Si nos Enquêtes étaient plus sérieuses.

de Régis Moulu

 

2 Rôles : Louis (le Cri) et Marie-Antoinette (un Bâillement).

 

Acte unique - Quelque part.

 

Louis. - Quand je crie, c'est haut en couleurs. Une lame coupante comme un sens interdit, tranchante comme la tour Eiffel. Tu avais disparu. Nous n'étions plus simultanés. Ton bras ne conduisait plus le mien. Tu étais partie très loin, plus loin que le sont nos morts. Tes objets ne parlaient plus que de toi tellement tu leurs manquais. L'obsession, je te jure que c'était l'obsession, celle qui décolle la langue et rime avec les yeux sur la lune, dès fois qu'on t'y verrait, dès fois qu'on puisse enfin savoir quelque chose à ton sujet. Quand je crie, c'est haut en couleurs. Et les chiens errants se font moins vagabonds et plus chapardeurs, on n'a plus le droit de perdre, de laisser passer, de ne pas fêter l'être cher, de ne plus ouvrir nos bouches pour la chair, je bois, j'ai bu, j'ai crié l'âme saoule, les cheveux en salade. Crier, crier à se surprendre soi-même d'avoir les mains sur les oreilles, de naissance. Où étais-tu ? Pas encore divisée, l'air frais me l'a dit. La peine de mort, c'est surtout la peine qu'on devrait avoir pour le mort - mais c'était pour après, que je me disais. Un gardien m'a vendu ton issue, s'est vendu : tu dormais, suspendue au bâillement, tu as ce charme de savoir ouvrir ton palais, tu étais sauvée, tu t'étais sauvée par la grande porte, porte-bonheur que je me disais, les dents regroupées pour la première fois depuis mon internement...

Marie-Antoinette. - C'est une chance qui nous était offerte !

Louis. - Mais avec le sentiment de ne jamais avoir été compris.

Marie-Antoinette. - Où était l'homme dans tout ça ?

Louis. - Car seule la femme que tu as su être pour moi a pu le dire. Ah, si la télévision m'était donnée. Je meurs de savoir que seuls les documentaires s'intéressent à moi. Mort et consigné, autrement dit mort deux fois !

Marie-Antoinette. - Pas pour moi. Louis, enlève ta perruque, il ne fait plus si froid. Le plus dur est passé. La raideur du métal qui nous glace à présent s'étale. Une barque, je veux une barque mon tout doux, mon nouveau chauve, mon exubérante momie. Tes sentiments te rendent montagne si je veux.

Louis. - Ta présence est mon gouffre.

Marie-Antoinette. - A chacun de tes cris, moi je baille. Nous communions, tous deux la bouche en o, tout le temps, à chaque épreuve j'en suis sûre, et à chaque joie mais là je ne le parierais pas... On a gagné d'avoir perdu la vie... Ça ne pouvait plus continuer : trop de réceptions, trop de robes, trop de bijoux, trop de matériaux bien trop précieux, bien trop épais. Mais comment le dire ? Comment le faire comprendre à ceux qui, le couteau à la main, nous jalousaient ? Et je baillais à longueur de lustres pour qu'on m'achève, qu'on m'ignore ou qu'on me déteste. Trop riche pour avoir le droit de se plaindre. Trop riche pour acheter la simplicité. Méprisez-moi petites gens. De vos paroles, j'en baille, voyez mes dents !

Louis. - Et pour notre plus grand bonheur, dussions-nous être patients, nos amis de l'époque, en toute bonté, s'intéressèrent enfin à nous !

Marie-Antoinette. - Bien qu'il soit encore plus grossier de tourner à l'infini en carrosse pour qu'ils nous voient, et même de s'habiller simplement pour qu'enfin ils nous reconnaissent comme étant des leurs. Et nous avons dû tourner, tourner, et tourner encore au point même d'envisager les villes les plus improbables comme Sainte-Ménéhould. Incroyable ! Incroyablement anecdotique !

Louis. - Mais comme toujours, ce qui est impossible à inventer se retient toujours le mieux. Et c'est avec ça, ma très douce, ma nouvelle coupe, mon exubérante momie que l'Histoire s'est rappelée de nous. Désormais, inutile de crier à l'univoque, inutile de bailler sur l'univers, nous sommes réunis comme le o qui s'est fait i, le oi de toi est le oi de moi, j'en ai la foi,

Boire le soir jusqu'à la nuit,

Voir ce noir et tout ce qui s'en suit,

Savoir croire nous a toujours sauvé la vie.

 

Fin.

... sous la contrainte d'écriture suivante :

Ecrire un dialogue dans lequel parlent Le cri et Le baillement.

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