SAMEDI 6 OCTOBRE 2012
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"J'écris comme d'autres peignent"

Animation : Régis MOULU

Thème :
Impressionner par la beauté (Renoir)


Au cours de cette séance, il s'agit de "faire usage de la beauté" pour impressionner son auditeur. C’est donc avec un souci d’esthétique tous azimuts que les textes ont été écrits.

D’ailleurs, nous nous sommes nourris de deux citations-prétextes de Pierre-Auguste Renoir qui sont : « La douleur passe, la beauté reste » et « un matin, l'un de de nous manquant de noir, se servit de bleu : l'impressionnisme était né »…

Remarque : au-delà de la contrainte formelle, le sujet "ne vois-tu rien venir ?" a été lancé en début de séance.
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support comportant notamment une liste des mots optimistes a été distribué... trop chouette, n'est-il pas ?!

 



 

 



 

Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):

- "La noce" d'Angeline LAUNAY

- "Lui" de Janine NOWAK

- "Le coeur est un hublot" de Régis MOULU

- "Plénitude" & "Vacance" de Nadine CHEVALLIER

"Souvenirs" de Christiane FAURIE



"La noce" d'Angeline LAUNAY

   « Le fils du roi enlevé par des Bohémiens volera des poules comme les autres Bohémiens… peut-être cependant y aura-t-il quelque chose de royal dans sa façon de voler les poules. » Je me suis toujours demandé comment on pouvait royalement voler des poules, moi qui ai grandi parmi les Romanichels. Petite, je croyais que « Romanichel » était un prénom et même que c’était le mien. Je trouvais ça beau… Ro-ma-ni-chel. Ca me faisait penser à « Rome » et à « échelle » pour grimper dans les arbres et cueillir des bons fruits.
       Cette histoire de roi qui ne sait pas qu’il l’est et qui aurait sa manière à lui de voler les poules m’a toujours intriguée d’autant que je n’ai jamais volé de poule. Je laisse ça à mes frères, à mes cousins et à mes oncles. Pendant ce temps, nous les filles, on enfile des perles et on fabrique des colliers et des bracelets pour les vendre après le spectacle. Les miens sont tout bleu, tout rouge ou tout jaune alors que ceux de mes amies sont plutôt multicolores. On me dit tout le temps : « Pourquoi tu ne mélanges pas les couleurs ? » - Je ne réponds pas parce que j’en sais rien et parce que c’est comme ça. Les couleurs, je les aime « pas mélangées ». C’est comme l’eau des rivières, elle est tantôt bleue, tantôt verte ou parfois grise ou marron, et le soleil vient jouer à la surface. Et l’eau, elle devient alors claire ou foncée par endroits. Je m’assieds par terre pour la regarder. Ca me fait rêver. Je me dis que la couleur, elle chante et elle danse, et qu’elle se transforme sans arrêt sous mes yeux, qu’elle est insaisissable, mystérieuse, fraîche et joueuse, libre comme le rossignol.
       La nuit, quand je cherche à m’endormir, la rivière roucoule encore dans ma tête, elle papillonne sans s’arrêter avec des reflets moirés, elle se glisse dans sa tunique satinée. Je la sens qui ondule, qui clapote sous mes doigts, qui m’éclabousse de tout son frémissement. Je ferme les yeux. Pas facile de s’endormir… Jamais facile…
       Ce soir, on rejoue pour la centième fois « La Noce ». La mariée, c’est moi. Je me prépare dans la roulotte peinte en rouge et vert qui est devenue ma loge. Qu’est-ce que j’y suis bien ! J’y ai apporté mes robes, mon maquillage et surtout mes fétiches. J’en ai plein, de toutes sortes et de toutes provenances. Beaucoup m’ont été offerts comme la pochette en piquants de porc-épic que m’a donné un danseur d’herbe à Albuquerque et que j’ai accrochée à mon miroir. Dernièrement, un spectateur m’a tendu un paquet dans lequel il y avait trois galets. Il m’a dit qu’il les avait ramassés aux îles Kerguelen… trois petites pierres gris clair, toutes brillantes, polies par les vagues et par les ans. Et puis il y a mon petit bonhomme-pain-d’épice… quand on appuie sur un bouton de sa chemise, il s’écrie : « Ne lui dis rien, pas un mot ! » et puis « Partez tranquille ! ». J’adore ça : « Partez tranquille ! »
       Pour le spectacle, j’enfile ma robe blanche et serre un nœud en dentelle à la taille. Puis j’arrange mes cheveux qui tombent en cascade dans le dos. Je termine en enroulant à mes chevilles les rubans de mes espadrilles argentées. Me voilà prête ! Je rejoins Archibald dans la roulotte des mariés. C’est de là que nous nous mettons à courir, main dans la main, vers l’entrée du cirque, suivis par toute la noce. Nous arrivons sous le chapiteau où le public, surpris, nous accueille avec des cris de joie. L’orchestre des grands pères attaque un air endiablé. Cinq violons et trois guitares, ça remue les cœurs ! Anouchka entonne un air du pays. Je n’ai jamais compris comment elle fait pour chanter si vite et si bien. Je me suis même exercée à répéter tous les refrains mais c’est difficile de suivre le rythme.
       C’est vrai que je suis la mariée-trapéziste. Quand je me débarrasse de ma longue robe, c’est pour grimper aux cintres dans mon costume pailleté qui me fait une seconde peau. De là-haut, je m’élance dans la lumière, libre comme le rossignol, débarrassée de tous mes soucis, à la poursuite du bonheur absolu. Tout mon corps prend cette carnation nacrée de la Vénus sortant de l’onde. Mais c’est le feu qui m’habite et l’air qui me porte. Au sol, le public retient sa respiration, je le sais et je le sens. C’est du plaisir mêlé à de la peur. C’est un émerveillement plein d’angoisse. Où est la paix ? Où est la folie ?
       Telle une étoile filante, je traverse l’atmosphère. Personne ne peut voir que je souris et personne ne peut éprouver ma joie intense. Je me demande si les lionnes, lorsqu’elles bondissent au travers du cerceau enflammé, ressentent cette terrible émotion qui vient du danger et de l’excitation à la fois. J’oublie tout. Qu’imaginent les lionnes dans leur pelage soyeux ? Les rêves se sont évaporés. Il reste cette étincelle de vie comme un soleil radieux qui jette d’innombrables parcelles d’or sur les visages mais aussi sur les vêtements se couvrant soudain de taches claires à ne plus savoir qu’en faire. Telles des bulles, ces traces lumineuses s’échappent puis éclatent avant de se dissoudre dans l’air et dans le souvenir de ceux qui les ont entrevues l’espace d’un bref instant.
       Lorsque je redescends sur la piste, c’est « tout silence » ou « tout tonnerre ». En touchant le sol, je me dis que je suis revenue à la réalité même si cette réalité-là me paraît irréelle. Ma robe de mariée est restée sur une chaise près des musiciens. Au début du spectacle, je courais vers mon destin et vers la foule qui patientait. Un jour que je n’avais pas pu jouer mon rôle parce que je souffrais d’une foulure, je m’étais assise parmi les spectateurs. On attendait… J’étais la seule à savoir ce qu’il allait se passer. Et quelqu’un dans l’assistance à dit : « Ne vois-tu rien venir ? »

 

"Lui" de Janine NOWAK

A l’instar de Sœur Anne, je ne voyais rien venir. Le temps passait, passait, passait, et je commençais à supposer que l’on m’avait carrément oubliée dans mon coin. Certes, il était splendide ce salon d’attente, très cossu avec ses chaleureux lambris couleur Cognac. Mais c’était humiliant, à la fin, de devoir poireauter ainsi.
J’estimais que j’avais assez infusé. Si dans cinq minutes il ne se passait rien, je ferais un éclat.
Enfin, un bruit de porte, fort à propos.
J’étais admise à voir le grand homme. Pas trop tôt.
Il avait la réputation d’avoir un appétit féroce d’honneur, de gloire, de pouvoir. On disait qu’il faisait montre d’une volonté royale, qu’il était infatué de sa personne, qu’il pouvait être mordant comme une scie à métaux, bref, qu’il se « croyait béni des Dieux eux-mêmes » !
Je ne suis pas du genre à me laisser impressionner. J’ai, dit-on, un non-conformisme qui frôle l’insolence. Et j’avançais avec aplomb dans la vie, protégée par une peau de crocodile que je m’étais patiemment façonnée. C’était le moment ou jamais d’en jouer, de ce non-conformisme.
Me voici enfin dans le Saint des Saints. Je m’identifiais au torero dans l’arène, à la fois fier, étincelant, flamboyant, mais si vulnérable en vérité.
Je n’avais pas chaussé mes lunettes. Aussi, était-ce dans un très joli flou artistique que j’apercevais le personnage en question. C’était un truc à moi, ma petite combine secrète : afin de  ne pas perdre ma belle assurance, de ne pas me laisser déstabiliser, j’avais pris l’habitude d’appliquer cette lâche tactique. Car en fait, mon réputé non-conformisme… c’est du pipeau, de la poudre aux yeux. Je me mens à moi-même : au fond, je suis une grande timide, une vraie violette sauvage.
Il m’a fallu beaucoup lutter dans la vie pour m’aguerrir et gagner mes galons, suivre un chemin souvent parsemé d’embuches. Ainsi donc, les coups du destin m’avaient trempé le caractère, avec cependant, encore certaines limites.
Courtois, l’homme se leva, vint à ma rencontre, eut la délicatesse de m’offrir un verre, un cocktail artistiquement coloré.
Nous échangeâmes quelques lieux communs, ce qui permit de briser la glace.
Contrairement à ce que j’imaginais, il s’exprimait posément et n’avait pas la bouche pleine de superlatifs.
La suprême élégance des grands… c’est l’extrême simplicité.
Je commençais à le juger d’une façon moins primaire.
On m’avait parlé d’un ogre dévoreur et, à ma grande surprise, j’avais en face de mois un être civilisé aux propos plus  policés que ceux d’un livre de catéchisme. Me sentant rassérénée j’osais enfin mettre mes lunettes.
Et là, le choc. Je n’avais pas retrouvé la vue. NON ! J’étais aveuglée. Il était beau. Pas comme le veulent les canons des magazines féminins ; mais il avait en lui un tel magnétisme !
J’en perdis ma raideur. Je me détendis, me laissais mollement aller au dossier capitonné du fauteuil et acceptais, déjà vaincue, de subir son envoûtement, sa fascination.
Je me sentais aussi légère que de la crème fouettée. J’avais l’impression de flotter sur un petit nuage laiteux.
Tous mes repères s’estompaient.
De son côté, lui, que l’on disait fermé, bourru, habitué à ne guère s’épancher sur sa vie privée, se livrait à quelques menues confidences.
Que m’arrivait-il ? Que NOUS arrivait-il ? Car, à l’évidence, cet homme subissait lui aussi un identique enchantement. Je le devinais troublé et son exaltation égalait la mienne.
Il était aux antipodes de ce qu’il aurait dû être avec moi, c'est-à-dire distant, sec et cassant.
Etait-ce cela le fameux « coup de foudre » ?
Même l’atmosphère était étrange, aussi étonnante qu’un kaléidoscope, ce merveilleux miroir à rêves qui scintille, intrigue et subjugue.
Je planais, dans un entre-deux, ayant l’impression d’être anesthésiée par une substance qui m’aurait maintenue en état de vie suspendue.
Et tel un naufragé agrippé à son rocher, je m’accrochais farouchement à cet état proche de l’euphorie. J’étais aux anges, béate, enivrée.
Tout soudain, un calme lumineux descendit en moi, un apaisement bienfaiteur.
C’était d’une telle évidence, si limpide : mais voyons, j’étais amoureuse, follement amoureuse ! Aucun doute là-dessus.
Inimaginable, incroyable… si brutal, si soudain. Pire que dans le pire des romans à quatre sous. Je me comportais en petite midinette. MOI !
Force m’était d’admettre que la sagesse populaire se hisse parfois allègrement au niveau de l’analyse psychologique la plus poussée. Qui l’eut cru ?
Alors, tétanisée, je le regardais encore plus intensément, tout en buvant avidement ses paroles.
N’ignorant pas que le calcul torpille les sentiments, je rejetais d’un seul bloc, le peu de bon sens qui me restait, et emportée par une vague de bonheur, je ne pensais plus à rien, n’avais plus de but dans la vie, plus de projets.
Conquérir cette citadelle n’avait pas été mon but. Et pourtant…
Quelle bizarre alchimie que celle des rapports humains !
Nous n’eûmes pas à nous perdre en discussions stériles.
Il me tendit la main, me dit simplement : « Viens », et je le suivis, sans un instant d’hésitation, me livrant à lui, prête à tout par avance, gage d’un amour certain
Je n’avais rien prémédité.
Je n’avais rien vu venir.
J’étais arrivée figée, grise et terne.

Je me retrouvais ensoleillée, transcendée, tout simplement heureuse. Enfin !

 

"Le coeur est un hublot" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Sa respiration devenait comme le ciel : étoilée.

Pour avoir pris trop d'air trop longtemps, ses poumons ressemblaient à de gros chênes avec des alvéoles très feuillues. Le sol était une grande ardoise chaude sur laquelle le soleil s'était abondamment allongé, toute la journée. L'oxygène avait profité de cette occasion pour se dilater, avec le même plaisir qu'on prendrait à fouiller dans les poches d'une peuplade en pagne, mystérieuse.
Elle avait dégrafé son corsage, deux proues de bateau s'élançaient dans le vaste monde du désir qui repeint tout en écarlate. « Les fleurs sont courageuses, autant qu'elles sont éphémères » pensa-t-elle. Sortaient de son esprit fécond des nuages d'impressions, des tempêtes de poivre.
Depuis sept heures cela durait, depuis qu'elle avait écrasé ses fesses macarons sur un arbre couché par les bourrasques de la Toussaint.
Quand la paix gagne tout ce qui nous entoure, se tisse toujours un nouvel ordre parsemé de nouvelles joies. Elle riait d'imaginer qu'elle pouvait se trouver au milieu d'un parking de navettes spatiales. « Les extraterrestres ne peuvent être qu'extrasensoriels » : elle chercha à tout prix à s'en convaincre.

C'est qu'elle s'était improvisée "amoureuse de l'espoir", par nécessité ! Et elle s'était faite belle pour lui… dans un premier temps. Ayant atteint un âge bien mitonné, elle souhaitait passionnément se fondre aux grands espaces, dès qu'elle le pouvait.
Rien que cette idée est euphorique, son application, quant à elle, touchait à l'épanouissement.
Son sourire devenait bourgeonnant, comme gonflé par sa langue qui avait tout des invertébrés.
« Ne vois-tu rien venir ? » s'interrogeait-elle, sans relâche.

Tout venait encore et toujours de son intérieur fourmillant et volcanique. Les tressauts du rire incontrôlable, elle les avait connus, éprouvés, s'en était servis pour s'autoriser mille et une libertés si bien que le village l'avait écartée.
Une benne de silence l'avait d'un seul coup ensevelie, elle qui avait besoin d'intimité bavarde, elle qui aimait se plonger corps et âme dans des fritures de paroles, elle qui aimait être prise dans le beignet des rencontres.

Il a fallu, avec la vivacité d'une gazelle, s'ériger une cabane au milieu de nulle part, se remettre à converser avec les éléments, fraterniser avec les créatures imprévisibles, manger ce qu'i s'offrait à ses yeux, ce fut parfois de la poudre de tonnerre pour ses intestins trop bien éduqués ! Mais elle restait zen comme un tapis de laine sur un plancher vitrifié… mais ici, ce sera davantage comme une couverture d'herbe sur une terre massée millimètre par millimètre  par des milliers d'années !
Et elle le sentait dans son for intérieur : une bouée sur la mer, elle croyait être. Tout passait par ses pieds, puis lui remontait par l'escalier vertébral. Elle était coiffée comme une anémone des mers. Ses cheveux étaient faussement violets. Et caetera.

Si la paix l'animait, c'est parce qu'elle était confiante sur l'arrivée de son cher et tendre à la tombée de la nuit.
C'était lui, l'espoir fait homme.
Car deux flaques d'eau finissent toujours par se rejoindre. Lorsque les insectes lancent leur orchestre métallique et que les étoiles saillissent le rideau de velours noir de la nuit, il peut plus que jamais s'enfuir du village et venir lui élargir la palette, elle le savait, s'en excitait même, parfois, au point que ses râles de gaité annihilaient toute intention agressive chez les bêtes sauvages que l'on retrouvait suicidées au creux des talus luxuriants.
L'amour, c'est beaucoup de sacrifices, dès lors qu'il souhaite grandir. C'est immanquable.
De faux bruits de pas la rendaient heureuse, elle cherchait à harponner toutes les odeurs, son étincelante effervescence était telle qu'on aurait pu la repérer de la Lune à l'œil nu, un seul.

Frémir, frémir et encore frémir ne pouvait lui suffire. Et elle adorait être charmée par la fatigue, là au moins, elle sentait que son âme constituait une malicieuse équipe avec son inconscience dorée.
Ne ressens-tu rien venir ?

Elle aurait voulu qu'il lui arrache sa robe comme on débarrasse une table : elle aurait été ensuite parcourue par son éponge.

Elle planait et tentait encore et toujours d'avoir de la hauteur.

Des arbres dansants prirent un temps son apparence [à lui], elle l'attendait dans une telle moiteur féconde qu'elle le voyait partout.
Etait-ce si faux, si déplacé ?
Les âmes ont été à toute époque de grandes tricoteuses.

Deux bras, deux flammes. La robe s'était muée en gangue de noix qui craqua sous sa ferveur agitée. Le ruisseau de ses parfums corporels vint poser son écharpe sur l'espace vallonné où elle se trouvait, tel un baume. D'ailleurs tout concourait à se détendre afin que le bonheur prenne toute sa place.
Un oiseau de nuit refusa de mettre son pyjama. Une souris exubérante s'improvisa géomètre. Que cherche-t-il ? Que tisse-t-elle ?
Ne ressens-tu rien qui vient à la porte de ta peau ? Le cœur est une fenêtre, un hublot, une tête dans un hublot.

L'homme-espoir devait s'habiller en vert émeraude.
La nuit venait de lui administrer ses derniers coups de pinceau.
Quel est donc ce nouveau transport qui l'a prise par surprise ?

Depuis toujours, enfourcher la fusée du rêve a été pour elle un enchantement. Car l'engin ne décolle jamais, histoire de lui prouver qu'elle peut encore rêver avec les pieds sur terre !

L'homme attendu apparut.
Il était vert émeraude comme un cyprès, elle était soulagée et frémissante.

La casserole de la sincérité les plongea alors dans le même bain.

Des guirlandes invisibles se dégagèrent de ces deux êtres qui prirent l'aspect d'un velouté.

Les songes sont un désir qui caresse le monde.



"Plénitude" & "Vacance", deux textes de Nadine CHEVALLIER

Plénitude

Je marche dans le bleu
La moquette est souple sous mes pas
La porte se referme dans un soupir
Escaliers et paliers se confondent
Me voici dans le hall
Doigt sur le bouton noir
Cliquetis ouverture
L'air est vif la lumière inonde le monde
Mes pieds oiseaux légers m'amènent à ma voiture ...
Et poursuivent leur chemin joyeux
Me voici dans le parc
Je marche dans le vert
L'herbe est souple sous mes pas
Le vent murmure des soupirs
Chants d'oiseaux et cris d'enfants se confondent
Cris des enfants...
Joie des enfants
Etonnement des enfants devant les merveilles du monde
Emerveillement d'une nouvelle vie
Envie de crier au monde
                        Je vais être maman.

 

Vacance


La cour est déserte. La chaleur écrase bêtes et gens. A quoi rêvent les poules endormies sous les charrettes ?
Un chien gémit. Froissement de paille, bruit de chaine.
Une mouche bourdonne.
Le grand-père à l'ombre de la grange, dort.
A quoi rêve un grand-père endormi sur l'herbe sèche ?
L'orage va-t-il éclater ce soir ? La pluie viendra-t-elle reverdir les prairies ?
Dans la cuisine, la grand-mère tire l'aiguille, jetant de temps en temps un regard par la fenêtre ouverte. On voit la route au loin entre le petit bois et le pré du Père Paulin.
La route, déserte...
Une hirondelle, d'un rapide coup d'aile entre et s'enfuit aussitôt. Son nid est là sous le toit, petits becs gourmands.
A quoi pense une grand-mère en reprisant des chaussettes ?
Et soudain alertée, la voilà qui se lève. Sur le bout de route entre le petit bois et le pré du Père Paulin, une voiture passe, est passée.
Elle n'a pas eu le temps de bien voir mais elle sort, appelle le grand-père. Il se lève lourdement et s'approche en boitillant.

Et tous deux déjà joyeux sont à l'entrée du chemin, se regardent et rient déjà du retour de leur famille, enfants et petits-enfants, de ces vacances qui leur ramènent le bruit et l'agitation de la vie.

 

"Souvenirs" de Christiane FAURIE

Il n’est plus et pourtant chaque objet, chaque pièce portent son empreinte.
Il aimait les clairs obscurs, limitant la couleur à sa plus simple expression, écoutant les silences.
Comme ses sentiments qu’il masquait par une ombre dans le regard, ses caresses étaient inabouties, lui qui n’était que tendresse.
Sa voix grave résonnait de part et d’autre du corridor, nous conviant au repas dominical saturé de fumets exquis.
Quelle volupté à imaginer cette cuisse galbée de chevreuil courant à travers bois et stoppée nette dans sa course.
Les gestes de mon père étaient comptés alors qu’il n’était que générosité.
L’étang abrité au bout de la cour était le théâtre d’histoires fabuleuses qu’il inventait au gré de sa fantaisie pendant que les carpes sautaient au nez et à la barbe des hérons prétentieux.
Mille couleurs m’emplissaient le corps, c’est la menthe verte piquante contre le muret, les glycines mauves courant sur la vieille grille gémissante, le chèvrefeuille orangé emberlificoté dans le grillage délimitant la propriété.
Nous n’avions pas le même regard sur la vie et pourtant nous nous comprenions d’un regard, une intonation.
Aujourd’hui, je déambule dans ce jardin parmi les herbes folles et je le vois relisant les épreuves, épluchant les comptes du métayer alors que je glissais dans ce paradis, tous les sens en éveil.
Je humais l’air de mes narines dilatées, l’herbe écumante me fouettait les mollets, étouffant les tâches blanches et rouges des marguerites et coquelicots à l’entrée du printemps.
Je me prenais pour Rimbaud, couché dans cette litière douce à ciel ouvert.
Je m’y endormais quelque fois en m’imaginant tantôt guerrier masaï guettant sa proie afin d’y boire goulûment le sang rouge dégoulinant le long de mes joues et me redonnant la force et rapidité du jaguar, tantôt combattant viet min, silencieux prêt à couler ma lame aiguisée dans le cœur de l’ennemi.
Les appels de mon père distillés comme une plainte n’appelaient pas de réponse mais donnaient la voix aux prisonniers imaginaires.
Ivre de bonheur, mes sens en effervescence, je contemplais le ciel chargé de nuages excentriques.
Mon statut d’enfant unique se peuplait de 10, 1000 compagnons de jeu, s’afférant au dessus de moi, encouragés par des armées de fourmis allant vaillamment au combat.
Avide de découvrir tout cet univers, j’ai osé m’aventurer un jour au-delà de l’orée du bois.
Cet univers était celui de mon père. Sombre, tranquille, vibrant d’ailes d’insectes ; un monde gigantesque s’ouvrait à moi ; le monde des adultes .
Perdu dans cette jungle, je me souviens avoir appelé « papa ! » de toutes mes forces.
Il était apparu armé d’un couvre-chef jaune vif, prétextant que je pourrais mieux l’apercevoir.
Il était fascinant avec sa cape vert gris, son chapeau à bord large et ses bottes bordeaux.
Il m’avait pris dans ses bras, me transportant dans une joie simple guidée par mon amour inconditionnel.
J’eusse adoré lui faire partager mon goût de la couleur, des fruits mûrs gorgés de soleil en un bouquet dégradé de rouge, jaune, orangé près du muret en pierres sèches où s’aventuraient de nombreux lézards à queue fragile glissée au fonds des poches en gri gri.
Je souris encore au souvenir du crapaud vert aux pustules boueuses au fonds du lit de ma cousine et des cris perçants au coucher.
J’adorais aussi le lever du soleil car elle apparaissait les cheveux or flottants autour de son visage, sa nuisette échancrée laissant apparaître ingénument un sein nacré et moi frémissant de tout mon corps en contemplant cette œuvre.
Elle ignorait alors la délicatesse de ses attaches et sa merveilleuse carnation, la sensualité dont elle irradiait toute occupée qu’elle était aux plaisirs enfantins, les joues rosies de l’air frais du petit matin.
Elle goûtait les fraises des bois par petites touches de crainte de dénaturer le tableau puis s’enhardissait en s’en gorgeant jusqu’à satiété, la robe maculée de rouge.
Nos corps se frôlaient dans nos jeux exaltés, encouragés par mon père paisiblement installé dans son grand fauteuil d’osier recouvert d’un coussin bleu azur.
Ce fauteuil, je l’ai conservé. Mon fils me l’emprunte pour faire naviguer ses vaisseaux et autres frégates sur l’océan.

Ce retour à la propriété familiale est un vrai bonheur qu’il faudra vite partager avec lui.
Cet écrin longtemps délaissé vivifie mon imaginaire aujourd’hui trop préoccupé par l’actualité géo politique, le kack quarante.

Il y a urgence à vivre la couleur de mes sentiments, à les exprimer le mieux possible et voir le regard de mon fils s’illuminer à son tour comme le mien jadis.

 

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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