têtes d’un bétail rachitique ?
Parfois, il se sentait monstrueux et s’interrogeait : suis-je anormal ? Tous les autres semblent éprouver du plaisir à guerroyer. Et moi je ne rêve que de paix. Alors, qui a raison ? Qui est le monstre ? Moi ? Eux ?
Eux ! Oui, eux ! Ils sont tous fous. Fous de fureur. Fous de violence. Assoiffés de sang. Ils ne laissent que misère et dévastation derrière eux. Les champs de bataille sont épouvantables. Corps massacrés, démembrés. Villages incendiés. Femmes violées, puis égorgées ou éventrées. Enfants sacrifiés.

Le petit Alrik poussa un cri. Edwina ouvrit les yeux et vit Adalbert penché sur elle. Elle lui sourit, se redressa, émergea des fourrures qui la recouvraient et tendit ses lèvres à son mari pour un tendre baiser. Elle remarqua tout de suite le visage anxieux de son époux. Elle fourragea, mutine, dans la barbe d’Adalbert, et confiante, le doigt tendu vers le ciel laiteux, elle lui indiqua le chemin afin qu’une fois encore il fasse son devoir de chef. Sereine, elle était sûre de sa victoire.

 

"Là où le soleil fait de la mer une confiture de lait" de Régis MOULU, animateur de l'atelier

Des sillons à perte de vue : le peigne des charrues a, en ce lieu, redessiné la terre. Nouvel ordonnancement, nouvelle grandeur. Ici et là des arbres aux âges multiples, parfois majestueux, professaient leur patience inégale. Plus largement, une troupe de couleurs avait invité une farandole de formes à s'asseoir : tel était notre beau pays de l'Oise en ces dix-neuf heures au cadran. Et le soleil suspendait sa messe, ce qui fit perdre aux oiseaux leur électricité. Le calme s'imposa, initié par les bras insidieux d'un air frais et gaillard. Sis à ce vaste paysage que noyait le vinaigre balsamique de la nuit, le village soulageait ses vieilles pierres que la journée avait enflées. La masure de Gauvain et Gauthier respirait, exultait quant à elle. Les deux frères profitaient d'être à table pour détrousser leur âme au moyen de dispendieux gestes et de surproduction de salive. Un drame, comme seul le diable peut l'imaginer et le mettre en œuvre crispait en effet la région, entravait leur bonheur. Après avoir dévitalisé tronc sur tronc, des insectes maudits écumaient bosquet sur bosquet, verger sur verger. Et quand la mort reprend ses envies de fraterniser avec l'absolu et d'en dispenser des preuves manifestes, tremble étique campagnard ! Et déjà de petites filles voulant croquer dans un fruit, en lieu et place, goûtaient à la tristesse, au manque et au désarroi… c'est à mordre dans son chat; pourrait-on penser, a-t-on pu raconter ! Que faire ? Aussi Gauthier et Gauvain, les deux frères courageux avaient été mandatés par le maire pour enfumer et brûler les zones touchées, voire plus, par sécurité. Sur le moment, ils avaient accepté, conscients des dégâts observés et de leurs peines engendrées, ais à présent, mettre en cendres les exploitations des voisins en risquant l'incendie incontrôlable et surtout ôter à la nature ses couleurs et sa beauté considérable leur donnait le vertige, la nausée… Dès lors, quoi décider, fuir ou faire, obéir ou objecter contenter ou contrarier ? Cette soirée les mena dans les labyrinthes de leurs pensées où valeurs enfouies ressurgirent comme des vieux spectres tantôt souriants tantôt grimaçants. À quoi tenaient-ils le plus ? Pourquoi devaient-ils être les acteurs auteurs de l'irrémédiable ? Et, finalement, un insecte, n'est-ce pas un humain qui a réussi à faire quelque chose de son humilité ? Ils se surprirent à rêver qu'ils auraient pu développer leur vie ailleurs, là où le soleil fait de la mer une confiture de lait. « Mettre le feu », cette action appartient davantage aux Vikings, aux casques à cornes et autres barbares capables de tous les viols, or les deux frères ne perdaient pas une occasion de célébrer la vie et donc la nature qui leur avait appris tant de choses, rythmer leur journée, leur calendrier, ils tiraient d'elle mille et une inspirations. À voir un peuplier, ils en ressentaient l'impression d'être plus grands, plus droits et comme dotés de la silhouette d'une flamme. De la biche qu'ils surprenaient à l'aube, farouche comme une nouvelle recrue parachutée au milieu d'un terrain miné, voilà qu'ils pensaient, rien que par la convocation de cette image, être pourvus de son agilité et de sa candeur ; se sentir coiffés par de semblables oreilles leur frôla également leurs esprits, sans même s'être concertés ! C'est que les deux frangins étaient des jumeaux, de ceux qu'on prend pour des siamois. Et, au fur et à mesure que leur conscience s'effilait, la fatigue jouait un air des plus mélancoliques en prenant comme cordes de guitare leurs pauvres nerfs. Et quand le nouveau jour força son museau au bas du rideau de l'horizon, sa luminosité conquérante donna à voir deux corps avachis, deux corps abandonnés.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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