SAMEDI 13 mai 2017
de 14h00 à 19h00

dans le cadre du cycle
"Le conseil des Grandes Plumes - année 3"

Animation : Régis MOULU

Thème :

Avoir le talent de faire croire qu'on est sincère (Reverdy)

Bouleversante proposition que de s'entendre dire : « si, en te lisant, je pense que tu mens bien, c'est que tu as du talent. Si tu parviens à me faire croire que tu es sincère, c'est que tu as beaucoup de talent ». Il a donc été important pour nous de travailler pragmatiquement notre crédibilité et notre foi en ce qu'on écrit - trouver cette conviction intime et les moyens de la fourbir - afin que, en toute cohérence, chacun soit ravi par cette histoire (faussement) vraie qu'on lui tend.

Remarque : au-delà de la contrainte formelle (thème), le sujet suivant a été énoncé en début de séance : le point de départ de votre histoire sera que votre personnage principal, qui est assez terrien, plutôt matérialiste, perçoit les murmures d'un être pour qui toutes les couleurs sont fraîches. Il en est, pour commencer, ému et envoûté, ce qui l'amènera à… (suivi d'une action ou d'une rêverie).
Pour stimuler et renforcer l'écriture et les idées de chacun, un support a été distribué en ouverture de session : il transmettait une méthode d'écriture pour émouvoir avec sincérité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Ci-après quelques textes produits durant la séance, notamment (dans l'ordre):


- "1, 2, 3, soleil..." de Nadine CHEVALLIER

- "Un peintre à la pêche" de Janine BURGAT

- "Métamorphose" de Marie-Odile GUIGNON

- "Un p’tit coin tranquille" de Janine NOWAK

- "La brosse esseulée" de Régis MOULU

 

 

"1, 2, 3, soleil…" de Nadine CHEVALLIER


J'écrivais avec trop de difficultés l’aventure d’Albert le cuisinier qui préparait des assiettes 15,16,17, de radis roses et de salade verte. Sur chacune il ajoutait un doigt de vinaigrette C'était jour de fête à la maison de retraite. Il devait compter les assiettes 25, 26, 27, Il en fallait 77. J'essayais d'y mettre un espace à voir ...  Et c'était une cuisine rutilante comme un sou neuf 27, 28, 29, J'essayais d'y mettre du mouvement et de l'action … Albert préparait ses assiettes 35, 36, 37, Elles s'empilaient, garnies, sur la desserte Il fallait un espace de relation et de réflexion ? Pierrot l'aide cuisinier n'était pas là parti on ne sait où, l'heure du café ou de la cigarette ? 45, 46, 47, Une voix invisible interpellait Albert poétisait sur le rouge et le vert le dérangeait dans son compte des assiettes 55, 56, 57 Il est ronchon Albert, il l'envoie balader il est loin d'être envoûté … Alors je bloquais sur mon texte. Et voilà qu'un rayon de soleil m'a tapé sur l'épaule : « Hé ! Regarde comme le ciel est bleu, si grand. Regarde comme passent ces grands troupeaux de nuages neigeux. Regarde comme frémissent les feuillages ! » Alors, j'ai levé le nez de ma copie d'écolière. « Regarde, me disait la lumière, Vois sur le sac de Mog Vois ces fils d'argent scintillants. Vois cette langue de caméléon qui se déroule en spirale fluorescente. Vois ces écailles de poissons multicolores, elles sont là les couleurs fraîches ! Pourquoi te casses-tu la tête ? » 65, 66, 67 Et c'était vrai. Plus vrai que les radis et les salades d’Albert Alors je me suis sentie libérée. Libre dans cet espace de notre table de travail « Regarde comme elle est verte la trousse de Régis !  Le vert du printemps sur la prairie » ajoute la petite voix. Et moi : « Regarde comme elle est rose la trousse de Pascale, tu en dis quoi la petite voix ? » Elle ne dit plus rien. La lumière n'a pas besoin de mots pour magnifier toute chose. Mais elle a besoin de notre attention. Et Albert le cuisinier ? Aurait-il à la fin porté attention à la lumière dans sa cuisine ? Aurait-il fait son travail avec plus de joie ? Je ne le saurai pas aujourd'hui. Mais pour moi pas d’hésitation, j'ai écrit avec bonheur dès lors que j'ai écouté la voix du rayon de soleil ce fut la fête. 75, 76 ,77.

 

"Un peintre à la pêche" de Janine BURGAT


- Regarde Joris, c'est un diamant. La lumière s'affole dans ses ailes et quand elle se posera sur l'eau au bout de la ligne, ceux d'en dessous ne verront qu'elle !". A six heures du matin, faut pas lui parler à Joris. Il n'a qu'un café dans le ventre qui n'a pas encore fait son effet. Un diamant ! La bestiole qu'il crucifie sur l'hameçon. Ce côté poète, ça l'insupporte. Pourquoi a-t-il fallu que ce jobard de peintre, inconnu de son état, l'attende au petit jour pour aller à la pêche en sa compagnie ? Joris aime la pêche, mais tout seul, juste avec la poiscaille qui frétille au fond de son panier au fil de la matinée. Plus de Germaine qui lui caquète aux oreilles. Seulement le soleil et le vent. Pas besoin de plus. Et voilà que l'autre se lâche. - Vent frais, vent du matin ! Je te peindrai comme tu es. Suave et fou, toi qui joue contre ma joue. Qui de toi ou de l'astre de feu gagnera ma confiance ? Tu vois Joris, quand je trouverai comment peindre la confiance, alors là, c'est la célébrité mon vieux ! - Tais toi ! Les poissons n'apprécient que les vers, et pas les tiens ! Le peintre enfonce sa casquette et le silence vient. Juste le bruit d'une libellule qui saute du lit et cherche de quoi survivre. Et l'eau qui clapote. - Viens ma belle, murmure le peintre. Monte la garde avec moi, tes ailes sont le miroir du velours qui t'habille. Le murmure atteint Joris mais préserve les poissons. C'est déjà ça. Les deux lignes sont parallèles, les deux silhouettes aussi. Une onde frissonne à la surface de l'eau. Le vent agite les saules et les rayons lumineux filtrés par les feuilles, s'enfoncent dans les profondeurs de l'eau. - Arbre, mon ami, chuchote le peintre, j'arrive avec mon panier d'osier et si je te secoue, y laisseras tu tomber quelques éclats d'or ? Joris surveille sa ligne. Rien que sa ligne. Juste ce point immobile. Il faut garder bien ferme toute sa vigilance pour tirer d'un coup sec, sans réfléchir. Il a un peu sommeil. Six heures c'est la bonne heure pour la poiscaille mais pour lui c'est trop tôt. J'ai passé l'âge, se dit-il, et pourtant, c'est quand la pêche lui deviendra impossible qu'il sera vieux, vraiment vieux. Pour l'instant, il a encore de la vigilance à revendre, son postérieur bien calé sur sa caisse en bois. Il ne souffre d'aucune douleur. Il est vide. Juste comme il faut être à la pêche. - Viens ma beauté, murmure le peintre, brille de tous tes feux, mon panier est patient. De qui il parle ce jobard ? Ce murmure l'énerve Joris, mais il ne peut s'empêcher d'entendre. La nature est mal faite. Faudrait que nos oreilles aussi soient munies de paupières. Comme les yeux, qu'on manoeuvre à volonté. Aucune ligne ne bouge et voilà que le le peintre se baisse et met sa main dans l'eau, la laissant couler au fil de l'onde suivant sa route. - Emporte moi sur ton chemin, onde qui m'inonde, susurre le peintre. Au fil de son eau, tu emportes ma peau. Charge la de ta fraîcheur et que ma main ne tremble pas ce soir, sur mon tableau. Joris aussi aurait presque envie de faire trempette. Pourquoi faut-il que l'image de cette main abandonnée au fil de l'eau, lui donne cette folle envie de bain ? Dangereux pour les poissons le bain, mais excitant pour le vieux corps blindé de vêtements. Se concentrer sur sa ligne, se détourner de la main qui flotte. Il est là pourquoi ? Pour le poisson ou pour le plaisir de ne plus penser ? Penser à rien, en voilà bien une occupation ! - Feuille du levant, cours dans l'onde claire. Tu es tombée du nid dans ta robe d'émeraude, plissée d'or et d'argent. Une feuille tourbillonne, s'arrête et repart dans le courant régulier. Joris la suit des yeux. Décidément, ce jobard lui fabrique de ces images ! Il change sa ligne de main et s'essuie le front. Et lui, Joris, s'il devait parler à cette feuille, il lui dirait quoi ? Une feuille c'est une feuille. Elle trompe le poisson parfois, simplement en venant troubler le calme à la surface. Une feuille, un leurre à poisson. Et lui, il n'est là que pour le poisson. L'autre peut débloquer tant qu'il veut, l'essentiel c'est qu'il ne fasse pas de bruit. Joris a l'oreille encore fine et la petite clochette qui pend à sa ligne, le préviendra à la moindre alerte. Le jobard, lui, est sans clochette. Juste une branche bien flexible qu'il a taillée vite fait et un hameçon piqué d'une mouche. Elle doit être bien morte sa mouche depuis qu'ils se sont installés. Mais Joris l'aperçoit encore et c'est vrai que ses ailes miroitent à défaut de bouger et qu'en plissant les yeux... Oui, Joris voit bien comme un diamant... Le peintre a l'oeil, faut lui reconnaître cette qualité. La clochette a retenti et Joris a tiré sa ligne sèchement. Une branche détrempée de feuilles pendouille à sa ligne. Il jure en se levant et rattrape le fil puis la branche enfin sa canne. Ces branches sont infernales. Tout est à refaire. C'est alors qu'il voit le peintre chanter doucement et d'un coup envoler sa ligne qui siffle. - Vite, fredonne- t - il, vite ma petite vie, je t'ai attrapée. Va ma fraîche, va mon amie, tes couleurs de tourterelles sont le plus beau de ce que je ferai sur mon tableau du soir. Retourne au fil de l'eau, tes couleurs sont si belles... Et la truite à la main, il la lance dans l'eau ! Joris n'en croit pas ses yeux. La truite fuit de toutes ses couleurs. C'est beau, c'est vrai, mais tout de même, une truite... Joris se rassoit, un peu sonné. Un peintre à la pêche ça doit être ça. Il coince sa ligne entre les genoux et racommode son attirail. Il relance son fil, le peintre aussi. L'agitation est retombée ; même le vent s'est tu. La chaleur monte et Joris somnole un peu. Le peintre sifflotte.

 

"Métamorphose" de Marie-Odile GUIGNON


Une foule, des trottoirs encombrés. Une pluie d'orage. Des aiguilles cinglantes agressives et glaciales s'effondrent sur la ville. Bienheureux le passant capable de les affronter…La fuite…Une bouche grande ouverte. Un escalier gourmand. Un boyau chaleureux. Le souterrain des existences sèches et sombres. Le passage des pas lourds et tièdes. Le lieu d'une sécurité relative. Parmi les autres, il s'abrite. Innombrables taupinières aux usages multiples où il peut transiter. Une sortie. La rue. Une rivière brune glisse lentement vers l'évaporation délaissant la rugosité du macadam. L'atmosphère lavée l'interpelle. Le ciel chante. La voix cristalline d'une goutte de rosée égarée. Il écoute attentivement subjugué, envoûté. Il suit la mélodie. Réagir. Où est le vrai monde ? La vue d'en bas. Ici et là l'encombrement matériel, les boutiques, les enseignes lumineuses, le luxe étalé de la possession. Encore… Cette petite musique qui coule en lui comme une source souterraine qui voudrait jaillir…. Éteindre ce son… Une faim gustative le tenaille. Stimulation éphémère de la cuisine moléculaire dans son assiette. Il jubile brièvement. Étouffer absolument cette petite musique qui gonfle en lui. Ces notes inhabituelles, tant de ténacité... Autour de lui le peuple indifférent, ses semblables en mouvement... Maintenant c'est une symphonie subitement perceptible qui s'écoule dans ses veines… La vue d'en haut. Au-dessus des toits des petits nuages blancs bouillonnent d'espiègleries si joyeusement. Une brise légère agite tendrement ses cheveux en mèches rebelles… Le rêve. Il est un voilier blanc jouant sur les vagues d'un océan tranquille. Il passe devant les propositions d'une agence de voyage. Il longe les locaux d'une banque, puis zigzague entre les badauds en arrêt le nez sur les vitres des boutiques vantant les « marques ». Il titube et se dirige vers un square. Sensations. L'air vibre d'un tambourinement rythmé irrésistible qui pénètre jusqu'à la moelle de ses os. L'émotion l'envahit. Dans ce lieu, il admire la fraîcheur verdoyante de l'espérance ainsi accumulée qui l'enveloppe soudain. Les arbres l'invitent. Une énergie colorée parcourt son échine. Elle ébranle les convictions sombres qu'il avait méthodiquement érigées depuis des décennies… Ses sens sont sans dessus dessous. Cette petite voix, surgit mystérieusement d'un éclair de tonnerre, maintenant semblable à un grand orchestre philharmonique, s'est ancrée si profondément en lui qu'il se ressent autre. Cette voix bouleverse ses perceptions, elle l'a si fortement séduit que, désormais il désire intensément entendre sa présente en lui pour toujours.

 

"Un p'tit coin tranquille" de Janine NOWAK


Fidèle à ses habitudes, Ferdinand arbore, immanquablement, un pantalon de velours côtelé, une chemise à carreaux et, vissée sur la tête, son éternelle casquette. Comme à l’accoutumée, il longe la berge engazonnée d’un des bras de la Marne, afin de gagner « son coin à lui ». Outre son matériel de pêcheur, il transporte un pliant et une glacière. Ferdinand est un homme heureux, qui sait se contenter de plaisirs simples. Qu’irait-il faire à Hawaï ? Il n’aime pas la chaleur. Il n’aime pas la foule. Il n’aime pas l’avion. Il possède un modeste pavillon de banlieue en meulière, dans un quartier tranquille. Depuis trois mois qu’il est retraité, il peut aller tous les jours à la pêche. Ah, la pêche, c’est sa passion ! Tout petit, déjà, il accompagnait son père. Le voici arrivé près du ponton où il s’installe toujours. Lui, qui se veut athée, appelle pourtant cet endroit « son Eden ». Malicieux, il ajoute « laïque, mon Eden laïque ! ». Il commence par mettre de l’eau dans son vivier à poisson. Puis il prépare sa gaule, son hameçon, accroche l’asticot. Le voilà fin prêt pour une matinée de plaisir. D’un geste adroit, il lance sa ligne, bien loin, au milieu de la rivière. Il donne quelques tours de moulinet, afin que le ver ait l’air de se mouvoir naturellement à la surface de l’eau. Puis il bloque sa canne à pêche entre trois grosses pierres, installe son petit pliant, s’assoit en poussant un soupir d’aise, ouvre sa glacière et en sort un sandwich rillette-cornichons de sa composition, dans lequel il mord à belles dents. Et voici que commence la longue attente. Fernand se sent bien, décontracté. Il regarde les arbres, le ciel, les nuages. Il jette régulièrement un coup d’œil sur son fil, pour s’assurer qu’il n’est pas tendu par une prise. Les heures peuvent s’égrener sans que jamais il ne s’ennuie. Tout est si calme, si paisible. Mi rêvassant, mi somnolant, il croit entendre fredonner. Il se secoue, pensant s’être endormi et avoir fait un songe musical. Et pourtant, non, c’est bien une voix réelle, un organe féminin qui plus est. Qui ose venir faire du tapage dans son coin ? La Marne n’est pas assez longue, peut-être ? Mécontent, il se dresse, se dirige vers le bosquet d’arbustes qui lui cache l’envahisseuse, commence à le contourner. Mais dès qu’il l’aperçoit, son élan est stoppé et il reste pétrifié. Quelle est belle ! Ca existe donc dans la vraie vie, des créatures qui dégagent un tel charme ? Il n’en a jamais vues qu’au cinéma ou dans les magazines chez son coiffeur ! Soudain intimidé, il n’ose plus avancer et ne songe plus à se manifester. Bras ballants, tout bêta, il regarde et écoute attentivement. Cette personne est assise, de profil par rapport à lui. Elle s’est installée sur une couverture étendue sur l’herbe. Devant elle, un petit chevalet. Et tout en chantonnant, elle peint une toile. Ferdinand est émerveillé. Pour un peu, il se pincerait. Il a devant lui un être qui semble réunir tous les talents. La nature s’est montrée plus que généreuse avec cette inconnue. Elle est d’une beauté irréelle. Elle chante à ravir, d’une voix cristalline. Elle manie le pinceau mieux que Monet. Oh, il ne connait pas grand-chose aux Beaux-Arts, mais voici bien longtemps, seule expérience du genre de toute son existence d’ailleurs, il s’était rendu à une exposition sur les Impressionnistes au Grand Palais, et avait, ma foi, bien apprécié. Ferdinand, recule un peu, se dissimule mieux, se fait tout petit derrière les branchages mais ouvre grand ses yeux et ses oreilles. Il croit reconnaître les paroles de la chanson : « Y’avait un bal, qu’donnaient les primevères, dans un coin d’verdure, les petits oiseaux chantaient ». Ah, ça lui revient, c’est « Le Jardin extraordinaire » de Charles Trenet. Comment une fille aussi jeune, peut-elle connaître une aussi vieille rengaine ? De plus en plus attentif, il essaie de détailler le tableau, déjà bien avancé. Y’a pas à dire : cette femme a du génie ! Lui n’a jamais pu voir sur les bords de Marne autre chose que du vert. L’eau est verte. Les arbres sont verts. L’herbe est verte. Même le ponton est peint en vert. Et les barques aussi. Mais elle, cette nymphe, oui, ça ne peut être qu’une divinité, a su découvrir, cachées sous les feuilles, des fleurettes aux teintes multiples. Avec elle, les couleurs chantent. C’est une ode à la nature. Tout l’univers est en fête et se pare des nuances de l’arc-en-ciel. La rivière elle-même semble éclaboussée de coloris vifs. Après cet instant d’enchantement, Ferdinand ressent comme un malaise. Il a l’impression d’avoir reçu un coup à l’estomac. A l’estomac et au cœur. Car, à tort ou à raison, il pense brusquement à lui, à l’homme qu’il est. Et la comparaison n’est pas à son avantage. Il se surprend à faire son auto-critique, ce qui ne lui était jamais arrivé auparavant. Que je suis donc balourd, terre-à-terre, pense-t-il ; comme je manque de finesse. Je ne sais pas regarder. Je suis incapable de découvrir les choses derrière les choses. Pour moi, tout est au premier degré. Pourquoi n’ai-je jamais voulu faire l’effort d’apprendre plus que ce qu’on me demandait ? Je me suis toujours satisfait de peu, de rien. Par paresse ? Par médiocrité ? Manque de volonté ? Faute d’intelligence ? Je suis pourtant très adroit de mes mains, mais je n’ai jamais eu l’idée ou l’envie de créer le moindre objet pour le simple plaisir. Je n’ai toujours agi que par nécessité. Uniquement pour l’utile, méprisant même un peu le futile. Il y a pourtant des gens qui, même issus d’un milieu modeste, voire très pauvre, ont su et ont pu, s’adonner à leur passion, et mener une existence hors du commun. Bon, un péché mignon, j’en ai un : la pêche. Mais ce n’est pas une ouverture, un pas vers les autres. C’est plutôt un repli sur soi-même. Je n’ai jamais fait partie d’un club, d’une association. Je suis un solitaire, un vieux sanglier sauvage, un peu bougon, grognon, vite agacé comme je l’ai été tout à l’heure, quand je me suis senti dérangé dans mon train-train. Mais quel ours, je fais ! Il faut que je me civilise. Que dois-je faire, à l’instant même ? Me montrer à cette jeune femme ? N’aurais-je pas l’air d’un satyre sortant de son buisson ? Ce serait maladroit et je risque de l’effrayer ! Aller vers elle m’est difficile, et cependant je dois agir. C’est l’occasion ou jamais. Il faut que je prenne mon courage à deux mains. Voilà, je vais reculer sans bruit, puis revenir en parlant fort, de loin. Et je l’inviterai à partager ma bouteille de rosé bien frais. Ferdinand bat en retraite, réfléchit un instant à ce qu’il va dire, semble satisfait du petit discours qu’il vient de préparer. Puis, avançant en tapant du pied, il s’époumone : « Qui c’est qui de nos jours, connait encore les chansons de Charles Trenet ? J’adorais ses romances étant enfant ! ».


"La brosse esseulée" de Régis MOULU, animateur de l'atelier


Une fenêtre entrouverte. Je me rapproche. Je te reconnais et te découvres néanmoins, tu viens de te frictionner au white spirit. Nue sur le plancher, ou habillée de tes fripes économiques, c'est pareil, la blancheur de ta peau miroite, me fait de l'œil, tout en m'intimant l'ordre de rester à distance, tu officies puissamment je ne sais quoi. De loin, tu es un cristal dont les reflets te font des jambes et des bras, tu enflammes ta chambre de ton exaltation sucrée salée, tu rejoins ta coiffeuse, et moi ton image, ce mirage d'un instant, il me semble que tes mots doux massent déjà mes oreilles trop longtemps restées « igloos ». Ensuite la brosse esseulée trouve ta main et, comme, éprise par sa chaleur, galope dans tes cheveux ophidiens, que va sortir la magicienne de son crâne, si ce n'est une coiffure chantilly ? tu cherches à devenir une meringue, mon attention te nappe. La fraise incisée qui te sert de bouche va à l'assaut du vent, quand tu fredonnes, quand tu sifflotes, tu refais tout ton appartement, mon esprit alors avance vers toi, de ta gymnastique labiale s'échappent sons et coquilles de mots dans le genre « giboulée de jazz », « détaché de plumes de motmot » : « blou blou fio, ná, ralou cario fa-tà, ouboulira ta, kaliminastou, ravia charlila, orla-vi-ravatou ! » Tes yeux repeignent l'endroit, plusieurs fois, avec de nombreuses couches, au même moment où je fais du tri dans mes souvenirs, et j'en jette, tu tisses, abuses des fils transparents pour me faire croire qu'il y a un cocon entre toi et moi, je colle mon nez à ta nacelle de verre, retiens mon souffle, appréhende toute buée, je veux être tangent, mourir et renaître continuellement … et je monte dans les airs à chacun de tes mouvements. Dans ton corps, tous les animaux et tout le dictionnaire que j'apprends, la bave qui s'échappe de ma bouche me sert, je m'en rends comptes, de sablier … car tu rejoins ton armoire, ce cercueil à vêtements qui finiront par t'enlaidir et renforcer la « beauté menhir » de ton corps brûlant, la praline dans son papier. Pot de fleur ou chaussure, quelle différence, tu enfiles les deux ! Dans ton magasin aux couleurs Fisher Price, claironne aussi du maquillage que tu exprimes comme ceci : fard à joue qui te rosit comme un coup de rabot, gloss à lèvres qui t'enjoint une betterave sur la bouche, le tout au milieu d'un teint de patate dont te dote une voie lactée de blush, tien, voilà deux huîtres qui se sont fait épaissir le manteau sous l'effet de ton kohol généreux, et tout ce carnaval vrombit, reprend sa danse de mouche dans un bocal, je suis entomologiste et grand collectionneur. Où je suis, il y a comme une brise qui m'épluche, à ne pas bouger, je creuse le sol, j'ai même pensé un temps que mes semelles s'étaient effilochées en racines… tu me fixes, l'opalin de tes iris s'agrippe à moi, demande à mon visage une expression, quand je souris, j'agrandis mes dents, que tu aies peur, c'est tout à fait charmant. La communauté de coloris que je forme se rétracte comme une limace, c'est ma volonté, tant j'aimerais faire disparaître ce clou invisible qui t'a plantée dans le plancher tel un point d'exclamation, yeux disloqués, presque fissurés, ta chair renoue avec la porcelaine des poupées, tu attends mes premiers secours, le loup délivre de tout, solutionne à mort n'importe quelle situation, interaction de nos désirs avec des fantasmes qui se mettent très facilement en scène, et maintenant les otages du présent peuvent se réinventer. Devenu écharpe, je lui fais entrevoir un mirage, la dynamo de la vie lui regonfle le corps, mieux qu'un cheval, son dessus de lit lui sert de tapis volant, je n'en crois pas mes poumons, le soleil diffuse plus que jamais son huile bouillante, je souffre, ses rais mes mettent en geôle, s'enfermer dans l'histoire d'un couple qui commencerait ses déclinaisons est une parallèle qui me fait fuir, je me retourne, et tout a déjà disparu.

Les textes présentés ci-dessus sont sous la responsabilité de leur auteur. Ils sont quasiment le fruit brut qui a été cueilli en fin de séance... sans filet !
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